LET. CIX-CXIV
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LETTRE CIX. AU JEUNE ET ILLUSTRÉ SEIGNEUR GEOFFROY DE PÉRONNE ET A SES COMPAGNONS.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CX. AUX PARENTS DE GEOFFROY, POUR LES CONSOLER.

LETTRE  CXI. AUX PARENTS DU MOINE ELIE AU NOM DE CE RELIGIEUX.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CXII. A GEOFFROY DE LISIEUX.

LETTRE CXIII. A LA VIERGE SOPHIE.

LETTRE CXIV. A UNE AUTRE RELIGIEUSE.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CIX. AU JEUNE ET ILLUSTRÉ SEIGNEUR GEOFFROY DE PÉRONNE ET A SES COMPAGNONS.

 

Saint Bernard loue ces jeunes gens d'avoir embrassé la vie religieuse, et les exhorte à la persévérance.

 

A son cher fils Geoffroy (a) et à ses bien-aimés compagnons Bernard, abbé de Clairvaux, esprit de conseil et de force.

 

1. La nouvelle de votre conversion édifie bien des gens et comble de joie l'Eglise entière; le ciel et la terre en sont dans l'allégresse, et chacun en bénit le Seigneur. La terre a tressailli parce que les cieux l'ont arrosée de nos jours d'une pluie de grâces que Dieu a fait tomber sur son héritage des hauteurs du Sina. La croix de Jésus-Christ n'est plus stérile pour vous, comme elle l'est encore pour tant de mauvais chrétiens qui différent leur conversion de jour en jour, que la mort surprend enfin et précipite, en un instant, au fond de l'enfer. Nous voyons refleurir sous nos yeux ce bois sacré sur lequel le Dieu de gloire est mort non pas seulement pour sauver son peuple, mais encore pour réunir tous les enfants de Dieu qui étaient dispersés. C'est lui, n'en

 

a Une antienne édition porte Perrone ; c’est une  ville très-forte sur la Somme. Geoffroy y reçut le jour et en prit le nom. C'est un des Belges que saint Bernard convertit à la vie religieuse, comme il est dit au chapitre ni du livre IV de sa Vie. II y eut encore un autre Geoffroy qui se convertit en même temps que celui-ci et qui devint plus tard prieur de Clairvaux; il faut encore ajouter Hermann de Tournay a aux clercs du monastère de Sainte-Marie et du diocèse de Tournay, jouissant d'une certaine réputation, qui suivirent Bernard, abbé de Clairvaux, par lequel ils avaient été convertis (Spicilège, tome XII, p. 479). »  Hermann place ce fait (page 476), après la vingt-quatrième année de l'épiscopat de Simon, évêque de Noyon; or cedex nier fut fait évêque en 1122, on ne peut donc pas rapporter cette lettre à l'année 1131, comme le veut Manrique. Pierre de Roya, novice de Clairvaux, parle de Geoffroy de Péronne dans sa lettre placée à la suite de celles de saint Bernard. Voir la note de Horstius.

 

doutons pas, c'est lui qui vous à rassemblés; il vous aime comme une mère dont les entrailles vous auraient portés, vous êtes le fruit le plus précieux de sa croix et la récompense la plus chère de sa mort. Si les anges sont dans la joie pour la conversion d'un pécheur, quelle n'a pas été leur allégresse en vous voyant tous faire pénitence à la fleur de l'âge, vous dont l'exemple était d'autant plus séduisant et contagieux dans le monde, que vous y teniez une place plus distinguée par le savoir et par la naissance ! J'avais lu dans les livres sacrés que « ce n'est guère parmi les grands, les sages et les puissants que Dieu choisit les siens (I Cor., I, 26); » mais aujourd'hui, par un miracle de la. puissance divine, je vois tout le contraire arriver. Ce sont eux qui dédaignent l'éclat de la gloire, foulent aux pieds les charmes de la jeunesse et ne tiennent plus aucun compte des avantages de la naissance. A leurs yeux,la sagesse du monde est une pure folie; devenus sourds à la voix de la chair et du sang, ils sont insensibles aux larmes de leurs proches et de leurs amis: enfin crédit, honneurs, dignités, tout à leurs yeux est moins que la boue des rues s'ils possèdent Jésus-Christ. Quels motifs n'aurais-je pas de vous louer si je ne savais que tout cela ne vient pas de vous; mais le doigt de Dieu se reconnaît dans toutes ces merveilles, sa main seule les à toutes opérées. Votre conversion est un coup visible de sa grâce, et puisque tout don parfait descend du Père des lumières, il est juste de lui en rapporter toute la gloire. Lui seul a fécondé vos âmes et leur a fait produire avec abondance des fruits merveilleux de salut.

2. Il ne vous reste donc maintenant, mes très-chers amis, qu'à mener à bonne fin par tous les moyens possibles une si louable entreprise et de couronner vos débuts par la persévérance qui est la reine des vertus. N'ayez pas de ces alternatives de bon vouloir et de défaillances de volonté, mais qu'on reconnaisse en vous les dignes fils de votre Père céleste qui ne sait point varier, et dans lequel on ne pourrait signaler l'ombre mène d'un changement. Façonnez-vous sur ce modèle divin, avancez de clarté en clarté à la lumière de l'Esprit du Seigneur, et faites tous vos efforts pour ne montrer dans votre conduite ni légèreté, ni inconstance, ni hésitation. Vous savez qu'il est écrit quelque part: « L'homme qui a le coeur partagé est inconstant dans ses voies (Jacob., I, 8); » et ailleurs: « Malheur à celui qui suit deux directions sur la terre (Eccli., II, 14). » Mais si je vous félicite de votre dessein, mes bien chers enfants, je ne me félicite pas moins moi-même de ce que vous avez jeté les yeux sur moi pour vous aider à l'accomplir. Je me mets tout entier à votre disposition, je vous offre mes conseils et vous aiderai de mon concours si vous jugez que je puisse ou doive vous être utile; loin de me récuser en pareille circonstance, je suis disposé à vous ailler de toutes mes forces. Quelque cassé que je sois, si le ciel le demande, je me chargerai de ce nouveau fardeau avec bonheur, je tendrai les mains, comme on dit, avec empressement à de futurs habitants de la cité des saints et de la maison de Dieu a; on me verra, allègre et joyeux, porter à cette troupe de fuyards que l'ennemi poursuit l'épée dans les reins, du pain pour apaiser la faim qui les dévore et de l'eau pour étancher la soif qui les consume. Geoffroy, votre ami et le mien, vous dira le reste; suivez ses conseils et faites tout ce qu'il vous suggérera de ma part.

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CIX.

 

82. A Geoffroy de Péronne. C'est un des trente jeunes Flamands de distinction et instruits que saint Bernard avait convertis : comme il se montrait encore un peu chancelant et qu'il hésitait à entrer en religion, notre Saint lui écrivit cette lettre pour ranimer son ardeur. Il entra à Clairvaux dont il fut le cinquième prieur. Il refusa dans la suite l'évêché de Tournay, quelques-uns disent de Nantes, auquel il avait été élu. Voici comment Pierre de Blois parle de ce fait: « Nous lisons que Geoffroy de Péronne, prieur de Clairvaux, ne voulut point accepter l'évêché de Tournay auquel il avait été élu. Plus tard, étant venu à mourir, il apparut à un religieux qui lui demanda en quel état il se trouvait; il lui répondit : La sainte Trinité m'a fait voir que si j'avais consenti à devenir évêque j'aurais été damné. » Alors Pierrre de Blois profite de l'exemple de ce religieux pour s'adresser à certains prélats et leur dire « Que sera-ce donc de ces malheureux qui se jettent d'eux-mêmes et avec bonheur dans le tourbillon des sollicitudes temporelles? qui passent leur vie a faire des repas somptueux, à goûter les douceurs du sommeil et à boire? qu'on voit assis à leur comptoir, supputer leurs revenus, tout occupés de leurs propres intérêts on plutôt de ceux de César bien plus que de ceux de Dieu ? » C'est ainsi que s'exprime pierre de Blois dans sa cent deuxième lettre. Césaire rapporte la même chose (livre II, chapitre XXIX). On peut voir ce que Henriquez dit de Geoffroy de Péronne dans son Ménologue, au 45 février (Note de Horstius).

 

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LETTRE CX. AUX PARENTS DE GEOFFROY, POUR LES CONSOLER.

 

Saint Bernard les console: leur fils n'est pas perdit pour eux parce qu'il s'est fait religieux : qu'ils ne craignent pas trop pour sa constitution délicate.

 

1. Si Dieu vous prend votre fils pour en faire son enfant, que perdez-vous à cela et qu'y perd-il lui-même ? Je vois qu'il y gagne en richesse, en noblesse et en grandeur; mais ce qui vaut beaucoup        mieux encore, il y gagne de devenir un saint. Pour se rendre digne du royaume qui lui est destiné depuis le commencement du monde, il faut qu'il passe avec nous le peu de temps qu'il a à vivre, et qu'il travaille à se purifier des souillures de la vie du siècle, et à secouer de ses pieds jusqu'aux derniers grains de poussière dont ils se sont chargés dans les sentiers du monde. Si vous aimez votre fils, vous serez heureux de voir qu'il prend, en se donnant à Dieu, la voie qui doit le ramener à son père, et à quel père ! Vous ne le perdez pas pour cela, seulement en agissant comme il le fait, il vous donne pour enfants tous ceux qui l'acceptent pour frère, soit à Clairvaux, soit dans les maisons qui en dépendent.

2. Peut-être redoutez-vous l'austérité de la règle pour sa complexion délicate? Je puis bien dire avec l'auteur sacré: « Vous craignez là où il n'y a rien à craindre (Psalm. XIII, 5). » Rassurez-vous et soyez bien tranquilles, je lui servirai de père et je le traiterai comme mon fils jusqu'à ce que le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation le retire de mes mains et l'appelle à lui. Plus de larmes donc, plus do soupirs. Croyez-moi, votre cher Geoffroy est entré dans la voie du bonheur et non pas dans celle de la tristesse. Je remplacerai auprès de lui son père et sa mère, son frère et sa soeur ; je tâcherai de rendre droits devant lui les sentiers tortueux. et d'aplanir sous ses pas les chemins raboteux; je le conduirai avec tant d'égards et de ménagements que son

 

a On voit par là que saint Bernard était déjà d'un certain âge quand il écrivit cette lettre.

 

âme fera des progrès dans la vertu sans que son corps succombe sous le poids des macérations. En un mot, il trouvera tant de douceur et de charme au service de Dieu qu'il ne cessera de chanter sa gloire et de célébrer ses grandeurs.

 

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LETTRE  CXI. AUX PARENTS DU MOINE ELIE AU NOM DE CE RELIGIEUX.

 

Saint Bernard au nom d'Elie les engage de ne rien faire pour empêcher ou retarder son entrée au service de Dieu; ce serait d'ailleurs faire mal en pure perte.

 

1. Il n'y a qu'une circonstance où il ne soit pas permis d'obéir à ses parents, c'est quand Dieu le défend; il a dit en effet : « Quiconque aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi (Matth., X, 37). » Après cela, si vous m'aimez en bons et véritables parents, si vous avez pour votre enfant de vrais sentiments de père et de mère, pourquoi m'inquiétez-vous dans la résolution que j'ai prise de plaire à Dieu notre père à tous? Dans quel but essayez-vous de me détourner du service de celui qui place ses serviteurs sur le trône? Faut-il que j'avoue avec l'auteur sacré, « que nous n'avons d'ennemis due parmi les membres de notre famille (Matth., X, 36) ? » Non, je ne dois pas faire ce que vous me demandez; en cette circonstance je ne vois pas en vous des parents, mais des ennemis. Ah! si vous aviez pour moi quelque amour, vous vous sentiriez heureux de me voir aller à mon père qui est aussi le vôtre, et qui est notre père à tous. D'ailleurs qu'ai-je à démêler avec vous ? Je n'ai reçu de vous que le péché et la misère; si je vous dois quelque chose, ce n'est qu'un corps mortel et corruptible. N'est-ce pas assez de m'avoir fait naître pour partager votre misère, de m'avoir conçu, mis au monde et nourri dans le péché? faut-il encore que vous m'enviiez la miséricorde de celui qui ne veut pas la mort du pécheur, et que vous m'exposiez à la damnation éternelle ?

2. Père inhumain, mère cruelle, parents impies et dénaturés! Mais vous n'êtes pas des parents, vous n'êtes que des meurtriers. Le salut de votre enfant vous navre le coeur, sa mort réjouirait votre âme ! Mieux vaudrait, à vos yeux, que je périsse avec vous, plutôt que de conquérir une couronne sans vous; il n'est rien que vous ne tentiez pour m'exposer

 

a Nous donnons, pour ta première fois, la suscription de cette lettre, d'après le manuscrit déjà cité de Corbie. Peut-être faut-il voir dans cette lettre une de celles que saint Bernard donnait quelquefois à composer à ses secrétaires, comme on en voit un exemple dans la trois cent quatre-vingt-neuvième lettre. Voir la note de Horstius.

 

de nouveau à un naufrage pareil à celui dont je n'ai pu réchapper que ma personne, pour me rejeter au milieu de l'incendie dont je ne me suis sauvé qu'à demi dévoré par les flammes, ou pour m'exposer encore aux coups des voleurs qui m'ont, la première fois, laissé pour mort et couvert de blessures dont je suis à peine guéri, grâce aux soins d'un samaritain charitable. Voilà que sous les étendards du Christ je suis sur le point de conquérir le ciel, sinon par mes forces, du moins par la grâce de celui qui a vaincu le monde, et vous voulez m'arracher la victoire. des mains, me faire renoncer à un triomphe déjà presque assuré et me forcer de rentrer dans le siècle, comme le chien retourne à l'aliment qu'il a rejeté ou comme l'animal immonde revient à sa bauge. Etrange aveuglement! La maison est en feu, déjà les flammes m'atteignent dans ma fuite, et vous me barrez le passage, vous ne voulez pas que j'échappe, vous me rappelez au foyer de l'incendie qui vous entoure vous-mêmes de toutes parts et au milieu duquel vous vous entêtez à demeurer avec la plus incroyable folie et l'obstination la plus insensée. Quelle démence ! Si vous comptez pour rien de vous perdre, pourquoi vous imiterais-je ? Fuyez plutôt avec moi pour ne pas devenir la proie des flammes. Vous n'espérez pas sans doute que vos tourments seront diminués par les miens; n'avez-vous donc peur que de périr sans moi? Hélas! en quoi les flammes qui me consumeront rafraîchiront-elles le feu qui vous dévorera, et quel soulagement, si vous êtes damnés, trouverez-vous dans ma propre damnation? Je ne sache pas que la vue des mourants soit faite pour consoler de la mort qu'on souffre. Telle n'était pas non plus la pensée de ce mauvais riche qui, renonçant pour lui-même à tout espoir de voir ses tourments adoucis, voulait du moins qu'on informât ses frères de son triste sort, afin qu'ils ne vinssent pas un jour partager ses tourments. Sans doute il pensait que la vue de leurs souffrances ajouterait encore aux siennes.

3. Mais quoi ! irai-je dans une courte visite essuyer pour quelques instants les larmes d'une mère, au risque d'on verser d'intarissables un jour sur sa perte et sur la mienne? M'exposerai je pour apaiser pendant quelques jours un père que mon départ irrite, à nous voir l'un et l'autre à jamais inconsolables, éternellement incapables de nous aider dans notre commun malheur! Je ferai bien mieux, suivant le conseil de l'Apôtre, je fermerai les oreilles à la voix de la chair et du sang, pour ne les ouvrir qu'à celle du Seigneur, qui nous dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts (Matth., VIII, 22); » ou de David lorsqu'il s'écrie «Mon âme n'a voulu goûter aucune consolation (Psalm. LXXVI, 4); » ou bien encore du triste Jérémie quand il proteste « qu'il n'a rien désiré de tout ce que le monde possède (Jerem., XVII, 16). » En effet, je viens d'acquérir des droits au plus magnifique héritage, le ciel même est le lot qui m'est échu, la terre pourrait-elle désormais me tenter, et les consolations de la chair conserver des charmes pour moi? Non; quand une fois on a goûté aux choses spirituelles, on ne trouve plus de goût aux charnelles; qu'est-ce que la terre quand on aspire au ciel, et quel charme peut-il y avoir dans ce qui passe en comparaison de ce qui ne doit jamais finir ? Cessez donc, je vous en prie, cessez, mes chers parents, de vous affliger et de verser sur moi des larmes inutiles, vous me tourmenteriez en pure perte; ne continuez pas à m'envoyer des gens de votre part, vous ne réussiriez qu'à me faire chercher un asile plus éloigné de vous tandis que je n'ambitionne qu'une seule chose: mourir en paix à Clairvaux; c'est là que j'ai fixé ma demeure pour le reste de mes jours, et que je veux prier Dieu sans cesse, pour vos péchés en même temps que pour les miens, et lui demander qu'après avoir été séparés en ce monde pendant quelque temps pour l'amour de lui, nous vivions dans l'autre éternellement unis par les liens de son indissoluble amour, dans une félicité aussi durable que les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CXI.

 

83. Saint Bernard écrivit cette lettre aux parents d'un novice appelé Elie, et en son nom, pour blâmer les efforts qu'ils faisaient afin de détourner leur fils du dessein qu'il avait conçu d'entrer en religion. « On pourrait, dit Lessius, trouver le langage de saint Bernard un peu dur, s'il n'était dicté par une sagesse et une. sainteté comme les siennes. Qui oserait critiquer l'organe dont le Saint-Esprit même a fait choix? Il savait toute l'importance du projet qu'Elie avait formé. Ce n'était pas un homme à écrire en ces termes à toute sorte de parents, il ne le fait qu'à ceux dont l'importunité expose le salut de leur enfant au plus grand danger, ou qui ne savent point mettre un terme à leurs sollicitations. » C'est ainsi que s'exprime Lessius dans son utile Traité sur le Choix d'un état, question IV, 36. Voir la note de la cent quatrième lettre (Note de Horstius).

 

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LETTRE CXII. A GEOFFROY DE LISIEUX.

 

Saint Bernard déplore son retour au siècle et l'invite à rentrer en religion.

 

1. Que je vous plains, mon cher Geoffroy, et que de larmes vous me coûtez ! Pourrais-je en effet vous voir d'un oeil insensible jeter aux pieds des démons et dans l'immonde bourbier des vices du siècle cette fleur de jeunesse que vous avez cueillie dans toute sa fraîcheur pour l'offrir à Dieu, au grand contentement des anges? Eh quoi! Dieu vous avait appelé à son service et vous avez pu ensuite écouter la voix du démon et marcher sur ses pas ! Vous avez pu vous détourner du sentier qui conduit à la gloire éternelle après vous y être engagé à la suite du Christ! Combien ce qui vous arrive me fait comprendre la vérité de ces paroles: « Nous n'avons de pires ennemis que ceux de notre maison (Matth., X, 36, et Mich., VII, 6) ! » Car ce sont vos proches et vos amis qui se sont ligués contre vous, ce sont eux qui vous ont replacé dans la gueule du lion, ramené aux portes de la mort et replongé dans les ténèbres extérieures, où déjà le siècle compte tant de morts; peu s'en faut même que vous ne soyez dès maintenant englouti dans l'enfer, dont le gouffre est béant sous vos pas , et n'attend que sa proie pour la dévorer.

2. Revenez, je vous en prie, avant que vous soyez enseveli dans le

 

a Quelques manuscrits portent Luxeuil. Orderic appelle quelquefois ainsi Lisieux, en Neustrie, de sorte qu'il n'y a bien souvent dans les écrits de cette époque aucune différence entre Lisieux et Luxeuil qui se trouve dans le comté de Bourgogne.

 

profond abîme, avant que l'ouverture du puits se ferme sur vous; revenez avant que vous soyez submergé sans jamais pouvoir surnager de votre naufrage, n'attendez pas que vous soyez jeté pieds et poings liés dans ces ténèbres extérieures où il n'y a plus que pleurs et grincements de dents, que nuit affreuse, que sombres et mortelles horreurs. Si vous devez rougir, c'est de vous être enfui, non pas de venir reprendre les armes, et recommencer la lutte. Vous savez bien due le combat n'est pas fini, les deux armées sont toujours aux prises et la victoire est encore dans vos mains. Nous vaincrons ensemble, si vous le voulez; je ne suis pas jaloux de la gloire qui peut vous revenir de la victoire. J'irai même avec la plus grande allégresse au-devant de vous, et vous recevrai à bras ouverts en m'écriant: « Livrons-nous à la joie des festins, car notre frère que voilà était mort, il est ressuscité; il était perdu, et il est retrouvé (Luc., XV, 32) ! »

 

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LETTRE CXIII. A LA VIERGE SOPHIE.

 

Saint Bernard loue Sophie d'avoir méprisé les vanités du monde : il fait l'éloge des vierges chrétiennes et dit quels sont leurs privilèges, leur récompense et leur parure ; il l'engage à persévérer.

 

A la vierge Sophie, Bernard, abbé de Clairvaux, salut, et voeux sincères qu'elle conserve son titre de vierge et mérite d'en obtenir la récompense.

 

1. « Les grâces et les charmes de la beauté ne sont que déception et vanité; il n'y a de vrai mérite pour les personnes du sexe que dans la crainte de Dieu (Prov., XXXI, 30). » Je vous félicite, ma fille, d'avoir foulé aux pieds toutes les vanités du monde; il est vrai qu'elles n'ont rien que de méprisable, mais quand on voit tant d'hommes qui, pour tout le reste, sont sages, professer pour elles une estime insensée, vous méritez qu'on vous loue de n'en avoir point été séduite : elles sont comme la fleur des champs qui se fane en un jour, ou comme une vapeur qui disparaît en un instant, et dans tout leur éclat elles donnent encore plus de peine que de plaisir. En effet, que de mal pour nous faire. rendre ce qu'on nous a dérobé ou pour défendre ce qui nous appartient, sans compter l'envie, les soupçons et les désirs ambitieux! Rien n'apaise la soif d'acquérir qui nous dévore, et l'ambition de l'homme n'a pas de cesse, même dans le succès. S'il se trouve quelque plaisir mêlé à tout cela, il passe bien vite et ne revient plus; les peines qui lui succèdent durent toujours; d'ailleurs, presque tout le monde est sevré de ce plaisir, et cependant on voit peu de gens qui le méprisent. Pourquoi cela? C'est que la plupart des hommes n'écoutent due la voix de la nature. La grâce n'est entendue que du petit nombre, mais surtout de bien peu de gens d'un rang élevé, comme l'Apôtre en fait la remarque : « Elle n'a pas choisi beaucoup de gens de qualité, mais elle a appelé des hommes de rien (I Cor., I, 28). » Vous ôtes donc bénie et privilégiée entre tous cous de votre rang , puisque vous vous signalez parmi eux par le mépris des vanités qu'ils recherchent avec ardeur, et par l'ambition d’une gloire plus élevée. Certainement vous avez grandi en distinction et en éclat, en vous faisant petite. quand la naissance vous avait placée au premier rang; si de ces deux grandeurs l'une est le fait de votre naissance et vient. de vos parents, l'autre est celui de la grâce qui vous l'a procurée. Comme ce qui vous est propre est en même temps plus rare, il doit vous être plus cher; car si la vertu est rare sur la terre parmi les hommes, combien plus rare encore est-elle chez les femmes, surtout quand à la faiblesse naturelle de leur sexe s'ajoute la grandeur de la naissance! On a demandé quel homme « a trouvé une femme forte (Prov., XXXI, 16), » surtout parmi les femmes de qualité, me permettrai-je d'ajouter. Quoique Dieu n'ait point d'égard à la condition des personnes, la noblesse donne pourtant je ne sais quel lustre à la vertu, sans doute parce qu'elle la fait éclater davantage. Quand une personne de condition obscure mène une vie cachée, on ne peut dire si c'est par choix ou par nécessité; or s'il est bien de faire de nécessité vertu, on ne peut nier qu'il ne soit mieux encore de faire de la vertu un libre choix de la volonté.

2. Que les autres personnes de votre sexe. s'enivrent des fugitives jouissances qu'elles peuvent trouver dans les illusions et dans les vanités des choses du monde, elles n'ont pas d'autres espérances; in ai vous qui en avez d'autres, reposez-vous tout entière en elles, réservez-vous pour ce poids éternel d'une gloire incomparable qu'un rapide instant d'affliction dans ce monde nous assure dans l'autre. Si vous êtes critiquée par ces filles mondaines, vraies filles de Bélial, au corps cambré, à la démarche onduleuse, parées comme des chasses, dites-leur avec l'Ecriture : Mon royaume, à moi, n'est pas de ce monde. Si le temps est venu pour vous de régner, le mien ne l'est pas encore; ma gloire est cachée en Dieu avec Jésus-Christ, mais  quand il se manifestera, lui qui est ma vie, j'apparaîtrai avec lui dans la gloire. D'ailleurs vous avez bien dès maintenant de quoi vous glorifier en Dieu si vous le voulez, avec autant de raison que de sécurité; car, sans parler de la couronne éternelle que le Seigneur vous prépare, du bonheur qui vous attend de voir un jour face à face votre divin Époux dans sa gloire, de la joie de lui devoir à jamais une beauté incomparable, sans tache ni rides, exempte de tous les outrages du temps ; sans rappeler non plus les caresses qu'il promet à votre âme, quand, de sa main gauche soutenant votre tête, il vous embrassera de la droite; sans compter la place éminente que vous occuperez avec les vierges dans le royaume des cieux, et le cantique nouveau que vous chanterez à la suite de l'Agneau partout où il ira; sans parler enfin de tous ces avantages auxquels l'œil n'a rien vu, l'oreille n'a rien entendu, le coeur n'a rien conçu de comparable, qui vous sont assurés et que vous devez attendre, mais que l'avenir seul possède et vous réserve.

3. Ne nous occupons que du présent, ne mentionnons que les faveurs de l'Esprit-Saint dont vous êtes prévenue, les cadeaux de fiançailles et de noces de l'Époux, ses gages d'amour, ses bénédictions et ses douces prévenances, toutes choses auxquelles vous espérez qu'un jour il saura mettre le comble en se donnant lui-même. Voilà les riches parures qui vous attirent les regards des anges; vous pouvez bien les étaler à tous les yeux; je défie toutes les filles de Babylone, si fières de ce qui devrait les couvrir de honte et de confusion, de nous montrer dans leurs atours rien qui en égale l'éclat et le prix. Leurs corps sont parés de vêtements splendides où la pourpre se marie au lin, tandis que leurs pauvres âmes sont dans une misère sordide; elles sont éclatantes de pierreries, il est vrai, mais elles sont loin de briller par les maurs. Pour vous, au contraire, avec des dehors qui n'annoncent rien moins que le luxe, vous avez aux yeux de Dieu une mise d'une rare beauté, votre parure, tout intérieure, n'est que pour l’oeil du Créateur et non point pour celui des créatures, car c'est en vous que se trouve celui auquel vous voulez plaire, c'est la foi qui lui fait une demeure de votre âme, aussi est-il dit: « Toute la beauté de la fille de Sion est en elle (Psalm. XLIV, 44). » Réjouissez-vous donc, fille de Sion; tressaillez d'allégresse, fille de Jérusalem, car le Roi des rois est épris de vos charmes dont des flots de lumière rehaussent l'éclat et la majesté; car, dit le Palmiste: « Il ne voit devant lui que gloire et que sujet de louanges (Psalm. CXV, 6). » De qui parlait-il en ces termes ? C'était du plus beau des hommes, de celui sur lequel les anges eux-mêmes brûlent du désir de fixer leurs regards.

4. Voilà celui dont vous charmez les regards, aimez donc ce qui vous rend belle à ses yeux, ne cessez de lui montrer ce dont la vue le captive, et publiez hautement de qui vous tenez vos charmes si vous voulez les conserver, car votre éclat et votre beauté sont liées à la  reconnaissance s'il faut en croire le Psalmiste qui dit: « La beauté et la reconnaissance sont comme les deux parties de votre vêtement (Psalm. CIII, 1); » et ailleurs: « Il ne voit devant lui que gloire et due sujet de louanges (Psalm. CXV, 6). » Au fait, il est certain que la reconnaissance ou la confession des biens qu'on a reçus concourt en même temps à l'éclat et à la beauté en confessant ses fautes, le pécheur les efface, et en confessant la source de ses vertus, l'âme sainte augmente ses mérites. Dans la confession de ses péchés, le pécheur offre à Dieu le sacrifice d'un coeur contrit et pénitent; et dans celle des bienfaits qu'il a reçus, le juste en offre un de reconnaissance. C'est donc une double source de beauté pour l'âme que la confession, puisque d'un côté si elle contribue à les purifier quand elle est souillée; de l'autre elle concourt à la rendre plus belle en lui donnant de nouveaux attraits. Sans la confession, le juste est coupable d'ingratitude et le pécheur est comme frappé de mort, selon ce qui est dit : « Un mort ne peut plus rien confesser (Eccli., XVII, 26). » Ainsi pour le pécheur la confession c'est la vie, et pour le juste c'est la gloire, et si l'un ne peut, l'autre ne doit pas la négliger, car il est écrit : « C'est à ceux qui ont le coeur droit qu'il appartient de confesser les louanges de Dieu ( Psalm. XXXII,1). » La soie, la pourpre et l'éclat des couleurs peuvent être belles, mais elles ne sauraient donner la beauté, c'est donc en vain qu'on la leur demande. Si elles brillent sur notre personne, il n'y a qu'elles qui brillent; les déposons-nous, toute notre beauté d'emprunt disparaît avec elles, parce qu'elle n'est pas à nous, mais à notre parure.

5. Pour vous, ma fille, n'imitez pas le travers des personnes qui mendient la beauté à mille objets étrangers quand elles ont perdu la leur; leurs soins infinis; leurs dépenses excessives, et les mille ajustements frivoles dont elles tâchent d'éblouir les insensés, ne montrent que trop combien elles sont laides de leur propre fond; regardez comme une chose indigne de vous de ne devoir votre beauté qu'à la peau d'un animal et au travail de vils insectes; qu'il vous suffise de celle que le bon Dieu vous a donnée; je ne connais pas d'autre beauté dans les choses et dans les personnes que celle qui n'a besoin d'aucun secours étranger pour briller. Qui oserait comparer tous les joyaux d'une couronne de reine aux roses et aux rubis que la pudeur sème sur le visage des vierges et aux grâces qu'une vie régulière répand dans toute leur personne ? Je ne connais rien qui donne plus d'attraits et de charpies aux personnes du sexe que cette sévérité de principes qui règle leurs manières et leurs pensées sur la modestie, ne leur permet ni démarche altière, ni regards fiers et hardis, compose leur visage, modère leurs ris, captive leur langue, réprime l'intempérance, tempère la vivacité du caractère et donne de la gravité au maintien; tels sont les bijoux dont la vierge chrétienne aime à se parer; voilà les atours qui relèvent sa beauté au-dessus de celle des anges eux-mêmes; car si les anges aussi sont vierges, ils n'ont point de corps, et leur vertu en ce point est moins grande que leur bonheur. Voilà ce qui fait la beauté de la vierge chrétienne et rend sa condition digne d'envie aux anges eux-mêmes.

6. Il nous reste encore une remarque à faire sur la beauté de la vierge chrétienne, c'est qu'elle est d'autant plus durable qu'elle lui appartient en propre. Voyez les filles du siècle, elles sont chargées de bijoux d'or et d'argent et de pierres précieuses, elles sont parées comme des reines, pour ne pas dire chargées comme des porte-faix; elles portent des robes d'étoffes précieuses, dont la queue longue et traînante soulève derrière elle des nuages de poussière. Mais qu'est-ce que cela pour vous, ma fille? Il faut, à la mort, déposer ces atours; on ne conserve que les vôtres, c'est-à-dire la parure des saints. Ce qu'elles ont n'est point à elles, et quand elles mourront elles n'emporteront rien avec elles; cet éclat emprunté ne les suivra point au tombeau, il leur faudra s'en dépouiller avant de quitter le monde et le laisser pour que d'autres aussi vaines qu'elles en jouissent à leur tour. Mais il n'en est pas de même de vos joyaux à vous, vous êtes bien sûre de ne pas les laisser ici-bas après vous, parce qu'ils n'appartiennent qu'à vous; ni violences ni ruses ne sauraient vous en priver: il n'est pas de voleurs qui puissent vous les dérober ni de tyrans assez forts pour vous les enlever; votre parure ne redoute ni la dent des vers, ni la main du temps, ni la fatigue et l'usure; elle subsiste même sous les coups de la mort, car elle ne consiste que dans les richesses de l'âme et n'a rien de commun avec le corps. Toutes vos parures suivent votre âme quand elle se sépare de votre corps et ne sauraient périr avec lui. Or ceux même qui peuvent tuer le corps ne peuvent absolument rien sur l'âme.

 

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LETTRE CXIV. A UNE AUTRE RELIGIEUSE.

 

Sous l'habit religieux, elle avait conservé l'esprit du monde ; saint Bernard la félicite d'être rentrée dans son devoir, et l'engage fortement à ne plus résister à la grâce.

 

1. J'ai appris avec bien du bonheur que vous avez renoncé aux joies qu'on peut goûter ici-bas dans cette vallée de larmes, pour ne plus soupirer qu'après les joies solides et véritables dont le torrent délicieux inonde là-haut la cité de Dieu; ce sont les seules dignes de ce nom, parce qu'elles ont leur source dans le Créateur, non dans la créature, et que personne ne peut vous les ravir. Au prix de ces jouissances-là, toute joie n'est que tristesse, tout plaisir, que douleur, toute douceur qu'amertume, toute beauté que laideur, en un mot, toute consolation n'est qu'ennui. Je vous prends vous-même à témoin de ce que je dis: vous n'avez qu'à vous consulter pour être intimement convaincue de la vérité de ce que j'avance. N'est-ce pas le cri de l'Esprit-Saint au fond de votre âme? Ne vous a-t-il pas fait sentir cette vérité avant moi ? Comment auriez-vous pu sans cela, jeune, belle et noble comme vous l'êtes, vous élever au-dessus de votre âge et de la fragilité de votre sexe, au point de mépriser cette grâce exquise, cette beauté remarquable et la grandeur que donne la naissance, si vous n'aviez trouvé tous ces avantages de la nature indignes d'entrer en comparaison avec ceux de la grâce, et si vous n'aviez reçu la force de triompher des charmes de l'une en même temps qu'un puissant et victorieux attrait pour goûter la douceur de l'autre ?

2. Après tout, rien de mieux justifié que vos goûts et vos dédains. Ce que vous méprisez est bien peu de chose, bien fugitif, et ne s'élève point au-dessus de la terre, tandis que ce qui a obtenu vos préférences est grand, éternel et divin. Je vais plus loin encore, je dirai, sans craindre de sortir des bornes de la vérité, que vous êtes venue des ténèbres les plus profondes à la lumière la plus éclatante, d'une mer orageuse et soulevée au port du salut; qu'enfin vous êtes passée de la plus dure servitude à la liberté la plus douce, de la mort à la vie; car, tandis que vous viviez au gré de vos caprices plutôt que selon la volonté de Dieu, n'ayant d'autre règle que votre bon plaisir, et non pas celui de Dieu, votre vie était une véritable mort; si pour le monde vous étiez vivante, pour Dieu vous étiez véritablement morte, ou plutôt vous n'étiez vivante ni pour l'un ni pour l'autre, car en voulant avec un nom et sous l'habit religieux vivre à la manière des gens du monde, vous teniez Dieu à l'écart et vous viviez sans lui, tandis que de son côté le monde ne voulait plus de vous et vous repoussait quand vous étiez assez folle pour le rappeler vers vous. Quelle position critique était la vôtre ! Placée entre les deux, comme on dit, vous ne vouliez plus de Dieu et le monde ne voulait pas de vous (a). Vous ne vivez plus à Dieu parce que vous ne vouliez point de lui, et vous ne viviez plus au monde parce que le monde ne voulait plus de vous. Ne pouvant vivre pour Fuit, ne voulant point vivre pour l'autre, vous étiez morte en même temps pour les deux. C'est le sort réservé à quiconque fait un voeu qu'il n'accomplit pas et prend une livrée en opposition avec les pensées secrètes de son âme. Mais à présent, grâce à Dieu, vous revenez à la vie, non pour le péché, mais pour la justice, pour Dieu, et non pas pour le monde, car vous êtes bien convaincue aujourd'hui que vivre pour le siècle c'est en effet mourir, tandis que mourir pour le Christ c'est vivre en réalité : « Heureux ceux qui meurent de la sorte dans le Seigneur (Apoc., XIV, 13) ! »

3. Je ne vous reprocherai plus maintenant la transgression de vos vaux et l'oubli de votre profession, car on ne vous verra plus porter une âme malade dans un corps en pleine santé, ni flétrir votre titre de vierge par le dérèglement de votre conduite; ce ne sera pas en

 

 

a Ce que dit saint Bernard se trouve admirablement confirmé par ces paroles de l'Imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, chap. XXV:  « Un religieux lâche et tiède essaie peine sur peine, et n'éprouve que chagrin de toutes parts, parce qu'il est privé des consolations intérieures et qu'il lui est défendu d'en chercher au dehors.. On peut lire encore sur cc sujet le troisième et le cinquième sermon sur l'Ascension.

 

vain désormais qu'on vous verra porter le nom et le voile des vierges. Comment a-t-on pu jusqu'à cette heure vous donner les titres vénérables de nonne (a) ou mère, et de religieuse, quand avec ces saints noms vous meniez une vie si peu édifiante? Que faisait sur votre front ce voile, indice mensonger de la modestie, quand vos yeux lançaient des regards brûlants et passionnés ? Vous vous voiliez le front, j'en conviens, mais sous lé voile perçait l'arrogance, et sous ce symbole de la pudeur on entendait des paroles qui faisaient rougir. Ces bruyants éclats de rire, cette démarche peu réservée, cette recherche dans la parure, convenaient bien mieux à une femme mondaine ornée de la guimpe (b) qu'à une vierge consacrée à Dieu. Mais le Christ a vaincu, tout cela n'est plus, vous commencez maintenant une nouvelle vie, vous avez bien plus à coeur à présent de parer votre âme que votre corps, et vous aimez mieux une sainte vie que de superbes atours. Vous vous conduisez aujourd'hui comme vous le devez, ou plutôt comme vous auriez dû le faire depuis longtemps, puisque vous en aviez pris l'engagement; mais le Saint-Esprit, qui souffle où et quand il lui plait, n'avait pas encore soufflé sur votre âme, et peut-être êtes-vous excusable pour la conduite que vous avez menée jusqu'à présent; mais désormais, si vous éteignez le feu divin que cet Esprit a de son souffle rallumé dans votre âme, et qu'il y nourrit de saintes pensées, que vous restera-t-il en perspective, sinon les flammes dévorantes d'un feu que rien ne pourra éteindre ? Fasse le ciel que ce même Esprit de Dieu éteigne en vous les désirs de la chair, seuls capables d'étouffer nu jour, à Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi, les saints désirs de votre âme, et de vous précipiter dans les flammes éternelles.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CXIV. A UNE RELIGIEUSE.

 

84. d une femme ornée de la guimpe........ Telle est la leçon de tous les manuscrits de la bibliothèque royale, de la Colbertine, de celles de la Sorbonne et du collège royal de Navarre; de Saint-Victor de Paris, de Compiègne et de beaucoup d'autres, tandis que toutes les éditions, deux exceptées, celle de Paris de 4494, et celle de Lyon de 1630, remplacent les mots «portant une guimpe, » par ces expressions « à une femme enflée. » Que signifient, dit-on, ces mots « portant guimpe ? » Or cette expression dérive évidemment de wimple ou guimple, espèce d'ornement que les femmes portaient sur la tête. Les grandes dames aimaient beaucoup s'en parer autrefois, comme on le voit dans les portraits de femmes de distinction; mais les personnes d'habitudes plus simples et plus modestes s'abstenaient de la porter, comme on le voit dans les deux vers suivants d'un de nos poètes cité par Borell dans son Glossaire français

 

Moult fut humiliant et simple,

Elle eut un voile en lieu de guimple.

 

A présent la guimpe n'est plus guère. connue que dans les couvents de femmes (Note de Mabillon).

 

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