LET. CLXIV-CLXIX
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LETTRE CLXIV. AU  PAPE INNOCENT.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CLXV. A FOULQUES (a), DOYEN, ET A GUY, TRÉSORIER DE L'ÉGLISE DE LYON, SUR LE MÊME, SUJET.

LETTRE CLXVI. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.

LETTRE CLXVII. AU MÊME ET SUR LE MÊME SUJET.

LETTRE CLXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX CARDINAUX DE LA COUR ROMAINE, SUR LE MÊME SUJET.

LETTRE CLXIX. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.

 

LETTRE CLXIV. AU  PAPE INNOCENT.

 

L’an 1138

 

Relation (b) d'une affaire de l'Église de Langres.

 

Saint Bernard se plaint qu'on ait élu un évêque pour le siège, de Langres au mépris de la foi donnée et par des moyens frauduleux.

 

1. J'étais encore à Rome lorsque monseigneur l'archevêque de Lyon y vint accompagné de Robert et d'Olric, l'un doyen, et l'autre chanoine

 

a Du titre de saint Chrysogone, selon Laurent de Liége, dans le Spicilége, tome XII, p.307. C'est le même qui a absous de l'excommunication Henri de Verdun, à qui est adressée la soixante-deuxième lettre de saint Bernard.

b Tel est le titre de cette lettre dans tés manuscrits. Cette relation n'a pas été écrite après la mort de Guillène ou Wilène, évêque de Langres à qui sont adressées les lettres cinquante-neuvième et soixantième; mais après celte de Guillaume de Sabrant son successeur. Guillène mourut le 1er août 1135, et Guillaume, en 1138. Des divisions naquirent à l'occasion de l'élection du successeur de ce dernier. Pierre, archevêque de Lyon et Hugues, prince et plus tard duc de Bourgogne, étaient d'accord pour élire un certain religieux de Cluny ; Robert, doyen de Langres, Ponce archidiacre, Odolric et d'autres chanoines étaient contraires à cette élection. Les deux partis choisirent saint Bernard pour terminer le différend; il nomma au lieu du religieux de Cluny, Geoffroy, prieur de Clairvaux, son parent. Voir aux notes.

 

de l'Eglise de Langres; ces deux derniers venaient demander au saint Siège de leur permettre, ainsi qu'au chapitre de leur Eglise, d'élire eux-mêmes un évêque pour le siège de Langres. Le Saint-Père ne les avait autorisés à procéder à cette élection que de concert avec des religieux qui devaient les aider de leurs conseils. Ils me demandèrent donc mon concours; je dis que je ne consentirais à le leur donner que si leur choix se portait sur un sujet d'une vertu et d'un mérite assurés. Ils me répondirent qu'ils subordonneraient toujours leur choix et leur vote à ce que je déciderais moi-même, et qu'ils ne feraient absolument rien que de concert avec moi et de mon consentement, et ils en prirent même l'engagement formel. Comme je ne me montrais pas encore satisfait de ces promesses, l'archevêque de Lyon intervint pour les confirmer, en disant qu'il tiendrait fermement la main à ce qu'elles eussent leur effet; il ajouta même que tout ce que le clergé viendrait à faire autrement qu'il avait été réglé ne serait ni confirmé, ni ratifié par lui et on me donna pour garant de tous ces arrangements le chancelier de l'Eglise de Rome. Non contents d'avoir ainsi réglé les choses, nous sommes allés vous prier, Très-Saint Père, de ratifier tout ce dont nous étions convenus, du consentement de votre autorité. Avant cet accord, j'avais conféré longuement avec eux sur les sujets qu'on pouvait élire, et, après en avoir passé un certain nombre en revue, nous nous étions arrêtés à deux, et nous convînmes qu'aucun de nous ne protesterait contre l'élection de celui de ces deux candidats qui obtiendrait le plus de voix. Vous avez ordonné que cette convention serait inviolablement observée; l'archevêque et les deux députés du chapitre s'y engagèrent expressément, puis ils quittèrent Rome. Je partis quelque temps après eux, aussitôt que j'eus obtenu du Saint-Père la permission de revenir en France et de retourner au milieu de mes religieux.

2. En traversant les Alpes, j'ai appris qu'on était sur le point de sacrer, pour évêque de Langres, un homme à qui j'aurais désiré une réputation meilleure et des mœurs plus pures: je m'abstiens de consigner ici ce que j'ai appris bien malgré moi sur son compte. Bref, tous les religieux qui étaient venus au-devant de moi pour me saluer me déterminèrent à passer par Lyon, pour empêcher, si c'était encore possible de procéder à cette malheureuse consécration. J'avais résolu de suivre une autre route plus courte, dans l'intérêt de ma santé, qui laissait quelque chose à désirer et pour me reposer plutôt dd mes fatigues corporelles. D'ailleurs je ne pouvais croire, je l'avoue, à tout ce qu'on me disait. Etait-il croyable, en effet, qu'un si grand prélat fût assez léger pour imposer les mains à un sujet mal famé, en dépit de l'engagement qu'il venait de prendre et de la défense formelle du Pape ? J'ai donc cédé au conseil des religieux et j'ai pris ma route vers Lyon. Je n'y fus pas plutôt arrivé que je trouvai les choses dans l'état oit on me les avait dépeintes : on faisait en effet les préparatifs pour cette malheureuse solennité. Toutefois le doyen et la plupart des chanoines, si je ne me trompe, s'y opposaient nettement et ouvertement. Pour comble de scandale, il se répandait dans la ville un bruit qui grossissait tous les jours, et remplissait tous les gens de bien de honte et de chagrin.

3. Qu'avais-je à faire? Je rappelai à l'archevêque, avec toute la réserve possible, l'engagement qu'il avait pris et l'ordre exprès qu'il avait reçu du saint Siège; il convint de tout, mais il rejeta la faute sur le fils du duc (a), qui n'avait pas voulu s'en tenir aux conventions, et, pour éviter tout ce qui pouvait troubler son repos et mettre la paix en danger, il s'était, lui archevêque, rangé à son avis, sans tenir compte de ce qui avait été décidé auparavant; mais il se mit à protester qu'à l'avenir il ne ferait plus que ce que je voudrais. Je le remerciai de ces dispositions, en ajoutant que ce qu'il fallait faire, ce n'était pas ma volonté, mais celle de Dieu. Or, pour connaître quelle elle était, je fus d'avis qu'on devait proposer l'affaire au jugement des évêques et des religieux qu'il avait mandés à Lyon pour le sacre et qui s'y trouvaient déjà réunis ou n'allaient pas tarder à l'être. Si, après avoir invoqué les lumières du Saint-Esprit, ils s'accordent, lui dis-je, à approuver tous d'une voix ce que vous avez fait et vous engagent à poursuivre jusqu’au bout dans la voie où vous êtes entré, vous pourrez le faire; mais s'ils ne sont pas d'avis que vous continuiez, vous suspendrez l'ordination et, suivant le conseil de l'Apôtre, « vous ne vous hâterez pas d'imposer les mains à l'élu (I Tim., V, 22). » Il parut goûter mes raisons. Cependant on apprend tout à coup que le futur évêque de Langres est arrivé à Lyon, et qu'au lieu de descendre à l'archevêché il a pris un logement à l'hôtel. C'était le vendredi soir; le samedi matin il quittait Lyon, sans qu'il fût possible de dire pourquoi il ne s'était pas présenté à l'archevêché, après avoir fait un si long voyage dans l'unique pensée de s'y rendre. On pourrait croire, si la suite n'avait bien montré le contraire, qu'étant moine il avait voulu, par modestie, se soustraire aux honneurs. C'est la première pensée qui se présenta en effet à notre esprit, quand l'archevêque, qui venait de le voir à son hôtel, déclara hautement en présence de tout le monde que ce religieux refusait de se faire sacrer et désapprouvait tout ce qu'on avait fait à son égard.

4. Peu de temps après, il décida qu'on allait procéder sans retard à

 

a Hugues, fils d'Eudes, duc de Bourgogne et de Marie, fille de Thibaut, comte de Champagne.

 

une nouvelle élection, et il le fit savoir au chapitre par l'entremise de quelques chanoines de Langres qui se trouvaient alors à Lyon et par une lettre qu'il leur écrivit et qu'on a conservée. A peine en eut-on fait la lecture en plein chapitre, qu'il en arriva une autre disant tout le contraire de la première. D'après cette seconde lettre, le sacre n'était que différé ; les choses, au lieu d'être terminées, comme le disait la première lettre, se trouvaient donc encore en suspens, et l'on assignait un jour et un endroit pour les décider. En lisant ces deux lettres, on aurait pu croire non-seulement qu'elles n'avaient pas été écrites par la même personne, mais encore qu'elles étaient l'oeuvre de deux personnes manifestement opposées de sentiments. Il est vrai que l'empreinte (a) identique des deux cachets, et le même nom signé au bas de ces deux pièces ne permettaient pas aux lecteurs étonnés de douter que la même source avait donné de l'eau tour à tour amère et douce. On a conservé ces deux lettres contradictoires auxquelles on ne peut se soumettre sans être en opposition avec soi-même ; car ce que l'une prescrit n'est point ce qu'il faut faire suivant l'autre, de sorte que de quelque côté que vous tourniez, il en est toujours une des deux qui vous condamne. Dieu veuille encore qu'après avoir mis à néant la première lettre, la seconde ne soit pas à son tour annulée par une troisième. Voilà donc deux lettres qui se contredisent, deux ordres qui se détruisent l'un l'autre; ce ne sont plus, comme dans le Prophète, «un ordre puis encore un autre ordre (Isa., XXVIII, 10), » mais ce sont ordre et contre-ordre en même temps.

5. Pendant ce temps-là, cet homme qui n'avait pas voulu se faire sacrer et désavouait son élection, va en toute hâte trouver le roi, et en obtient l’investiture des droits régaliens (b). A quel titre? je le lui demande. Aussitôt après il envoie des lettres d'avis qui indiquent, pour le sacre, un autre endroit que celui qui avait été choisi et fixent un jour plus rapproché que le jour convenu, afin de prévenir ainsi toute opposition, et de soustraire la connaissance du sacre à ceux qui auraient voulu s'y opposer par un appel. Mais il n'est point de prudence qui tienne contre Dieu, et, grâce à lui, il ne manqua ni d'opposants ni d'appelants. Foulques, doyen de Lyon, Ponce, archidiacre de Langres, Bonami, prêtre et chanoine de la même église, et enfin les religieux de notre ordre Geoffroy et Bruno (c) en ont appelé. Dieu a permis qu'ils se soient

 

a C'était celle de la figure de l’archevêque pierre, imprimée sur son sceau en cire, selon l'usage de ce temps-là. Il est question de la mort de cet archevêque dans la lettre cent soixante-douzième ; la trois cent quatre-vingt-quatorzième lui est adressée.

b C'est l'investiture du domaine temporel et des biens de l'Eglise faite par le roi à l'évêque nouvellement élu, après qu'il a prêté serment de fidélité. On petit voir encore sur la Régale la lettre cent soixante-dixième de saint Bernard, la dix-neuvième et la vingtième de Suger, et le Dictionnaire de Ducange.

c Il a été question de Bruno dans la cent quarante-quatrième lettre. Quant à Geoffroy, on pense que c'est le même qui fut plus tard secrétaire de saint Bernard.

 

rencontrés à l'endroit convenu, tout à fait par hasard et sans savoir toutes les mesures que l'on avait prises. Nous avons été tellement pris de court par le temps, que, lorsque j'ai su le jour du sacre, mon messager n'avait plus que quatre jours à peine pour apporter en toute hâte à Lyon la lettre que j'écrivis afin de prévenir cette ordination sacrilège. Il ne laissa pas moins d'arriver à temps pour former ses oppositions et en appeler au saint Siège tant contre celui qu'on allait sacrer que contre ses consécrateurs. Celui que j'avais envoyé pour cela est un chanoine de Langres. Telle est la vérité. Je ne vous ai rien dit qui ne fût parfaitement exact; je prends la Vérité même à témoin que je n'ai cédé, en vous faisant ce rapport, à aucun sentiment de haine contre personne, et que je n'ai eu en vue que de vous instruire exactement de tout ce qui s'est passé.

 

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CLXIV et seqq.

 

136. Au sujet de l'archevêque de Lyon et de l'abbé de Cluny. Je trouve trois lettres de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, sur les difficultés occasionnées par l'élection de l'évêque de Langres. Dans l'une, qui est la vingt-neuvième du livre le,, adressée à saint Bernard, il s'efforce de justifier de certaines accusations, dont il était l'objet, un de ses religieux élu pour le siège de Langres. Dans la seconde, qui est la vingt-huitième du livre II, adressée au pape Innocent, il prie le souverain Pontife de refuser de confirmer l'élection de l'abbé de Vézelay au même évêché; dans la troisième, qui est la trente-sixième du même livre, il prie le pape Innocent de rendre à l'Église de Langres, pour l'élection de son futur évêque, la plénitude des droits que lui assurent les canons. En comparant la première et la troisième de ces lettres avec celle de saint Bernard, il est manifeste qu'il s'agit de la même élection, mais il est plus difficile de savoir si la seconde y a également rapport; je crois qu'il s'agit d'un autre sujet. En effet, dans la première lettre, Pierre le Vénérable appelle l'élu « un religieux de Cluny et son fils, » et dans la seconde il le nomme « abbé de Vézelay. » Dans la première, il dit que les chanoines de Langres lui annoncèrent, à son retour du Poitou, l'élection qu'ils avaient faite d'un de ses religieux pour évêque; et dans la seconde, il dit qu'il « est venu à sa connaissance par la rumeur publique » qu'on importunait le pape Innocent de sollicitations et de prières, pour l'amener à confirmer l'élection de l'abbé de Vézelay pour évêque de Langres. Enfin, dans l'une il s'efforce de faire confirmer l'élection de son religieux, et dans l'autre, au contraire, il s'oppose de toutes ses forces à la confirmation de l'abbé de Vézelay. Je serais bien porté à croire avec ceux qui, d'après le catalogue d'Etienne et de Thuan, donnent pour successeur à Guillène comme évêque de Langres, Guillaume de Sabran, qui peut-être était abbé de Vézelay quand il fut élu au siège de cette ville. A Guillaume succéda Geoffroy, dont il sera parlé plus loin, lequel fut élu et confirmé en 1138, après le rejet du moine de Cluny, dont il est question ici, et lorsque Bernard fut de retour en France, après avoir mis fin au schisme qui divisait l'Eglise. Au reste, il faut remarquer dans toute cette affaire, ainsi que Baronius le fait à l'année 1138,  que si Pierre de Cluny soutint le parti de son religieux de toutes ses forces, il le fit dans de telles dispositions, que l'insuccès ne put le faire changer de sentiments envers saint Bernard et ses religieux, comme il le dit lui-même dans une de ses lettres où il s'exprime en ces termes: « Quelles fâcheuses rumeurs pourront étouffer ou éteindre dans mon coeur ce vif et brûlant amour que je ressens pour vous, quand les grandes eaux de la question des âmes et le torrent impétueux des affaires de Langres n'ont pu le faire?» Nous reviendrons sur tout cela dans un autre endroit (Note de Mabillon).

137. Ce qui s'est fait à Langres touchant l'élection du prieur de noire maison ..... Il s'agit ici de Geoffroy, parent de saint Bernard, qui après bien des contestations fut élu enfin d'une voix unanime au siège de Langres à la fin du schisme de l'Eglise en 1138. C'est le troisième prieur de Clairvaux; il l'était encore quand saint Bernard lui écrivit d'Italie la lettre irois cent dix-septième, pendant l'octave de la Pentecôte. C'est la même année, quand notre Saint fut de retour d'Italie après avoir pacifié l'Eglise, que se place toute cette histoire de l'élection d'un évêque de Langres dont il est longuement question dans la lettre cent soixante-sixième. On peut voir quelle estime saint Bernard faisait de Geoffroy, à la manière dont il parle de lui dans cette lettre où il l'appelle « le soutien de sa vieillesse, la lumière de ses yeux et son bras droit. » Voir sur Geoffroy la Vie de saint Bernard, livre II, chapitre V, et beaucoup d'autres endroits, ainsi que la préface du livre III de la Vie de notre saint.

138. En introduisant une fête nouvelle. En 1140, quand saint Bernard écrivit cette lettre, la Conception de la Vierge mère de Dieu n'était pas encore rangée au nombre des fêtes. Il avait déjà remarqué auparavant que plusieurs personnes tentaient d'introduire cette fête, comme il le dit au n. 9 de cette lettre, et il avait fait comme s'il ne s'en était pas aperçu. « J'excusais, dit-il, une dévotion que leur inspiraient la simplicité de leur âme et leur zèle pour la gloire de Marie.» Mais il ne put supporter en silence qu'elle « s'établit dans une Église justement fameuse, » car, dit-il plus loin, « s'il paraissait à propos d'instituer cette fête, il fallait d'abord consulter le saint Siège, au lieu de condescendre précipitamment et sans réflexion à la simplicité d'hommes ignorants. » Dans le traité de la Conception que plusieurs ont attribué à tort à Anselme, on dit que la fête « de la Conception était célébrée généralement dès les temps les plus reculés. » Ce traité est postérieur à la lettre de saint Bernard, dont il reproduit les paroles, et celui qui l'a écrit se plaint de ce qu'il s'est rencontré des hommes « qui n'ont pas craint de faire servir l'autorité qu'ils se glorifiaient d'avoir, à détruire cette fête. » Il les appelle des hommes éminents, et donne,comme saint Bernard dans cette lettre, le nom de « gens simples à ceux qui gémissent de la perte d'une si grande fête. »

139. Quand il dit que cette fête a été célébrée « dans les temps les plus reculés, » je crains qu'il n'ait confondu avec la Conception de la sainte Vierge, celle dit Verbe, autrement dite Annonciation, qu'on trouve aussi désignée sous le nom de Conception de la bienheureuse vierge Marie, dans quelques vieux calendriers, et même dans un sermon d'Abélard sur l'Assomption. Il est vrai que saint Hildephonse, évêque de Tolède, « décida qu'on ferait la fête de la Conception de la sainte Vierge, c'est-à-dire du jour où elle fut conçue, » si nous en croyons un certain Julien qui a écrit il y a sept cents ans l'histoire des faits et gestes de ce saint évêque, et qui fait la remarque « qu'en vertu de cette constitution de saint Hildephonse toute l'Espagne célébra cette fête le 8 décembre avec une grande solennité. » Toutefois il n'en est pas parlé dans l'histoire que Zixilan, évêque de Tolède, nous a laissée de la vie de saint Hildephonse. D'autres écrivains disent qu'il a réglé avec l'approbation du dixième concile de Tolède, canon 1er  que la fête de l'Annonciation serait célébrée dans le mois de décembre. Tout cela se trouve confirmé par ce que nous avons dit de saint Hildephonse dans l'histoire du siècle de Bernard, page 515. Pourtant il est bien difficile de révoquer en doute que la fête de la Conception n’ait commencé à être célébrée en Espagne dès le dixième siècle, où le livre de Julien, sur les faits et gestes de saint Hildephonse, fut apporté d’Espagne au Puy.

140. En Angleteerre quelques Eglises faisaient la fête de la Conception, si nous en croyons un certain moine anglais nommé Nicolas, qui écrivit aussitôt après la mort de saint Bernard une réfutation de la lettre sur la Conception de la Vierge, et dit qu'il savait par je ne sais quelle révélation que l'opinion de notre Saint lui avait imprimé une tache dans l'âme. Le synode de Londres de Vannée 1328 attribue l’institution de cette fête à saint Anselme; il fut certainement induit en erreur par les écrits faussement attribués à ce saint, et fort répandus à cette époque. Pierre de Celle réfute Nicolas, dont il rapporte la lettre avant la sienne qui est la dixième du livre IX. Au reste, il résulte tant de cette lettre de Pierre que d'une autre qui est la vingt-troisième du livre VI, que la fête de la Conception de la Vierge n'était pas encore répandue alors en France où elle n'était célébrée que par un très-petit nombre de personnes dont le prêtre Pothon, religieux de Pruym, blâme avec saint Bernard et Pierre de Celle, l'amour des nouveautés, vers la fin du livre III de l'Etat de la maison de Dieu, il gémit de voir « que les religieux, qui sont comme la colonne et le soutien de la religion, se laissaient tout à coup aller dans les offices de l'Eglise, à des nouveautés, » en admettant par exemple la fête de la sainte Trinité, celle de la Transfiguration de Notre-Seigneur, et « celle de la Conception de la sainte Vierge, ce qui lui parait le comble de l'absurdité. » Un siècle après, cette fête est encore l'objet d'un blâme de la part de Jean Beleth, chapitre CXLVI, et de Guillaume Durand, évêque de Mende, livre VII de l'Office divin, chapitre VIIn; ce qui rend bien suspect un décret de l'Eglise gallicane, cité par Bochel, au titre IX, chapitre XIII, et disant que «la Conception de la bienheureuse vierge Marie était célébrée par mandement du saint Siège » du temps du pape Innocent III. Toutefois, au XVI, siècle, le concile de Bâle, et le pape Sixte IV Pétablirent dans l'Église tout entière; les religieux de Prémontré la célébraient dès l'année 1305, d'après le tome V de la Metropole de Salzbourg, page 45; les Chartreux ne la connurent que sous François Dupuis, au commencement du XVIe siècle, ainsi qu'on le voit dans la troisième compilation de leurs statuts.

141. Les docteurs anciens ne sont pas d'accord avec les Modernes sur la pensée et le but de saint Bernard dans cette lettre. La cause de cette divergence d’opinion vient de ce que les modernes ne prennent pas la mot conception dans, le même sens que les contemporains de saint Bernard. Ceux-ci entendent par ce mot l'acte même de la conception, l'épanchement de la liqueur séminale destinée à former l’embryon. C'est ce qui fait dire à Alexandre de Hales, Ire partie, quest. IX, art. 2: «La conception est le mélange des principes séminaux de l'homme et de la femme. » Les modernes, au contraire, prennent le mot conception passivement, pour désigner l'instant où l’âme s'unit au corps déjà formé.

Alexandre de Hales explique plus clairement encore le sens qu'il donne au mot conception, au second paragraphe de la question citée plus haut, article 1er , où il demande en particulier : « 1° Si la bienheureuse vierge Marie a été sanctifiée dans la conception; 2° ou bien si elle l'a été après sa conception et avant l'infusion de l'âme, etc. » Saint Thomas emploie aussi ce mot dans ce premier sens et dit, dans le Mag., distinct. 3, quest. 1, a. 1, c. : «La sainte Vierge n'a été sanctifiée ni avant sa conception, ni au moment même de sa conception, avant l'infusion de l'âme, » etc. C'est là ce qui explique comment il se fait que ces Docteurs, non plus qu'Albert le Grand et saint Bonaventure, qui sont d'avis que la sainte Vierge n'a point été exempte du péché originel au moment où son âme fut unie à son corps, n'ont jamais cité saint Bernard à l’appui de leur opinion, comme un grand nombre d'auteurs se le sont imaginé, et s'en sont tenus, au contraire, à s'en faire une autorité, seulement lorsqu'ils soutenaient en particulier que la sainte Vierge n'a point été sanctifiée avant que son âme fût unie à son corps. Tel est, entre autres, le langage formel d'Albert le Grand, distinct. 3, art. 3, chap. 4 : « Je dis que la sainte Vierge n'a pas été sanctifiée avant l'instant où elle a été animée; ceux qui prétendent le contraire, tombent dans l'erreur condamnée par saint Bernard dans sa lettre aux Lyonnais, ainsi que par tous les Docteurs de Paris. » De même, quand saint Bonaventure dit, distinct. 1, quest. 1, que les saints Pères dans leurs écrits sont contraires à l'opinion de l'immaculée conception, même après l'infusion de l'âme dans le corps, il fait une restriction à l'égard de saint Bernard, et dit . « Les paroles de ce Père ne sont pas contraires à cette opinion-là; car il semble ne s'être proposé que de combattre. l'erreur de ceux qui pensent qu'elle a été sanctifiée dans l'instant même de sa conception, » — qui précède l'infusion de l'âme, dont il est ici question, — « bien plutôt que de chercher à diminuer notre dévotion envers la sainte Vierge. » De là vient que ces mêmes Docteurs entendent du péché in radice, c'est-à-dire de celui qui accompagne l'émission de la semence, et non pas du péché formel, comme on l’appelle, ce que saint Bernard dit du péché dont la conception de la Vierge, à son avis, a été souillée. Saint Bonaventure, à l'endroit cité, s'objecte à lui-même dans l'argument sed contra, le contexte de saint Bernard ainsi conçu : «On ne saurait dire qu'il n'y a pas de péché dans un acte auquel la concupiscence a présidé, » et il répond : « Il est certain que saint Bernard ne parle pas ainsi la  cause du péché qui était dans les parents, puisqu'ils auraient pu l'engendrer sans péché; il ne parle donc que de la cause du péché, laquelle existe dans la chair. » C'est à peu près la manière dont Alexandre de Hales entend aussi le passage de saint Bernard, part. III, quest. 9, memb. 2, a. 2. dans les Réponses.

Dans ses Annales, à l'année 1136, chap. 4 et 5, Manrique et plusieurs auteurs dont il cite les noms en cet endroit, suivent cette interprétation de la lettre de saint Bernard, bien différents en cela de presque tous les auteurs modernes, qui prennent le mot conception pour désigner l'instant même où l'âme s'unit au corps, et qui prétendent que saint Bernard non-seulement blâme l'institution même de la fête de la Conception de la Vierge-Mère sans l'agrément du saint Siège, mais encore se prononce contre la conception immaculée, contre l'exemption du péché originel, en prenant le mot conception dans le sens qu'ils lui donnent. -Dans sa lettre, saint Bernard n'établit aucune différence, sinon du plus au moins quant à la plénitude de la grâce, entre la sainte Vierge, Jérémie et saint Jean-Baptiste, dont tout le monde s'accorde à dire qu'ils ont été sanctifiés dès le ventre de leur mère, tandis que personne ne les fait exempts de la tache originelle. Or on ne peut nier que telle fût l'opinion de saint Bernard, car dans son deuxième sermon sur l'Assomption il semble accorder sans détour que Marie « reçut de ses parents la souillure originelle. » Il y a bien quelques auteurs qui citent des textes pour montrer que saint Bernard était favorable, à l'opinion de l'immaculée conception; mais la plupart des passages allégués sont tirés d'œuvres faussement attribuées à notre Saint, il n'est donc pas nécessaire que nous nous arrêtions plus longtemps sur ce sujet. D'ailleurs, en tout cela nous savons toute la déférence et le respect que nous devons aux auteurs fameux dont nous avons parlé plus haut et, l'autorité dont ils jouissent; notre pensée n'est point de les contredire, de même que nous ne voulons pas non plus réfuter l'opinion et la thèse des modernes (Notes de Mabillon).

 

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LETTRE CLXV. A FOULQUES (a), DOYEN, ET A GUY, TRÉSORIER DE L'ÉGLISE DE LYON, SUR LE MÊME, SUJET.

 

L’an 1138

 

Notre Eglise, mes très-chers amis, a reçu une plaie bien profonde et qui réclame, comme vous le savez, pour se fermer, les soins aussi prompts que multipliés d'une main habile. Aussi ne cessé je d'invoquer avec larmes le secours du céleste médecin et de lui dire : Venez, Seigneur, venez vite , avant qu'elle meure. Mais ce qui ajoute encore à ma . douleur et m'ôte presque tout espoir de guérison, c'est que le mal nous est venu de la main d'où nous devions plutôt attendre du soulagement. O malheureuse Eglise, qui t'a porté le coup dont tu gémis? Est-ce un ennemi que la haine inspire? n'est-ce pas quelque ardent persécuteur? Délits ! non; c'est ton ami, ton chef, ton métropolitain lui-même. Ce n'est pas du Nord, comme parle l’Ecriture, mais du Midi que vient ton malheur; aussi n'y a-t-il pas de douleur pareille à ma douleur, parce qu'elle a pour principe et pour cause ceux mêmes dont j'attendais du soulagement et un appui. O Eglise de Lyon, mère autrefois si tendre, duel monstre as-tu choisi pour époux à ta fille bien-aimée ? Tu t'es conduite en marâtre et non en mère à son égard. Quel gendre tu t'es choisi! il n'a rien de ton antique noblesse, ni de tes sentiments d'honneur et de probité. hélas! une telle union mérite-t-elle le nom de mariage? Ainsi contractée et avec. un pareil homme peut-elle être honorable et pure? On n'a tenu compte, en la consommant, ni de la loi, ni de la raison, ni de l'ordre; on a tout confondu, tout disposé et consommé avec tant

 

a Foulques devint plus tard archevêque de Lyon: il est fait mention de son élection dans les lettres cent soixante-onzième et cent soixante-douzième. La lettre cent soixante-treizième lui est adressée.

 

de ruse et d'audace, qu'on garderait plus de mesures, je ne dis pas pour ordonner un évêque, mais même pour établir un simple fermier ou un commis. Quels éloges ne méritez-vous pas, mes bien chers amis, pour avoir seuls compati à la douleur de notre Eglise? Vous vous êtes levés deux fois afin de la défendre contre ses oppresseurs et avez résisté à ses ennemis comme un rempart élevé autour de la maison d'Israël. Il n'y eut que vous dans cette assemblée qui ayez tenu pour la loi de Dieu, défendu les sacrés canons, et qui, nouveaux Phinées, ayez ressuscité son zèle pour frapper tous les prévaricateurs du glaive de la parole. Puisque vous avez ainsi fait éclater la gloire de Dieu et la vôtre en cette occasion, il ne vous reste plus à présent qu'à finir comme vous avez commencé et à couronner votre ouvrage par la persévérance, en réunissant à la tète la queue de la victime.

 

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LETTRE CLXVI. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.

 

1. C'est encore moi qui frappe à la porte, qui pousse des cris plaintifs et fais entendre des gémissements mêlés de larmes. Les méchants renouvellent leurs attaques et redoublent leurs injustices ; puis-je ne pas crier plus fort qu'auparavant? Ils s'enhardissent à mesure qu'ils avancent dans le mal, et plus on voit leurs iniquités s'accroître, plus leur orgueil s'augmente ; leur rage grandit à proportion qu'ils perdent toute pudeur et toute crainte de Dieu. Ils ont osé, Très-Saint Père, élire un évêque en dépit des dispositions sages et prudentes que vous aviez sanctionnées, et, sans tenir compte de notre appel qui évoquait toute cette affaire à votre tribunal, ils ont audacieusement passé outre au sacre de leur élu. Or ceux qui ont agi de la sorte, ce sont l'archevêque de Lyon et les évêques d'Autun et de Mâcon, tous amis de Cluny. Hélas! que d'âmes pieuses vont se trouver dans le trouble et la consternation si on les astreint à supporter un joug pareil et placé de cette manière sur leurs épaules! Elles croiront fléchir le genou devant l'autel de Baal, ou, suivant le mot du Prophète, faire un pacte avec la mort et conclure une alliance avec l'enfer. Que deviennent, hélas! je le demande, le droit naturel, les lois, les saints canons eux-mêmes et le prestige de votre autorité suprême? La voie de l'appel, ouverte à tous les opprimés, ne se ferme que pour moi. Après tout, il fallait bien que les lois et les canons se tussent, que le droit et la raison gardassent le silence là où l'or régnait en maître, où l'argent jugeait en dernier ressort; mais voici que pour porter le mal au comble, on veut ébranler le saint Siège par les mêmes moyens. Quelle folie! n'est-il pas fondé sur un roc inébranlable?

2. Mais que fais-je, ne dépassé-je pas les bornes? Il ne m'appartient ni d'accuser ni même de blâmer personne, c'est assez pour moi de pouvoir exhaler librement ma douleur. Lorsque, après une longue absence et bien des fatigues endurées pour le service de l'Eglise Romaine, Votre Sainteté me permit enfin de venir retrouver mes frères, j'arrivai à mon monastère bien affaibli de corps et semblable à un ouvrier désormais inutile, mais j'avais le coeur dans la joie, parce que je rapportais avec moi les doux fruits de la paix : je croyais que j'allais enfin pouvoir jouir d'un peu de repos après tant :de fatigues, réparer .mes pertes spirituelles et me recueillir après une si longue dissipation, et voici que je me vois replongé dans de nouvelles inquiétudes et dans de nouveaux tourments. Tout malade que je suis dans mon lit, je souffre moins de corps que d'esprit, car je ne compte pour rien la douleur physique; mon âme est mon unique bien, et son salut est maintenant en cause. Seriez-vous d'avis que j'allasse la confier à celui qui a perdu la sienne? Je sais bien que non, c'est pourquoi j'ai pris le parti (le me retirer d'ici plutôt due d'y demeurer pour y consumer dans la douleur le peu de jours qui me restent, et de risquer de me perdre. Je prie Dieu de vous inspirer pour le mieux, de vous remettre en mémoire ce que j'ai fait pour vous, — si pourtant j'ai fait quelque chose qui mérite que vous en gardiez le souvenir, — de vous faire jeter un regard de pitié sur votre serviteur et de mettre fin à ses peines et à son affliction. Ou plutôt je prie Dieu que vous n'oubliiez jamais tout ce qu'il a fait pour vous, et qu'en témoignage de votre juste reconnaissance, vous cassiez et annuliez, pour sa gloire, tout ce qui a été fait contre la justice.

 

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LETTRE CLXVII. AU MÊME ET SUR LE MÊME SUJET.

 

L’an 1138

 

Très-excellent Père, n'avez-vous pas ordonné formellement qu'on ne fit choix, pour le siège de Langres, que d'un sujet pieux et capable, et qu'on s'entendit de cela avec votre humble serviteur? L'archevêque de Lyon reçut de votre bouche apostolique cet ordre précis, et se trouvait ainsi d'autant plus rigoureusement tenu de s'y conformer, que vous le lui aviez donné en termes plus pressants et plus souvent réitérés; c'est, d'ailleurs, ce qu'il avait promis de faire. Comment donc se fait-il qu'il se soit permis de changer ce qui avait été réglé pour le plus grand bien et avec tant de sagesse, et qu'il ait osé faire tout le contraire de ce qui avait été convenu, au mépris de Votre Sainteté et au grand scandale de notre faiblesse? Comment ce bon archevêque n'a-t-il pas eu honte de se démentir de la sorte et d'imposer un joug infâme à tant de saints religieux, vos humbles serviteurs, contrairement à ses engagements et à votre ordre, formel? Que Votre Sainteté, je l'en supplie, s'informe à quelle espèce d'hommes appartient celui auquel il s'est tant hâté d'imposer les mains et quelle réputation est la sienne, tant de près que de loin; pour moi, je craindrais de manquer à la modestie si je vous rapportais ce que la rumeur, pour ne pas dire l'indignation publique, lui impute et lui reproche. Je me tairai donc, et, dans le chagrin mortel où je me trouve, je ne pense qu'à m'éloigner de ces lieux : je l'aurais déjà fait si l'espérance que je nourris encore de trouver du soulagement à ma douleur dans vos entrailles de père ne m'avait fait patienter jusqu'à présent. J'avais formé le projet de vous faire un rapport circonstancié de ces lamentables événements, mais la douleur me paralyse la main et me trouble l'esprit; ma langue se refuse à retracer l'histoire de tant de fraudes et de surprises indignes, de tant d'audace et de perfidie. Je laisse à votre fils, l'archidiacre. Ponce, dont la conduite ne s'est pas démentie un seul instant dans toute cette affaire, le soin de vous raconter en détail, Très-Saint Père, tout ce qui nous désole et le remède que nous voudrions vous voir appliquer au mal; vous pourrez avoir en lui la même confiance qu'en moi-même. Quant à moi, je sens aux cuisants chagrins qui me consument que je ne puis tarder de finir mes tristes jours au milieu de la douleur et des larmes, si je ne vois échouer un attentat aussi audacieux que criminel.

 

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LETTRE CLXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX CARDINAUX DE LA COUR ROMAINE, SUR LE MÊME SUJET.

 

1. Vous savez, si vous avez daigné en conserver le souvenir, comment je me suis comporté parmi vous aux jours de l'épreuve; toujours eu mouvement, allant et venant sans cesse, constamment empressé au service de notre chef, j'ai partagé toutes vos fatigues et je me suis tellement épuisé dans la lutte, que je pus à peine regagner ma patrie quand la paix fut rendue à l'Église. Si Je rappelle ce souvenir, ce n'est pas pour me glorifier des services que j'ai rendus alors, et encore moins pour vous les reprocher, mais je voudrais que vous en fussiez si vivement touchés que vous voulussiez bien me payer de retour, aujourd'hui que je fais appel à votre pitié et que je vous le demande en grâce. L'extrémité où je me trouve réduit me force à recourir à tous ceux qui m'ont quelque obligation. Ce n'est pas qu'après avoir fait mon devoir je me considère, en dépit de la parole du Seigneur, autrement que comme un serviteur inutile; mais si j'ai fait ce que je devais, je ne mérite pas d'être frappé. Or, a mon retour ici après vous avoir quittés, je n'ai trouvé que sujets de peines et d'afflictions; en vain j'ai invoqué le Seigneur, en vain j'ai imploré votre secours, les puissants de la terre se sont ligués contre quoi. L'archevêque de Lyon et l'abbé da Cluny, fiers de leur puissance et confiants dans leurs richesses infinies, ont pris parti, non-seulement contre moi, mais contre une multitude de serviteurs de Dieu, contre vous, contre eux-mêmes, contre Dieu, et foulé aux pieds tous les droits de l'honneur et de l'équité.

2. Ils ont mis à notre tête un homme dont les méchants se rient, dont les honnêtes gens ont horreur; je ne dis pas l'ordre qu'on a observé dans toute cette affaire à laquelle le plus affreux désordre à seul présidé, j'en abandonne le jugement à Dieu et à la cour de Rome. Si elle connaissait nos maux, elle ne pourrait s'empêcher d'en gémir, d'avoir pitié de nous et de prendre en main la cause des gens de bien contre les méchants. Hé quoi! n'est-elle pas la maîtresse du monde, armée contre le mal en faveur de l'innocence, pour laisser triompher le méchant et succomber le pauvre, mais un pauvre qui, à défaut d'argent qu'il n'avait pas, a sacrifié sa propre vie à la défense de votre cause? Est-il juste que vous jouissiez d'une paix qui est son ouvrage sans vous mettre maintenant en peine de ses épreuves et que vous ne fassiez rien pour le consoler quand il n'a fait aucune difficulté de partager autrefois vos peines et vos tribulations ? Si j'ai bien mérité de vous à vos yeux, secourez ma faiblesse contre les violences des hommes puissants; protégez ma pauvreté et mon indigence contre les attaques de ceux qui fondent sur moi; si vous ne le faites pas, je tâcherai de supporter ma peine du mieux que je pourrai; mais, dans ma douleur extrême, dévorant mes larmes le jour et la nuit, je vous appliquerai ces paroles de l'Ecriture « Ceux qui n'ont pas pitié de leur ami ont perdu la crainte de Dieu (Job., VI, 14). — Tous mes amis m'ont abandonné (loc. cit.). — Mes proches se sont éloignés de moi, et ceux qui en voulaient à ma vie se sont précipités contre moi avec violence (Psalm. XXXVII, 13). »

 

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LETTRE CLXIX. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.

 

L’an 1138

 

Saint Bernard s'excuse d'avoir empêché de partir les membres du clergé de Langres qui étaient mandés à Rome; il indique, ensuite à quelles personnes on doit confier l'élection de l'évêque de Langres.

 

Les bontés dont vous m'avez honoré me rendent hardi presque jusqu'à la présomption; veuillez être encore assez bon pour ne point vous offenser de ce que je viens de faire et pour écouter avec patience non-seulement le récit de ma conduite, mais encore les motifs qui l'ont déterminée, j'espère que vous ne me désapprouverez pas quand vous saurez pourquoi j'ai agi comme je l'ai fait. Je me suis permis de retenir les membres du clergé de Langres due vous aviez mandés auprès de vous, et, après les avoir tous mis d'accord, je leur ai fait prendre l'engagement, ainsi qu'ils vous le marquent dans leur lettre, de n'élire qu'un sujet qui vous plût et qui répondit aux désirs des gens de bien; il était absolument nécessaire qu'ils ne s'éloignassent pas de ces contrées dans les conjonctures présentes, pour ne pas laisser sans protection et sans défense les terres et les biens de l'Église, qu'on se dispute comme une proie ou comme un butin. Je suis donc d'avis, si vous le trouvez bon, que l'on confie à des personnes non suspectes et n'ayant d'autre intérêt en pensée que celui de Jésus-Christ, le soin d'élire, pour évêque de langres, un sujet qui soit digne de ]'être par sa piété: c'est le moyen de mettre enfin un terme aux longs malheurs de cette église. Pour ce qui rue reste à dire, j'ai chargé dont Hébert, abbé de Saint-Etienne de Dijon, l'archidiacre de Langres et ceux qui les accompagnent de vous en faire part. Je termine en vous priant de prendre sous votre protection la personne et les biens de ce même archidiacre ainsi que de Bonami, prêtre de la même église; ils n'ont cessé l'un et l'autre de soutenir avec fidélité la cause de Dieu. Or toute peine mérite salaire,

 

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