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LETTRE CLXX. A LOUIS (a) LE JEUNE, ROI DE FRANCE.

LETTRE CLXXI. AU PAPE INNOCENT.

LETTRE CLXXII. AU MÊME PAPE, AU NOM DE GEOFFROY, ÉVÊQUE DE LANGRES.

LETTRE CLXXIII. A FOULQUES.

LETTRE CLXXIV. AUX CHANOINES DE LYON, SUR LA CONCEPTION (a) DE LA SAINTE VIERGE.

LETTRE CLXXV. AU PATRIARCHE (a) DE JÉRUSALEM.

LETTRE CLXXVI. AU PAPE INNOCENT, AU NOM D'ALBÉRON (b),  ARCHEVÊQUE DE TRÈVES.

LETTRE CLXXVII AU MÊME PAPE, AU NOM DU MÊME ARCHEVÊQUE.

 

LETTRE CLXX. A LOUIS (a) LE JEUNE, ROI DE FRANCE.

 

L’an 1138

 

Le roi avait paru contraire à l'élection de Geoffroi, prieur de Clairvaux, au siège de Langres; saint Bernard s'efforce de la justifier à ses yeux.

 

1. Quand l'univers entier se liguerait contre moi pour me faire entreprendre quoi que ce soit d'hostile à Votre Majesté royale, j'ai trop la crainte de Dieu pour m'exposer imprudemment à mécontenter un souverain qu'il a lui-même établi. Je n'ignore pas que «celui qui résiste aux puissances résiste à l'ordre de Dieu même (Rom., XIII, 2). » D'un autre côté, je sais aussi quelle horreur un chrétien, mais plus encore un religieux, doit avoir pour le mensonge. Je vous dirai donc en toute vérité que ce qui s'est fait à Langres touchant l'élection du prieur (b) de notre maison en dualité d'évêque est arrivé contre l'espérance et même contre

 

a Orderic l'appelle simplement Florus oz Flore, livre II, p. 713, et Louis Flore, livre XIII, pages 901 et 911. La première fois il rapporte, en l'année 1135, que Louis le Gros a réconcilia Thibaut de Blois et Raoul de Péronne qui étaient brouillés, et confia le royaume de France à son fils Louis-Flore,qu'il avait fait sacrer roi trois ans auparavant à Reims; la seconde fois, à l'année 1137, Il dit que Louis le Gros, se sentant prés de mourir, « mit Louis-Flore, son fils, sous la protection de Thibaut, comte palatin, et de Raoul de Péronne, son cousin. »

b il se nommait Geoffroy et était parent de saint Bernard, son élection fut enfin ratifiée en 1139, comme il résulte d'un document cité par Pérard, page 334, dans lequel il est dit qu'il consacra l'église de Saint-Etienne de Dijon en 1141, la seconde année de son épiscopat.

 

l'intention des évêques aussi bien que contre la mienne; c'est le fait de Celui qui sait contraindre les hommes à faire sa volonté et à concourir, malgré qu'ils en aient, à .l'accomplissement de ses desseins. Comment n'aurais-je pas hésité à porter un homme que j'aime comme moi-même à un poste que je redoute pour moi comme étant plein de danger ? Je ne saurais agir ainsi; j'estime trop peu, pour les imiter, les gens qui placent sur les épaules d'autrui des fardeaux d'un poids accablant auxquels ils ne voudraient pas eux-mêmes toucher du bout du doigt. Quoi qu'il en soit, c'est une affaire terminée; mais qu'importe à Votre Majesté qui n'a point à en souffrir? Il n'y a que moi qui aurais le droit de m'en plaindre, car cette élection m'a enlevé le soutien de ma faiblesse et la lumière de mes yeux ; elle m'a privé de mon bras droit, en même temps quelle a soulevé contre moi cette agitation, ces tempêtes et ces colères auxquelles je ne puis plus échapper; plus je voudrais m'y soustraire, plus j'en suis accablé, sans mérite. pour moi, hélas ! car je ne puis prendre sur moi de me résigner à ce qui m'arrive. Je sens bien qu'il est dur de regimber contre l'aiguillon; peut-être vaudrait-il mieux pour moi accepter l'épreuve de bon coeur et de plein gré que de le faire à regret, et si j'ai encore un reste de forces, sans doute qu'il me serait plus facile de porter moi-même ma propre croix que de m'en décharger sur les épaules d'un autre.

2. Mais d'ailleurs je n'ai plus qu'à me soumettre à la volonté de Celui qui a disposé des choses autrement que je l'aurais voulu, d'autant plus qu'il n'est ni facile ni sûr, pour moi non plus que pour Votre Majesté, de lutter contre sa volonté toute-puissante. Vous savez qu'il est redoutable aux rois mêmes, et qu'il n'est rien tant à craindre pour Votre Majesté, que de tomber entre les mains du Dieu vivant. Avec quel chagrin n'ai-je donc pas appris que vous soutenez mal les beaux commencements de votre règne! Quelle amère douleur pour l'Eglise sis après avoir goûté les douces prémices de votre règne, il lui faut renoncer aux espérances qu'elle avait conçues de vos qualités, et à la protection qu'elle avait déjà trouvée sous votre égide ! Hélas, l'Eglise de Reims s'affaisse et personne ne la soutient; celle de Langres s'écroule et pas une main ne. se tend vers elle pour l'empêcher de tomber. Que Dieu

 

a Après la mort de l’archevéque Réginald, qui arriva le 13 janvier 1130, l'église de Reims resta près de deux ans sans archevêque, moins à cause du défaut d'entente entre les clercs qui devaient en élire un, que par suite de l'agitation causée dans la ville par l'établissement de ce qu'on appelle la Commune, et de la brouille survenue entre Louis VII et Thibaut, comte de Champagne, dont les comtes et les églises de leur voisinage eurent à souffrir, comme on le voit dans Marlot, tome II de la Métropole de Reims, page 328. Saint Bernard se plaint une seconde fois de cet état de choses dans la lettre trois cent dix-huitième. Sur son refus d’accepter le titre d'archevêque de Reims, on élut Samson, en 1140, mais cette élection ne se fit pas sans trouble, comme on le voit par la lettre deux cent vingt-deuxième. Ou peut consulter sur ce sujet les lettres deux cent dixième et deux cent vingt-quatrième.

 

nous préserve du malheur de voir Votre Majesté elle-même ajouter à nos peines et à nos chagrins! Puissé-je mourir avant que mes tristes yeux aient vu un roi dont on augure et dit tant de bien, s'opposer aux desseins de Dieu, irriter contre lui la colère de ce juge redoutable; faire couler les larmes des affligés aux pieds de Celui qui s'appelle le Père des orphelins, et monter au ciel les cris des pauvres, les vaux des saints et les trop justes plaintes de la chère Eglise du Christ; je veux dire de la sainte Eglise du Dieu vivant ! Non, non, il n'en sera pas ainsi; nous avons au coeur de meilleures et plus douces espérances. Dieu aura pitié de nous, sa colère n'éclatera pas sur nos têtes et ses miséricordes couleront encore sur nous; il ne voudra pas affliger son Eglise par ce même prince qui l'a déjà consolée en tant d'occasions; il nous le conservera tel qu'il nous l'a donné dans sa bonté, et si, par hasard, Votre Majesté a cédé à quelque fâcheuse influence, il vous fera connaître ses volontés saintes et vous donnera la force de les accomplir. Ce sont les voeux et les prières que je ne cesse de faire à Dieu pour vous, le jour et la nuit. Soyez convaincu qu'il en est de même de notre communauté tout entière, et veuillez croirez je vous en conjure, que nous aurons toujours un profond respect pour Votre Majesté royale et un dévouement sans borne pour le bien de son Etat.

3. Au reste, je vous rends grâce pour la réponse favorable que vous avez daigné me donner, mais les lenteurs m'effraient; les terres de ce diocèse sont abandonnées au pillage, et'pourtant elles vous appartiennent, c'est ce qui me fait voir avec un si profond regret qu'on y déshonore votre autorité royale; vous avez bien raison de vous plaindre qu'il ne se trouve là personne pour la défendre et la soutenir. Mais après cela, en quoi ce qui ne s'est pas fait contre la justice peut-il porter atteinte à votre autorité ? L'élection dont il s'agit s'est faite selon les règles, et l'élu est un sujet fidèle de Votre Majesté; il ne saurait passer pour tel s'il prétendait posséder sans votre aveu un pays qui vous appartient. Or il n'en a pas encore pris possession, il n'a point fait son entrée dans votre ville, enfin il ne s'est ingéré dans l'administration de quoi que ce soit, malgré le désir ardent du peuple et du clergé qui l'appellent d'un commun accord, et en dépit des cris de détresse des opprimés et des veaux pressants des gens de bien. Après cela, vous voyez de quelle importance il est, tant pour l'honneur de Votre Majesté que pour notre intérêt, que vous ne tardiez pas davantage à terminer cette affaire. Si vous ne répondez pas à l'attente de vos sujets, en donnant à leurs députés une réponse conforme à leurs désirs, vous indisposerez contre vous, ce qui serait très-regrettable, un grand nombre de gens de bien dont le coeur vous est dévoué à présent, et je crains que vous ne fassiez aussi quelque tort aux droits régaliens que vous exercez dans cette Eglise.

 

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LETTRE CLXXI. AU PAPE INNOCENT.

 

L’an 1139

 

Pour Foulques, élu archevêque de Lyon.

 

Je me flatte, très-saint Père, qu'après avoir favorablement écouté mes prières pour autrui, vous ferez un bon accueil à celles que je vous adresse pour moi; or je regarde l'affaire de mon archevêque comme. étant la mienne, car ce qui touche à la tète importe également aux membres. Je ne parlerais pas ainsi s'il s'était poussé lui-même au poste où il est arrivé, mais il a été appelé de Dieu comme Aaron le fut autrefois; et la preuve, c'est qu'il a été élu par tous les électeurs d'une voix unanime, non-seulement sans contestation, ruais sans hésitation aucune. Certainement, on ne fit jamais un choix plus juste et plus raisonnable, car Foulques unit dans un égal degré la noblesse de l'esprit à celle du sang, et une érudition consommée à une vie irréprochable; c'est au point que sa réputation est au-dessus même de la médisance et de l'envie. Aussi est-il convenable que Votre Sainteté ratifie son élection et couronne tout ce qui s'est fait par la plénitude de l'honneur ecclésiastique, la seule chose qui lui manque à présent. En traitant ce prélat avec votre bonté ordinaire, ou plutôt avec la considération qu'il mérite, vous mettrez le comble à la joie de son peuple; toute l'Eglise de Lyon vous supplie de ne pas lui refuser cette grâce, et j'ose unir les instances de votre très-humble serviteur aux siennes.

 

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LETTRE CLXXII. AU MÊME PAPE, AU NOM DE GEOFFROY, ÉVÊQUE DE LANGRES.

 

L’an 1139

 

Saint Bernard exprime la même pensée que dans la lettre précédente.

 

Au milieu des inconvénients sans nombre dont les élections épiscopales sont ordinairement suivies de nos jours, Dieu a jeté du haut du ciel un regard favorable sur notre Eglise métropolitaine de Lyon ; il a fait succéder sans trouble, à l'archevêque Pierre, d'heureuse mémoire, Foulques, doyen de la même Eglise, un sujet accompli. Après avoir réuni l'unanimité des voix, il s'est trouvé promu à l'archiépiscopat pour le plus grand bien de son Eglise; son ordination s'est faite dans les règles, il ne lui manque plus due d'obtenir de vous le signe de la plénitude de l'honneur ecclésiastique due je vous prie de lui envoyer. Si j'ose vous demander cette faveur pour mon archevêque, ce n'est pas que je compte sur le poids de mon propre mérite pour la lui obtenir, mais je crois de mon devoir de la solliciter pour lui, non-seulement en qualité de suffragant de l'Église de Lyon, mais encore à raison du témoignage que je dois à la vérité comme évêque.

 

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LETTRE CLXXIII. A FOULQUES.

 

L’an 1139

 

Saint Bernard lui recommande les intérêts de quelques religieux.

 

L'évêque de Langres (Geoffroy) et moi avons écrit à notre saint Père le Pape, à votre sujet, dans les termes qu'il nous a paru que nous devions le faire; nous vous envoyons copie de nos lettres. Nous sommes bien décidés à vous seconder en toutes choses de tous nos efforts, parce que nous espérons fermement que vous servirez utilement l'Église; il y va de votre intérêt le plus grand que nous ne soyons pas déçus dans nos espérances. Si j'ai bien mérité à vos yeux, je vous prie de traiter avec bonté mes chers pauvres de la maison de Bénissons-Dieu (a). Ce que vous ferez au dernier d'entre eux, c'est à moi, ou plutôt c'est à Jésus-Christ même que vous le ferez. Ils sont pauvres et vivent au milieu des pauvres; mais ce que je vous demande plus particulièrement, c'est que vous empêchiez les religieux de Savigny de les inquiéter; le procès qu'ils leur intentent rue parait mal fondé, mais s'ils sont persuadés de leur bon droit, veuillez être juge de cette affaire. Quoique l'abbé Albéric, mon très-cher fils, se recommande bien assez par son propre mérite, je ne laisse point pourtant de vous le recommander très-vivement ; je l'aime comme une tendre mère aime son fils, et c'est me témoigner de l'affection que de lui en donner des marques; aussi verrai-je par ce que vous ferez pour lui le cas que vous faites de moi plus il est éloigné de moi, plus il a besoin de votre paternelle bienveillance.

 

a Abbaye de l'ordre de Cîteaux, fille de Clairvaux, diocèse de Lyon, fondée en 1138; elle eut Albéric pour premier abbé. Elle n'est pas fort éloignée de l'abbaye de Bénédictins de Savigny, dans le même diocèse. L'abbé de cette dernière maison était alors un certain Itérius dont saint Bernard se plaint quelque part.

 

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LETTRE CLXXIV. AUX CHANOINES DE LYON, SUR LA CONCEPTION (a) DE LA SAINTE VIERGE.

 

La fête de la conception de Marie est une nouveauté qui ne s'appuie sur rien de solide ; d'ailleurs, on n'aurait pas dû l'instituer sans consulter le saint Siège, à l'autorité duquel saint Bernard se soumet.

 

1. De toutes les Eglises de France on ne peut nier que celle de Lyon soit la première par l'importance de son siège, par son zèle pour le bien et par ses règlements, qu'on ne saurait. trop louer. Où vit-on jamais discipline plus florissante, moeurs plus graves, sagesse plus consommée, autorité plus insigne, antiquité plus imposante? C'est principalement pour les offices de l'Eglise qu'elle s'est montrée fermée à toute tentative d'innovations. Jamais cette Eglise pleine de bon sens ne s'est laissée aller à un zèle juvénile qui aurait pu lui imprimer au front la tache de la légèreté. Aussi ne puis-je assez m'étonner qu'il se soit rencontré parmi vous, de nos jours, des chanoines qui veuillent flétrir l'antique éclat de votre Eglise, en introduisant une fête nouvelle dont l'Eglise n'a pas encore entendu parler, que d'ailleurs la raison désapprouve, et qui ne s'appuie sur aucune tradition dans l'antiquité. Avons-nous la prétention d'être plus pieux et plus savants b que les Pères de l'Eglise ? C'est une présomption dangereuse d'établir, en pareille matière, ce dont ils ont eu la prudence de ne pas parler. Or la chose en question était de nature à fixer particulièrement leur attention s'ils n'avaient point cru qu'il n'y avait pas lieu de s'en occuper.

2. La mère de Dieu, me direz-vous, mérite de grands honneurs. J'en conviens avec vous; mais il faut que ces honneurs soient fondés sur la raison; la Vierge-Reine a tant de titres irrécusables à nos respects, elle est élevée si haut en dignité, qu'elle n'a pas besoin qu'on lui prête de faux titres à notre vénération. Honorez la pureté de son corps, la sainteté de sa vie, sa virginité féconde, et le fruit divin de ses entrailles, à la bonne heure ! Publiez par quel prodige elle mit au monde sans douleur le fils qu'elle a conçu sans concupiscence; dites qu'elle est révérée des anges, désirée des nations, connue avant sa naissance des patriarches et des prophètes, choisie de Dieu entre toutes les femmes et élevée au-dessus d'elles toutes; appelez-la des noms magnifiques d'instrument de la grâce, de médiatrice du salut et de réparatrice des

 

a Voir sur l'origine de cette fête la note placée à la fin du volume. Pothon, prêtre et religieux de Pruym, contemporain de saint Bernard, Mine de même l'institution de cette fête, comme on le verra plus loin.

b Pothon s'exprime de même, livre III de l'Etat de la maison de Dieu.

 

siècles; enfin placez-la dans les cieux au-dessus du choeur des anges eux-mêmes, c'est ce que l'Eglise fait dans ses chants à Marie, et ce qu'elle veut que je loue en elle. Autant j'accepte' pour moi et j'apprends aux autres avec sécurité ce qu'elle m'enseigne, autant, il faut l'avouer, je ressens de scrupules pour admettre ce qui ne me vient pas de sa bouche.

3. Ainsi l'Eglise me dit de célébrer le jour solennel où Marie, quittant cette terre de péché, fit son entrée dans les cieux, au milieu des chants d'allégresse des anges. C'est elle encore qui m'a appris à faire la fête de sa nativité, et je crois fermement avec elle que Marie, sanctifiée dès le sein de sa mère, vint au monde sans souillure. J'en crois autant du prophète Jérémie, parce que je lis dans les saintes Ecritures qu'il a été sanctifié avant de naître. Il en est de même pour moi de saint Jean, car il sentit dans les flancs de sa mère la présence du Seigneur, bien qu'il ne fût pas encore né, Peut-être serait-il permis d'en dire autant du prophète David, si Fan prenait ces,paroles à la lettre: «Seigneur, vous avez été mon appui dès le sein de ma mère; je n'étais pas encore né que déjà vous me protégiez (Psalm. LXX, 6); » « J'étais à peine conçu que vous vous êtes montré mon Dieu; ne me délaissez pas, Seigneur. ( Psalm. XXI, 11) ; » et de Jérémie, à qui Dieu parle en ces termes: «Vous n'étiez pas conçu que je vous connaissais déjà, et vous n'étiez pas né que je vous avais sanctifié (Jerem., I, 5). » En ce cas, Dieu distingue fort bien entre la conception et la naissance, et nous montre que, si par sa science divine il a prévu la première, il a prévenu la seconde des dons de sa grâce, de sorte que la gloire de Jérémie ne consistait pas seulement en ce qu'il a été l'objet de la prescience de Dieu, mais encore celui de sa prédestination.

4. Mais quand cela serait de Jérémie, que dirons-nous de Jean-Baptiste? Un ange n'a-t-il pas annoncé d'avance qu'il serait rempli du Saint-Esprit dès le ventre da sa mère? Evidemment il ne s’agit pas là seulement de prescience ou de prédestination, car les paroles de l'ange se sont accomplies au temps marqué. Le fait est certain, et il n'est pas possible de révoquer en doute que saint Jean fut rempli du Saint-Esprit à l'époque et de la manière qu'il avait été annoncé qu'il le serait. Or on ne peut nier que le Saint-Esprit ait sanctifié celui qu'il a rempli, c'est-à-dire qu'il l'ait purifié; du péché originel. Le mot sanctifier appliqué à saint Jean, à Jérémie ou à tout autre personnage, ne peut, selon moi, signifier autre chose, et je tiens pour indubitable que ceux que Dieu a sanctifiés, l'ont été véritablement et n'ont pas perdu, en quittant le sein de leur mère pour venir au monde, la grâce qu'ils y avaient reçue; la tache originelle n'a pu revivre en eux par le seul fait de leur naissance et les dépouiller de la grâce qu'ils avaient auparavant. Osera-t-on dire qu'un enfant rempli du Saint-Esprit est encore un enfant de colère, et que s'il meurt dans le sein de sa mère, où il a reçu la plénitude du Saint-Esprit, il n'en est pas moins destiné à la damnation éternelle? Cette opinion me semble bien dure, je n'ai garde pourtant de rien décider. Quoi qu'il en soit, l'Eglise, qui ne regarde que la mort des autres saints comme précieuse, fait une exception remarquable pour celui dont l'ange avait dit: « Il y aura beaucoup d'hommes qui se réjouiront à sa naissance (Luc., I, 14); » et elle fait du jour où il naquit un véritable jour d'allégresse et de fête. Au fait, pourquoi ne se réjouirait-elle pas à la naissance d'un saint qui a lui-même tressailli de joie dans le ventre de sa mère ?

5. Concluons donc en disant qu'il n'est pas permis de douter que t.a Dieu n'ait accordé à la vierge incomparable dont il s'est servi pour donner de la vie au monde, le même privilège dont il est bien certain qu'il a favorisé quelques autres mortels. Il est donc indubitable que la mère du Seigneur fut sainte avant de naître, et l'Eglise ne saurait errer en célébrant tous les ans avec pompe le jour où elle naquit. Je suis même persuadé que, prévenue avant sa naissance d'une grâce plus abondante que les autres saints, elle a vécu ensuite exempte de toute espèce de péchés actuels, par un privilège dont nul autre qu'elle n'a jamais joui. Il convenait, en effet, que la reine des vierges, qui était destinée à mettre un jour au  monde Celui qui devait détruire le péché, vivifier et justifier les hommes, fût exempte elle-même de toute souillure et passât sa vie sans péché. Aussi disons-nous que sa naissance fut sainte, parce que dès le ventre même de sa mère elle avait été comblée de grâce et de sainteté.

6. Mais ce n'est point assez comme cela: il faut maintenant surenchérir sur ces privilèges, et l'on prétend qu'il y a lieu de rendre à la conception de Marie les mêmes honneurs qu'à sa naissance, attendu que ra l'une ne va pas sans l'autre, et qu'elle ne serait pas digne de nos respects dans sa naissance si d'abord elle n'avait été conçue. Avec un pareil raisonnement, pourquoi s'arrêter à Marie et ne pas instituer un jour de fête en l'honneur de son père et de sa mère, puis de ses aïeuls, et ainsi de suite pour tous ses ascendants à l'infini? Nous aurions ainsi des fêtes sans nombre. Mais cela ne convient pas dans l'exil et ne sied que dans la patrie, c'est là seulement qu'il est permis d'être en fêtes perpétuelles. On parle d'un écrit (a), et d'une révélation d'en haut, comme s'il était bien difficile d'en produire d'aussi authentiques pour prouver que la sainte Vierge réclame pour les auteurs de ses jours des honneurs pareils à ceux qui lui sont rendus à elle-même. N'est-il pas écrit en effet: « Honorez votre père et votre mère (Exod., XX, 12) ? » Pour moi, je ne fais aucun cas de tous ces écrits qui ne s'appuient ni sur la raison ni sur une autorité incontestable. On dit: La conception de la Vierge est avant sa

 

a Un écrit du même genre est attribué à un moine anglais nommé Elsin, pages 505 et 507 de la nouvelle édition des aunes de saint Anselme.

 

naissance, or sa naissance est sainte, donc sa conception l'est aussi. La belle conséquence en vérité ! Suffit-il que l'une soit avant l'autre pour être sainte? Il est bien certain que l'une vient après l'autre, mais il ne s'ensuit pas que si la seconde est sainte la première le soit aussi. D'ailleurs d'où viendrait à la conception cette sainteté qu'elle doit communiquer à la naissance? N'est-ce pas au contraire parce que Marie n'a pas été conçue sans péché, qu'il a fallu ensuite qu'elle fût sanctifiée dans le ventre de sa mère, afin de naître sans péché? Dira-t-on que la naissance, qui est postérieure à la conception, lui communique sa sainteté? Evidemment non, car si la sanctification que Marie reçut après sa conception peut s'étendre à la naissance, qui lui est postérieure, elle ne saurait remonter par un effet rétroactif jusqu'a la conception qui la précède.

7. Comment donc cette conception peut-elle être sainte? Dira-t-on que Marie fut prévenue de la grâce de telle sorte qu'étant sainte avant d'être conçue, elle fut ensuite conçue sans péché, de même qu'étant sainte avant de naître, elle a ensuite communiqué sa sainteté à sa naissance? Mais pour être sainte il faut commencer par être; or on n'est pas, tant qu'on n'est pas conçu. Peut-être quand ses parents se sont unis, l'acte par lequel Marie a été conçue fut-il un acte saint, de sorte que pour elle être et être sainte fut simultané. Mais cette hypothèse répugne à la raison comme les autres; car il n'y a pas de sainteté là où n'est pas l'Esprit sanctificateur, et celui-ci ne peut se trouver là où est le péché. Or on ne saurait dire qu'il n'y a pas eu péché dans un acte auquel la concupiscence à présidé (a). Dira-t-on par hasard qu'elle a été, elle aussi, conçue du Saint-Esprit, sans le concours de l'homme? Mais jamais on ne l'a prétendu. Je lis bien dans l'Ecriture que le Saint-Esprit est venu en elle, je n'y vois nulle part qu'il soit venu avec elle. Voici continent s'exprimait l'ange Gabriel : « Le Saint-Esprit surviendra en vous..... (Luc., I, 35). » Et pour parler le langage même de l'Eglise, toujours infaillible, je confesse qu'elle a conçu, non pas qu'elle a été conçue du Saint-Esprit ; qu'elle est vierge et mère tout ensemble; mais je ne dis pas qu'elle est née d'une vierge. S'il en était ainsi, que deviendrait la prérogative de la mère de Notre-Seigneur d'avoir allié dans sa personne la gloire de sa maternité à celle de la virginité, si ce privilège lui est commun avec sa propre mère? Je trouve que s'exprimer ainsi c'est ravir à Marie la gloire qui lui appartient, plutôt que de l'augmenter. Concluons: si Marie n'a pu être sanctifiée avant d'être conçue, puisqu'elle n'existait pas encore, il n'est pas moins certain qu'elle ne l'a pas été filon plus au moment même de sa conception, puisque la conception est inséparable du péché; d'où il suit qu'elle n'a pu être sanctifiée

 

a Saint Odon, abbé de Cluny, dit la même chose, mais d'une manière générale, dans le livre II, chap. XXIV des Collations.

 

dans le ventre de sa mère, qu'après avoir été conçue, en sorte que si elle est née, elle n'a point été conçue sans péché.

8. S'il en est peu qui aient été sanctifiés avant leur naissance, il n'y a personne qui l'ait été dans sa conception. Ce privilège n'a été le propre que d'un seul parmi nous, de Celui qui devait nous sanctifier tous et expier nos péchés; il n'y a que Lui qui soit venu sans pêché-; Jésus-Christ seul a été conçu du Saint-Esprit, parce qu'il n'y a que Lui qui fût saint avant d'être conçu. A cette exception près, tous les enfants d'Adam sont dans le même cas que celui qui disait de lui-même avec autant de vérité que d'humilité: « J'ai été conçu dans l'iniquité, et c'est dans le péché que ma mère m'a donné l'être (Psalm. L, 6). »

9. S'il en est ainsi, sur quelle raison peut-on s'appuyer pour établir la fête de la Conception de la Vierge ? Comment la présenter comme sainte, quand, au lieu d'être l'oeuvre du Saint-Esprit, elle n'a peut-être été que le fruit du péché? Mais si elle n'est pas sainte, comment en faire un jour de fête? Croyez que notre glorieuse Vierge se passera bien d'un honneur qui ne peut échapper à cette alternative de s'adresser, en elle, au péché, ou de lui supposer une sainteté qu'elle n'a point connue. Ajoutons qu'elle ne salirait à quelque titre que ce fût goûter un culte qui n'est introduit dans l'Eglise que par un esprit de présomption et de nouveauté, fécond en entreprises téméraires, aussi voisin de la superstition que de la légèreté. Après tout, s'il paraissait à propos d'instituer cette fête, il fallait d'abord consulter le saint Siège, au lieu de condescendre précipitamment et sans réflexion à la simplicité d'hommes ignorants. J'avais déjà remarqué que cette erreur s'était emparée de l'esprit de plusieurs, mais je faisais comme si je ne m'en apercevais point, et j'excusais une dévotion que leur inspiraient la simplicité de leur âme et leur zèle pour la gloire de Marie. Mais à présent que l'erreur s'attaque à des hommes connus pour leur sagesse, et que cette superstition s'insinue dans une Eglise justement fameuse dont je me regarde comme l'enfant (a), je crois que je ne pouvais dissimuler plus longtemps ma pensée sans m'exposer à vous offenser tous. Toutefois je soumets mon opinion au jugement des personnes qui sont plus habiles que moi, mais je défère particulièrement en ce point, comme dans tous les autres de ce genre, à la décision et à l'autorité de l'Eglise romaine, et je déclare que je suis prêt à changer d'opinion si je diffère de sentiment avec elle en quelque point que ce soit.

 

a C'est l'Eglise de Lyon que saint Bernard regarde comme sa mère, à cause u de son titre de métropole, comme il s'exprime dans la cent soixante-douzième lettre. En effet, né à Fontaine, près de Dijon, et demeurant à Clairvaux, qui est du diocèse de Langres, il dépendait de la métropole de Lyon.

 

LETTRE CLXXV. AU PATRIARCHE (a) DE JÉRUSALEM.

 

L’an 1135

 

Le patriarche de Jérusalem avait plusieurs fois écrit de saint Bernard des lettres pleines d'amitié; celui-ci lui répond et lui recommande les chevaliers du Temple.

 

Après avoir reçu tant de lettres de Votre Grandeur patriarchale, je passerais pour un ingrat si je ne vous répondais pas. Mais en vous rendant le salut que vous m'avez donné, ai-je fait tout ce que je dois? Vous m'avez prévenu par vos aimables procédés, vous avez daigné m'écrire lé premier d'au delà des mers, et me donner ainsi la preuve, de votre humilité autant que de votre amitié. Comment pourrai-je ni acquitter à votre égard ? Je ne sais absolument que faire pour vous payer convenablement de retour, surtout maintenant que vous m'avez donné une partie du plus grand trésor du monde en m'envoyant un fragment de la vraie croix (b) de Notre-Seigneur. Mais quoi! me dispenserai-je de répondre à ces avances du mieux que je le puis, si je ne peux le faire comme je le dois? Je vous montrerai du moins les sentiments et les dispositions de mon coeur en répondant à vos lettres ; c'est la seule chose que je puisse faire, séparé de vous comme je le suis par un tel espace de terres et de mers, heureux si je trouve jamais une occasion de vous prouver que ce n'est pas seulement en paroles et sur le papier que je vous aime, mais effectivement et en réalité. Je vous prie de vous montrer favorable aux chevaliers du Temple, et d'ouvrir les entrailles de votre immense charité à ces intrépides défenseurs de l'Église. Vous ferez une œuvre aussi agréable à Dieu que goûtée

 

a C'était Guillaume, un Gallo-Belge, qui fut d'abord ermite à Tours, puis patriarche de Jérusalem de 1189 à 1145. II est fait mention de lui dans l'Histoire de la bienheureuse Marie de Fontaines, tome X du Spicilège, page 389, où il est question des reliques qu'il envoya à Fontaines par un ermite de cet endroit, nommé Lambert. Orderic en parle aussi en ces termes à la fin de son livre XIII : « L'an de Notre-Seigneur 1128, indiction VI, Germond, patriarche de Jérusalem, mourut ; il eut pour successeur Etienne de Chartres, qui gouverna la sainte Sion pendant deux ans; à la mort de ce dernier, ce fat un Flamand nommé Guillaume qui lui succéda.» Le même auteur, page 912, à l'année 3187; parle d'un certain Raoul, « évêque de Jérusalem, » que Papebrock omet dans son Traité préliminaire du tome III, de mai. Mais il est certain, d'après Guillaume de Tyr, que Guillaume présida en 1142 à la cérémonie des funérailles du roi Baudoin, et qu'il eut Fulcher pour successeur en 1145. Y eut-il deux Guillaume, on bien Orderic s’est-il trompé en cette circonstance, c'est ce que je ne sais point. On trouvera plus loin une seconde lettre adressée au même Guillaume, c'est la trois cent quatre-vingt-treizième.

b On voyait encore du temps de Mabillon, cette relique insigne du bois de la vraie croix dans le trésor de Clairvaux.

 

des hommes en protégeant ces guerriers courageux qui exposent leur vie pour le salut de leurs frères: Pour ce qui est du rendez-vous que vous me demandez, le frère André a vous fera connaître mes intentions.

 

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LETTRE CLXXVI. AU PAPE INNOCENT, AU NOM D'ALBÉRON (b),  ARCHEVÊQUE DE TRÈVES.

 

L’an 1135

Saint Bernard témoigne au nom de l'archevêque sen respect au pupe Innocent, et l'assure du bon vouloir et de la fidélité de toutes les Eglises d'en deçà des monts.

 

1. Il y a bien longtemps que je nourris au fond du coeur le plus vif désir et que j'ai conçu le projet bien arrêté d'aller rendre mes respects à Votre Sainteté, m'assurer en personne de l'état de vos affaires et vous instruire pleinement des miennes. Mais la difficulté des chemins, la rigueur de la saison, les soins ordinaires de mon diocèse et certaines raisons qui tiennent à la situation présente de vos affaires m'ont empêché jusqu'ici de satisfaire mon désir et m'en empêchent encore en ce moment. Mais enfin dois-je renoncer en. tous points à contenter un désir aussi juste et aussi raisonnable parce que je ne puis le faire qu'en partie? Sien certainement non : voilà pourquoi je vous envoie le vénérable Hugues, archidiacre de Toul, pour me consoler du moins de ne pouvoir satisfaire entièrement le désir que je nourris depuis si longtemps et pour adoucir la peine que je ressens de cette impossibilité. Il n'est personne au monde de plus dévoué, plus zélé et plus éclairé que cet ecclésiastique, personne qui soit plus capable de vous instruire de ce qu'il a ordre de vous mander de ma part, et de me rapporter ce qu'il vous plaira de le charger pour moi. Je vous prie donc instamment de vouloir bien me faire savoir vos desseins, l'état de votre santé, la disposition de la cour de Rome, enfin les succès que Dieu peut accorder à l'Eglise dans la lutte qu'elle soutient contre la fureur opiniâtre mais inutile des schismatiques.

 

a Je ne sais s'il est question ici de l'oncle de Bernard, nommé André, chevalier du Temple, et à qui est adressée la lettre deux cent quatre-vingt-huitième ; ou bien de son frère, religieux de Clairvaux, le même peut-être que celui dont il est parlé dans la cent quatre-vingt-quatrième lettre; ou enfin d'André de Baudiment, cité dans la lettre deux cent vingt-sixième, n. 2 Peut-être l'endroit du rendez-vous indiqué ici est-il le même que celui que saint Bernard céda depuis aux religieux de Prémontré, comme on le voit par la lettre deux cent cinquante-deuxième.

b C'est le même que le primicier de Metz à qui est adressée la trentième lettre; il devint archevêque de Trèves. Hugues Métellus lui écrivit en ces termes,lettre sixième: «Au vénérable Albéron, évêque de Trêves. Vous avez été fait légat de Saint Pierre, ce titre augmente encore votre dignité et votre puissance ; » et, dans sa lettre trentième, il l'appelle « l'Archange de Trèves. »

 

2. Pour ce qui est de l'Église d'en deçà des monts, tant en France que dans nos contrées, vous pouvez être sûr qu'elle est ferme dans la foi,, calme dans l'unité, soumise à votre autorité, et toute dévouée à votre service. Par la grâce de Dieu, la perte de Bénévent, de Capoue et de Rome même ne nous a point ébranlés; nous savons bien que ce n'est pas le triomphe des armes, mais la grandeur de ses vertus qui fait la force de l'Église ; c'est elle qui par le Prophète a dit autrefois : « Quand même de nombreuses armées se lèveraient pour m'accabler, je n'en serais pas émue, et les attaques dirigées contre moi ne font que redoubler ma confiance (Psalm. XXVI, 3). » Par la même raison, nous qui sommes membres de l'Église, nous demeurons calmes au milieu de l'agitation de la terre entière, et nous voyons sans émotion les montagnes mêmes se précipiter au milieu des flots. Le tyran de Sicile peut se glorifier tant qu'il lui plaira de ses succès impies et de son injuste triomphe, pour nous, notre vertu se perfectionne dans sa propre faiblesse. L'Église a appris de saint Paul qu'elle se fortifie à mesure qu'elle parait s'affaiblir davantage; et de Salomon, qu'au contraire la prospérité des insensés est la cause de leur ruine, et que le méchant n'est pas loin de maudire son triomphe quand il se croit plus affermi que jamais. Voilà pourquoi elle se réjouit en même temps avec David de la perte de ses ennemis et de ses propres victoires : « Les uns, dit-elle, mettent toutes leurs espérances dans leur cavalerie et dans leurs chars de guerre; pour moi, je n'ai d'espoir que dans le nom du Seigneur mon Dieu que j'invoque; ils ont été pris et taillés en pièces, et moi je me suis relevée, et j'ai repris courage (Psalm. XIX, 8). » Il m'a semblé que je devais, pour vous consoler des tristes nouvelles que j'ai apprises, vous écrire ces quelques mots et vous donner par un fidèle intermédiaire quelques assurances propres à vous soulager un peu du poids de la sollicitude de toutes les Eglises qui pèse sur vous. Au reste, je puis vous annoncer que l'empereur notre maître se prépare avec ardeur à voler à la tête d'une nombreuse armée au secours de l'Église, tandis que de mon côté je f ais tous mes efforts pour engager le plus de monde possible dans cette guerre. Je me sens disposé à sacrifier pour votre cause, mes biens et ma personne elle-même, au besoin.

 

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LETTRE CLXXVII AU MÊME PAPE, AU NOM DU MÊME ARCHEVÊQUE.

 

L’an 1139

 

Albéron se plaint de la charge pastorale et de l'appui que trouvent dans le pape Innocent les personnes mal intentionnées qui l'empêchent de remplir son devoir.

 

1. Très-saint Père, je ne vous ai pas demandé à être fait évêque, et si jamais j'avais ambitionné un évêché, ce n'eût certainement pas été celui de Trèves, car je connaissais l'humeur indocile et farouche du peuple de ces contrées et ne me sentais que de l'antipathie pour cette population séditieuse et remuante, constamment révoltée contre l'Eglise. Si j'ai rendu autrefois quelques services à ce diocèse, je suis loin de le regretter, mais ce n'a pas été dans la pensée, encore moins dans l'espérance d'arriver à le gouverner un jour. Le bien que j'y ai fait avec le plus entier dévouement était si étranger à toute vue intéressée que, loin de regarder l'archevêché de Trèves comme la récompense de mes travaux,,j'attribue à mes péchés le malheur d'y avoir été appelé, tant la population en est mauvaise. Pour surcroît de chagrin, j'ai pour suffragants de jeunes prélats a de qualité qui me font de l'opposition au lieu de seconder mes vues. Mais je m'arrête, j'aime mieux que vous appreniez par un autre que par moi, si vous ne les connaissez pas encore, la vie et les moeurs de ces prélats. On ne retrouve plus, hélas ! dans les évêchés suffragants de ce siège le moindre vestige d'ordre, de justice, d'honneur et de religion. Le devoir de ma charge m'oblige à vous signaler le mal, je me contente de l'indiquer en peu de mots, afin que votre sagesse y apporte remède elle-même, si elle ne me juge pas capable de le faire; je montrerai du moins ainsi que je suis un lieu plus qu'une ombre d'archevêque. Hélas, mieux aurait valu pour moi n'avoir jamais porté ce titre que d'avoir aujourd'hui la confusion de me voir déchargé des obligations qu'il impose.

2. Mais pourquoi vous occuperais-je        de ma personne ? Je veux souffrir l'affront qui m'est fait comme un coupable qui ne l'a que trop mérité. Je consens à être déconsidéré. aux yeux de mes ouailles, puisque j'ai frustré les espérances qu'elles avaient conçues de moi en me plaçant

 

a C'étaient Etienne, neveu da pape Callixte II, par sa sueur, nommé à l'évêché de Metz en 1120; Albéron, fils d'Arnoul, comte du Chesne, nommé évêque de Verdun en 1126, et Henri, fils de Théodoric, duc de Lorraine, nommé évêque de Toul en 1124. On dit beaucoup de bien de ces trois évêques. On peut voir pour ce qui concerne Etienne la Chronique des évêques de Metz, dans le Spicilège, tome VI; quant à Albéron, il est parlé de lui au tome XII; l'un et l'autre sont représentés toutefois comme ayant un peu trop aimé à faire la guerre. On trouve la plainte d'Albéron dans la lettre suivante.

 

à leur tête, et plutôt amoindri que relevé la dignité de ce Siège dont elles avaient cru que je réparerais les pertes. Quoique cette peine me soit très-sensible, je la supporterai sinon de bon coeur, du moins avec patience; je ne veux pour rien au monde m'écarter du lien de l'obéissance pour laquelle je déclare que je suis tout disposé à donner ma vie même s'il était nécessaire. Mais que Votre Sainteté daigne considérer que l'affront fait à celui qui n'est ce qu'il est que par Elle, remonte jusqu'à Vous, qu'on ne peut affaiblir mon autorité sans nuire à la votre, et que le mépris qu'on fait tomber sur moi rejaillit certainement sur Vous. J'aurais encore bien d'autres sujets de plainte à vous signaler, même contre Vous, mais je laisse le soin de s'en ouvrir plus en détail auprès de Vous, à la personne que je vous envoie et dont le zèle et la capacité me sont parfaitement connus. Je termine en vous informant que nous comptons parmi nous un certain nombre de faux frères auprès, desquels les émissaires des schismatiques trouvent chaque jour un accès de plus en plus facile, et les propositions du tyran de Sicile Un accueil plus favorable.

 

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