LET. CDXI-CDXVII
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LETTRE CDXI. A THOMAS, PRÉVÔT DE BÉVERLA *.

LETTRE CDXII.

LETTRE CDXIII. A L'ABBÉ RENAUD (a).

LETTRE CDXIV. AU MOINE ALARD, SUR LE MEME SUJET.

LETTRE CDXV. A UN HOMME QUI AVAIT MANQITÉ A SA PAROLE DONNÉE.

LETTRE CDXVI. A UN INCONNU.

LETTRE CDXVII. A L'ABBÉ DE SAINT-TRON.

CHARTE DE SAINT BERNARD POUR L'ABBAYE DE SAINT-TRON.

 

LETTRE CDXI. A THOMAS, PRÉVÔT DE BÉVERLA *.

 

Saint Bernard, dans celle lettre aussi douce que le miel, invite Thomas de Béverla à embrasser la vie religieuse, nonobstant tous les péchés de sa vie passée, et lui dit qu'il n'est rien au monde de préférable au bonheur d'une bonne conscience.

 

A son bien-aimé fils T..., Bernard, abbé de Clairvaux, salut et encouragement à courir au-devant de l'Epoux et de l'Epouse.

 

1. Quoique je n'aie pas l'avantage d'être connu de vous, je me permets de vous écrire pour céder aux instances d'Yves, votre ami, qui m'a fait part de tout le bien qu'il sait de vous, et aux suggestions pressantes de la charité qui croit tout le bien qu'elle apprend (I Cor., XIII, 7) et ne peut y demeurer indifférente ; elle l'est si peu, du moins en moi, après ce que j'ai entendu dire de vous, qu'elle veut que je vous écrive, que je vous exhorte même et que je prie Dieu pour vous; plaise au Ciel que la démarche qu'elle m'inspire ne soit pas perdue pour vous. Laissez-moi vous dire que ce qui me plaît et me charme dans ce qu'on rapporte de vous, ce n'est pas la noblesse de votre naissance, vos manières distinguées, la beauté de toute votre personne non plus que vos richesses et vos dignités; tous ces avantages ne brillent que dans la chair et ressemblent à la fleur des champs; mais c'est la vivacité de votre esprit, la candeur de votre âme, et par-dessus tout cet amour de la sainte pauvreté qui vient de naître dans votre âme, dit-on, au sein même de l'opulence; voilà les biens et les avantages dont je vous félicite et qui me font concevoir de vous de grandes espérances; fasse le Ciel qu'elles ne soient pas vaines ! Je voudrais que les anges pussent bientôt partager notre joie et fêter votre conversion dans les cieux comme ils sont heureux de célébrer celle des autres pécheurs. Que je m'estimerais heureux s'il m'était donné de cultiver de mes mains la fleur de votre jeunesse, de diriger une nature si distinguée, de la conserver pour Dieu comme un parfum d'un prix inestimable et de la lui offrir dans sa première pureté.

2. Peut-être me répondrez-vous que je nie hâte un peu trop de parler de parfums conservés dans leur pureté première, attendu qu'ils se trouvent aujourd'hui altérés par la mauvaise odeur d'une foule de crimes; que m'importe ? j'ai trop péché moi-même pour avoir horreur d'un pécheur, et je suis trop malade pour ne pas savoir compatir au mal des autres, si à ce prix je puis les gagner. D'ailleurs je n'ai point oublié le conseil de l'Apôtre : « Si vous êtes spirituel, ayez soin de relever celui qui est tombé, faites un retour sur vous-même et craignez d'être tenté comme il l'a été (Gal., VI, 1.») Comment voulez-vous que je compte pour quelque chose la grandeur de votre mal quand j'ai tant de fois éprouvé moi-même, dans mes langueurs mortelles, l'habileté et la charité du médecin qui doit vous soigner? De quelques vices que votre conscience soit flétrie et souillée, si grands qu'aient été les débordements de votre jeunesse, quand même vous auriez vieilli pendant de longues années dans l'ordure du péché comme la bête de somme sur sa litière, vous reviendrez, n'en doutez pas, net et blanc comme la neige, et vous retrouverez, comme l'aigle, une seconde jeunesse. En puis-je douter quand il est dit : « La grâce surabondera là même où le péché avait abondé (Rom., V, 20) ? et quand nous savons quel est cet excellent médecin qui guérit toutes nos infirmités et satisfait tous les désirs de notre coeur en nous comblant de ses biens (Psalm. CII, 3 et 5) ? »

3. La bonne conscience est un trésor inestimable, c'est. un bien plus doux et plus précieux que tous les biens du monde; il n'est pas de fortune plus solide et plus sûre, car une bonne conscience défie les coups du sort, brave les attaques des langues malveillantes, et n'a rien à craindre de ce qui ne s'attaque qu'au corps; la mort même pour elle est plutôt un triomphe qu'une défaite. Quel bien sur la terre peut-on lui comparer? Qu'est-ce que le monde, dans ses promesses flatteuses, peut offrir de pareil à ses partisans, que peut-il même promettre d'approchant aux insensés qu'il abuse? Sera-ce des domaines immenses, des palais grandioses, les plus hautes dignités de l'Eglise, des sceptres, des couronnes? Mais sans parler de ce qu'il en coûte de peines et de dangers pour se les procurer ou pour les conserver, la mort ne nous les enlèvera-t-elle pas tous d'un seul coup? « Ils se sont endormis au sein de l'opulence, dit le Psalmiste, et tous ces riches de la terre se sont trouvés les mains vides à leur réveil (Psalm. XXV, 6). » Il n'en est pas ainsi de la bonne conscience, c'est un trésor qui gagne en vieillissant, une plante que le souffle brûlant des épreuves ne peut dessécher, et même sous la faux de la mort elle refleurit au lieu de se faner. La bonne conscience nous réjouit pendant la vie, nous console à nos derniers moments et nous fait revivre après la mort, et revivre d'une vie éternelle. Mais pourquoi perdre le temps en paroles quand j'ai des faits à donner à l'appui de ce que j'avance? Il ne dépend que de vous de voir si je dis la vérité et si je vous promets de véritables richesses ; venez et mettez-vous à l'œuvre pour tenter l'expérience. Avec quel empressement n'irai-je point au-devant de vous les mains pleines du pain du Prophète pour vous recevoir dans votre fuite (Isa., XXI, 14)! L'enfant prodigue n'aura point reçu de plus doux embrassements que ceux qui vous attendent ici ; je m'empresserai de vous rendre votre première robe d'innocence, de remettre à votre doigt l'anneau qu'il a cessé de porter, en m'écriant : « Mon fils était mort, et le voilà ressuscité; il était perdu, et je l'ai retrouvé (Luc., XV, 24) ! »

 

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LETTRE CDXII.

 

Au jeune T..... qui avait fait voeu d'entrer en religion.

 

1. Pour vous parler simplement, je vous rappellerai que l'homme est un animal raisonnable et mortel; il doit le premier de ces attributs à la bonté du Créateur, et le second au péché: si l'un nous égale aux anges, l'autre nous rend semblables aux bêtes; mais la crainte de la mort et le prix de la raison doivent également concourir à nous faire rechercher le Seigneur. Souvenez-vous de la parole que vous m'avez donnée, je viens vous sommer de la tenir, parce qu'il en est temps. Vous vous effrayez sans raison, laissez là toutes vos craintes; servir Dieu est moins un fardeau qu'un honneur. Je ne saurais vous accorder un plus long délai; car, en même temps qu'il n'est rien de plus certain que la mort, il n'est rien non plus qui le soit moins que l'heure où elle arrivera. Peut être me répondrez-vous que vous êtes à la fleur de l'âge ; et moi je vous dirai que souvent une main violente ou le souffle de la tempête fait tomber de l'arbre le fruit encore vert. Si vous m'alléguez votre fraîcheur et votre beauté : « Mon bel enfant, vous dirai je avec le poète, ne vous fiez pas trop à la couleur; on dédaigne le blanc troëne pour la noire airelle (Virg., Buc., II, V, 17 et 18). » Sortez, sortez avec Joseph de la maison de Pharaon; la gloire du monde vous retient? abandonnez votre manteau entre les mains de cette Egyptienne; quittez votre pays et votre famille, oubliez votre patrie et la maison de votre père, si vous voulez que le Roi fies rois soit charmé de vos attraits. Ce ne fut ni parmi ses proches ni parmi ses amis qu'on retrouva l'enfant Jésus; pour aller à sa recherche, vous devez donc aussi quitter la maison paternelle, de même qu'il a laissé le sein de son père et le haut des cieux pour venir à notre rencontre. Aussi, voyez la Chananéenne, elle s'est éloignée des frontières de son pays et elle trouve Celui à qui elle adresse ses supplications- « Fils de David, ayez pitié de moi (Matth., XV, 28), » et elle a le bonheur d'entendre aussitôt cette réponse pleine de bonté: «Femme, votre foi est grande! qu'il vous soit fait comme vous le désirez.

2. Satan peut être en opposition avec lui-même, mais l'Esprit de vérité ne saurait se contredire. Or c'est lui, je crois, qui vous a inspiré la pensée de salut dont vous m'avez fait part, gardez-vous bien de vous détourner de la droite voie qui doit vous conduire à Clairvaux, selon votre promesse. C'est l'avis que je vous donne en deux mots et en secret par notre ami Girard, mon fils bien-aimé. Ne cherchez plus de prétexte pour ajourner et ne me parlez plus de vos études à poursuivre. Si vous avez encore besoin d'aller à l'école, le Maître vous appelle, et vous savez qu'il possède tous les trésors de la science; c'est lui qui enseigne à l'homme tout ce qu'il sait et même rend les enfants éloquents; s'il leur ouvre l'intelligence, personne ne peut la fermer, et s'il la ferme, nul ne saurait l'ouvrir.

 

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LETTRE CDXIII. A L'ABBÉ RENAUD (a).

 

Saint Bernard le prie de faire bon accueil à un novice qu'il lui renvoie dans de bonnes dispositions.

 

Au seigneur abbé Renaud, le frère Bernard, salut et toutes les grâces qu’il désire pour lui-même.

 

J'approuve la prudence avec laquelle vous avez su ménager le religieux dans l'intérêt du novice, et j'admire avec quelle patience et quelle humilité vous avez supporté le violent outrage qui vous a été fait; mais ce que je place infiniment au-dessus de tout cela, c'est la charité qui, ne vous permettant pas d'achever le roseau à moitié brisé, vous a suggéré la pensée de porter ce religieux à me consulter. C'est ainsi que vous réunissez l'humilité à la prudence et la charité à l'humilité; vous épargnez un religieux insolent pour ne point décourager un novice que vous voyez ébranlé. Je l'ai raffermi autant que j'ai pu et je vous le renvoie disposé, je crois, à vous faire toutes les réparations convenables pour les fautes dont on l'accuse; je vous conseille et vous supplie même, s'il est besoin, de le recevoir avec la bonté dont vous avez déjà donné une preuve si évidente, et d'amener, s'il est possible, le religieux en question à changer de sentiment. Je lui écris dans le même sens. Adieu.

 

a Abbé de Poigny, je pense, et le même que celui à qui sont adressées les lettres soixante. douzième et suivantes.

 

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LETTRE CDXIV. AU MOINE ALARD, SUR LE MEME SUJET.

 

Saint Bernard le blâme de s'opposer opiniâtrement à la rentrée du novice dont il vient d'être parlé, quoiqu'il soit disposé à revenir et à se corriger.

 

A son cher fils Alard, le frère Bernard, salut et paternelle affection,

 

1. Le frère Adémare se plaint que vous vous montrez bien rigoureux pour lui, et qu'après l'avoir fait renvoyer du couvent vous vous opposez maintenant à ce qu'il y soit reçu de nouveau. Je veux bien croire que vous n'avez agi dans toute cette affaire que par le zèle le plus pur; mais comme d'un autre côté je n'ai pas perdu le souvenir de cette opiniâtreté que notre amitié mutuelle m'a donné le droit de vous reprocher bien souvent, je crains que votre zèle ne soit pas selon la science. En effet, pour me servir des propres paroles de la règle, n'est-ce point pousser la hardiesse un peu loin que de se permettre non-seulement de battre et d'excommunier ensuite, mais encore d'expulser un religieux. en l'absence et à l'insu de l'abbé (Reg. S. Ben., cap. 70) ? L'humilité vous faisait un devoir de ne pas faire aux autres ce que vous ne voudriez point qu'on vous fît à vous-même, et le soin de votre perfection devait plutôt vous porter à imiter la conduite de l'Apôtre qui nous dit: «Je suis devenu faible avec les faibles afin de les gagner (I Cor., IX, 22),» et qui ajoute dans un autre endroit : « Vous qui êtes spirituels, vous devez avoir soin de relever dans un esprit de douceur celui qui a failli, en faisant réflexion que vous pourriez bien être aussi tentés à votre tour (Gal., VI, 1). » Vous me répondrez peut-être que c'est le prieur et non vous qui l'avez expulsé: je le sais; mais il n'a agi que d'après vos conseils et pour céder à vos instances. J'apprends même,que présentement tandis que le prieur, touché de compassion, se montre disposé à le rappeler, vous êtes assez dur pour l'empêcher de réparer un excès de pouvoir dont vous êtes la cause. Je me demande comment vous pouvez sans trembler vous montrer seul inexorable, quand toute la communauté attendrie et votre abbé lui-même sont disposés à lui rouvrir les portes du monastère; avez-vous donc oublié ces paroles : «On jugera sans pitié ceux qui se seront montrés sans miséricorde (Jacob, II, 13) ? » ou bien n'avez-vous conservé aucun souvenir de celles-ci : « On se servira pour vous de la même mesure que vous aurez employée pour les autres ( Matth., VII, 2)? Puis-je croire que vous ne comptiez plus pour rien la promesse faite aux gens miséricordieux qu'il leur sera fait miséricorde un jour ( Matth., V, 7). »

2. Vous ignorez sans doute, me direz-vous, les raisons qui?ont motivé son expulsion. A cela je réponds que je ne demande pas si elles sont bonnes ou mauvaises, ce n'est pas ce qui m'occupe; ce dont je me plains, ce que je vous reproche et trouve on ne peut plus étrange, c'est que vous refusiez de pardonner à un religieux qui reconnaît humblement sa faute, qui demande avec persévérance à rentrer dans son monastère, qui souffre toute sorte d'épreuves avec patience et promet de se corriger quand l'Apôtre veut qu'on redouble de charité pour lui (II Cor., II, 8), et saint Benoit, notre législateur, qu'on l'éprouve de nouveau avec une grande patience (S. Ben., in Reg., cap. 58). Après tout, si c'est à tort qu'on l'a chassé il n'est que trop juste qu'on le rappelle; et si c'est avec raison, la charité veut encore qu'on le reçoive. Voilà pourquoi, sans même vouloir aller au fond de toute cette affaire, je suis sûr que mon conseil est bon et que vous pouvez le suivre sans inconvénient; car, soit que vous le receviez par un sentiment de justice ou par un mouvement de miséricorde, vous êtes toujours certain d'agir en union avec le Dieu souverainement miséricordieux et juste. Veuillez donc, mon cher fils, ne pas refuser à mes prières que ce religieux est venu solliciter si loin, une grâce que vous n'avez pas jugé à propos d'accorder aux siennes.

 

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LETTRE CDXV. A UN HOMME QUI AVAIT MANQITÉ A SA PAROLE DONNÉE.

 

Saint Bernard engage cet homme à secouer le joug des voluptés charnelles et à tenir sa promesse d'entrer en religion.

 

Si vous vous oubliez, moi je ne vous oublie pas, je vous aime trop pour cela, mais aussi plus mon affection pour vous est grande, plus la peine que vous me faites est profonde. Ainsi je vous aune trop pour ne point être affligé, et ma douleur est trop vive pour me permettre de vous oublier. Hélas ! combien votre souvenir est triste et amer à mon coeur ! Je me demandais ce qui pouvait vous empêcher de venir suivant votre promesse, et me disais que vous ne pouviez manquer à votre parole, Dieu sait quelle parole ! sans de très-sérieuses et très-puissantes raisons; car je n'ai pas oublié combien vous vous montriez véridique en vos discours et fidèle à vos engagements quand vous étiez plus jeune. Je ne m'étais pas trompé; la raison qui vous arrête est en effet des plus graves et des plus sérieuses, puisque ce n'est rien moins que ce qui a vaincu David malgré sa force et séduit Salomon en dépit de sa sagesse. Mais quoi ! celui qui a fait une chute ne se relèvera-t-il pas enfin? Que de choses importantes j'aurais à vous dire ! mais le peu d'étendue d'une lettre ne me permet pas de vous les écrire. Pour abréger, je vous dirai en deux mots:  Si vous avez conservé quelque étincelle de votre ancienne affection et si vous nourrissez encore une ombre d'espérance de finir par vous soustraire à l'affreuse captivité ou vous gémissez maintenant, enfin si vous ne voulez point rendre inutile la confiance que jusque dans vos désordres vous avez, dit-on, conservée en mes prières et dans celles de nos religieux qui vous portent tous dans leur coeur, ne différez pas davantage de revenir à Clairvaux, si toutefois vous êtes encore assez libre et assez maître de vous-même pour oser vous éloigner pendant quelque temps de la bête, cruelle qui en veut à vos vrais biens et ne songe tous les jours qu'à dévorer votre âme. Autrement il n'y aura plus désormais d'amitié fraternelle entre nous, et c'est en vain que vous vous flatterez de votre liaison avec les gens de bien; il est évident que vous vous rendez indigne de leur amitié en refusant de suivre leurs conseils. Si vous venez sans retard, j'espère que, par un effet de la miséricorde de Dieu, vous ne nous quitterez pas sans avoir brisé vos chaînes.

 

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LETTRE CDXVI. A UN INCONNU.

 

Saint Bernard lui assure qu'il n'a point été chargé de distribuer les aumônes du comte Thibaut.

 

Les mots piquants dont vos lettres sont pleines depuis quelque temps me font croire que vous êtes indisposé contre moi. J'ai cru d'abord que c'était en forme de plaisanterie, comme vous le faisiez bien souvent, et non pas sérieusement que vous m'écriviez ainsi; mais un religieux de vos contrées qui vint ici par hasard m'a fait voir mon erreur. Il n'avait aucune connaissance de ce que vous m'écriviez jusqu'à ce que je lui en eusse dit quelques mots, il me fit alors remarquer le véritable mens de vos lettres, et ce qu'il m'a dit ne me permet plus de douter qu'en effet vous me soupçonnez d'avoir été pour quelque chose dans la distribution des aumônes du comte de Champagne et d'avoir dans cette circonstance fait tort à mes amis absents. Cela vient de ce que vous croyez que les largesses du comte passent par mes mains. Il faut ne connaître ni le comte ni moi pour penser qu'il se gouverne ou dispense ses aumônes d'après mes conseils; car personne n'ignore qu'il n'en est absolument rien. Bien plus, m'étant permis de le solliciter presque jusqu'à en devenir importun, non-seulement pour quelques monastères, mais particulièrement encore pour l'évêque même au sujet duquel vous m'écrivez en termes si piquants, car je ne veux pas croire que vous me parliez ainsi pour vous-même, j'ai complètement échoué. Le comte veut faire ses aumônes lui-même à qui, et comme il l'entend. Il les fait quelquefois en ma présence, mais ce n'est point par mes mains, ce dont je suis d'ailleurs loin de me plaindre. Peut-être aurais-je pu tirer de lui quelque chose pour moi, si je l'avais voulu; mais, grâce à Dieu, non-seulement je ne l'ai pas tenté, mais j'ai même refusé ce qu'il m'a offert. A présent si vous voulez, vous vous en rapporterez à moi plutôt qu'à la rumeur publique; je ne vois plus quels motifs vous auriez de nous croire indignes, l'évêque et moi, des bontés que vous avez toujours eues pour nous jusqu'à présent. Au reste, soyez bien persuadé que je me verrai privé sans peine de tout ce dont vous ne me jugeriez pas digne.

 

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LETTRE CDXVII. A L'ABBÉ DE SAINT-TRON.

 

Saint Bernard le prie de recevoir avec charité un religieux nommé Dodon.

 

A son très-cher frère et co-abbé G..., de Saint-Tron, le frère Bernard de Clairvaux, salut en Notre-Seigneur.

 

Voici quelle est mon opinion ou plutôt ma réponse sur le cas de conscience que le frère Dodon est venu soumettre à mon humble jugement. Comme il n'a pu m'alléguer de bons motifs pour quitter son monastère et passer dans un autre ordre, il ne me semble pas qu'il y ait lieu de l'autoriser à le faire. Son scrupule ne repose que sur un premier veau fait un peu à la légère et qui n'a jamais pu être qu'un mot sans conséquence ; un tel voeu ne saurait l'emporter sur celui qu'il a fait depuis, non plus en l'air, mais avec réflexion, comme le prouvent l'habit qu'il a reçu et la profession religieuse qu'il a faite. D'ailleurs le premier voeu: ne me paraît ni plus austère ni plus parfait que le second. Je pense donc qu'ayant à rendre compte un jour de son âme à Dieu, vous ne sauriez en sûreté de conscience lui accorder la permission qu'il vous demande, car vous savez qu'il est écrit: «Le Seigneur met au nombre des pécheurs ceux qui consentent à leur iniquité (Psalm. CXXVI, 5). » Je vous engage donc à recevoir ce religieux avec bonté, puisqu'il est votre enfant, et à veiller sur le dépôt de son âme qui vous a été confié; je le crois d'ailleurs disposé maintenant à suivre vos conseils et à se soumettre avec docilité à tout ce que vous lui prescrirez de faire.

 

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CHARTE DE SAINT BERNARD POUR L'ABBAYE DE SAINT-TRON.

 

A tous ceux qui liront cette charte, Bernard, abbé de Clairvaux, salut.

 

L'abbé (a) de Saint-Tron et Baudouin de Wass se rendaient à Rome pour y faire juger leur différend, quand ils se sont arrêtés à Clairvaux. Après avoir entendu l'exposé de leur affaire, j'ai voulu leur épargner les fatigues et les dépenses de ce voyage, et, avec la grâce de Dieu, je les ai réconciliés et leur ai fait accepter l'arrangement que voici: L'abbaye de Saint-Trop gardera à perpétuité, en vertu de ses privilèges, les paroisses de Werrebroëcket de Saleghem avec tous les droits qui s'ensuivent, et, paiera à Baudouin le jour de la Saint-Remi, une rente annuelle de vingt sous d'or; de son côté Baudouin renonce sur ma demande, aux droits d'offrandes qu'il possède dans l'abbaye de Saint-Tron. Cet arrangement a été sanctionné par l'évêque de Tournai.

 

a C'était Gosvin qui à cette époque était abbé de Saint-Trop, près de Gand. C'est dans un manuscrit de cette abbaye que nous avons trouvé cette charte de saint Bernard.

 

 

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