LET. CDXVIII-CDXX
Précédente ] Accueil ] Remonter ] Suivante ]

Accueil
Remonter
LET. I
LET. II
LET.  III
LET. IV
LET. V
LET. VI
LET. VII
LET. VIII
LET. IX-X
LET. XI-XII
LET. XIII-XIX
LET. XX-XXI
LET. XXII
LET. XXIII-XXXII
LET. XXXIII-XLI
LET.  XLII-XLVII
LET.  XLVIII-LIV
LET. LV-LVII
LET. LVIII-LXIV
LET. LXV-LXVIII
LET. LXIX-LXXIV
LET. LXXV-LXXVII
LET. LXXVIII
LET. LXXIX-LXXX
LET. LXXXI-LXXXIV
LET. LXXXV-LXXXVI
LET. LXXXVII
LET. LXXXVIII-LXXXIX
LET. XC-XCII
LET. XCIII-XCV
LET. XCVI-XCIX
LET. C-CII
LET. CIII-CVIII
LET. CIX-CXIV
LET. CXV-CXXI
LET. CXXII-CXXV
LET. CXXVI-CXXVIII
LET. CXXIX-CXXXI
LET. CXXXII-CXXXVIII
LET. CXXXIX-CXLI
LET. CXLII-CXLVI
LET. CXLVII-CL
LET. CLI-CLVII
LET. CLVIII-CLXIII
LET. CLXIV-CLXIX
LET. CLXX-CLXXVII
LET. CLXXVIII-CLXXX
LET. CLXXXI-CLXXXVI
LET. CLXXXVII-CXCIV
LET. CXCV-CCVI
LET. CCVII-CCIX
LET. CCX-CCXVIII
LET. CCXIX
LET. CCXX-CCXXI
LET. CCXXII-CCXXIV
LET. CCXXV-CCXXVII
LET. CCXXVIII-CCXXIX
LET. CCXXX-CCXXXVI
LET. CCXXXVII-CCXLI
LET. CCXLII-CCXLIV
LET. CCXLIV-CCXLVIII
LET. CCL-CCLIII
LET. CCLIV-CCLV
LET. CCLVI-CCLX
LET. CCLXI-CCLXX
LET. CCLXXI
LET. CCLXXII-CCLXXIII
LET. CCLXXIV-CCLXXVIII
LET. CCLXXIX-CCLXXXII
LET. CCLXXXIII-CCLXXXVIII
LET. CCLXXXIX-CCXCVI
LET. CCXCVII-CCCI
LET. CCCII-CCCX
LET. CCCXI-CCCXX
LET. CCCXXI-CCCXXIX
LET. CCCXXX-CCCXXXVIII
LET. CCCXXXIX-CCCXLV
LET. CCCXLVI-CCCLIX
LET. CCCLX-CCCLXIII
COMMENDES
LET. CCCLXIV-CCCLXVI
LET. CCCLXVII-CCCLXXI
LET. CCCLXXII-CCCLXXXI
LET. CCCLXXXII-CCCLXXXV
LET. CCCLXXXVI-CCCLXXXIX
LET. CCCXC-CCCXCI
LET. CCCXCII-CCCXCVIII
LET. CCCXCIX-CDIV
LET. CDV-CDX
LET. CDXI-CDXVII
LET. CDXVIII-CDXX
LET. CDXXI-CDXXXI
LET. CDXXXII- CDXXXVIII
LET. CDXXXIX-CDXLI
LET. CDXLII-CDXLIV

APPENDICE DES LETTRES DE SAINT BERNARD.

LETTRE CDXVIII. A DES PERSONNES NOUVELLEMENT CONVERTIES (b).

LETTRE CDXIX. A ALPHONSE, ROI DE Portugal (a).

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CDXX (a). A JEAN CIRITA.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

APPENDICE DES LETTRES DE SAINT BERNARD.

 

On trouvera dans cet appendice quelques lettres douteuses ou apocryphes de saint Bernard; plusieurs de celles que Nicolas de Clairvaux écrivit sous le nom de notre Saint; des chartes ou lettres de saint Bernard sur des choses purement civiles; des lettres que différentes personnes lui écrivirent, et plusieurs autres pièces qui ont paru de nature à rendre plus facile l'intelligence des lettres de notre saint Docteur. Tout ce que contient cet appendice est pris dans les éditions précédentes et dans les manuscrits des Oeuvres de saint Bernard.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXVIII. A DES PERSONNES NOUVELLEMENT CONVERTIES (b).

 

L'auteur. de celle lettre les exhorte à persévérer dans leur intention d'embrasser la vie religieuse et à ne pas renoncer à ce pieux dessein à cause des péchés de leur vie passée.

 

1. Mon coeur a tressailli d'aise dans le Seigneur et mon âme s'est sentie inondée de joie quand j'ai appris la bonne nouvelle qui vous

 

b Quoique cette lettre soit pleine de piété, elle est d'un style trop tourmenté et trop recherché pour être de saint Bernard; d'ailleurs elle renferme plusieurs pensées qui ne semblent pas convenir à notre saint Docteur. Nous avons trouvé cette lettre dans un manuscrit du Vatican portant le n. 663, où elle n'est pas placée avec tes autres lettres, mais après une homélie de saint Bernard sur le mépris du monde, avec ce titre : Lettre de consolations par le même auteur. Nous nous sommes servi de ce manuscrit pour corriger, quelques endroits fautifs de cette lettre. Peut-être est-elle une de celles que les secrétaires de saint Bernard ont écrites par son ordre, mais non point sous sa dictée.

 

concerne et su que le Seigneur, qui vous a distingués du reste des hommes dans sa prescience éternelle, vous a prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils et vous a enfin appelés pour vous justifier en ce monde afin de vous couronner en l'autre. Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour avoir fait luire sa lumière dans vos coeurs. Pleins de mépris désormais pour les vanités et les folies du monde, vous n'aspirez plus du fond de vos âmes qu'à vous glorifier dans l'espérance de la gloire promise aux enfants de Dieu, et vous préférez être les derniers dans la maison du Seigneur plutôt que de demeurer dans la tente des pécheurs. Que Dieu même, qui vous a suggéré cette excellente pensée, la fortifie dans vos coeurs et ne permette pas . à l'antique ennemi du genre humain de confondre vos pieux desseins ou de vous confondre avec eux. Or il les confondrait s'il parvenait main-. tenant à rallumer dans vos âmes le vain et fol amour du siècle et à vous plonger de nouveau dans les désirs de la chair; il vous confondrait avec eux, au contraire, si, au moment même d'entrer en religion, le monde avec ses attraits enchanteurs vous ramenait sur vos pas pour vivre encore selon les maximes de la chair au lieu de suivre celles de l'esprit. On voit bien des gens qui, sur le point de dire adieu au monde, sentent redoubler leur attachement pour lui, et, permettez-moi de le dire sans vouloir blesser personne, préfèrent la vie de ceux qui s'inquiètent beaucoup plus de la santé de leur corps que de celle de leur âme. Sans doute ils ne s'abandonnent plus à de honteux excès, mais ils aiment encore le vin, la bonne chair, et ne se refusent aucune superfluité dans le boire et le manger. Ils oublient, les malheureux, qu'il y a bien des choses qu'on doit s'interdire, quoiqu'elles ne soient point défendues, parce qu'elles sont contraires à l'esprit de pénitence.

2. Voilà pourquoi, mes frères bien-aimés, je vous engage à recourir à Celui qui accomplit ce que la loi ancienne avec toute ses observances était incapable de faire, parce qu'elle était affaiblie par la chair; il se servit du péché même dont il fut la victime pour condamner le péché dans notre corps et pour accomplir la justice de la loi dans ceux qui ne vivent pas d'une manière charnelle (Rom., VIII, 3 et 4), car nous devons croire si, ou plutôt, parce que l'Apôtre ne nous trompe pas, que et ceux qui, dans le siècle ou sous l'habit religieux, vivent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu (Rom., VIII, 8). » On ne peut nier, en effet, que celui qui se fait un Dieu de son ventre, non-seulement ne fait point de progrès vers la perfection, mais s'en éloigne en effet beaucoup. Oui, vous redirai-je encore, recourez à Jésus-Christ Notre-Seigneur qui, voulant guérir nos âmes de leurs erreurs non moins que de la langueur qui les paralyse, a quitté le sanctuaire de son éternité pour venir habiter parmi nous, et, pendant qu'il était sur la terre, nous a tirés de notre engourdissement en mourant pour nous sur la croix, et nous a délivrés de nos erreurs par les leçons de sa morale en vivant de notre vie mortelle. Ainsi nous l'avons vu, ce Dieu qui ne saurait pécher et qui est le maître de toutes choses, préférer, aux vaines délices de la vie dont il pouvait jouir, s'il l'avait voulu, le dénuement volontaire d'une pauvreté telle qu'il n'avait pas eu même où reposer sa tête. Il poussa si loin le mépris de toutes choses et la soumission à son Père que, non content de renoncer aux vaines délices de la vie, il se renonça lui-même, ne demandant en toute occasion qu'à faire la volonté de sort Père et non la sienne; ainsi, celui qui était venu sur la terre pour ramener l'homme, du désert aride et brûlant où il errait à l'aventure, dans le droit chemin qui conduit au séjour de la patrie, ne crut pouvoir nous mieux indiquer cette voie, qu'en la frayant lui-même, sous nos yeux, par la pauvreté volontaire et l'obéissance jusqu'à la mort, à la volonté de son Père. Nous devons, à son exemple, fuir les délices de la vie et embrasser, de toutes les forces de notre être, les saintes pratiques de l'obéissance ; c'est la désobéissance qui nous a éloignés de Dieu; nous ne nous rapprocherons de lui que par la pratique de la vertu contraire.

3. Mais on dit quelquefois : A quoi bon mortifier la chair? ne sait-on pas que Dieu ne se complaît point dans les souffrances de ses créatures et qu'on peut se sauver dans le monde si on use des biens de la terre comme on doit le faire? Enfants des hommes, vous dirai je avec l'Apôtre, tu soyez dans les mêmes dispositions et dans les mêmes sentiments où se trouvait Jésus-Christ; ayant la forme et la nature de Dieu, il ne croyait pas que ce fût de sa part une usurpation de se faire égal à Dieu; néanmoins il s'est anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de l'esclave (Philipp., III, 2 et 3). » Si vous comprenez bien que tout Dieu qu'il fût et pouvant, s'il le voulait, prendre et montrer à tous les regards la forme divine qui lui appartient aussi bien qu'à son Père, il a mieux aimé s'en dépouiller et prendre celle de l'esclave dans le but non de déposer quelque chose d'usurpé, mais de confondre notre orgueil; si vous pensez de la sorte, vous vous sentirez à votre tour portés à lui sacrifier les jouissances passagères de la vie et à embrasser la pauvreté par reconnaissance envers celui qui, pour nous, s'est fait pauvre de riche qu'il était; en l'imitant, vous ne cesserez pas d'être ce que vous êtes, pour devenir ce que vous n'étiez pas auparavant, vous vous replacerez seulement dans l'état qui vous est propre; seulement, de pauvres que vous étiez par nature, vous le deviendrez par un acte de votre volonté.

4. Si donc, mes très-chers Frères, dans cette vallée de larmes et de misères vous êtes toujours de vrais chrétiens, il vous faut marcher sur les traces de votre chef. « Malheur, est-il dit, à ceux qui suivent deux voies en même temps (Eccli., II, 14) ! » C'est qu'en effet la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu, il est impossible également de goûter en même temps les consolations de la chair et celles de l'esprit; aussi se rendre esclave de la chair, la choyer et la nourrir, tout inutile qu'elle soit, au lieu de la sauver en la sacrifiant, c'est vouloir trouver insupportable le joug de la vie religieuse quelque doux et léger qu'il puisse être. Que résulte-t-il de là? C'est qu'on ne peut trouver le repos et la paix ni en ce monde, qui ne connaît que gémissements et que larmes, ni en l'autre, où l'on sera condamné aux pleurs et aux grincements de dents. Or, vous le savez, là où il n'y a pas de paix on ne peut espérer de trouver Dieu, puisqu'il est écrit « qu'il a choisi le séjour de la paix pour le lieu de sa demeure (Psalm. CXXV, 2). » Et cependant il est dit que le joug du Seigneur est doux et son fardeau léger (Matth., XI, 30); » mais quels sont ceux qui le trouvent ainsi? Ceux qui sont animés de son esprit et se conduisent par ses inspirations. Si vous me demandez encore quels sont ceux qui se conduisent ainsi ? Ils ne se trouvent pas parmi les esclaves de la chair, mais parmi les enfants de Dieu. Voulez-vous que je vous fasse leur portrait? L'esprit de Dieu, dont leurs membres sont les temples, fait mourir en eux les oeuvres de la chair (Rom., VIII, 13); ils ne sont plus leurs maîtres et ne vivent désormais que pour celui qui est mort et ressuscité pour eux, car ils ont été rachetés au prix énorme du précieux sang de Jésus-Christ. Aussi le portent-ils et le glorifient-ils dans leur corps ; car, non contents de le confesser devant Dieu, ils aiment à le confesser devant les hommes, parce qu'il a dit : « Je confesserai devant mon Père, quiconque me confessera devant les hommes (Matth., X, 32). »

5. Il faut donc confesser le Seigneur dans nos actions de grâces et par et nos oeuvres si nous voulons que Jésus-Christ nous confesse à son tour i,lie le jour où nous paraîtrons à son tribunal redoutable pour être jugés et pour recevoir la récompense que nous aurons méritée dans notre corps, ,selon que nous en aurons fait l'instrument de la justice ou de l’iniquité. Si vous voulez n'être point exclus de cette double confession par laquelle l'homme et Dieu se confessent l'un l'autre, ne vous répandez plus dans les choses extérieures, dans les folies et les vanités du monde; rentrez en vous-mêmes et dans votre coeur, c'est là que vous êtes sûrs de trouver le royaume de Dieu; car il est écrit qu'il se trouve au-dedans de vous (Luc., XVII, 2). Que faut-il entendre par là? Que le royaume de Dieu n'est autre que la volonté de l'homme qui se plie et se soumet librement à celle de Dieu, au point de ne vouloir rien qui lui déplaise,  rien même qui ne lui soit agréable. Commencez donc par chercher le royaume de Dieu, si vous voulez avoir une volonté saine et libre, purgée du poison mortel qu'elle a eu le malheur de prendre dans le monde; après cela, toutes les choses nécessaires à la vie matérielle vous seront données comme par surcroît. Pourquoi vous mettre tant en peine de votre corps qui est destiné aux vers? Songez bien plutôt à votre âme, qui a été faite à l'image de Dieu ; efforcez-vous de mériter qu'elle retrouve un jour les traits de sa première ressemblance, qu'elle contemple Dieu face à face dans sa gloire et qu'elle avance de clarté en clarté par l'illumination de l'esprit du Seigneur (II Cor., III, 18).

6. Je vous demande, mes frères, s'il y a rien au monde qui soit plus doux, plus agréable et plus saint que le corps de Jésus-Christ? et pourtant le Seigneur a dit à ses apôtres : « Si je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra pas à vous (Joan., XVI, 7). » Tant qu'ils eurent le bonheur de voir et d'entendre le Sauveur en personne, ils ne reçurent jamais le Saint-Esprit avec la plénitude de sa grâce, il ne leur était que promis : « Je ne vous l'enverrai, disait le Seigneur, que lorsque je serai remonté dans les cieux (Ibidem). » Aussi voyons-nous saint Pierre, qui avait renié le Sauveur à la voit d'une servante, quand son maître était vivant encore, plus tard, après l'ascension de Jésus-Christ, à la descente de l'Esprit-Saint, « s'en aller tout joyeux de la salle du conseil où les apôtres avaient été juges dignes de souffrir pour le nom de Jésus (Act., V, 41).

Il est évident par là que la vertu du Saint-Esprit est plus puissante et plus douce que le bonheur même de voir le Sauveur en personne. Si la satisfaction charnelle de jouir de la présence de ce bienheureux et adorable corps a pu tenir éloigné des apôtres le Saint-Esprit, sans lequel on ne peut aimer comme il faut ce qui est aimable, ni souffrir quoi que ce soit d'une manière profitable au salut, je vous laisse à penser si ceux qui recherchent encore les délices de la chair quand ils ont résolu d'entrer en religion sont assez insensés et assez malheureux. Quand on veut embrasser la vie religieuse, il ne faut point songer à la faiblesse de la chair pour y condescendre outre mesure, mais aux obstacles que rencontre la ferveur pour les éviter avec soin.

7. Hâtez-vous donc, mes frères, de devenir pauvres d'esprit et dénués de ressources, pour que le Seigneur prenne soin de vous. Il n'est de voie droite et sûre que celle de la pauvreté, mais de la pauvreté de choix et volontaire; s'il en existait une autre, le Christ n'aurait pas préféré celle-là. Il peut y en avoir d'autres qui soient bonnes aussi, mais elles sont infestées par les voleurs. Quant au chemin de la pauvreté volontaire, comme il est rude et difficile à gravir; il y a peu de voyageurs qui s'y engagent, et les voleurs se gardent bien d'aller s'y placer en embuscade, car ils n'ont guère pour habitude de hanter les routes peu fréquentées. Eh bien, je vous dis en vérité, or la vérité c'est Dieu même, et je vous le dis par expérience, plus la voie de la pauvreté paraît ardue et difficile dans le commencement, plus elle est douce et facile à mesure qu'on y avance. Il faut du courage pour s'y engager, mais on est payé ;t de sa peine dès qu'on y a fait quelques pas. Car sans compter la vie se, éternelle oïl elle conduit en droite ligne, elle procure dès maintenant au centuple; non-seulement des biens spirituels, mais même des biens temporels, pourvu que vous ne les recherchiez point. Car tels sont les biens de la terre, ils sont bons si on ne les aime pas, et mauvais dès qu'ils captivent le coeur. D'ailleurs, qu'on les aime ou non, ils ne valent toujours pas grand'chose, puisque leur fatale douceur finit souvent par captiver le coeur de ceux qui les possèdent. Qu'est-ce donc qui peut encore vous faire hésiter? Ce que vous laisserez dans le monde en le quittant est bien peu de chose; non-seulement vous vous débarrassez, par la pauvreté volontaire, du souci qui en accompagne la possession, mais vous acquérez à l'instant même le monde entier que vous possédez sans aucun des tourments de la propriété. En effet , tout vous appartient; le monde, la vie, la mort, le présent et l'avenir, tout est à vous. Oui, continue l'Apôtre, « tout est à vous, » et cela n'empêche pas qu'on ne puisse ajouter: « Mais vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu (I Cor., III, 23). » C'est-à-dire que, de même que le Sauveur glorifie son Père dans tout ce qu'il fait, ainsi cherchez, en toutes vos oeuvres, à procurer sa gloire.

8. Je vous demande de quoi vous pouvez avoir peur si vous glorifiez le Seigneur Jésus dans vos oeuvres; n'est-il pas le seul de qui dépende notre salut ou notre perte éternelle? S'il nous condamne a, son nom mérite encore d'être béni, car il ne nous condamne (a) que parce que nous l'avons mérité; mais s'il nous sauve, que son nom toujours soit glorifié; c'est que sa miséricorde a prévalu sur sa justice, car le Père lui a remis tout jugement entre les mains. Mais quel est celui qui prononcera notre condamnation ? Sera-ce Jésus-Christ? Sera-ce, dis-je, ce charitable et doux Jésus qui est mort pour nos péchés, qui est ressuscité pour notre justification et qui, maintenant, est assis à la droite de son Père où il intercède encore pour nous? Sur la terre, au milieu des fatigues

 

a Je ne pense pas que saint Bernard se fût exprimé ainsi, car il est certain que dans sa pensée, la damnation éternelle dans laquelle notre volonté, au lieu d'être d'accord avec celle de Dieu, se révoltera contre elle avec rage et opiniâtreté, n'est pas du nombre des choses que nous devions abandonner à la volonté de Dieu. La preuve que telle n'est pas sa manière de voir se trouve dans le n. 5 du vingt-cinquième sermon sur divers sujets, où il distingue très-clairement ce que nous pouvons demander à Dieu conditionnellement de ce que nous devons lui demander sans aucune condition. Or, clans cette dernière catégorie, il range la grâce que les théologiens appellent gratum faciens et la gloire éternelle. Il est vrai que dans sa lettre quarante-deuxième à Henri, archevêque de Sens, n. 13, il entend de la damnation mente éternelle, cet excès de charité qui fait souhaiter à Moïse d'être rayé du livre de vie, et à saint Paul, d'être anathème pour ses frères, tuais ni l'un ni l'autre n'entendaient pour cela perdre cette bonne conscience que ne possèdent plus les damnés dont il est question dans cette lettre.

 

de sa vie mortelle, et dans le ciel, au sein de son royaume, il n'a été et n'est encore consumé que d'un seul désir, celui de nous sauver; comment pourrait-il accueillir par une sentence de réprobation ceux qui se réfugient vers lui? Quelque accablant que soit le souvenir de mes iniquités, quelque affreuse que soit la honte de ma vie, sans me mettre en peine de ce que tout autre pourrait faire à ma place, pour moi, je ne cesserai de songer à la bonté du doux Seigneur Jésus, toujours les yeux de mon coeur seront fixés sur sa miséricorde, parce que je sais, et souvent même je l'ai éprouvé par ma propre expérience, que sa charité est plus puissante pour me consoler que mes iniquités ne le sont pour le contrister. Il est, dans sa bonté, plus prompt à pardonner que, dans ma perversité, je ne le suis à l'offenser. Je sais bien qu'il n'est pas d'iniquité comparable à la mienne; mais par contre il n'est pas non plus de douleur pareille à sa douleur. Si mes péchés ont dépassé toute mesure, pourquoi me découragerai-je? Celui en qui je respire n'a-t-il pas souffert outre mesure aussi pour moi? Mes crimes, par leur énormité, peuvent bien exciter la colère de Dieu contre moi, mais la satisfaction de son Fils est plus que suffisante pour l'apaiser, car l'innocent et doux agneau sur la croix souffre, en silence, comme le fait la brebis entre les mains de celui qui lui enlève sa toison, n'a point un mot de reproche à faire entendre contre ceux qui l'entourent et le maudissent, tandis qu'il trouve encore quelques douces paroles à adresser à ceux qui passent et jettent sur lui un regard de compassion; car c'est lui qui s'exprime en ces termes dans la sainte Ecriture . « O vous, qui passez le long de la route, regardez et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur (Thren., 1, 12). » voilà ce qu'il dit aux passants du haut ; de sa croix; mais d'où viennent ceux qui passent ainsi sous ses yeux? Ils viennent du monde, non pas avec le monde. Où vont-ils et quelle route suivent-ils en passant ainsi? Celle de la pauvreté, qui les conduit en,un moment aux trésors de l'éternelle félicité, a car le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une gloire incomparable et souveraine, si toutefois nous ne nous arrêtons pas à contempler les choses visibles et n'avons d'attention que pour les invisibles (II Cor., IV, 17 et 18). »

9. Si je vous parle de la sorte, ce n'est pas pour vous tranquilliser dans les douceurs du péché; vous savez bien que le Très-Haut et Jésus-Christ lui-même, s'ils ont pitié du pécheur repentant, n'en ont pas moins d'horreur du pécheur qui reste dans son péché. Or, si la pénitence est nécessaire, ou plutôt, comme elle vous est absolument indispensable, le Seigneur vous donne le temps et le lieu dont vous avez besoin pour la faire. En effet, peut-on voir un moment plus favorable que le temps présent, où, à défaut du martyre, le travail supporté pour Jésus-Christ vient aisément à bout de l'antique et astucieux ennemi du salut et triomphe sans peine de lui. Quant à l'endroit que nous vous offrons de partager avec nous, il ne s'en peut voir de plus convenable, sinon pour s'y livrer à la joie comme dans le monde, car dans ce séjour, les vieillards nous donnent par leurs discours, d'utiles et précieuses leçons que leurs exemples rendent encore plus utiles et plus précieuses, pour nous tirer du mal et nous porter au bien. Je prie le Dieu de toute miséricorde et de toute consolation de vous faire embrasser la vie que nous menons, afin d'avoir part avec nous à ces consolations intérieures que vous pourrez bien sentir un jour, mais dont je ne saurais vous donner une juste idée par mes paroles. Adieu.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXIX. A ALPHONSE, ROI DE Portugal (a).

 

Alphonse, roi de Portugal, avait fait va;u de construire un monastère pour des religieux de Cîteaux, s'il remportait la victoire sur les Sarrasins; son voeu ayant été exaucé, il demanda des religieux à saint Bernard, qui lui en envoya.

 

Au très-chrétien et très-pieux Alphonse, roi de Portugal, Bernard, abbé de Clairvaux, ses très-humbles hommages.

 

Béni soit Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Dieu de toutes miséricordes et de toute consolation, de ce qu'il s'est souvenu de vous dans le danger et a éloigné le joug humiliant dont les Sarrasins vous menaçaient tous. Les murs de Jéricho se sont écroulés, la grande Babylone est tombée, Dieu a réduit en poudre les remparts de ses ennemis et a fait triompher son peuple. Nous avons connu cet heureux événement avant même qu'il fût arrivé, par une inspiration de l'Esprit-Saint qui souffle où il veut et n'a pas besoin du secours de la voix pour se faire entendre. Pendant que vos mains frappaient de l'épée, mes frères et moi, dans mon néant, nous étions prosternés aux pieds du Seigneur, lui demandant, pour vous, force et courage dans la lutte;

 

a Horstius a publié cette lettre et la suivante d'après le tome I des Annales du Portugais Bernard Briton qui l'a traduite du français, si nous l'en croyons, et publiée ainsi que d,autres lettres de la duchesse de Lorraine à saint Bernard avec les réponses de ce dernier. Mais nous aurions besoin d'un autre garant que lui de l'authenticité de ces lettres où l'on ne retrouve ni le génie ni le style, ni la modestie de notre saint Docteur. En fait de lettres authentiques de saint Bernard au roi de Portugal, nous ne connaissons que la trois cent huitième; Pierre, huitième abbé de Clairvaux, en écrivit également une au roi de ce pays, pour le remercier des secours qu'il avait accordés à ses religieux, dans un moment de grande détresse et du don qu'il leur avait fait du monastère de Castinéria. Voir Duchesne, tome IV, page480.

 

aussi notre coeur se trouva-t-il au comble du bonheur quand nous sûmes que nos iniquités n'avaient pas nui au succès de vos armes. J'ai appris aussi dans quels sentiments de haute piété vous avez fait voeu de fonder un monastère en l'honneur du Très-Haut, et je vous envoie ces religieux, mes enfants, que j'ai nourris pour le Christ, du lait de sa doctrine, depuis la fondation de notre propre monastère. Je les recommande à Votre Altesse, dont ils contribueront à accomplir les pieuses intentions: ils jetteront les premiers fondements de ce monastère, dont la durée et la sainteté rediront la gloire de votre règne aux siècles à venir et avec lequel vous partagerez en quelque sorte votre couronne, dont il recevra une partie des revenus. Que le Sauveur des hommes conserve Votre Majesté et la reine son illustre compagne, qu'il bénisse votre famille et vous fasse voir les enfants de vos enfants comblés de joie et de bonheur au sein de vos Etats.

 

Haut du document

 

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CDXIX.

 

223. Nous étions prosternés auprès du Seigneur lui demandant pour vous force et courage. —  On peut voir la chose rapportée tout au long dans Henriquez (In Fasci. lib. I, dist. 4, cap. 27.) et dans le ménologe, au 20 août, page 273, où il est dit que saint Bernard quoique se trouvant alors en France, élevait les mains vers le Ciel, comme un autre Moise, pendant que le roi Alphonse, tel qu'un autre Josué, donnait l'assaut, en Portugal, à la ville forte de Santarem occupée par les Sarrasins, et que saint Bernard assurait ainsi la victoire par le secours de ses prières, que frappé de sa réputation de sainteté, le roi Alphonse lui avait fait demander.

Ils jetteront les premiers fondements de ce monastère dont la durée et la sainteté rediront la gloire de votre règne... Prédiction remarquable dont nous avons vu l'accomplissement de nos jours. Ecoutons-en le récit de la bouche des historiens mêmes du pays. Voici en quels termes le Portugais Ange Manrique, théologien de l'ordre de Cîteaux, rapporte le fait.

« Ces paroles dont il recevra une partie des revenus se sont accomplies de nos jours; en effet, après la fin malheureuse de Sébastien qui mourut en Afrique, le cardinal Henri étant devenu roi de Portugal assigna une partie des revenus de l'abbaye d'Alcobaça à un de ses courtisans, et mourut peu de temps après sans laisser d'héritiers. Avec lui s'éteignit l'antique famille des rois de Portugal dont la succession échut au roi d'Espagne, Philippe II. Or, il y avait dans l'abbaye d'Alcobaça mille religieux qui chantaient jour et nuit les louanges de Dieu, ils se succédaient dix par dix au choeur de manière que le culte divin y fût perpétuel. En effet, les premiers ne quittaient le choeur qu'après avoir terminé le chant des Laudes et étaient remplacés par d'autres auxquels une troisième troupe succédait, et ainsi de suite, de sorte que le choeur n'était jamais vide. » Voilà comment Manrique explique l'accomplissement de la prophétie de saint Bernard dans sa Couronne Evangélique, et dans ses Annales. C'est de son récit que s'est inspiré Henriquez (In Fasci., lib., 1, dist. 4, cap. 27, et menol. 20. Aug.).

A ce sujet il me revient en mémoire un conseil ou plutôt une prophétie mémorable que j'ai lue dans la vie de saint Charles Borromée, concernant le même Henri, qui n'était encore que cardinal archevêque d'Evora, et je pense être agréable au lecteur en la rapportant ici. « A la mort de Sébastien, qui s'éteignit sans laisser d'enfant, le cardinal Henri, son oncle, monta sur le trône de Portugal.

«Les grands du royaume, les prélats et le peuple vinrent le supplier de prendre une femme, dans l'espérance que malgré son âge avancé il pourrait laisser un héritier du trône. A la raison d'état s'ajoutaient des motifs de piété et de religion, en laissant un héritier du trône après lui, il était sûr de prévenir les guerres et les malheurs qui ne pouvaient manquer à sa mort, de fondre sur le royaume. Henri, demanda donc au pape Grégoire, de le délier de ses voeux épiscopaux et de lui permettre de se marier, et il écrivit en même temps à l’archevêque de Milan, en lui disant que, forcé par le voeu des Portugais de songer à un mariage qui semblait promettre la paix et le bonheur au pays, il ne se rendait qu'avec peine à leurs désirs et se sacrifiait en songeant à les satisfaire, au salut de l'État et à l'intérêt public. Il terminait, en le priant d'user de toute son influence sur l'esprit du saint Père pour l'amener à lui accorder la dispense qu'il sollicitait. Les grands de la nation firent la même prière à saint Charles Borromée, en confiant cette grave affaire à son autorité.

« Saint Charles répondit au roi, son ami, non pas selon ce que celui-ci désirait, mais selon ce que le bien de l'Église semblait demander. Il est sans doute important pour les Portugais, disait-il, qu'ils aient, après le cardinal Henri, un successeur au trône dont les droits soient certains; mais permettre à un prélat de son rang de se marier pour atteindre ce but lui parait une chose des plus graves et jusqu'alors inouïe dans l'Eglise. Peut-être une personne consacrée à Dieu, dans un degré moins élevé, pourrait-elle être autorisée à contracter mariage, encore ce sentiment ne se trouve-t-il appuyé par aucun auteur digne d'être cité. D'ailleurs on n'a jamais vu le maintien de la paix publique et la succession au trône dépendre de semblables mariages, et les rendre désirables; au contraire, au lieu des avantages qu’on en attendrait il n'en pourrait résulter que de très-grands inconvénients, tant pour l'État que pour les particuliers. Quand on voit avec admiration de pieux rois, renoncer par amour de la pureté à l'usage d'un mariage même légitime, sans se mettre en peine de laisser après eux un héritier de leur couronne, comment penser que ceux qui ont fait voeu de célibat pourront après cela s'engager, sans offenser Dieu, dans les liens du mariage, auxquels ils ont renoncé? Il citait ensuite plusieurs exemples à l'appui de son sentiment et terminait en disant que dans un sujet de cette importance il ne, voyait rien de mieux à faire que d'exposer avec une entière simplicité, au souverain Pontife, toutes les causes qui font solliciter de lui une pareille dispense, et d'accepter ensuite de bon coeur la décision qu'il lui plaira de donner dans la plénitude de son autorité suprême et avec l'aide du Saint-Esprit. Il n'est personne qui ne sache quelle fut l'issue de cette affaire. »

Tel est le récit de Charles Biscapo, évêque de Novare, dans sa vie de saint Charles Borromée. (Note de Horstius.)

On trouve dans le Spicilège, tome VIII, un diplôme de Jean, roi de Portugal, qui donne en 1233 le monastère de Cesca à Menende, abbé d'Alcobaça. (Note de Mabillon.)

 

 

Haut du document

 

LETTRE CDXX (a). A JEAN CIRITA.

 

L'auteur de cette lettre ayant eu connaissance par une révélation divine du désir ardent que Jean Cirita nourrissait de fonder un monastère en Portugal, lui envoie des religieux pour l'aider dans celle entreprise.

 

A son vénérable frère, le compagnon de son exil et l'ami de Dieu, Jean Cirita, Bernard, abbé de Clairvaux, salut dans l'auteur de notre salut.

 

Le Père des miséricordes a et le Dieu de toute consolation,   qui ne veut pas que les pécheurs succombent et périssent sous le poids de leurs iniquités, m'a révélé que Votre Fraternité ne cessait dans ses prières d'implorer de la bonté divine le pardon de ses fautes. Pour répondre aux voeux ardents de votre âme, il m'a découvert que vos prières sont exaucées. Celui qui s'était réuni sur la route aux deux disciples d'Emmaüs, et qui m'a donné en vous un compagnon d'exil, m'inspire la pensée de vous envoyer quelques-uns de mes chers petits enfants, que j'ai nourris pour lui du lait de la doctrine évangélique, afin de vous mettre en état de fonder un monastère là où Dieu, dans sa miséricorde, doit vous manifester, par un signe certain, qu'il veut que vous en éleviez un. Il vous a choisi pour être parmi eux comme le porte-étendard et le chef de leur troupe, c'est vous qu'il destine à jeter les premiers fondements de cette oeuvre et à y mettre la main; alors vous la lui consacrerez sous le nom de son précurseur.

 

a Cette lettre commence à peu prés de même que la précédente et reproduit plus bas les mêmes expressions du lait de la doctrine évangélique. Ce que l'auteur de cette lettre dit du signe certain par lequel le Ciel doit indiquer à Jean de Cirita l'endroit oie il doit fonder un monastère, tue peut manquer de paraître bien éloigné du caractère et de l'esprit de saint Bernard.

 

Haut du document

 

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

 

LETTRE CDXX.

 

224. Il m'a découvert que vos prières étaient exaucées. —  Henriquez, dans sa vie de Jean de Cérita, raconte comment la chose se passa. Au mois de juin de l'année 1119, après les Laudes de la Vigile de la saint Jean Baptiste, saint Bernard étant resté en prière vit apparaître saint Jean Baptiste qui lui ordonna d'envoyer une colonie de religieux en Espagne pour y fonder un monastère à l'endroit que Dieu leur montrerait. C'est à la suite de cette vision, que saint Bernard fit choix de huit religieux nommés Boémond, Aubert, Jean, Bernard, Cisinande, Roland et Alain, pour les envoyer en Espagne après leur avoir fait connaître ce que Dieu demandait d'eux. Ils partirent donc et trouvèrent Jean Cérita qu'ils reconnurent à un signe que saint Bernard leu avait donné. Ce fut sous la conduite et avec la protection du roi qu'ils fondèrent l'abbaye de Saint-Jean de Tarouca. Voir Henriquet (Fasci., lib. I, dist. 19), et Manrique (Annal., ann. 1119, cap. 3). (Note de Horstius.)

 

 

Haut du document

 

Précédente Accueil Remonter Suivante