LET. CDXXI-CDXXXI
Précédente ] Accueil ] Remonter ] Suivante ]

Accueil
Remonter
LET. I
LET. II
LET.  III
LET. IV
LET. V
LET. VI
LET. VII
LET. VIII
LET. IX-X
LET. XI-XII
LET. XIII-XIX
LET. XX-XXI
LET. XXII
LET. XXIII-XXXII
LET. XXXIII-XLI
LET.  XLII-XLVII
LET.  XLVIII-LIV
LET. LV-LVII
LET. LVIII-LXIV
LET. LXV-LXVIII
LET. LXIX-LXXIV
LET. LXXV-LXXVII
LET. LXXVIII
LET. LXXIX-LXXX
LET. LXXXI-LXXXIV
LET. LXXXV-LXXXVI
LET. LXXXVII
LET. LXXXVIII-LXXXIX
LET. XC-XCII
LET. XCIII-XCV
LET. XCVI-XCIX
LET. C-CII
LET. CIII-CVIII
LET. CIX-CXIV
LET. CXV-CXXI
LET. CXXII-CXXV
LET. CXXVI-CXXVIII
LET. CXXIX-CXXXI
LET. CXXXII-CXXXVIII
LET. CXXXIX-CXLI
LET. CXLII-CXLVI
LET. CXLVII-CL
LET. CLI-CLVII
LET. CLVIII-CLXIII
LET. CLXIV-CLXIX
LET. CLXX-CLXXVII
LET. CLXXVIII-CLXXX
LET. CLXXXI-CLXXXVI
LET. CLXXXVII-CXCIV
LET. CXCV-CCVI
LET. CCVII-CCIX
LET. CCX-CCXVIII
LET. CCXIX
LET. CCXX-CCXXI
LET. CCXXII-CCXXIV
LET. CCXXV-CCXXVII
LET. CCXXVIII-CCXXIX
LET. CCXXX-CCXXXVI
LET. CCXXXVII-CCXLI
LET. CCXLII-CCXLIV
LET. CCXLIV-CCXLVIII
LET. CCL-CCLIII
LET. CCLIV-CCLV
LET. CCLVI-CCLX
LET. CCLXI-CCLXX
LET. CCLXXI
LET. CCLXXII-CCLXXIII
LET. CCLXXIV-CCLXXVIII
LET. CCLXXIX-CCLXXXII
LET. CCLXXXIII-CCLXXXVIII
LET. CCLXXXIX-CCXCVI
LET. CCXCVII-CCCI
LET. CCCII-CCCX
LET. CCCXI-CCCXX
LET. CCCXXI-CCCXXIX
LET. CCCXXX-CCCXXXVIII
LET. CCCXXXIX-CCCXLV
LET. CCCXLVI-CCCLIX
LET. CCCLX-CCCLXIII
COMMENDES
LET. CCCLXIV-CCCLXVI
LET. CCCLXVII-CCCLXXI
LET. CCCLXXII-CCCLXXXI
LET. CCCLXXXII-CCCLXXXV
LET. CCCLXXXVI-CCCLXXXIX
LET. CCCXC-CCCXCI
LET. CCCXCII-CCCXCVIII
LET. CCCXCIX-CDIV
LET. CDV-CDX
LET. CDXI-CDXVII
LET. CDXVIII-CDXX
LET. CDXXI-CDXXXI
LET. CDXXXII- CDXXXVIII
LET. CDXXXIX-CDXLI
LET. CDXLII-CDXLIV

LETTRE CDXXI (a). BERNARD A L'ABBÉ DE SAINT-BENOIT.

LETTRE CDXXII. BERNARD AU ROI LOUIS.

LETTRE CDXXIII. NICOLAS DE CLAIRVAUX AU COMTE ET AUX BARONS DE BRETAGNE, SUR LA CROISADE, DE LA PART DE MONSEIGNEUR L'ABBÉ DE CLAIRVAUX.

LETTRE CDXXIV. LE MÊME A MANUEL COMNÈNE, EMPEREUR DE CONSTANTINOPLE, AU NOM DE MONSEIGNEUR L'ABBÉ DE CLAIRVAUX.

LETTRE CDXXV. A L'ÉVÊQUE DE LUCQUES (a), AU NOM DE L'ABBÉ DE CLAIRVAUX.

LETTRE CDXXVI. Convention faite entre Hugues et Guillaume, l'un évêque, l'autre comte d'Auxerre.

LETTRE CDXXVII. GEOFFROY, ÉVÊQUE DE CHARTRES, A ETIENNE, ÉVÊQUE DE PARIS.

LETTRE CDXXVIII. B..... A SAINT BERNARD (a).

LETTRE CDXXIX. HUGUES MÉTELLUS A BERNARD.

LETTRE CDXXX. HUGUES MÉTELLUS A SAINT BERNARD.

LETTRE CDXXXI. HUGUES MÉTELLUS AU NOM DE SON ABBÉ, A L'ABBÉ GUILLAUME.

 

LETTRE CDXXI (a). BERNARD A L'ABBÉ DE SAINT-BENOIT.

 

A dom ....., abbé de Saint-Benoît, le frère Bernard de Clairvaux, salut et les bénédictions d'en haut.

 

Il est urgent que vous alliez trouver le roi le plus tôt possible pour faire part à Sa Majesté de mon chagrin et de mon désappointement. Je me félicite pourtant au milieu de tout cela de ce que c'est pour lui que je me trouve dans l'embarras par suite des conseils que j'ai donnés à Monseigneur l'évêque de Sens; car c'est en manquant au rendez-vous dont nous avions ensemble arrêté le jour qu'il m'attire le mécontentement du roi. Demandez à sa Majesté une lettre conçue de manière que le souverain Pontife ratifie sans restriction ce que deux évêques, ses fils dévoués, ont trouvé bon de décider; car ils se sont arrêtés au seul parti qui pût lui être le plus agréable en même temps qu'il était le plus utile à l'Eglise. Il n'y a pas lieu de se préoccuper de ce qu'un des trois arbitres a refusé d'exécuter le mandat qu'il avait reçu du souverain Pontife et de se soumettre à la volonté du roi; il ne pourrait se présenter devant Sa Majesté sans s'apercevoir du déplaisir que lui cause le manque étrange de procédés dont j'ai à me plaindre de sa part. Saluez, en mon nom, mon ami le chancelier, et priez-le d'écrire au sujet de cette affaire une lettre qui soit à tous les yeux une preuve de son amitié et de celle du roi pour moi, car je me flatte de pouvoir compter également sur celle de l'un et de l'autre.

 

a Cette lettre et la suivante ont été publiées par Duchene, tome IV, mais elles ne rappellent ni l'une ni l'autre le style de saint Bernard.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXII. BERNARD AU ROI LOUIS.

 

Au très-excellent roi de France, Louis, mon maître, Bernard, abbé de Clairvaux, salut.

 

Vous savez, Sire, que ma personne et tout ce que je possède sont entre vos mains tutélaires: plein de confiance dans les sentiments d'amitié que vous avez pour moi, je me permets de vous adresser J..., l’ecclésiastique chargé de vous remettre la présente, en priant Votre Grandeur de vouloir bien, s'il en est besoin, le recommander au souverain Pontife et croire, sur ma parole, parfaitement fondées les plaintes qu'il fait entendre contre son évêque au sujet d'une somme d'argent qu'il lui a prêtée. Adieu.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXIII. NICOLAS DE CLAIRVAUX AU COMTE ET AUX BARONS DE BRETAGNE, SUR LA CROISADE, DE LA PART DE MONSEIGNEUR L'ABBÉ DE CLAIRVAUX.

 

L’an 1146

 

1. La terre entière est émue et s'agite parce que le Roi du ciel a perdu la patrie qu'il avait ici-bas, les contrées que ses pieds ont foulées. Les ennemis de sa croix se sont conjurés contre lui et, se montrant pleins d'audace et d'orgueil, ils se sont écriés tous : Emparons-nous de son sanctuaire. Ils en veulent aux saints lieux où s'est accompli notre salut, et menacent de souiller de leur présence les endroits arrosés du sang de notre Sauveur. Mais ce qu'ils ont plus particulièrement à Coeur de détruire, c'est le trésor insigne de la religion chrétienne, ce sépulcre où le corps du Sauveur a été déposé et sa face divine recouverte d'un suaire. Ils lèvent une main menaçante contre la montagne de Sion, et, si le Seigneur lui-même ne s'en fait le gardien, ils ne sauraient tarder à fondre sur la ville sainte de Jérusalem, la cité où le nom du Dieu vivant a jadis été invoqué. Les chrétiens sont ou jetés en prison ou cruellement massacrés comme des brebis sans défense. L'oeil de la Providence paraît fermé sur ces malheurs, mais ce n'est que pour mieux voir s'il se trouvera quelqu'un qui comprenne la volonté de Dieu et cherche à la faire, qui souffre de l'affront dont il est menacé et s'efforce de lui rendre son héritage. Quoiqu'il puisse tout ce qu'il veut et qu'il n'ait qu'à vouloir pour pouvoir, il veut que les chrétiens aient le mérite de la victoire, tout en se réservant de terrasser lui-même leurs ennemis.

2.Voilà pourquoi, nous rendant au pressant appel du roi notre maître, et à l'ordre du saint Siège, nous sommes venus en foule, le jour de Pâques à Vézelay, où le roi notre maître et sa cour s'étaient donné rendez-vous. Après avoir exposé à tous les yeux le triste état des choses, on lut du pape une lettre dont je vous envoie la copie. Le Saint-Esprit a touché les coeurs et le roi prit la croix avec une foule de peuple et une multitude de seigneurs: l'ardeur qui les transportait tous s'est répandue partout, et de toutes parts on voit accourir des gens empressés à plader le signe du salut sur leurs fronts et sur leurs épaules. Comme votre pays est rempli de vaillants guerriers et d'une jeunesse pleine de bravoure c'est à vous à vous enrôler des premiers avec ceux qui ont déjà donné leur nom pour l'expédition sainte et à prendre l'épée en main pour défendre la cause du Dieu vivant. Courage donc, généreux guerriers, revêtez-vous de vos armes et que celui qui n'a pas de glaive se hâte d'en acheter. Ne laissez pas seul le roi de France, votre roi; ce serait délaisser le Roi même des cieux pour lequel il entreprend une guerre si lointaine et si pénible. Vous ne tarderez pas à recevoir la visite d'un véritable homme de Dieu, monseigneur l'évêque de Chartres' ; il vous informera plus en détail de tout ce qui s'est dit et passé ici, et il vous montrera en même temps les indulgences considérables que le Pape accorde par sa lettre à ceux qui prendront la croix. Au nom de Celui qui a voulu mourir pour votre salut, volez à la défense des lieux où il est mort et dans lesquels il a consommé notre rédemption, si vous ne voulez que les païens ne nous disent bientôt: Où donc est votre Dieu ? Que Notre-Seigneur Jésus-Christ, le fils de Marie, l'époux de l'Eglise, vous accorde la victoire sur la terre et la couronne de gloire dans les cieux

 

Haut du document

 

LETTRE CDXXIV. LE MÊME A MANUEL COMNÈNE, EMPEREUR DE CONSTANTINOPLE, AU NOM DE MONSEIGNEUR L'ABBÉ DE CLAIRVAUX.

 

Nicolas de Clairvaux prie l'empereur de Constantinople de faire chevalier le jeune fils de Thibaut, comte de Champagne.

 

Au grand et glorieux Manuel, empereur de Constantinople, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et prières.

 

1. Si je me permets d'écrire à une Majesté telle que la vôtre, ne m'accusez ni de témérité ni d'audace, je ne cède, en le faisant, qu'à une inspiration de cette charité qui ne doute de rien. Car pour moi, qui suis-je et quel rang ma famille occupe-t-elle dans son pays pour que j'ose écrire à un aussi grand empereur? Je suis pauvre et obscur, des contrées immenses et de vastes mers me séparent de votre sublime personne ; qu'est-ce donc qui pourrait rapprocher ma bassesse de votre grandeur, si je ne comptais pour cela sur l'humilité même de Jésus-Christ dont les rois et les peuples de la terre, les princes et les juges se glorifient? La renommée a porté jusqu'à nous le bruit de votre magnificence et la gloire de votre nom qui maintenant remplissent la terre entière. Voilà pourquoi je tombe aux pieds du Père des esprits, de celui d'où découle toute paternité dans le ciel et sur la terre, et le prie de ne vous faire quitter l'empire de la terre que pour vous donner le royaume des cieux, dont la durée est éternelle (Psalm. CXLIV).

2. Je n'ai donc aucun titre pour présenter au pied du trône de votre gloire la personne chargée de vous remettre la présente; c'est un jeune nomme de la plus grande noblesse, que ;je vous prie de faire chevalier et d'armer de l'épée contre les ennemis de la croix de Jésus-Christ et de tous ceux qui lèvent contre lui une tète orgueilleuse et menaçante. Ce jeune nomme louvait aspirer aux plus grands honneurs, mais suivant mon conseil il préfère l'éclat de votre empire et le glorieux souvenir qu'il emportera dans la tombe de la main qui l'aura fait chevalier. Je n'aurais pas osé vous prier de vous intéresser à ce jeune homme si Jésus n'était en cause, car c'est pour lui qu'il entreprend une expédition aussi longue et aussi laborieuse. Veuillez être persuadé que tout ce que vous ferez pour lui, je le tiendrai comme étant fait à moi-même.

3. C'est à vous maintenant, très-glorieux empereur, de montrer toute votre bonté et d'en multiplier les actes; la terre tout entière est émue et s'agite parce que le Roi du ciel a perdu la patrie qu'il avait ici-bas, le pays que ses pieds ont foulé. Les ennemis du Seigneur s'apprêtent à fondre sur la Cité sainte et à détruire le sépulcre glorieux oit la fleur virginale issue de Marie fut déposée sous les bandelettes et les aromates, et d'où elle sortit bientôt plus grande et plus vivace pour briller sur notre pauvre terre. Voilà pourquoi, sur l'ordre du souverain Pontife et sur nos propres instances de si bas qu'elles partissent, le roi de France et, avec lui, une multitude de seigneurs, de chevaliers et de peuples se sont mis en marche pour la Terre sainte et se proposent de passer par les terres de votre empire pour aller au secours de la cité du Dieu vivant. C'est à vous de les recevoir avec honneur et de prendre dés maintenant toutes les mesures qu'on a lieu d'attendre de vous à raison du rang que vous occupez, dit pouvoir que vous avez entre les mains, de la dignité impériale dont vous êtes justement fier et des trésors que vous possédez. Vous ne pouvez d'ailleurs agir autrement que l'exigent la dignité de l'empire, l'honneur de votre personne et le salut éternel de votre âme. Je vous recommande entre tous et par-dessus tout le jeune fils de l'illustre comte Thibaut; veuillez le traiter non pas seulement comme le mérite un prince de son rang, mais ayez pour lui des attentions particulières. C'est un tout jeune homme, mais il est d'une illustre famille, d'un naturel excellent, et il veut faire ses premières armes pour la cause de la justice et non de l'injustice. Il est d'ailleurs le fils d'un père que son équité et sa douceur placent au premier rang dans l'estime et dans l'affection des hommes. En retour de l'e ce que vous ferez pour ce jeune prince, je vous offre une part dans les mérites de toutes les bonnes couvres qui se font et se feront dans notre maison, afin que Notre-Seigneur Jésus-Christ le fils de Marie, l'époux de l'Eglise, vous accorde la victoire sur la terre et la couronne de gloire dans les cieux !

 

Haut du document

 

LETTRE CDXXV. A L'ÉVÊQUE DE LUCQUES (a), AU NOM DE L'ABBÉ DE CLAIRVAUX.

 

L'auteur de celle lettre exhorte l'évêque de Lucques de faire preuve de force et de courage.

 

A son vénérable seigneur l'évêque de Lucques, Bernard, salut ; vivre et mourir dans la lumière.

 

1. Dans le poste que vous occupez vous avez besoin d'un esprit élevé qui vous instruise; l'épiscopat est moins un honneur qu'une charge qui réclame des oeuvres et des vertus, plutôt que des paroles et des richesses. Le céleste héraut dont le coeur et les lèvres débordaient des paroles mêmes du Seigneur disait: « Il est certain que ceux qui désirent l'épiscopat ambitionnent une charge et des fonctions saintes (I Tim, III, 1), » vous l'entendez : « une charge et des fonctions ; » non pas un titre et des dignités. Or vous avez entrepris de grandes choses, il vous faut du courage; vous êtes devenu le surveillant de la maison d'Israël, vous avez besoin de prudence; vous vous devez aux sa es et aux insensés. Soyez donc riche d'équité et de modération; enfin, pour mettre le comble aux vertus qui vous sont nécessaires, vous devez vous revêtir de cette justice qui vous fera rendre à chacun selon son mérite, car il est dit dans les saintes lettres : « Il faut que les prêtres aient la justice pour vêtement (Psalm. CXXXI, 9). » Heureux le char qui a l'humilité pour timon et les vertus pour roues, heureux aussi celui qui en occupe le siège et le dirige là où il veut.

2. L'humilité enseigne toutes les vertus, elle est la fille bien-aimée du souverain Roi, et, descendue d'en haut avec le maître des cieux, elle aime à fixer sa demeure dans des âmes qui ont quelque chose du ciel. Sans l'humilité, la sagesse qui décide ce que nous devons aimer, n'est qu'aveuglement et terreur ainsi que le Sage en fait la remarque; la force qui triomphe dans la lutte, n'est sans elle, qu'une véritable faiblesse qui succombe; la tempérance qui résiste aux appétits mauvais, une sobriété aussi chancelante que l'ivresse même, et la justice avec ses oeuvres, sans humilité, est un orgueil déguisé. Il n'y a que l'humilité qui donne de la réalité et de la durée à nos vertus; seule elle sait faire violence ail royaume de Dieu, seule en effet elle a abaissé la majesté  divine elle-même et lui a fait accepter la mort, et la mort sur la croix. C'est à l'humilité qui avait d'abord persuadé au Verbe de Dieu, quand il était assis au plus haut des cieux, de descendre vers nous, que nous devons que la vérité l'ait ensuite contraint à faire ce qu'il avait promis et à descendre dans le sein d'une vierge dont sa toute-puissance le fit sortir sans nuire à la virginité de sa mère; c'est à l'humilité enfin que nous devons que l'obéissance l'ait guidé en toutes choses; que la patience l'ait animé à tous les instants et que la charité l'ait montré par les paroles et les miracles qu'elle lui inspirait. Une pareille vertu doit pousser de profondes racines dans le coeur d'un évêque, puisque dès qu'elle disparaît, toutes les autres vertus s'envolent et s'évanouissent. Peut-être suis-je allé un peu loin, mais c'est vous qui m'y avez contraint (II Cor., XII, 11). Il ne m'appartenait pas de faire la leçon à un évêque; mais je n'ai fait que mon devoir en donnant des conseils à un ami, comme doivent également le faire tous ceux qui connaissent la vraie charité. Notre commun fils vous dira de vive voix plus amplement et mieux que je ne pourrais le faire, ce que j'omets dans cette lettre, par la raison qu'il peut arriver que ce que l'on confie au papier nuise aux ,ans en même temps qu'il peut être utile aux autres.

 

a Nous pensons qu'il s'agit ici de l'évêque de Lucques, en Italie, le même que celui qui a recommandé Pierre Lombard à saint Bernard, comme nous l'avons vu plus haut, lettre quatre cent dixième. Mais nous ne saurions dire si c'était Hubert qui fut évêque en 1140 ou Grégoire qui ne le fut qu'en 1146, selon ce que rapporte Ughel dans son Italie sacrée, tome I.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXVI. Convention faite entre Hugues et Guillaume, l'un évêque, l'autre comte d'Auxerre.

 

L’an 1145,

 

1. Au nom de la sainte et indivisible Trinité, moi Bernard abbé de Clairvaux, ayant eu connaissance de 1a division survenue entre Hugues évêque d'Auxerre et Guillaume comte de Nevers par suite de prétentions opposées, je me suis rendu à Auxerre, et après les avoir mis d'accord, je leur ai fait accepter l'arrangement suivant :

Dans un bois appelé la Bruyère de l'évêque, ce dernier et le comte Hugues feront à frais communs une garenne qui sera gardée également à frais communs, de sorte que les gardes de l'un seront réputés les gardes de l'autre, prêteront serment entre les mains de tous les deus et s'engageront à ne prendre dans cette garenne ni homme ni bête que ce ne soit au profit des deux Contractants. Les amendes perçues pour les délits faits dans cette garenne seront partagées par moitié. Voici quelles seront ces amendes suivant les cas. Les pores, les brebis et les vaches qui s'y réfugieront pour éviter la poursuite des taureaux en rut ne paieront pas l'amende. Les boeufs, les vaches, les chevaux, les ânes, les chèvres et autres animaux semblables seront taxés à un denier par tête, s'ils sont bans gardien; si le gardien est présent il paiera trois écus pour lui, sans qu'il puisse être rien exigé en sus pour les animaux. Toute personne trouvée coupant du bois dans cette garenne sera taxée à quinze écus; celui qui y aura allumé un incendie en paiera soixante. En aucun cas les amendes ne dépasseront les sommes ci-dessus indiquées. La garenne n'excédera pas une largeur de quarante perches. Si, par l'effet du temps ou de toute autre cause, ladite garenne vient à disparaître, les deux parties pourront la rétablir au même endroit s'ils le jugent à propos ; s'ils n'usent pas de cette faculté, le fonds, cultivé ou non, fera retour au domaine de l'évêque à qui appartiendront également toutes les amendes qui seront dues pour délits commis ailleurs que dans la garenne.

2. Les clercs seront entièrement libres et exempts de la juridiction du comte, qui ne pourra sous nul prétexte exercer sur eux aucun droit seigneurial, ni confisquer leurs biens en quelque lieu qu'ils se trouvent, ou les donner à ses officiers. Tout clerc pris en flagrant délit de brigandage sera remis entre les mains de l'évêque ou de ses gens sans qu'on puisse le traiter d'une manière injurieuse ou blessante pour l'ordre clérical ; d'un autre côté, si le comte, par lui-même ou par ses gens, poursuit un ecclésiastique, l'évêque s'efforcera de faire droit à ses réclamations autant que la justice et la raison le permettront.

3. Les impôts de la ville et des faubourgs appartenant en commun à l'évêque et au comte, s'il se commet quelque détournement, l'évêque se fera restituer intégralement la somme dérobée, selon la loi de chacun, et le comte recevra une amende de soixante écus. Si le percepteur des impôts du comte ou quelqu'un de ses employés arrête le premier celui qui aura fait tort à l'évêque, il le forcera toujours, suivant la loi qui le régit, à lui restituer ce qu'il lui a pris; s'il le laisse échapper par sa faute avec ce qu'il a volé, il répondra du capital dérobé, toujours selon la même loi.

4. Les serviteurs de l'évêque et les gens de sa maison ne relèveront jamais de la juridiction du comte. Tous les délits commis dans les cloîtres de Saint-Etienne, de Sainte-Marie, de Saint-Eusèbe, de Saint-Pierre et de Saint-Amator, ainsi que tout ce que renferment ces monastères, sont du ressort de la juridiction épiscopale, et le comte ne pourra ni exercer son pouvoir sur eux ni confisquer à son profit les objets renfermés dans les susdits cloîtres pour s'indemniser de quelque délit que j ce soit: si on surprend quelque laïque en flagrant délit dans lesdits cloîtres, il sera livré dans son habit séculier à la justice du comte. Tout malfaiteur saisi hors de l'enceinte des monastères susnommés sera remis entre les mains du comte, avec tous ses biens, ceux des monastères susdits toujours exceptés.

5. Quant aux terres sujettes au cens, il est convenu que ni le comte ni ses gens ne pourront acquérir celles qui font partie du fonds de l'évêque sans le consentement de ce dernier, ce qui se pratiquera de même pour toute espèce de dunes. Le ban du comte sera religieusement observé pendant trois jours entiers par toute personne laïque ou ecclésiastique se trouvant dans les monastères, après quoi il leur sera permis de vendre. Si l'évêque achète du vin ou du blé, il ne sera tenu de payer ni droit de gelle ni autre en usage. L'évêque avertira par lui-même ou par des ecclésiastiques qu'il chargera de le remplacer, les serviteurs et les gens du comte, des fautes qu'ils pourront commettre contre la foi et pour lesquelles ils seront justiciables de lui.

6. La maison du comte et les fortifications des châteaux que ledit comte reconnaît tenir de l'évêque à Châteauneuf, à Saint-Sauveur, à Conat et à Maillas seront remises entre les mains de l'évêque dès qu'il l'exigera. Toutefois, s'il cesse de les occuper, elles retourneront au comte ou à ses officiers. L'évêque pourra couper dans les bois du comte tout ce qui sera nécessaire à lui ou au monastère de Saint-Etienne.

7. Il est dit et convenu que les chanoines de Saint-Etienne auront l'usufruit du bois de Thul. Il est également reconnu et accordé par le comte qu'il ne pourra faire ni changement ni innovation aucune à Auxerre sans le consentement de l'évêque, dont il se reconnaît le vassal pour tout ce qu'il tient à Auxerre et dans son enceinte, excepté pour ce qu'il possède infra muros ; mais il le pourra en dehors du cloître, là où il possède en qualité de vassal du roi de France dans son fief de due au-delà du pont.

8. Le comte doit garder les biens de l'évêque comme les siens propres. S'il arrive que quelqu'un de ses hommes fasse du tort soit à l'évêque soit à l'un de ses gens, le comte l'obligera à le réparer ou le réparera à ses propres dépens. Il devra y avoir aux moulins de l'évêque situés à Regenne, un port accessible à tous les bateaux montants ou descendants. Parmi les marchands de poisson, le comte pourra en avoir quatre francs, sur lesquels l'évêque n'aura aucun droit; quant aux autres, si le percepteur de l'évêque les aborde le premier et est entré déjà en paroles, il pourra prendre tout ce qui est nécessaire à la cour de l'évêque ; il en sera de même dans le cas où le percepteur du comte serait le premier. S'ils se présentent l'un et l'autre en même temps, ils auront part égale dans ce qu'ils auront trouvé. Il en sera de même pour les autres denrées : pour toutes les denrées, l'évêque aura un crédit de quarante jours à partir desquels il ne lui sera plus rien livré à crédit par ceux qui n'auront pas encore été payés.

9. Quant aux marchands qui vendent dans leur propre maison, il est arrêté que tous les quinze jours ou tous les mois ils acquitteront les ventes au percepteur de l'évêque s'ils en sont requis. Dans les marchés francs du premier mai, les droits et les ventes seront attribués ainsi qu'il suit, deux tiers à l'évêque et un tiers au comte. Les gens chargés de percevoir ces impôts prêteront serment au comte et à l'évêque.

10. L'évêque pourra établir des gardiens dans ses vignes propres et dans celles sujettes au cens si ceux à qui elles appartiennent y consentent; on ne pourra point les contraindre à les accepter. Le comte aura le même droit dans toute la Bruyère; le comte et l'évêque y posséderont en commun le droit de chasse, quelque soit d'ailleurs le propriétaire du fonds, et auront une part égale dans les amendes provenant de délits de chasse.

Fait à Auxerre l'an de Notre-Seigneur mil cent quarante-cinq, première année du pontificat du pape Eugène III. Etaient présents: Etienne, abbé de Régny, Guy de Charlieu, Baudoin de Châtillon ; Geoffroy de la Roche; l'archidiacre Rainaud, le chantre Geoffroy; Hugues, doyen de Meaux ; André de Beaumont, Landry, Bernard, Hugues de Château-Censois, Hugues de Toucy, prêtre; Geoffroy, économe ; maître Anselme, Guy de Bitche, Etienne de Saint-Germain, chanoine; les chevaliers Guillaume, fils du susdit comte, Hugues de Thil-1e-Châtel, Humbert de Saint-Germain, Siguin de Tournelle, Eudes de Toucy, Humbaud de Tors, les gens de service Mobert, prévôt du comte, Humbaud, son boulanger, Ervée, prévôt de l'évêque, Olanne, son économe, et beaucoup d'autres appartenant aux deux parties contractantes (a).

 

a Le différend que saint Bernard avait terminé par cette charte se renouvela plus tard entre l'évêque Alain et le comte Guillaume, il fut réglé par Geoffroy qui avait été évêque de Langres avant de se retirer à Clairvaux où il vivait en simple particulier; il  ne trouva rien de mieux à faire que de remettre en vigueur ce qui avait été réglé entre ! l'évêque Hugues et le comte Guillaume de la Chartreuse, par Bernard de sainte mémoire, abbé de Clairvaux.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXVII. GEOFFROY, ÉVÊQUE DE CHARTRES, A ETIENNE, ÉVÊQUE DE PARIS.

 

L’an 1126

 

Il doit faire sa paix avec Etienne de Garlande.

 

Je vous ai déjà parlé, à la prière d'Etienne de Garlande, de l'obligation de faire votre paix avec lui. Apprenant aujourd'hui qu'il veut oublier les griefs qu'il croit avoir contre vous, afin de se réconcilier avec vous, je conseille à Votre Sainteté, que j'aime du fond de mon âme, et à qui je ne me permettrai jamais de donner un conseil qui ne soit à son honneur, je conseille, dis-je, à Votre Sainteté, et lui demande de vouloir bien indiquer un jour et un endroit où elle puisse arriver à conclure cette paix qu'Etienne lui offre de faire avec elle, en s'en remettant, pour le jugement de toute l'affaire qui vous divise, à l'examen et au jugement de vos propres amis, et particulièrement de l'abbé de Clairvaux. Il ne convient point à votre Paternité de vous refuser à conclure la paix qui vous est proposée, puisque si elle ne vous était offerte, vous devriez rechercher tous les moyens possibles d'arriver à la faire. En effet, ne devez-vous pas, à l'exemple du Sauveur, aller à la recherche de la brebis égarée, afin de la rapporter sur vos épaules au bercail de la paix? Si nous sommes tenus, d'après l'Apôtre, de vivre en paix avec tous les hommes, à combien plus forte raison sommes-nous obligés de le faire avec, ceux dont un jour nous devons répondre au Seigneur? Maintenant si, ce qu'à Dieu ne plaise, vous refusez de recevoir la satisfaction de cet homme selon que vos amis l'auront réglée, vous vous rendrez coupable envers Dieu en même temps que vous couvrirez vos amis de confusion. Adieu.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXVIII. B..... A SAINT BERNARD (a).

 

B.,.. entretient saint Bernard de la conduite d'un religieux indiscipliné.

 

A son très-cher père Bernard, par la grâce de Dieu, abbé de Clairvaux, le frère Bernard qui se trouve aujourd'hui comme un enfant arraché au sein nourricier de sa mère et éloigné du pays où coulent le lait et le miel, salut.

 

1. Je ne romprais pas le silence dans lequel j'avais résolu d'ensevelir l'indigne conduite qu'un de mes religieux a tenue à mon égard, si je ne me voyais obligé de prévenir l'effet de ses récits mensongers par un exposé sincère de ce qui s'est passé.

Je ne saurais vous dire combien de fois et avec quelle arrogance le frère R..... s'est permis de me faire de l'opposition tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du monastère, quels scandales il a sciemment et volontairement donnés à mon cher et timide troupeau; avec quelle audace et quel orgueil il s'est affranchi de toute règle et de toute discipline, Dieu seul, qui connaît ma peine et ma douleur, le sait; cette maison qui a les yeux et les oreilles remplies des preuves de sa révolte le sait aussi, et sa propre conscience qui ne peut manquer de reconnaître la vérité du témoignage qu'un autre que lui rend à sa conduite, ne l'ignore pas non plus. Dans tout cela je rends grâce à Dieu de ce qu'il m'a donné la patience nécessaire pour supporter tout ce que j'ai eu à souffrir, et il sait, lui, ce que j'ai enduré! J'ai entendu sortir de la bouche de ce frère des paroles qu'un religieux ne saurait répéter, j'ai fait comme si je ne les entendais pas et comme si je n'avais rien à répondre (Psalm. XXXVII, 15). Je le priai tantôt en particulier, tantôt en public, seul ou avec les autres religieux, de nous épargner ainsi qu'à lui-même toutes ces scènes pénibles, de penser à son âme et de songer à la triste réputation qu'il allait faire à notre jeune colonie, dans ce pays étranger où nous nous trouvons transplantés; observations, prières, reproches, il n'est rien que je n'aie mis en couvre pour gagner ou pour effrayer son âme et pour l'empêcher de nous faire devenir la fable du pays et de nous exposer au mépris de tout notre entourage; enfin j'ai versé du vin mêlé d'huile sur les blessures de cette âme laissée par le démon à demi morte entre mes mains, mais, hélas! ses plaies étaient incurables.

2. Enfin, voyant que le mal résistait à tous mes efforts, je commençai à craindre que du membre malade la corruption ne finit par infester le corps tout entier; mais j'appréhendais encore d'agir en conséquence, je me défiais de moi, j'avais peur que celui qui a su se transformer en ange de lumière ne me poussât à venger mes propres injures, sous prétexte d'agir dans l'intérêt de la justice et par amour de notre ordre; aussi n'est-ce qu'après avoir demandé à Dieu, dans une fervente prière, de ne pas permettre que je fisse fausse route, que je défendis à ce moine orgueilleux et révolté d'imposer au choeur ni psaume ni antienne, jusqu'à ce qu'il eût réparé le scandale qu'il avait donné aux fils de sa mère. Loin de se calmer, il n'en devint que plus furieux et plus menaçant; et ce religieux qu'on avait vu naguère refuser de chanter quand on le priait de le faire à son tour, entonnait alors les antiennes malgré la défense qui lui avait éte faite; il rompit dès lors, au scandale de tous, le silence qu'il avait obstinément gardé au choeur jusqu'à ce moment. Le lendemain je lui ai interdit la table. Alors se mettant en révolte ouverte, il vint se placer en face de moi dans le chapitre, et m'apostropha en termes d'une violence incroyable; je me contentai de lui répondre en peu de mots, avec l'Apôtre : Si quelqu'un veut encore. contester, il faut qu'il sache que ce n'est point là notre coutume non plus que celle de Dieu (I Cor., XI, 16), et je me tirai ainsi d'affaire avec lui. Alors, plein d'indignation et de colère contre moi, qu'il regarde comme un novice en comparaison de lui qui a depuis si longtemps fait profession, il quitta le cloître et le monastère et s'en alla vivre seul, en répétant ce qu'il avait eu déjà l'impudence de dire à son abbé, que ce qui l'avait' mené à Rome ce n'était pas du tout le désir de propager notre ordre au loin, mais seulement l'envie de voir cette ville. J'abandonne maintenant toute cette affaire entre les mains de Dieu qui nous jugera tous; quant à ce religieux, il a fait tout ce qu'il a pu, sous les yeux même de son abbé et de ses frères, les autres religieux, pour corrompre la pureté de notre ordre.

 

a Un ne peut douter que cette lettre ne soit de Bernard, abbé du monastère de Saint-Anastase, près de Rome, dont il est question à la fin de la lettre. Il est aussi l'auteur des lettres 343 et 344.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXIX. HUGUES MÉTELLUS A BERNARD.

 

Hugues Mélellus s'élend longuement sur les louanges que mérite saint Bernard.

 

1. A son révérend et béni Père en Dieu, Bernard, abbé de Clairvaux qui brille à nos yeux comme une lampe étincelante, Hugues Métellus, esclave autrefois de mille futilités et aujourd'hui, de la croix du Sauveur, salut et veau de pénétrer plus avant dans le sanctuaire de la sainte Écriture, d'en recueillir les morceaux de peur qu'ils ne se perdent et d'en dégager le sens de tout ce qui l'offusque. Votre nom est une huile parfumée qui se répand au loin; il exhale l'odeur des aromates qu'on vient de réduire en poudre. La renommée en a fait éclater en tous lieux la réputation et l'a portée jusqu'aux confins du monde comme une odeur délicieuse qui remplit de ses suaves émanations la terre et la mer et attire à l'endroit d'où elle s'exhale une foule de gens qui sont venus, aux lieux mêmes qui la produisent, s'enivrer de ses parfums et. goûter sa douceur salutaire. On vit alors des hommes que les émanations délétères du Styx avaient asphyxiés, dont l'infection des eaux de l'Achéron avait altéré, corrompu même la nature, se réconforter et renaître à la vie après avoir goûté de ce nectar. Votre vie tout entière est onctueuse aussi comme l'huile qui s'écoule; elle est une lampe d'un éclat étincelant qui brûle en même temps qu'elle éclaire, et qui éclaire en même temps qu'elle brûle; mais si elle brûle, ce n'est que pour elle; elle éclaire pour les autres; sous le jet de sa lumière, les objets les plus éloignés non-seulement s'illuminent, mais encore semblent se rapprocher. Toute votre vie brille comme un flambeau radieux qui envoie partout ses rayons qu'aucun obstacle ne retient captifs. Ce n'est point une vie obscure et perdue au milieu des autres, et pourtant elle ne se répand au dehors qu'avec modération, et les bons exemples dont elle est pleine dissipent les ténèbres, prodiguent la clarté; on dirait l'astre même du jour versant à flots sa lumière sur la tête des montagnes qu'il semble abaisser dans les vallons qu'il remplit d'éclat et de splendeur. On peut encore vous comparer à un charbon ardent qui rallume, à son approche les charbons éteints, près desquels il se trouve. Votre vie tout entière est un modèle qui apprend, à ceux qui la considèrent, l'art d'une vie sainte, le secret de corriger ce qui est défectueux, de consolider ce qui menace ruine, de réparer ce qui est endommagé, et qui embaume tout le monde par l'excellente odeur qu'elle répand, non pas clans les ténèbres, mais sous les rayons mêmes du soleil.

2. Et votre parole je la comparerai aussi à l'huile qui s'épanche. Ce n est pas vous qui tenez inutilement enfermé le talent que vous avez reçu; vous faites fructifier le don de la parole et de la persuasion qui vous est confié. Il semble que vos paroles s'échappent de votre bouche à la chaleur de la charité, comme l'eau, à celle d'un brasier ardent, s'envole en vapeur; elles ont la douceur même du nectar, On peut dire de votre langue qu'elle est semblable au stylet que dirige la main rapide d'un écrivain habile dans son art, ou qu'elle possède le don magique de l'enchanteur, mais du bon enchanteur. Quel langage nouveau, inouï jusqu'alors, elle sait nous faire entendre, quand elle touche aux mystères de la foi ou quand elle célèbre les louanges du Créateur. On peut dire que sur votre langue reposent l'Ancien et le Nouveau Testament, l'ombre et la réalité, la grâce et la loi réunies, non pas la lie épuisée de la loi; elle distille le,lait et le miel sans laisser jamais tomber la moindre goutte de fiel, c'est un véritable rayon sortant plein et parfumé de la ruche, Vous ne frappez point l'air de paroles vaines ou futiles, absence complète de bruit et de mouvements violents ; mais vous traitez toutes choses, dans vos discours, avec une admirable douceur. Chez vous, le loup fraie avec l'agneau, le léopard avec le chevreau, un enfant en serait le maître. Oui, votre parole coule comme l'huile qui s'épanche; c'est la clémence même qu'on entend par votre bouche et chaque mot est une goutte d'huile d'une grande douceur quand vous parlez du pardon aux pécheurs, et prodiguez des consolations aux âmes affligées en même temps que des conseils et des paroles d'espérance. N'est-ce point encore la douceur de l'huile que rappelle le langage par lequel vous redonnez des forces et du courage aux athlètes qui luttent les luttes du Seigneur, mais que la fatigue commence à gagner et menace de priver de leur récompense ! Quelles paroles douces comme le miel vous savez trouver pour leur rendre des forces, de quel lait délicieux vous étanchez la soif qui les consume! quel charme alors, quelle onction dans vos paroles! Vos discours sont comme la rosée qui gonfle la semence et développe le germe, c'est le ruisseau bienfaisant qui double la végétation. Quand on vous entend séparer avec discernement l'honnête et l'utile de ce qui ne l'est pas, ne dirait-on pas que vous forcez, dans le pressoir, l'huile à sortir du marc qui la contient, ou que dans la grange, un van à la main, vous séparez le bon grain de la paille avec laquelle il est mêlé? Lorsque vous exposez le sens spirituel caché sous la lettre, vous exprimez, sous le pressoir de la raison, l'huile cachée dans l'enveloppe qui la recouvre, de même que l'huile surnage sur le vin. Ainsi voit-on à votre parole le sens spirituel comme s'élever au-dessus de la lettre qui le dérobe; de même encore que l'huile mêlée au vin ne peut rester au fond du vase, ainsi les paroles de miséricorde que vous faites entendre élèvent le jugement.... etc.

3. Quand je lis vos ouvrages, il me semble qu'ils prennent une voix et qu'ils me parlent et me donnent de salutaires avis, néanmoins ils sont loin de répondre à mes désirs et de satisfaire l'avidité de mon âme, parlez-moi vous-même et baisez-moi d'un baiser de votre propre bouche; c'est vous que je veux voir, et non pas votre image réfléchie dans vos oeuvres comme dans un miroir et derrière d'impénétrables énigmes; donnez-moi, je ne dis pas un baiser de vos lèvres sur les miennes, je n'en suis pas digne, mais cette accolade que je voudrais recevoir non pas de vos livres, qui me disent pourtant assez éloquemment combien vous êtes bon, mais de vos lèvres éloquentes et douces qui me fassent entendre de délicieuses paroles. Car vos entretiens et vos discours m'attireront sur vos pas, m'attireront, dis-je, mais sans peine, attendu que je ne demande pas mieux que de m'élancer à votre suite, je suis tellement disposé à vous suivre que ni le Caucase, ni le Parnasse ou les Alpes elles-mêmes ne pourraient m'empêcher de courir après vous, quand même elles s'élèveraient comme un mur entre vous et moi pour me barrer le passage; la bonne odeur de vos vertus serait plus forte pour m'attirer à votre suite que ces barrières pour m'arrêter, mais je ne serai attiré par la bonne odeur de vos vertus que pour finir par en goûter la douceur; vous m'ouvrirez vos celliers où se trouvent en réserve des provisions de toutes sortes et des vases remplis des boissons les plus variées. Après m'y être rassasié à mon aise et y avoir bu l'ivresse à longs traits, j'entrerai dans le palais du Roi éternel pour y vivre dans un bonheur sans fin. Mais si j'ai dit que je courrai après vous, je n'ai pas dit que j'espérais vous atteindre; car je n'ai pas encore pris la résolution de laisser l'angélique et blanc habit des Nazaréens pour en prendre un autre; il est bon que je reste comme je suis.... etc. Tout ce que je viens de dire, c'est uniquement à vous, de vous et pour vous que je l'ai dit; maintenant je laisse libre carrière à ma plume et je convie tous les hommes à prêter avec vous l'oreille à ce qui me reste à dire, car je vais dévoiler mes erreurs, déplorer le malheur du monde et solliciter le secours de vos prières.... etc.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXX. HUGUES MÉTELLUS A SAINT BERNARD.

 

Hugues s'efforce de justifier lui et les siens d'une accusation dirigée contre eux.

 

1. Au sérénissime Bernard, abbé de Clairvaux, béni en Jésus-Christ, Hugues Métellus, Jadis disciple d'Aristote et maintenant serviteur du Christ, monter de Jéricho à Jérusalem.

Vos déserts s'engraissent et s'embellissent, Clairvaux regorge de moissons et voit dans ses pâturages le léopard se mêler aux agneaux et les veaux folâtrer au milieu des lions qui tous ensemble font violence au ciel et sacrifient au Seigneur Dieu les abominations des Égyptiens. Dans ces campagnes, les bêtes se changent en hommes et les hommes vivent en anges. Que la main généreuse du Seigneur accorde à Clairvaux des grâces plus abondantes encore que celles dont il l'a, comblé jusqu'à présent, que d'illustre qu'il est il le rende chaque jour plus illustre encore. Heureux monastère, délicieux séjour que le vent glacial du nord épargne, et que le souffle humide du midi rend fécond en aromates odorantes!

2. Je vous envoie, Père vénérable, notre père abbé, pour qu'il vous voie, qu'il ait avec vous un entretien et qu'il revienne édifié, car s'il est doux de contempler les traits angéliques de votre visage, il l'est plus encore de s'entretenir avec vous, il l'est infiniment davantage enfin d'être édifié par vous. Nous vous envoyons une âme innocente, douce comme le miel dont elle est toute remplie et exempte de fiel; l'amour la conduit bien plus que la crainte: elle sait allier la simplicité à la prudence et la chasteté de la tourterelle à la simplicité de la colombe.

3. Nous avons appris, mon révérend Père, qu'on vous a dit que les murs de notre maison ne renferment que peu de religieux ou qu'ils n'en contiennent même aucun. Si on vous a dit qu'ils n'en renferment pas, on vous a induit en erreur; mais si on vous a rapporté qu'ils n'en comptent qu'un petit nombre, on vous a dit la vérité. Je suis loin de prétendre le contraire, les vrais religieux sont en effet fort peu nombreux ici, mais si, dans la pensée de celui qui vous a parlé de nous, le mot peu signifié le manque absolu de vrais religieux, c'est une manière de s'exprimer aussi surprenante que misérable. En effet, pour ne prendre nos exemples que dans les temps anciens, ne sait-on pas que l'arche de Noé ne renfermait pas seulement des animaux purs, mais qu'elle en contenait aussi d'impurs? Des deux enfants d'un patriarche s'il en est un élu de Dieu, l'autre en est réprouvé; à l'école de Jésus-Christ môme, si on compta onze disciples dignes du maître, ne s'y en trouva-t-il pas un possédé du démon ? Et parmi les autres disciples du Sauveur n'y en eut-il pas dont les noms, après avoir été inscrits sur le livre de vie, à ne juger les choses que par le moment présent, s'en trouvaient à jamais rayés aux yeux de la préscience de Dieu? Personne n'ignore que l'orgueil a pénétré même au ciel d'où le Seigneur l'a précipité. Si donc celui qui vous a si méchamment renseigné sur nous, nous sépare en deux camps, les bons et les mauvais, qui sont après tout en petit nombre, c'est son affaire, je ne sais sur quoi il s'appuie pour décider ainsi. Si ses yeux sont malades et le trompent, qu'il les soigne et les dessille afin de mieux voir; je voudrais bien qu'il n'eût pas pour les défauts de son prochain les yeux perçants de l'aigle ou du serpent d'Epidaure quand il les a si malades et si faibles pour les siens. Il n'est pas sûr d'empiéter sur Dieu ou sur le prochain dans les choses difficiles à saisir, non plus que de vouloir juger l'esclave qui n'est point à nous. Vous savez qu'il est dit : « Qui êtes-vous pour oser ainsi condamner le serviteur d'autrui? s'il tombe ou s'il demeure ferme, cela ne regarde que son maître (Rom., XIV, 4). » Aussi vous dirai-je, mon Père, ne croyez point à tout esprit, et que la langue des flatteurs et des hommes à l'œil mauvais ne soit point assez puissante pour faire tomber un voile sur vos yeux; ne laissez pas l'huile des pécheurs parfumer votre tête, ils cherchent à captiver votre bienveillance et se font un marchepied de la réputation d'autrui. Mais je sais que vous avez le don du discernement des esprits et que vous savez au besoin jeter à terre l'huile qui vous est vendue. Tous ces coureurs se font les censeurs des pensées d'autrui, ils sont à l'affût des mots et des syllabes. Hélas ! semblables aux yeux du corps, ils voient tout et ne se voient point eux-mêmes. Je ne connais qu'une perfection pour l'homme, c'est de reconnaître qu'il n'est pas parfait, car « si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous faisons illusion et la vérité n'est point en nous (I Joan., I, 8). » Par conséquent le meilleur parmi nous n'est toujours que le moins imparfait. Un sage a dit quelque part un mot digne de passer à la postérité quand il s'écria: «Dans un corps rempli de véritables beautés je ne fais aucune attention à de légères imperfections qui s'y peuvent aussi trouver. »

4. Il est bien vrai, je le sais, qu'inspiré par une ardente charité, et formé à l'école de l'Apôtre, vous voudriez, mon Père, que tous les hommes vous ressemblassent; mais ce n'est pas chose aisée que de vous suivre et encore moins de vous atteindre. De même que l'oeil est ébloui quand il regarde le soleil en face, ainsi en est-il des yeux de l'âme quand ils veulent contempler vos vertus; ne demandez donc pas trop à un famélique, à un pauvre malade, à un homme imparfait, vous qui ne connaissez plus l'aiguillon de la faim ni les défaillances de la maladie, ni aucune imperfection, demandez plutôt à Dieu de donner à manger à celui qui a faim, la santé au malade et la perfection à celui qui en est encore privé. Celui qui a été assez puissant pour vous créer quand vous n'étiez pas encore, pour vous élever à la perfection, quand vous étiez imparfait, n'a rien perdu aujourd'hui de sa puissance, son bras ne s'est point raccourci et sa miséricorde n'est pas moindre qu'elle était.

 

Haut du document

 

 

LETTRE CDXXXI. HUGUES MÉTELLUS AU NOM DE SON ABBÉ, A L'ABBÉ GUILLAUME.

 

Il s'excuse d'avoir répondu un peu trop durement aux calomnies d'un de ses religieux nommé Herbert.

 

1. A Guillaume, abbé vénérable et béni en Notre-Seigneur, Siébaud humble abbé de Saint-Léon, salut et le bonheur de triompher du lion rugissant qui rôde autour du bercail du Christ. Veuillez recevoir cette lettre d'une main amie et dévouée et en lire le contenu d'un oeil attentif. Vous n'y trouverez pas un mot piquant, pas une parole amère, pas une expression qui puisse contrister votre coeur. C'est la paix dans l'âme que je viens à vous, vous ne me verrez dans les mains que l'olivier de la paix et non pas les armes de la guerre. Des rapports pleins d'aigreur m'avaient singulièrement indisposé contre notre frère Herbert, je ne pouvais lui pardonner les choses pénibles et fausses qu'il avait publiées sur mon compte, et j'ai eu la faiblesse de répondre par des paroles blessantes à ses propos outrageants. Dans cette circonstance, la nature a eu le dessus, il est si difficile de mépriser une offense dirigée contre nous, que bien souvent on ne la ressent que trop vivement. D'ailleurs, je puis bien dire qu'en cette circonstance l'injure faite à Dieu par l'infidélité de ce religieux ne m'a pas moins blessé que celle qu'il me faisait à moi-même, ou plutôt,à vrai dire, l'une et l'autre se confondirent pour moi en une seule. Dans un mouvement de zèle et d'indignation, je me suis donc échappé en paroles amères contre mon frère, je n'en disconviens pas; mais je puis justifier ma conduite, non-seulement par la raison, mais encore par l'autorité de la sainte Ecriture. En effet, ne voyons-nous pas saint Paul adresser des reproches durs et sévères aux Corinthiens qu'il venait de convertir à la foi, sans être retenu par la crainte de leur faire de la peine, attendu que cette peine devait les faire rentrer en eux-mêmes. N'a-t-il pas hautement appelé les Galates insensés, pour arriver plus sûrement par cette sévérité de langage à les corriger?... etc.

2. Quant au frère Herbert, si tant est qu'il mérite encore le nom de frère, il s'est grandement oubliée quand il a écrit à mon sujet que j'avais lâché contre lui un torrent d'injures qui devait l'emporter. Je ne veux pas rappeler ici qu'il affecte dans son pamphlet de me refuser le titre d'abbé quand il parle de moi, et de me désigner par une expression commune, en signe de mépris; ne m'a-t-il pas dans ce même écrit donné le nom de sagittaire et représenté un arc menaçant à la main? La métaphore eût peut-être pu passer s'il n'avait ajouté que mes flèches étaient empoisonnées. J'ai répondu sur le même ton et j'ai rendu injure pour injure, je le reconnais, mais je veux, mon bon Père, que votre charité soit bien convaincue que je pleure avec des larmes de père la perte de ce religieux et que je le recevrais à bras ouverts et avec un très-grand bonheur s'il revenait à moi. J'attends cette résurrection, car j'espère qu'il finira par rentrer en lui-même et se repentir de tout ce qu'il a fait. Je reconnais en terminant, comme je le faisais au début de cette lettre, que l'indignation m'a inspiré contre notre frère Herbert des paroles pénibles et dures qui ont dû le blesser, puisqu'elles vous ont blessé vous-même pour lui, et, comme je reconnais que la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu (Jacob, I. 20), loin de laisser s'enflammer davantage mon ressentiment, j'ai travaillé au contraire à l'apaiser et à l'éteindre entièrement,..... etc.

 

Haut du document

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante