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LETTRE CLXXXVII. CONTRE ABÉLARD, AUX ÉVÊQUES QUI DEVAIENT SE RÉUNIR A SENS.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CLXXXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX CARDINAUX DE LA COUR DE ROME, SUR LE MÊME SUJET.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CLXXXIX. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.
LETTRE CXC. AU PAPE INNOCENT, SUR QUELQUES ERREURS DE PIERRE ABÉLARD.
LETTRE CXCI. AU PAPE INNOCENT, AU NOM DE L'ARCHEVÊQUE DE REIMS ET D'AUTRES ÉVÊQUES.
LETTRE CXCII. A MAITRE GUY DU CHATEL (a).
LETTRE CXCIII. A MAITRE YVES (a), CARDINAL, SUR LE MÊME SUJET.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CXCIV. RESCRIT DU PAPE INNOCENT CONTRE LES ERREURS DE PIERRE ABÉLARD.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CLXXXVII. CONTRE ABÉLARD, AUX ÉVÊQUES QUI DEVAIENT SE RÉUNIR A SENS.
Lan 1140
Saint Bernard exhorte les évêques à prendre en main contre Abélard la cause de la religion.
Tout le monde sait et vous ne l'ignorez pas vous-mêmes, je pense, que je suis assigné à comparaître à Sens, dans l'octave de la Pentecôte (a), pour y plaider les intérêts de la foi, quoiqu'il soit défendu, «de plaider à tout vrai serviteur de Dieu et qu'il doive se montrer plein de modération et de patience envers tout le monde (II Tim., II, 24). » S'il s'agissait de moi personnellement dans cette circonstance, je ne crois pas trop présumer de vos sentiments à mon égard en pensant que votre bienveillance ne ferait probablement pas défaut à votre fils; mais c'est de vous autant au moins, sinon plus, que de moi qu'il s'agit; aussi vous prié-je avec plus de confiance et de force de me donner en cette occasion des preuves de vos sentiments à mon égard: que dis-je, à mon égard ? à l'égard du Christ lui-même, dont l'Epouse crie vers vous du sein des hérésies qui pullulent autour d'elle sous vos yeux comme les arbres de la forêt ou les épis de la moisson, et menacent de l'étouffer. Quiconque se dit ami de l'Epoux ne saurait manquer à son Epouse, dont les épreuves qui l'assaillent lui donnent encore une si belle occasion de se montrer. Ne soyez pas surpris si je m'adresse à vous si soudainement et si je fais à votre dévouement un appel à si courte échéance; il faut s'en prendre à la ruse et aux artificieuses menées de mes adversaires, qui n'ont agi comme ils l'ont fait que dans l'espoir de me prendre à l'improviste et de me forcer à accepter le combat sans me donner le temps de m'y préparer.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CLXXXVII.
151. Contre Abélard, aux évêques qui devaient se réunir à Sens.... Abélard, originaire du diocèse de Nantes, était fils de Bérenger et de Lucie : il vint à Paris étudier la philosophie sous Guillaume de Champeaux, les mathématiques sous Rosselin, et la théologie sous Anselme de Laon; il le fit avec tant de succès qu'il compta autant d'envieux que d'admirateurs. Quand il eut terminé ses études, il ouvrit à Paris un cours dEcriture sainte où on se porta en foule; il donna aussi des leçons à la nièce du chanoine Fulbert, nommée Héloïse; mais il séduisit le cur de celle dont il cultivait l'esprit. Fulbert ne put lui pardonner cette faute, bien qu'il l'eût réparée par le mariage, et une nuit qu'Abélard reposait dans un hôtel, il le mutila cruellement. Les deux amants allèrent cacher leur honte dans la retraite; Héloïse prit le voile à Argenteuil près Paris, et Abélard se fit religieux à Saint-Denis. Partout malheureux ou mal vu, il se retira à Deuil, dans un petit prieuré situé près de Saint-Denis, où il professa publiquement la théologie. Mais la pente naturelle de son esprit, qu'il n'essaya pas de remonter, lui fit accorder à la raison un rôle trop important, et il émit quelques propositions mal sonnantes qui le firent citer au concile de Soissons, assemblé vers 1121, comme nous le verrons plus loin, sous la présidence de Conon, légat du saint Siège : il fut forcé de jeter aux flammes son traité de la Trinité, espèce d'introduction à la théologie, dans lequel se trouvaient plusieurs propositions suspectes, et contraint de se renfermer dans le monastère de Saint-Médard de Soissons. L'auteur de la Vie de saint Gosvin, livre I, chapitre 18, attribue ce fait au pape Innocent Il, mais à tort, puisqu'à cette époque le saint Siège était occupé par Sergius II. Abélard, ayant fini par obtenir la permission de se retirer dans un lieu désert, se rendit dans une solitude du diocèse de Troyes, où il se construisit un oratoire qu'il plaça d'abord sous l'invocation de la sainte Trinité et qu'il nomma ensuite le Paraclet. Il ne put y terminer ses jours en paix. Ayant été appelé par les moines de Saint-Gildas en Basse-Bretagne, au diocèse de Vannes, pour se mettre à leur tête avec le titre d'abbé, « il trouva dans ces religieux, comme il le raconte lui-même dans l'histoire de ses malheurs, des hommes plus cruels et pires que des païens. » De retour à sa chère solitude du Paraclet, il y fit venir Héloïse; elle se trouvait ainsi que ses religieuses expulsée du monastère d'Argenteuil, que l'abbé Suger avait réuni à la maison de Saint-Denis, en 1127. Il se remit dans sa solitude, à écrire et à enseigner, et se fit de nouveau accuser d'hérésie. On vit alors plusieurs écrivains, parmi lesquels on peut citer Geoffroy, abbé de Saint-Thierri, attaquer ses écrits; ce dernier en nota même quelques passages dont il envoya la réfutation à Geoffroy, évêque de Chartres, et à saint Bernard, abbé de Clairvaux, pour les exciter à prendre en main la cause de la foi. On peut voir sur ce sujet les lettres trois cent vingt-sixième et trois cent vingt-septième. Cependant Abélard, ne pouvant supporter qu'on le traitât d'hérétique, cita saint Bernard, qu'il regardait comme l'auteur de cette imputation calomnieuse, au concile de Sens qui devait avoir lieu en 1140. Notre Saint ne s'y rendit qu'à regret: on cita plusieurs propositions impies extraites des ouvrages d'Abélard qui fut sommé ou de nier qu'il les eût écrites, ou de les abjurer s'il reconnaissait qu'elles fussent de lui. Dans soli trouble, il ne trouva rien à dire, s'il faut en croire Geoffroy d'Autun dans soli traité sur l'Apocalypse; mais au dire d'Othon de Freisingen, ce fut la crainte de soulever le peuple contre lui qui lui lit garder le silence; et saint Bernard prétend de son côté, dans sa lettre cent quatre-vingt treizième, qu'il aima mieux interjeter appel à Rome de la sentence portée contre lui, dans l'espérance d'y trouver des juges plus favorables parce qu'il comptait d'anciens disciples parmi les cardinaux et dans les rangs du clergé de l'Eglise romaine. Néanmoins les Pères du concile condamnèrent les erreurs d'Abélard et en envoyèrent la liste au pape Innocent, en même temps que plusieurs lettres écrites par saint Bernard, tant au nom du concile qu'en soli propre nom, et adressées ail Pape lui même et aux cardinaux. L'une d'elles, la cent quatre-vingt-dixième, mérite surtout d'être lue; elle contient une réfutation pleine de force des principales erreurs d'Abélard. Les propositions erronées extraites de ses ouvrages et envoyées au pape Innocent se montent à dix-sept, ainsi que le manuscrit même du Paraclet cité dans le rapport des Pères du concile en fait foi; mais, comme on peut les trouver presque toutes dans la lettre cent quatre-vingt-dixième de saint Bernard et dans celle de Guillaume, qui est la trois cent quatre-vingt-dixième de notre collection, il ne nous a pas semblé à propos de les donner ici. D'ailleurs l'exposé que nous en avons placé ,lu tome second des uvres de saint Bernard, d'après le manuscrit du Vatican, nous parait suffisant. 152. Le pape Innocent ayant reçu la lettre synodale des Pères du concile de Sens, leur répondit et condamna les erreurs qu'ils lui avaient signalées. Sa lettre est la cent quatre-vingt-quatorzième de notre collection des lettres de saint Bernard; mais il en existe encore une autre du même Pape concernant Abélard; voici en quels termes elle est conçue: Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. A nos vénérables frères Samson archevêque de Reims, et Henri archevêque de Sens, et à notre très-cher fils en Jésus-Christ, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et bénédiction apostolique. « Par les présentes, nous enjoignons à vos Fraternités de faire enfermer séparément dans telles maisons religieuses qu'il vous plaira Pierre Abélard et Arnaud de Brescia, inventeurs de dogmes pervers et ennemis déclarés de la foi catholique; et de plus ordonnons de faire saisir partout où ils se trouveront et jeter aux flammes les livres où ils ont exposé leurs erreurs. Donné au palais de Latran le 15 août. » Sur l'enveloppe, on lisait ces mots: Ne communiquer le présent rescrit à personne, avant qu'il ait été remis aux archevêques eux-mêmes dans le colloque de Paris qui est sur le point de se réunir. 153. Abélard, se voyant condamné à Rome, se désista de son appel à la persuasion de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui l'accueillit avec bonté dans son monastère, lui fit faire sa paix avec saint Bernard, et plus tard le réconcilia avec le pape Innocent et avec l'Eglise. Il passa deux années à Cluny dans les exercices d'une vie pleine d'humilité. Comme il était accablé d'infirmités, il fut envoyé au monastère de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, pour y rétablir sa santé; il y mourut en 1142, à l'âge de soixante-trois ans, après avoir donné pendant les derniers temps de sa vie le spectacle des plus rares vertus, dont Pierre le Vénérable retrace avec complaisance le tableau dans sa lettre à Héloïse, la vingt et unième du livre IV. Parmi les partisans d'Abélard il s'en est trouvé qui n'ont pas craint d'affirmer qu'il n'avait point professé les erreurs qu'on lui imputait. Pour eux, non-seulement saint Bernard s'est battu contre des ombres et des fantômes, mais encore l'autorité du concile de Soissons qui l'a jugé était mille, et la sentence de la cour de Rome contre leur auteur favori est comme non avenue. Nous allons leur répondre en quelques mots. I. Parmi les adversaires de saint Bernard, on cite Othon de Freisingen; bien qu'étant du même ordre que lui « et rempli de vénération pour sa personne, il en parle dans ses écrits comme d'un homme que le zèle de la religion chrétienne rendait ombrageux; il le fait naturellement crédule, le représente comme un ennemi déclaré de tous ceux qui se montraient un peu' trop partisans des arguments de raison et de la science humaine... de sorte que quiconque lui imputait quelque énormité en fait de doctrine, était sûr d'être écouté par lui avec complaisance. » C'est ainsi qu'Othon de Freisingen s'exprime sur le compte de saint Bernard, livre Ier des Faits et gestes de Fréderic, chap. XLVII, à l'occasion de Gilbert de la Porrée, et aussi en faveur d'Abélard. Mais Radevic rapporte, livre II des Faits et gestes de Frédéric, chapitre II, quOthon, sentant qu'il s'était un peu trop montré favorable à Gilbert, ordonna, à son lit de mort, de corriger dans ses écrits tout ce qui avait pu lui échapper sur les opinions de Gilbert, de nature à blesser les oreilles orthodoxes, ce qui équivaut à une véritable rétractation ; mais il y a plus encore, car Othon s'est lui-même exprimé ainsi, dans ses ouvrages, sur le compte d'Abélard: « Dès l'enfance, il s'adonna à l'étude des belles-lettres et des connaissances propres à orner l'esprit; mais il était si orgueilleux et si plein de lui-même qu'il était presque humilié de descendre des hauteurs de son intelligence pour écouter la leçon d'un maître. » Plus loin il continue : Ajoutez à cela qu'au concile de Soissons Abélard, de l'aveu même d'Othon, « fut convaincu de sabellianisme. » Mais en voilà assez pour qu'on puisse apprécier de quelle valeur est ce qu'Othon a pu dire contre saint Bernard. On cite, en second lieu, en faveur d'Abélard, le témoignage de Pierre le Vénérable, qui dit dans sa lettre à Héloïse dont nous avons parlé plus haut: « Saint Germain ne fut pas plus humble, ni saint Martin plus pauvre. » Quand il s'exprimait ainsi sur le compte d'Abélard, Pierre le Vénérable ne parlait que des derniers temps de sa vie qu'il passa à Cluny. Mais saint Bernard ne s'était pas attaqué dans la lutte à la sainteté de la vie qu'il devait mener plus tard, et ne mérite pas qu~on l'accuse de ne s'en être pris qu'à dès ombres et des fantômes. La Chronique de Cluny dit fort bien au sujet de Pierre le Vénérable : « Pierre Abélard, ramené des erreurs qu'il avait professées contre la foi, par Pierre le Vénérable notre abbé, et par saint Bernard, abbé de Clairvaux, abjura et devint religieux de Cluny. A partir de ce jour, ses pensées, son langage et ses oeuvres ne cessèrent d'être divins ..... Et l'on peut dire de lui comme on le disait de Grégoire le Grand : Il ne fut jamais un seul instant sans prier, lire, écrire ou dicter... etc. Aussi Pierre le Vénérable se plaît-il à le donner en exemple.... On cite une foule de textes pareils à ceux-là, dans lesquels on exalte l'esprit, la science et la mort édifiante d'Abélard, comme si saint Bernard eût jamais contesté l'une ou l'autre de ces choses. 154. II. Quant au synode de Soissons, les partisans d'Abélard prétendent qu'il a outrepassé les limites de son autorité et de sa juridiction, attendu que ni l'archevêque de Reims, ni celui de Sens qui y assistaient, n'avaient de droit sur Abélard, alors abbé de Saint-Gildas, dans le diocèse de Vannes, et que son métropolitain, l'archevêque de Tours, n'était point présent au concile. A cela on peut répondre que depuis douze ans Abélard était revenu dans son monastère du Paraclet, situé dans le diocèse de Troyes, suffragant de Sens; d'ailleurs il avait lui-même demandé à être jugé par les Pères de ce concile, comme on le voit dans la lettre cent quatre-vingt-onzième que saint Bernard adressa au souverain Pontife au nom de ce même concile : « Il a, dit-il, interjeté appel de la sentence prononcée contre lui dans le tribunal et par les juges que lui-même avait choisis. » Il ne faut pas croire, en effet, comme plusieurs ont le tort de le faire, que ce fut saint Bernard qui excita le zèle du concile de Sens contre Abélard ; bien loin de là, il ne s'y rendit lui-même qu'à contre-cur et parce qu'il y fut contraint, comme il le dit expressément dans ses lettres cent quatre-vingt-septième et cent quatre-vingt-neuvième, et ainsi que Geoffroy d'Autun, qui avait été disciple d'Abélard, en convient lui-même. Voici en quels termes il raconte ce fait dans son Commentaire sur l'Apocalypse : « S'étant rendu auprès de larchevêque de Sens dans l'église cathédrale duquel allait s'assembler un grand concile, il se Plaignit des attiques que l'abbé de Clairvaux dirigeait en secret contre ses livres, puis il ajouta qu'il était prêt à défendre ses ouvrages en publie et demanda que ledit abbé fût mandé au concile afin d'exposer ce qu'il avait à dire contre ses écrits. » On peut donc dire qu'il a été justement condamné, puisque tout juge a juridiction sur quiconque le choisit pour arbitre. C'est une règle de droit (lib. II de Jud.). La seconde attaque dirigée contre l'autorité du synode de Sens est celle de Pierre Bérenger de Poitiers: dans l'apologie qu'il a écrite pour Abélard son ancien maître, contre les Pères du concile et contre saint Bernard lui-même, il accumule de si odieux mensonges et tant de calomnies monstrueuses qu'il y a lieu de s'étonner quon puisse accepter et citer le témoignage d'un homme aussi manifestement sans honneur et sans foi, d'un auteur, en un mot, qui ne craint pas de s'exposer, je ne dis pas seulement au mépris, mais encore à la juste indignation des lecteurs par la manière inconvenante dont il parle de vénérables prélats auxquels il prodigue entre autres injures les noms d'ivrognes, de chiens et de pourceaux. Mais enfla, puisqu'il revint à de meilleurs sentiments, voyons en quels termes il écrivait à l'évêque de Mende au sujet de saint Bernard. «On me demande pourquoi je ne fais pas suivre mon premier volume d'un second, ainsi que je m'y étais engagé : c'est qu'avec le temps je sais devenu plus sage, et me sais rendu des deux pieds, comme on dit, au sentiment de l'abbé Bernard; je n'ai pas voulu me faire le champion des propositions incriminées d'Abélard, attendu que si elles ne sont pas erronées, elles sentent pourtant l'erreur. Si vous me demandez pourquoi je n'ai pas détruit mon premier volume, puisque je renonçais à la pensée d'écrire le second, je vous dirai que je n'aurais pas manqué de l'anéantir si je n'avais perdu ma peine à tenter de le faire, puisqu'il en serait toujours resté quelques exemplaires ..... » etc. 155. III. Enfin on reproche à la sentence que le souverain Pontife a prononcée dans cette affaire d'avoir été portée avec trop de précipitation, puisque Abélard fût condamné avant que sa cause ait été plaidée et sans avoir été lui-même entendu. Mais les actes mêmes du concile de Sens auquel Abélard assista, n'étaient-ils pas suffisants pour instruire son procès ? Y avait-il à la cour de Rome un cardinal, un seul clerc qui ignorât ses erreurs, et qui ne fût disposé à tenter tous les moyens de soustraire à une condamnation, si cela avait été possible, celui que plusieurs d'entre eux avaient eu pour maître? On ne saurait donc ni attaquer la sentence du pape Innocent, ni contester aux Pères du concile de Sens et à saint Bernard le droit d'agir comme ils l'ont fait; Abélard n'avait d'autre moyen de couvrir son erreur que d'y renoncer et de changer de vie. Aussi, quand Héloïse demanda, après la mort de son cher Abélard, à Pierre le Vénérable de faire graver la sentence de son absolution sur son tombeau (on peut la voir dans la bibliothèque de Cluny et parmi les oeuvres d'Abélard), elle fit preuve de beaucoup plus de sens que tous ceux qui ont entrepris, dans leurs apologies, de montrer qu'il n'était pas tombé dans des erreurs qu'il n'a cessé tout le reste de sa vie de laver dans les larmes de la pénitence (Note de Mabillon). A Sens, dans l'octave de la Pentecôte... Voici ce que dit à ce sujet Othon de Freisingen, livre I des Faits et gestes de Frédéric, chap. XLVIII: « Sous le pontificat du pape Innocent et le règne de Louis, fils de Louis l'Ancien, Pierre Abélard est de nouveau cité au concile de Sens par les évêques et par l'abbé Bernard, en présence du roi Louis, de Thibaut, comte palatin, de plusieurs personnages de distinction et d'un grand nombre de simples fidèles... »
LETTRE CLXXXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX CARDINAUX DE LA COUR DE ROME, SUR LE MÊME SUJET.
Saint Bernard les engage à avoir loeil ouvert sur les erreurs d'Abélard.
A mes seigneurs et vénérables frères les évêques et cardinaux présents à la cour de Renne, le serviteur de leurs saintetés.
1. On ne saurait douter que c'est particulièrement à vous qu'il appartient d'arracher les scandales du royaume de Dieu, de couper les épines
a On voit par là que bien loin d'avoir fait appel à ce concile. comme on l'en accuse à tort, saint Bernard ne s'y rendit qu'à contre-coeur. On peut consulter à ce sujet les notes placées à la fin du volume, à la lettre 189.
qui y poussent et d'étouffer les divisions qui y naissent; car, en se retirant sur la montagne, Moïse (je parle de celui qui est venu dans l'eau et le sang, et non pas du Moïse qui ne vint que dans l'eau, lequel est moins grand due le nôtre, puisqu'il n'est pas venu dans le sang), Moïse a dit: « Je vous laisse Hur et Aaron, pour terminer les différends qui pourront surgir parmi vous (Exod., XXIV,14). » Pour nous, Hur et Aaron, c'est le zèle et l'autorité que l'Église de Rome exerce sur le peuple de Dieu ; aussi est-ce à elle que nous avons recours pour terminer nos disputes et pour empêcher qu'on ne porte atteinte à la foi et qu'on ne s'attaque à Jésus-Christ, qu'on n'insulte aux Pères et qu'on ne méprise. leur autorité, qu'on ne scandalise notre siècle et cpi'on ne nuise même aux siècles futurs. On méprise la foi des simples et l'on aspire à pénétrer les secrets de Dieu. On aborde avec audace les questions les plus ardues en riant des Pères de l'Église, qui croyaient plus sage de les laisser dormir que d'entreprendre de les résoudre. C'est ainsi que, malgré la défense de Dieu, on fait bouillir l'agneau pascal, ou bien on le mange tout cru à la manière des bêtes sauvages, et, au lieu de brûler ce qui en reste, on le foule indignement aux pieds (Exod., XII, 9). Voilà comment l'esprit humain veut étendre son domaine sur tout et ne laisse rien à la foi. Il aborde les choses qui sont au-dessus de sa portée et veut comprendre, ce qui passe ses lumières; il fait irruption dans les choses de Dieu et les défigure sous prétexte de les expliquer; il n'ouvre point la porte ou le sceau qui nous les cache, il les brise; il traite de pur néant ce qu'il ne peut comprendre et refuse de le croire. 2. Prenez la peine de lire le livre qu'Abélard appelle sa Théologie, il est aisé de se le procurer, puisque l'auteur se vante que presque toute la cour de Rome l'a entre les mains, et vous verrez en quels termes il s'exprime sur la sainte Trinité, la génération du Fils, la procession du Saint-Esprit, et sur beaucoup d'autres points qu'il entend d'une manière aussi nouvelle que choquante pour les oreilles et les âmes orthodoxes. lisez aussi ses Sentences et son Connais-toi toi-même, et vous verrez comme l'erreur et le sacrilège y pullulent (a); ce qu'il pense de l'âme de Jésus-Christ, de sa personne, de sa descente aux enfers et du sacrement de lautel; du pouvoir de lier et de délier, du péché originel, de la concupiscence, du péché d'ignorance, de délectation et de faiblesse, de l'acte même du péché et de la volonté de pécher; et si vous trouvez que je n'ai pas tort de m'en alarmer, partagez mes alarmes; mais, pour le faire avec fruit, que votre sollicitude soit en rapport avec le rang que vous occupez, la dignité et le pouvoir que vous avez reçus. Faites descendre au fond des enfers ce téméraire qui ose diriger son vol au plus haut des
a Dans quelques éditions, on lit : « Et vous verrez quelles moissons de sacrilèges et d'erreurs y pullulent! » mais les manuscrits donnent notre version.
cieux; confondez à l'éclat de la lumière par excellence les oeuvres de ténèbres qu'il ose produire au jour. La condamnation publique de celui qui pèche publiquement ne peut manquer de réprimer les esprits audacieux qui font prendre également les ténèbres pour la lumière, qui dogmatisent jusque dans les carrefours sur les choses de Dieu et qui sèment dans leurs livres le poison de l'erreur qu'ils ont dans le coeur. Voilà comment vous réussirez à fermer la bouche aux impies.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CLXXXVIII.
156. Lisez aussi ses sentences..... Abélard affirme, dans son Apologie, qu'il n'a publié aucun ouvrage sous ce titre, et accuse ses adversaires « de le lui imputer par malice ou par ignorance. » Duchesne dit également dans ses notes que: « C'est par ignorance que saint Bernard attribue cet ouvrage à Abélard, dans sa lettre cent quatre-vingt-huitième, et semble insinuer qu'il a confondu Pierre auteur du livre des Sentences avec Abélard. Mais saint Bernard connaissait trop bien Pierre Lombard, dont il parle dans sa lettre quatre cent dixième, pour avoir commis une pareille méprise. D'ailleurs, à la date de cette lettre, Pierre Lombard n'avait pas encore publié son livre des Sentences. Nous avons entre les mains un ouvrage certainement composé par Abélard, ayant pour titre . Le oui et le non, mais auquel un très-vieux manuscrit donne le suivant . Sentences en apparence contradictoires, extraites des saintes Ecritures; c'est à cause de celle apparente contradiction qu'on a appelé ce recueil, LE OUI ET LE NON ; mais je ne saurais dire si saint Bernard fait allusion à cette compilation dans sa lettre. Outre les ouvrages d'Abélard que cite Duchesne, il y en a un autre adressé à sa chère Héloïse sur l'Hexaméron (Note de Mabillon).
LETTRE CLXXXIX. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.
Saint Bernard lui fait la peinture de la douleur où son. finie est plongée en voyant que l'Eglise, à peine sortie du schisme, est assaillie par les erreurs d'Abélard, et il l'engage à les combattre.
Au très-aimable père et seigneur Innocent, par la grâce de Dieu souverain pontife, son très-humble serviteur Bernard, abbé de Clairvaux.
1. C'est une nécessité que le scandale arrive, mais nécessité bien amère ; aussi le Prophète s'écrie-t-il : « Qui me donnera les ailes de la colombe, afin que je prenne mon vol et me retire dans un lieu tranquille (Psalm. LIV, 7) ? » tandis que l'Apôtre ne désire rien tant que de mourir afin de vivre en paix avec Jésus-Christ (Philip., I, 23), et qu'un autre saint fait entendre ce gémissement: «C'en est assez, ô mon Dieu, reprenez mon âme, je ne vaux pas mieux que mes pères (III Reg., XIX, 4) ! » Je ressemble à ces saints personnages, sinon par la sainteté, du moins par les dispositions de mon coeur, car je voudrais comme eux sortir de ce monde, tant j'y suis accablé de tristesse et d'épreuves. Mais si je suis aussi fatigué qu'eux de la vie, je crains de n'être pas aussi bien préparé à la mort. La vie m'est à charge, mais je ne sais s'il me serait avantageux de mourir; d'ailleurs je vois encore une autre différence entre les saints et moi, c'est qu'ils appelaient la mort de leurs voeux, parce qu'elle devait les introduire dans un monde meilleur, et moi, au contraire, je ne l'invoque que pour échapper aux scandales et art épreuves de celui-ci; car si l'Apôtre dit: « Je voudrais mourir pour être avec Jésus-Christ (Philipp., I, 23), » un saint désir produit en lui ce qu'un sentiment de douleur fait en moi; il ne peut jouir dans ce misérable monde de l'objet de ses voeux, et moi je ne puis me soustraire aux maux que j'y souffre. Voilà pourquoi je dis que si nos désirs sont semblables, les motifs sur lesquels ils reposent sont bien différents. 2. Insensé que j'étais, je me promettais quelque tranquillité dès que la rage du lion serait apaisée et la paix rendue à l'Eglise ; elle l'est, et je n'en puis goûter la douceur! J'avais oublié que je n'ai point encore quitté cette vallée de larmes et que j'habite toujours dans une terre ingrate qui ne sait produire pour moi que des ronces et des épines; en vain je les coupe, de nouvelles succèdent aux premières, et ne disparaissent que pour laisser la place à d'autres. On me l'avait bien dit, mais je n'en puis plus douter à présent, une dure expérience ne me convainc que trop de cette triste vérité. Je me croyais arrivé au terme de mes peines; elles recommencent de plus belle; je suis replongé dans les larmes et mes maux redoublent; à peine échappé aux frimas, je retombe dans les neiges; quel homme pourrait résister à un froid pareil (Psalm. CXLVII, 17) ? Il glace la charité, mais il est favorable à l'iniquité. A peine échappés à la gueule du lion, nous tombons sous la dent du dragon ; je ne sais lequel des deux est le plus à craindre de celui qui se tient caché dans les trous ou du lion qui rugit dans les montagnes. Mais que dis-je? ce n'est plus dans un trou que le dragon se cache. Plût à Dieu que ses feuilles empoisonnées demeurassent ensevelies dans quelque coin de bibliothèque! Mais on les lit dans les places publiques, elles volent de main en main, et les méchants, qui n'aiment pas la lumière, s'en prennent à la lumière, dont ils prodiguent le nom aux ténèbres. Voilà comptent en tous lieux elles se substituent à la première; la ville et la campagne avalent le poison qu'elles prennent pour du miel, ou mieux avec le miel. En un mot, ces écrits se répandent citez tous les peuples et passent d'un pays à l'autre. C'est un nouvel Evangile qu'on propose aux hommes, une foi nouvelle qu'on leur annonce, un autre fondement que celui de Jésus-Christ qu'on donne à leurs croyances. Ce n'est plus selon les principes de la morale qu'on traite des vices et des vertus, ni selon les règles de la foi qu'on parle des sacrements de l'Eglise, non plus que dans une simplicité discrète qu'on expose le mystère de la sainte Trinité; mais on renverse l'ancienne méthode et on nous propose toutes ces choses d'une manière extraordinaire et inouïe. 3. Le nouveau Goliath, tel qu'un géant terrible, s'avance armé de toutes pièces et précédé de son écuyer, Arnaud de Brescia. Ils sont l'un et l'autre comme l'écaille qui recouvre l'écaille et ne permet point à l'air de pénétrer par les jointures; l'abeille de France a appelé comme d'un coup de sifflet celle d'Italie a, et elles se sont réunies contré le Seigneur et son Christ. Tous deux ont bandé leur arc, ont garni leur carquois de flèches et se sont placés en embuscade pour tirer sur les coeurs simples. Tout dans leur extérieur et dans leur manière de vivre respire la piété, mais leurs coeurs en ignorent les véritables sentiments; et ces anges de
a Allusion au verset 18 du chapitre VII d'Isaïe ainsi conçu : « En ce temps-là, le Seigneur appellera comme d'un coup de sifflet la mouche qui est à l'extrémité des fleuves de l'Egypte et labeille qui est au pays d'Assur. » L'abeille de France est Abélard, et celle d'Italie Arnaud de Brescia, dont nous parlerons dans les notes de la lettre cent quatre-vingt-quinzième.
Satan, transformés de la sorte en anges de lumière , séduisent un grand nombre de personnes. Ce Goliath s'avance donc avec son écuyer entre les deux armées et il insulte aux phalanges d'Israël, il prodigue l'outrage aux bataillons des saints avec d'autant plus d'insolence qu'il sait bien qu'il n'a point à craindre qu'un David se présente. Pour abaisser les Pères de l'Eglise, il exalte les philosophes, il préfère leurs découvertes et ses propres nouveautés à leur foi et à leur doctrine. Enfin, quand il fait trembler et fuir tout le monde, c'est moi, le plus sa petit de tous, qu'il provoque au combat. 4. Enfin l'archevêque de Sens m'a écrit à sa sollicitation, pour me fixer un jour où il devait en sa présence et devant les évêques ses confrères, soutenir et prouver contre moi ses dogmes impies contre lesquels j'avais osé m'élever. Je refusai d'abord la lutte, parce qu'en effet je ne suis qu'un enfant et que mon adversaire est un homme qui s'est exercé à la lutte depuis sa jeunesse ; d'ailleurs je ne trouvais pas qu'il fût convenable de commettre avec la faible raison humaine, la foi divine dont la certitude repose sur la vérité même. A mon avis il suffisait de ses propres frits pour le condamner; d'ailleurs cette affaire ne me regardait pas, c'était celle des évêques qui ont mission de juger les doctrines. Mais sur ma réponse, Abélard, élevant aussitôt la voix plus haut encore qu'il ne l'avait fait, appelle à lui et réunit à ses côtés une foule de partisans et mande à ses disciples sur mon compte des choses dont je vous épargnerai le récit. Il va publiant partout qu'il était prêt à me répondre au concile de Sens. Ce devint bientôt un bruit si général qu'il ne put manquer d'arriver jusqu'à mes oreilles. Je fis d'abord comme si je ne l'entendais pas, car toutes ces rumeurs populaires ne me touchaient guère; mais enfin je dus céder, bien à regret et les larmes aux yeux, aux conseils de mes amis qui, voyant que chacun se préparait à cette conférence comme à un spectacle, craignaient que mon absence ne fuit une occasion de chute pour les faibles en même temps qu'un sujet d'orgueil pour mon adversaire, et que l'erreur ne se fortifiât d'autant plus qu'elle ne rencontrerait point de contradicteur. Je me rendis donc le jour dit à l'endroit indiqué, n'ayant rien préparé ni pour l'attaque ni pour la défense, mais étant bien pénétré de cette parole : « Ne méditez point d'avance ce que vous devez répondre, car ce que vous aurez à dire vous sera suggéré à l'instant même (Matth., X, 29) ; » et de cette autre du Prophète. « Le Seigneur est ma ressource, je ne crains rien de la part des hommes (Psalm. CXVII, 6). » Outre les évêques et les abbés, il se trouva dans cette assemblée un grand nombre de religieux, de professeurs de différentes villes et de savants ecclésiastiques : le roi lui-même s'y était rendu. Ce fut en présence de tout ce monde que mon adversaire se leva pour engager la lutte; mais à peine eut-on commencé à produire certaines propositions extraites de ses ouvrages que, ne voulant pas en entendre davantage, il sortit de l'assemblée et en appela à Rome de la sentence des juges que lui-même avait choisis, ce qui me paraît tout à fait contraire au droit. Toutefois on n'en continua pas moins l'examen de ses propositions qu'on jugea tout d'une voix contraires à la foi et à la vérité. Voilà ce que j'ai à dire pour ma propre justification si par hasard on m'accuse d'imprudence ou de légèreté dans une affaire de cette importance. 5. Pour vous, qui êtes le successeur de Pierre, je vous laisse à juger si le siège de cet apôtre doit servir d'asile à l'ennemi de la foi qu'il a prêchée. Vous êtes l'ami de l'Epoux, c'est donc à vous qu'il appartient de mettre son Epouse à l'abri des coups qu'essaie de lui porter la langue perfide des méchants. Oui, c'est à vous, très-aimable Père, si vous me permettez de vous parler en toute liberté, de faire attention à vous et de tenir compte des grâces que vous avez reçues de Dieu. En effet, s'il a jeté les yeux sur votre néant pour vous élever au-dessus des peuples et des rois, n'est-ce pas afin que vous pussiez arracher et détruire, puis édifier et planter? Considérez, je vous prie, comment il vous a tiré de la maison de votre père et les grâces dont alors et depuis il a comblé votre âme. Que de choses il a faites par vous dans son Eglise ! que de plantes mauvaises il vous a donné la force d'arracher et de détruire, à la face de la terre et du ciel, dans le champ du père de famille! que de belles constructions il vous a fait élever, que de plants de salut il vous a aidé à cultiver et à propager ! S'il a permis au schisme de déchaîner sa rage sous votre pontificat, ce fut pour vous ménager la gloire de le terrasser. N'ai-je pas vu s'écrouler sous vos malédictions l'édifice de l'insensé, qui semblait reposer sur un fondement inébranlable? Oui, j'ai vu l'impie, je l'ai vu, dis-je, portant sa tête haute comme le cèdre du Liban; je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus ! Au reste, a il faut qu'il y ait des schismes et des hérésies, afin qu'on puisse reconnaître ceux qui sont tout à fait à Dieu (I Cor., XI, 19). » Or Dieu vous a déjà éprouvé, comme je l'ai dit, et reconnu dans le schisme; et pour que rien ne manque à votre gloire, voici maintenant l'hérésie qui lève la tête à son tour. Mettez donc le comble à vos vertus, et, pour ne déchoir en rien de la gloire des pontifes qui vous ont précédé, exterminez, très-aimable Père, exterminez tous ces petits renards qui dévastent la vigne du Seigneur; ne leur donnez pas le temps de grossir et de se multiplier, de peur que plus tard il ne soit impossible à vos successeurs de nous en débarrasser. Mais que parlé-je de petits renards? ils ne sont, hélas ! déjà que trop grands et trop nombreux, et il ne faut rien moins qu'un bras aussi vigoureux que le vôtre pour les détruire. Jacinthe s'est montré plein d'animosité contre moi, mais il ne m'a pas fait tout le mal qu'il aurait voulu; quant à moi, il m'a semblé que je devais le supporter avec patience, bien qu'il n'ait pas eu beaucoup plus de ménagement pour votre personne et pour la cour de Rome que pour moi. Nicolas (a), que je vous envoie et qui ne. vous est pas moins dévoilé qu'à moi, vous fera part de tout cela de vive voix.
LETTRE CXC. AU PAPE INNOCENT, SUR QUELQUES ERREURS DE PIERRE ABÉLARD.Lan 1140
Cette lettre, à cause de son étendue, est rangée au nombre des traités.
LETTRE CXCI. AU PAPE INNOCENT, AU NOM DE L'ARCHEVÊQUE DE REIMS ET D'AUTRES ÉVÊQUES.
Lan 1140
Abélard a le coeur enflé d'une vaine science et se vante de son crédit en cour de Rome; saint Bernard engage le souverain Pontife à faire usage de son autorité pour réprimer ces sentiments.
A leur très-révérend seigneur et très-aimable père Innocent, souverain Pontife parla grâce de Dieu, Samson, archevêque de Reims, Josselin, évêque de Soissons, Geoffroy, évêque de Châlons-sur-Marne, et Alvise, évêque d'Arras, hommage volontaire de la soumission qui lui est due.
1. Les nombreuses affaires auxquelles vous devez prêter l'oreille nous forcent à vous exposer en peu de mots une affaire très-longue par elle-même dont l'archevêque de Sens vous a déjà pleinement entretenu par lettre. Pierre Abélard travaille à détruire la vérité de la foi en soutenant que la raison humaine est capable de comprendre Dieu dans toute son étendue. Il plonge ses regards jusque dans les profondeurs des cieux et des abîmes, car il n'est rien qu'il ne scrute au ciel ou dans les enfers. Il est grand à ses propres yeux et dispute de la foi contre la foi; c'est un homme prétentieux et bouffi d'orgueil à. qui la majesté de Dieu même n'impose aucune réserve, un véritable artisan d'hérésies. Il a fait autrefois un livre sur la Trinité, qu'un légat (b) du saint Siège a trouvé
a On lit la même chose à la fin de la lettre trois cent trente-huitième à Haimeric , mais on ne sait quel est ce Jacincte ou Jacynthe. Peut-être est-ce le même personnage que celui qui tut plus tard tait cardinal du titre de Sainte-Marie en Cosmédin, par le pape Luce II, et qui fut connu sous le nom de Bobon. On croit que c'est de lui quil est question lettre cinq cent huitième de Duchesne, tome IV. Quant à Nicolas, c'était un moine de Clair. vaux qui fut plus tard secrétaire de saint Bernard. II en est encore parlé dans la lettre deux cent quatre-vingt dix-huitième. b Conon, qui présida le concile de Soissons en l'année 1122. Voir les notes de la lettre cent quatre-vingt-septième et la préface du présent volume, à l'endroit où il est parlé du schisme d'Anaclet.
rempli d'erreurs et qu'il a condamné au feu. Il est dit : Malheur à celui qui relève les murs de Jéricho ! Or, ce livre renaît de ses cendres, et avec lui ressuscitent de nombreuses hérésies qu'on avait crues mortes et que beaucoup voient reparaître. La doctrine qu'il renferme, telle qu'un cep aux vigoureux sarments, s'étend jusqu'à la mer et déjà même a poussé ses bourgeons jusqu'à Rome où Abélard se vante que son livre a trouvé bon accueil et compte des partisans même parmi les membres de la cour romaine. Voilà ce qui encourage et redouble sa fureur. 2. Aussi quand l'abbé de Clairvaux, dans son zèle pour la foi et la justice, le pressait de ses arguments en présence des évêques assemblés, au lieu de s'expliquer, il récusa le tribunal et le. juge qu'il avait choisis lui-même et en appela à Rome, bien qu'il ne pût se plaindre qu'on lui eût fait le moindre tort ou causé le moindre ennui; mais c'était pour lui le moyen de prolonger le mal. De leur côté, les évêques qui s'étaient assemblés pour cette affaire s'abstinrent, par déférence pour votre autorité, de rien faire contre sa personne et se contentèrent de censurer les passages de ses livres qui étaient condamnés d'avance par les Pères de l'Église. La crainte de voir le mal s'étendre davantage les contraignit d'en user ainsi; mais, comme le nombre de ses adhérents grossit de jour en jour et que tout un monde de partisans embrasse ses erreurs, il est urgent que vous apportiez vous-même un prompt remède au mal, si vous ne voulez pas ne songer à le guérir qu'après que de trop longs retards l'auront rendu incurable (Ovid., liv. I, des Remèdes de l'amour). Nous avons conduit cette affaire aussi loin que nous avons osé le faire; c'est à vous maintenant, Très-Saint Père, d'empêcher que la beauté de l'Église ne soit flétrie sous votre pontificat, par le souffle de l'hérésie. Le Christ vous a confié son Epouse comme à son ami, c'est à vous de la remettre pure et sans tache entre les mains de Celui de qui vous l'avez reçue.
LETTRE CXCII. A MAITRE GUY DU CHATEL (a).
Lan 1140
Saint Bernard l'engage à ne pas aimer ni favoriser Abélard au point de prendre parti même pour ses erreurs.
A son vénérable seigneur et très-cher père, maître Guy, par la grâce de Dieu cardinale prêtre de la sainte Eglise romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et servi sincère qu'il n'incline trop ni à droite ni à gauche.
Je vous ferais injure si je pensais que votre amitié pour les gens pourrait s'étendre jusqu'à aimer leurs erreurs, car c'est ignorer les règles de
a Dans trois manuscrits de la Colbertine, le titre de cette lettre est ainsi conçu: A maître Guy du Châtel, ancien élève de Pierre, pour lequel il se sentait fortement prévenu, et plus tard pape sous le nom de Callixte. C'est le second souverain Pontife de ce nom; il monta dans la chaire de saint Pierre en 1143. C'est à lui qu'est adressée la lettre cent soixante-neuvième, que plusieurs manuscrits font suivre de cette lettre cent quatre-vingt-douzième et de la suivante.
l'amitié véritable que d'aimer ainsi; une telle affection n'a rien que de terrestre, de charnel, de diabolique et de funeste aussi bien à celui qui aime qu'à celui qui est aimé de la sorte. Que les hommes se jugent les uns les autres comme ils l'entendent; quant à moi, je ne puis porter de vous d'autre jugement que celui que la raison et la justice me dictent. Il y a des gens qui commencent par se prononcer et qui vont ensuite aux preuves; pour moi je n'affirme qu'un breuvage est doux ou amer qu'après y avoir goûté. Maître Pierre a introduit dans ses ouvrages des nouveautés profanes tant par les termes, dont il se sert que par le sens qu'elles expriment; il dispute de la foi contre la foi et se sert des paroles de la loi pour détruire la loi. Ce n'est plus l'homme qui n'aperçoit encore les choses que comme dans un miroir et en énigme (I Cor., XIII, 12), mais un homme plein de vanité et bouffi d'orgueil qui les voit déjà face à face. Il vaudrait bien mieux pour lui qu'il se connût lui-même selon le titre de son livre (Intitulé : Connais-toi toi-même), qu'il se contint dans de justes bornes et se contentât d'être sage avec mesure. Je ne l'accuse point au tribunal de Dieu le Père; il a un autre accusateur que moi, c'est son livre favori, celui qui fait ses malheureuses délices. Il parle de la Trinité comme Arius, de la grâce comme Pélage, de la personne du Christ comme Nestorius. Mais je manquerais à la bonne opinion que j'ai de votre justice si j'insistais plus longtemps sur la nécessité pour vous de n'envisager dans la cause du Christ que les intérêts de Notre-Seigneur; toutefois ne perdez pas, de vue qu'il y va de votre intérêt dans le rang où Dieu vous a placé, de celui de l'Eglise du Christ et même de l'intérêt de la personne dont il s'agit, qu'on lui impose silence, puisqu'il n'ouvre la bouche que pour blasphémer et pour faire entendre des paroles amères et dangereuses.
LETTRE CXCIII. A MAITRE YVES (a), CARDINAL, SUR LE MÊME SUJET.
Lan 1140
Il est honteux qu'Abélard puisse compter des partisans jusque dans la cour de Rome.
A son très-cher Yves, par la grâce de Dieu cardinal-prêtre de l'Eglise romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et voeu sincère qu'il aime la justice et haïsse l'iniquité.
Maitre Pierre Abélard est un moine sans règle et un prélat n'ayant pas charge d'âmes, il n'est d'aucun ordre et aucun ordre ne le reconnaît;
a Il était chanoine de Saint-Victor de Paris quand il devint, en 1130, cardinal du titre de Saint-Laurent in Damaso. il est parlé de lui dans la lettre cent quarante-quatrième: Envoyé en France en qualité de légat du saint Siége, il excommunia le comte de Saint-Quentin. Voir la lettre deux cent seizième, et, pour son testament, la lettre deux cent dix-huitième.
c'est un composé d'éléments opposés; sous l'extérieur de saint Jean-Baptiste, ii a l'âme d'Hérode; c'est un être ambigu n'ayant de religieux que l'habit et le nom. Mais que m'importe? A chacun son fardeau. Ce que je ne puis taire, c'est un point qui intéresse tous ceux qui ont la gloire du Christ à cour. Il prêche hautement l'iniquité, il altère l'intégrité de la foi et corrompt la pureté de l'Église. Les bornes que nos Pères ont posées ne l'arrêtent point, et quand il entreprend de parler ou d'écrire sur la foi, les sacrements et la sainte Trinité, il change tout à sa guise, ajoute ou retranche selon qu'il lui plaît. Enfin partout dans ses livres et dans ses écrits il se montre artisan de dogmes impies. En nit mot, on reconnaît en lui l'hérétique non moins à son opiniâtreté à soutenir l'erreur qu'à l'erreur même qu'il embrasse; toujours à une hauteur qui dépasse les forces de son génie, il anéantit la vertu de la croix de Notre-Seigneur par ses raisonnements captieux; bref il n'est rien dans le ciel et sur la terre qui il ne connaisse, si ce n'est lui-même. Non content d'avoir été condamné (a) avec son livre à Soissons en présence du légat du saint Siège, il travaille à s'attirer de nouvelles censures, car ses dernières erreurs sont pires encore que les premières. Cependant il vit dans une assurance complète, parce qu'il compte de nombreux disciples parmi les cardinaux et les ecclésiastiques de la cour de Rome, et il se flatte que ceux dont il devrait craindre les censures et la condamnation seront les défenseurs de ses erreurs, tant nouvelles qu'anciennes. Tout homme animé de l'esprit de Dieu doit se rappeler ce verset du psaume « N'ai-je pas été, Seigneur, l'ennemi de vos ennemis et n'ai-je point ressenti contre eux les ardeurs d'un zèle dévorant (Psalm. CXXXVIII, 21) ? » Dieu veuille se servir de vous et de ses autres enfants pour mettre son Eglise à l'abri des coups de langue des méchants et de leurs discours pleins d'artifices!
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CXCIII.
157 ..... Condaniné avec son livre à Soissons ..... Voici ce qu'on lit sur ce concile dans les notes de Duchesne sur Abélard : « Il y eut deux conciles à Soissons à peu près vers le même temps; l'un en 1095, convoqué par l'archevêque de Reims contre Roscelin; Yves en fait mention dans sa lettre septième; Anselme, abbé du Bec, en parle dans sa lettre, à Foulques évêque de Beauvais, et Abélard lui-même dans celle qu'il écrivit à l'évêque de Paris Geoffroy; l'autre en 1120, sous la présidence de Conon, légat du saint Siège ...... » etc. Mais, d'après Abélard, ce dernier synode ne s'assembla qu'après la mort de Guillaume de Champeaux; si on se range à l'opinion que nous avons émise plus haut, lettre troisième, sur la mort de Guillaume, on sera obligé de placer le second synode de Soissons en 1121 ou 1122, mais avant 1123, année de la mort d'Adam, abbé de Saint-Denys, comme le rapporte Abélard, au chapitre X de l'Histoire de ses Malheurs. Othon de Freisingen parle ainsi de ce synode, livre I des Faits et gestes de Frédéric, chap. XLVII: « Dans le concile provincial de Soissons, assemblé contre lui, et présidé par un légat du saint Siège, Abélard fut jugé coupable de sabellianisme par des hommes remarquables et par des maîtres fameux, Albéric de Reims et Leutaud de Novare, et il fut condamné par les évêques à jeter de sa propre main dans les flammes, les livres qu'il avait publiés sur la Trinité, et qu'il avait intitulés : Introduction à la Théologie; on ne lui laissa pas la faculté de répondre, parce qu'on redoutait son habileté dans l'argumentation. » Tel est le récit d'Othon. Abélard, au chapitre x de l'Histoire de ses Malheurs, ajoute « qu'il fut livré entre les mains de l'abbé de Saint-Médard, comme coupable et convaincu, et conduit à cette abbaye qui devait lui servir de prison. Mais, ajoute-t-il un peu plus loin, le légat du saint Siège, ne tardant pas à se repentir de ce qui avait été fait, me fit sortir du couvent et me remit en liberté. » Il est question de cette réclusion d'Abélard dans la Vie de saint Gosvin, qui était alors prieur de Saint-Médard: «On envoyait dans ce couvent, dit l'auteur de cette Vie, les ignorants pour les instruire, les débauchés pour les corriger et les entêtés pour les mater; de là vint que, sur le bruit des changements merveilleux que la main de Dieu opérait dans les âmes dans cette maison-là, ce que le pape Innocent, il voulait dire le pape Callixte, n'ignorait pas, on y envoya aussi pour y être reclus, maître Pierre qu'on avait convaincu d'avoir enseigné l'erreur, et qu'on lavait condamné au silence (Vie de saint Gosvin, livre I, chapitre XVIII). On peut consulter la Vie de saint Gosvin, si on veut en apprendre davantage sur ce sujet, ainsi que les notes de la lettre cent quarante-quatrième, pour ce qui concerne Yves.
LETTRE CXCIV. RESCRIT DU PAPE INNOCENT CONTRE LES ERREURS DE PIERRE ABÉLARD.
Innocent, évoque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables frères Henri, archevêque de Sens et Samson, archevêque de Reims, aux évêques leurs suffragants, et à son très-cher fils en Jésus-Christ, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et bénédiction apostolique.
L'Apôtre l'a dit (Eph., IV, 5), de même qu'il n'y a qu'un seul Dieu, ainsi il n'y a qu'une seule foi, sur laquelle repose, comme sur un inébranlable fondement que personne au monde ne saurait remplacer par un autre, l'inviolable Église catholique. C'est pour avoir confessé cette
A Ce fut en 1121, comme on peut le voir dans la note placée à la fin du volume.
foi avec éclat que le bienheureux Pierre, le chef des apôtres, mérita d'entendre ces paroles de la bouche de Notre-Seigneur et Sauveur « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise (Matth., XVI, 18) ; » pour nous figurer par le roc la fermeté de la foi et la solidité de l'unité catholique. C'est encore la foi que désigne la tunique sans couture du Sauveur, que les soldats ont tirée au sort, mais qui ne fut point divisée ; les peuples dans le principe se sont révoltés contre elle, et ont conjuré sa perte; les princes et les rois se sont coalisés pour la détruire (Psalm. II, 1 et 2), mais ce fut en vain. Les apôtres, pasteurs du troupeau de Jésus-Christ, et les hommes apostoliques qui leur ont succédé, brûlant du feu de la charité et consumés du zèle de la justice, n'ont point hésité, à prendre sa défense et à verser leur sang pour la faire germer dans le coeur des hommes. Puis la rage des persécuteurs s'est assoupie et le calme a été rendu à l'Église. 2. C'est alors que l'ennemi du genre humain, qui rôde constamment à la recherche d'une proie qu'il dévore, inspira aux hérétiques, pour corrompre la pureté; de la foi, un langage plein de fourbe et d'artifice ; mais l'énergie des pasteurs de l'Église tint tète à ces nouveaux ennemis et les frappa, cul et leurs dogmes impies, de la même condamnation. Le concile de litée anathématisa Arius, celui de Chalcédoine terrassa l'hérésie de Nestorius, et frappa d'une juste réprobation Eutychès et Dioscore avec tous leurs partisans. On vit aussi l'empereur Marcien , tout laïque qu'il était, dans son zèle pour la foi catholique, adresser au pape Jean (a), l'un de nos prédécesseurs, une lettre où il prenait la défense de nos sacrés mystères contre ceux qui veulent les profaner, et dans laquelle il tenait ce langage : « Que nul, dit-il, soit ecclésiastique, soit homme de guerre, ou de quelque condition qu'il puisse être, ne se mêle à l'avenir de disputer publiquement sur les vérités de la foi chrétienne, car c'est porter atteinte au respect dû aux décisions du saint concile que de remettre en question les points qu'il a une fois jugés et définis; quiconque osera enfreindre cette ordonnance encourra la peine des sacrilèges, et si c'est un ecclésiastique, il sera déposé. » 3. D'ailleurs nous apprenons avec douleur, tant par votre lettre que par la liste des erreurs que Votre Fraternité nous a fait parvenir, que dans ces derniers temps si gros de menaces pour l'Église, la pernicieuse doctrine de Pierre Abélard tt fait revivre tentés les hérésies dont nous venons de parler, et d'autres dogmes impies que la foi condamne. Mais dans notre affliction nous ne sommes pas sans éprouver une très-grande consolation dont nous rendons grâces au Tout-Puissant, car nous voyons qu'il suscite dans vos contrées de dignes successeurs des Pères, des pasteurs zélés à combattre sous notre pontificat les erreurs de
a Aux habitants de Constantinople, sous le pontificat de Léon.
ce nouvel hérétique, et à maintenir l'Epouse du Christ dans sa pureté immaculée. Pour nous, qui, tout indigne que nous soyons, occupons la chaire de l'apôtre à qui s'adressaient ces paroles du Seigneur: « Et vous, quand un jour vous serez converti, confirmez vos frères (Luc., XXII, 32); » après en avoir conféré avec nos frères les évêques et les cardinaux, nous avons, en nous appuyant sur les saints canons, condamné les propositions dont vous nous avez adressé la liste, et en général tous les dogmes impies de Pierre Abélard; nous avons déclaré cet auteur hérétique et lui avons imposé un éternel silence; de plus, nous entendons qu'on sépare du reste des fidèles et qu'on frappe d'excommunication quiconque embrassera et soutiendra ses erreurs. Donné à Saint-Jean-de-Latran, le 16 juillet.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE CXCIV.
1 58. Au pape Jean..... Il s'est glissé là une double erreur, sur les destinataires de la lettre et sur le pape alors existant. Il se trouve bien une lettre ou décret de l'empereur Marcien parmi les actes du concile de Chalcédoine qui fut célébré en 451, sous le pontificat de Léon le Grand; mais elle est adressée aux habitants de Constantinople, et nullement au pape saint Léon, encore moins au pape Jean, qui n'occupa la chaire de Saint-Pierre que plus de quatre-vingts ans après la mort de Marcien. Il nous semble qu'on peut rétablir le passage de la lettre d'Innocent en exprimant le nom du Pape de cette manière : « ..... Adresser sous le pontificat de Léon, un de nos prédécesseurs,.... » etc. Ce décret se trouve reproduit à la lin de l'action VI du même concile, dans les termes suivants : « Après cela, notre très-pieux et très-saint empereur dit au synode: La vraie foi catholique ayant été formulée par le saint concile oecuménique, d'après la doctrine des saints Pères, notre Sérénité a trouvé expédient et juste de couper court désormais à toute occasion de discussions religieuses sur les choses de la foi. En conséquence, quiconque, simple particulier, homme de guerre ou d'église, rassemblera le peuple pour disputer publiquement des matières de foi, et, sous prétexte de discussions religieuses, occasionnera quelque trouble, sera banni de notre ville impériale, s'il n'est que simple particulier, et dégradé s'il est homme de guerre ou d'église, sans compter les autres peines qu'il pourra encourir. » Ce décret se trouve encore rappelé livre III, chapitre de la suprême Trinité et de la foi catholique. Saint Léon en parle plusieurs fois, mais surtout dans ses lettres quarante-troisième et cinquantième, au même empereur Marcien, et particulièrement dans sa lettre soixante-dix-huitième à Léon Auguste.
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