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LETTRE CCCXXX. AU PAPE INNOCENT.

LETTRE CCCXXXI. AU CARDINAL ÉTIENNE, ÉVÊQUE DE PALESTRINE,

LETTRE CCCXXIII. AU CARDINAL G...

LETTRE CCCXXXIII. AU CARDINAT. G... (a).

LETTRE CCCXXXIV. A GUY (a) DE PISE.

LETTRE CCCXXXV. A UN CERTAIN CARDINAL PRÊTRE.

LETTRE CCCXXXVI. A UN CERTAIN ABBÉ, SUR LE MÊME SUJET.

LETTRE CCCXXXVII. AU PAPE INNOCENT, AU NOM DES ÉVÊQUES DE FRANCE (a).

LETTRE CCCXXXVIII. A HAIMERIC, CARDINAL ET CHANCELIER DE LA COUR DE ROME.

 

LETTRE CCCXXX. AU PAPE INNOCENT.

 

Contre Pierre Abélard.

 

A son bien-aimé père et seigneur le pape Innocent, B..., abbé de Clairvaux, ses très-humbles hommages.

 

L'Épouse du Christ passe ses nuits au milieu des sanglots, ses joues sont inondées de larmes, et pas un de ses nombreux amis ne se présente pour la consoler. Cette Sunamite vous est confiée, très-saint l'ère, pendant les jours de son pèlerinage, jusqu'au retour de son Époux, et comme elle vous sait aimé de lui, il n'est personne à qui elle fasse avec plus d'abandon la confidence des injustices dont elle est l'objet; personne à qui elle ouvre plus intimement le fond de son coeur pour lui en montrer les chagrins et les tortures. L'amour que vous avez pour l'Époux fait qu'en toute occasion l'Épouse vous trouve prêt à la soutenir au milieu des épreuves; car, semblable au lis qui pousse art milieu des épines, l'Église est environnée d'ennemis; mais de tous ceux qui l'assaillent, ceux dont les blessures lui sont le plus cruelles et les coups le plus sensibles, ce sont ceux qu'elle a portés dans son sein et nourris de son lait. Ce sont eux qui lui arrachent contre eux-mêmes cette plainte empruntée au Prophète: « Mes proches et mes amis se sont levés contre moi et ont résolu de me perdre (Psalm. XXXVII, 12). » Qu'est-ce qui peut faire plus de mal qu'un ennemi domestique? On peut en juger par la fausse amitié d'Absalon et par le baiser de Judas. Voilà qu'on veut poser un autre fondement de la foi que celui qui à été établi (I Cor., III, 11). On nous fabrique en France une nouvelle foi; on n'envisage plus les vertus et les vices au point de vue de la morale, ni les sacrements selon les règles de la foi; enfin il n'est pas jusqu'au mystère de la sainte Trinité dont on ne parle, m'assure-t-on, en termes bien éloignés de la simplicité et de la réserve que réclame un pareil sujet. Maître Pierre et Arnaud, dont vous avez purgé l'Italie comme d'un fléau, s'entendent parfaitement l'un l'autre pour faire la guerre à Dieu et réunissent leurs efforts contre son Christ; leur liaison est telle que. ces deux monstres semblent couverts par les mêmes écailles dont l'étroit rapprochement ne permet pas même à l'air de pénétrer jusqu'à eux. Ils se sont corrompus l'un l'autre, leur science les a rendus abominables, elle est devenue dans leur âme un levain de corruption qui perd la foi des simples, pervertit les règles de la morale et souille la robe virginale de l'Église. Semblables à celui qui sait se changer eu ange de lumière, ils se parent des dehors de la piété, mais se gardent bien d'en conserver l'esprit; on dirait à les voir des sanctuaires chargés de décorations, et ce sont des antres d'où se décochent des flèches mortelles contre les hommes au coeur droit. A peine avons-nous cessé d'entendre le rugissement du lion contre la chaire de Pierre, que nous sommes menacés des atteintes du dragon, qui s'en prend à la foi du môme apôtre; ces deux ennemis portent aussi le nom de Pierre, mais tandis que le premier s'attaquait ouvertement à l'Église comme un lion qui cherche une proie à dévorer, le second, semblable au dragon, se tient en embuscade et tend en secret ses piéges à l'innocence. Mais vous, Seigneur mon Dieu, vous saurez troubler les visées de l'orgueil et fouler aux pieds le lion et le dragon. L'un ne fit de mal que pendant sa vie, sa mort a mis fin à ses ravages; mais l'autre, par les écrits où il consigne: ses nouveautés dogmatiques, a pourvu à la perte de l'avenir et pris un moyen assuré de faire passer le poison jusqu'aux générations qui ne sont pas encore nées. Mais je veux en deux mots vous donner une idée de ce théologien nouveau. Il a de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la sainte Trinité; avec Pélage, de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité. Après tout cela, il se vante d'avoir ouvert les canaux de la science aux cardinaux et aux ecclésiastiques de la cour de Rome, de leur avoir fait recevoir et goûter ses livres et ses maximes, et de compter des partisans dévoués dans ceux mêmes en qui il ne devrait trouver que des juges pour le condamner. Par quelle audace et de quel front peux-tu bien en appeler à la protection du défenseur de la foi, toi qui sapes cette vertu par la base? de quel oeil oses-tu regarder en face l'ami de l'Époux quand tu déshonores l'Épouse? Pourquoi faut-il que le soin d'une communauté et le faible état de ma santé me forcent de rester dans mon monastère? Avec quel empressement partirais-je pour aller voir le zèle que l'ami de l'Époux déploie à la garde de son Epouse bien-aimée pendant qu'il est absent! Pourrais-je souffrir qu'on attaque et qu'on déchire l'Église même quand je n'ai pu me taire lorsqu'on en persécutait le chef? Quant à vous, bien-aimé Père, ne tardez point à prendre sa défense, préparez vos armes et ceignez-vous du glaive que vous avez reçu. Déjà la charité se ressent des coups de l'iniquité et diminue à proportion que celle-ci augmente, et je prévois le jour où l'Épouse du Christ va se mettre à la suite de troupeaux étrangers et se laisser conduire par les faux pasteurs qui les mènent, si vous n'y mettez bon ordre.

 

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LETTRE CCCXXXI. AU CARDINAL ÉTIENNE, ÉVÊQUE DE PALESTRINE,

 

Sur le même sujet que la précédente.

 

A son très-vénéré seigneur et bien-aimé père E..., par la grâce de Dieu évêque de Palestrine, le fière Bernard, abbé de Clairvaux; il faut servir le Seigneur avec force et courage.

 

Persuadé que Vous êtes l'ami de l'Époux et que vous vous plaisez à entendre sa voix, je viens vous entretenir avec confiance des épreuves et des désolations de l'Épouse du Christ. Si je ne me trompe sur les dispositions de votre âme, je sais que le Seigneur peut compter sur vous et que vous n'avez en vue que les intérêts de Jésus-Christ. Pierre Abélard se déclare dans sa vie, dans ses moeurs et jusque dans les ouvrages qu'il publie, le persécuteur de la foi catholique et l'ennemi de la croix du Sauveur. Sous l'habit religieux il cache un hérétique déclaré, car il n'a de religieux que l'habit et le nom. Il rouvre les vieilles citernes et les sources à demi fermées des hérésies pour y faire tomber les boeufs et les ânes. Après avoir longtemps gardé le silence, il ne sort de sa solitude de Bretagne où il a conçu la douleur, que pour enfanter l’iniquité (Psalm. VII, 15) » dans, la France entière. Le serpent aux mille replis est sorti de la caverne et, pareil à l'hydre de la fable, il semble qu'il lui est poussé sept têtes à la place de celle qu'on lui avait coupée. Pour une hérésie, pour une tête tranchée à ce monstre au concile de Soissons, il en pousse sept autres; pour ne pas dire un plus grand nombre; je m'en suis procuré la liste et je vous l'envoie. A peine a t-il sevré ses écoliers du lait de la logique encore nécessaire à leur jeunesse et à leur ignorance qu'il 'applique ces esprits encore incapables des premiers éléments de la foi, au mystère de la sainte Trinité, à la contemplation du Saint des saints, et de la demeure impénétrable de celui qui se plaît au milieu des ombres et des mystères. Notre nouveau théologien a de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la sainte Trinité ; avec Pélage, de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité; et, poussant jusqu'au bout dans cette voie, il parcourt à peu près tous les sacrements, touche à tout avec audace et traite de tout d'après son damnable système. De plus, il se vante d'avoir infesté la cour de Rome elle-même du venin de ses nouveautés, d'avoir fait recevoir et goûter des Romains ses livres et ses maximes, et de compter enfin des partisans dévoués dans tous ceux dans lesquels il ne devrait trouver que des juges pour le condamner. Que Dieu veille lui-même au salut de cette Eglise pour laquelle il a donné sa vie afin qu'elle fùt à ses yeux sans souillure et sans ride, et qu'il fasse condamner à un silence perpétuel un homme dont la bouche ne vomit que malédiction, amertume et erreur.

 

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LETTRE CCCXXIII. AU CARDINAL G...

 

L’an 1140.

 

Encore contre Pierre Abélard.

 

A son vénéré seigneur et bien-aimé père G..., cardinal diacre de la sainte Eglise romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et esprit de conseil et de force.

 

Je ne saurais vous taire l’injure qu'on fait à Jésus-Christ, les douleurs et les angoisses où se trouve l'Eglise, la misère qui pèse sur les indigents et les gémissements que font entendre les pauvres. Nous vivons dans un temps fécond en périls qui voit se lever des docteurs uniquement occupés à flatter ceux qui les écoutent, et des disciples qui ferment les oreilles à la vérité et ne les ouvrent qu'aux fables qu'on leur débite. Il paraît en France un homme dit nom de Pierre Abélard, qui se donne pour religieux et vit sans règle; pour prélat, et n'a point charge dames; pour abbé, et n'a point d'abbaye; il dispute avec des enfants et converse avec les femmes. Dans ses livres, il repaît ses disciples d'une nourriture inconnue et les enivre d'un breuvage clandestin, tandis que dans ses leçons orales il captive par un néologisme profane et des expressions aussi nouvelles que le sens qu'elles expriment, et essaie de percer, non pas comme Moïse seul et sans témoin, mais avec la foule entière de ses nombreux disciples, les mystérieuses obscurités dont Dieu s'environne. On ne voit dans les rues et les places publiques que des gens qui disputent de la foi catholique, de l'enfantement de la Vierge, du sacrement de l'autel et de l'insondable mystère de la sainte Trinité. Nous n'avons cessé d'entendre les rugissements du lion que pour avoir les oreilles déchirées par les sifflements du dragon; mais vous, Seigneur mon Dieu, vous saurez confondre les visées de l'orgueil et fouler aux pieds le lion et le dragon. L'un ne fit de mal que pendant sa vie, sa mort mit fin à ses ravages; mais l'autre a pourvu à la perte de l'avenir et pris un moyen assuré de faire passer le poison jusqu'aux générations qui ne sont pas encore nées. Il a écrit et publié ses nouveautés pestilentielles; je me suis procuré ses livres et je vous les envoie, vous pourrez ainsi le juger par ses oeuvres. Vous verrez que notre nouveau théologien a de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la sainte Trinité; avec Pélage, de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité; or je ne cite là qu'un petit nombre de ses erreurs. Eh quoi! n'y aura-t-il donc personne parmi vous qui gémisse sur les coups dirigés contre le Sauveur, personne qui prenne le parti de la justice et se lève contre l'iniquité? Si l'on ne ferme la bouche à ce méchant, je mets les conséquences de toute cette affaire entre les mains de celui qui considère le travail et la douleur dont le juste est accablé par le méchant (Psalm. IX, 35).

 

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LETTRE CCCXXXIII. AU CARDINAT. G... (a).

 

L’an 1140

 

Sur le même sujet.

 

A son ami G.,., vénérable cardinal diacre du titre des saints Sergius et Bacchus, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et amitié.

 

Puisque vous avez l'habitude de. vous lever devant moi toutes les fois que je me présente à la cour, je vous engage à le faire en ce moment; ne croyez pas que je plaisante, je parle très-sérieusement; en ce moment même je me présente devant la cour, sinon en personne, du moins dans le procès qui lui est actuellement déféré. Veuillez donc m'honorer dans la. cause que je plaide, car c'est celle de Jésus-Christ lui-même et de la vérité. Oui, levez-vous, ou plutôt soulevez-vous, le coeur indigné, contre un hérétique qui parle de foi, contre toutes les règles de la foi, et qui se sert des propres termes de la loi pour détruire la loi. Il lève la main contre tous et chacun la lève contre lui. Je veux parler de Pierre Abélard, qui écrit, dogmatise et dispute à sa fantaisie, sur la morale, les sacrements, ainsi que sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Après avoir jeté le trouble et l'agitation dans l'Église, il se présente à la cour de Rome, non pour chercher un remède aux maux qu'il a causés, mais pour justifier les erreurs auxquelles il s'est abandonné. Défendez, eu véritable enfant de l'Église; le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont nourri.

 

a C'était Grégoire de Tarquinie; il fut créé cardinal diacre du titre des saints Sergius et Bacchus par le pape Callixte II.

 

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LETTRE CCCXXXIV. A GUY (a) DE PISE.

 

L’an 1140

 

Contre le même Abélard.

 

A Guy, abbé de Pise, Bernard, abbé de Clairvaux, un esprit sain dans un corps sain.

 

Je sais que vous avez pour moi tant d'affection que je n'hésiterais pas un instant à remettre entre vos mains le soin de mes intérêts les plus chers, mais c'est avec plus de confiance encore que je vous recommande ceux de Jésus-Christ même, qui mérite votre amour infiniment plus que moi. Il s'agit d'une affaire qui le regarde; que dis-je? où il est lui-même en question, car la vérité est en péril. On se partage ses vêtements en mettant les sacrements en lambeaux, mais sa robe sans couture demeure toujours entière, car elle n'est autre que l'unité de l'Église qui ne connaît ni déchirures, ni partage; l'homme ne saurait diviser ce que le Ciel a tissu et dont l'Esprit-Saint lui-même a disposé la trame. En vain les hérétiques aiguisent leurs langues de serpents et s'arment des armes les plus pénétrantes de l'esprit pour troubler la paix de l'Église ; ce sont eux qu'on appelle les portes de l'enfer, et ils ne prévaudront jamais contre elle. Si vous êtes véritablement son fils, si vous reconnaissez le sein qui vous a porté, n'abandonnez pas votre mère au milieu du danger, ne lui refusez pas votre appui dans la tribulation. Maître Pierre Abélard a recours à Rome, il se flatte que l'autorité du saint Siège lui servira de mur et de rempart pour abriter les erreurs qu'il a semées dans ses livres et qu'il. propage dans ses leçons contre la foi catholique.

 

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LETTRE CCCXXXV. A UN CERTAIN CARDINAL PRÊTRE.

 

L’an 1140

 

Toujours contre Pierre Abélard.

 

Au cardinal prêtre..., Bernard, abbé de Clairvaux, affectueux salut en notre-seigneur Jésus-Christ.

 

Quoique jeune, vous n'en commandez pas moins le respect, parce dite ce ne sont ni les cheveux blancs, ni le nombre des années qui rendent respectable, niais la maturité de l'esprit et des moeurs irréprochables. Voilà pourquoi Jérémie et Daniel, tout jeunes qu'ils étaient,

 

a Il se nommait Guy Moricot de Vico, était né à Pise et fut fait cardinal du titre des saints Cosme et Damien par le pape Innocent.

 

n'éprouvèrent ni embarras ni crainte en présence des vieillards impudiques non moins chargés de crimes que de jours. J'aurais peut-être raison de traiter aussi d'impudique un homme qui tente de corrompre la beauté de l'Église et de souiller la pureté de la foi, je veux parler de Pierre Abélard, qui écrit, dogmatise et dispute à sa fantaisie, en dépit de la tradition, sur la foi, les sacrements et le mystère de la sainte Trinité. Après avoir jeté le trouble et l'agitation dans l'Église, il se présente à la cour de Rome, non pour chercher un remède aux maux qu'il a causés, mais parce qu'il a confiance dans les détours et les prétextes qu'il sait multiplier pour colorer ses erreurs. C'est bien dans cette conjoncture que les vrais enfants de l'Église se lèveront avec zèle et confiance pour la défendre.

 

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LETTRE CCCXXXVI. A UN CERTAIN ABBÉ, SUR LE MÊME SUJET.

 

A son très-cher frère et confrère, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, avoir le zèle de Dieu selon la science.

 

Il faut qu'il y ait des hérésies, afin que ceux qui sont solidement à Dieu soient discernés des autres (I Cor., XI, 19) ; que ceux donc qui sont pour lui se serrent autour de lui, car ce n'est rien moins que lui qu'on attaque en ce moment, puisqu'on s'en prend à la vérité; ce sont ses vêtements qu'on met en lambeaux en déchirant les sacrements de l'Église; de la plante des pieds jusqu'au sommet de la tète, il n'y a pas un endroit qui ne soit attaqué en elle, et on se joue de la simplicité des fidèles. Le lion est sur le point de s'élancer de son antre pour se jeter sur l'Église et dévorer les nations qui sont dans son sein. Pierre Abélard est comme le précurseur de l'antéchrist, auquel il prépare les voies en parlant sans aucun respect pour la tradition, de la foi, des sacrements et du mystère de la sainte Trinité. Écrits, leçons, disputes, tout en lui tend à la perte de ceux qui l'écoutent. Il a de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la sainte Trinité; avec Pélage de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité. Néanmoins il se flatte d'être le protégé de l'Église romaine, d'avoir fait recevoir et goûter des Romains ses livres et ses maximes, et de compter des partisans dévoués dans tous ceux dans lesquels il ne devrait trouver que des juges pour le condamner. Que Dieu jette un regard sur nous et ferme lui-même la bouche à cet homme impie. Celui qui portera cette lettre doit vous expliquer tout en détail.

 

a C'était peut-être un abbé italien du nom de Bernard que notre saint avait envoyé à Rome. Voir les lettres trois cent quarante-troisième et trois cent quarante-quatrième.

 

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LETTRE CCCXXXVII. AU PAPE INNOCENT, AU NOM DES ÉVÊQUES DE FRANCE (a).

 

Les évêques exposent au souverain Pontife ce qui s'est passé dans Parfaire de Pierre Abélard qui, après avoir provoqué saint Bernard à se rendre au synode de Sens, a refusé de répondre au reproche. d'hérésie qui lui était adressé et s'est contenté d'inter jeter appel au saint Siège.

 

Au très-révérend père et seigneur innocent, parla grâce de Dieu souverain Pontife, fleuri, archevêque de Sens, Geoffroy, évêque de Chartres et légat (b) du saint Siège, Hélie, évêque d'Orléans, Hugues, évêque d'Auxerre, Hatton, évêque de Troyes, et Manassès, évêque de Meaux, l'hommage de leurs ardentes prières et de leur obéissance.

 

1. Comme tout le monde reconnaît que ce qui a été confirmé par le saint Siège apostolique passe pour si sûr et si certain qu'il n'est chicane ou passion mauvaise qui puisse en détruire l'autorité, nous avons cru que nous devions vous rendre compte, très-saint Père, de tout ce qui s'est fait dans notre dernière réunion, afin due Votre Sérénité daigne approuver et confirmer pour toujours, de son autorité apostolique, ce que, de concert avec plusieurs personnes pieuses et éclairées, nous avons jugé, à propos de décider. Dans la France entière, il n'est presque pas une ville, une bourgade, un château même où l'on n'entende de simples écoliers, non pas des hommes versés dans la connaissance des lettres ou recommandables par leur âge, mais des enfants, des gens simples et sans lettres, des insensés même disputer, non-seulement dans l'intérieur des écoles, mais en public et dans les carrefours, sur le mystère de la sainte Trinité, qui n'est autre que Dieu même, et avancer mille propositions non moins contraires à la raison qu'aux enseignements de la foi catholique et à la doctrine des saints Pères. C'est en vain que les personnes bien pensantes les avertissaient, les

 

a Dans le manuscrit du Vatican portant le n. 662, cette lettre se trouve placée la cent quatre-vingt-dixième, avec ce titre : Les évêques de France au pape Innocent. Par le mot France, il faut entendre la province métropolitaine de Sens; de là vient que dans la lettre cent soixante et unième il est dit que la voix du sang d'Archambaut, sous-doyen d'Orléans, crie de la terre de France vers le pape Innocent, et que dans la lettre cent vingt-sixième, n. 4, saint Bernard distingue la France de la Bourgogne. Toutefois, même à cette époque, on comprenait aussi sous le nom de France nue grande partie de la Belgique seconde.

 

b Il y a dans le texte serviteur, au lieu de légat du saint Siége. Geoffroy, par un sentiment de modestie, aimait à prendre le litre de serviteur ait lieu de celui de légat, comme on le voit dans le cartulaire de Saint-Etienne de Dreux. On trouve aussi en plusieurs endroits les légats désignés par le titre de vicaires du saint Siège.

 

reprenaient et les exhortaient à renoncer à toutes ces inepties (a) ; ces dogmatiseurs semblaient ne s'en montrer que plus ardents encore; forts de l'autorité de leur maître, Pierre Abélard, et s'appuyant sur son livre. intitulé sa Théologie, ainsi que sur plusieurs autres ouvrages du même genre, ils s'obstinaient tous les jours davantage, au grand détriment des âmes, à soutenir et à défendre leurs dangereuses nouveautés. Emus, alarmés même de cet état de choses, nous n'osions pourtant, non plus que ceux qui partageaient nos sentiments, agiter ces questions délicates et brûlantes.

2. Mais l'abbé de Clairvaux, qui avait beaucoup entendu parler de ces choses, étant tombé, par hasard, sur le fameux livre que maître Abélard appelle sa Théologie et sur plusieurs autres de ses ouvrages, les lut avec attention et se crut obligé de faire d'abord en secret une réprimande à l'auteur, puis, selon le précepte de l'Evangile, de le reprendre une seconde fois, en présence de deux ou trois témoins, en l'invitant avec douceur et bonté à détourner ses disciples de s'occuper de toutes ces questions et à corriger ses livres : il exhorta même plusieurs de ses partisans à renoncer à la lecture de ses écrits empoisonnés, à se défaite de ses ouvrages et à se tenir en garde contre une doctrine qui blessait la foi catholique et même à y renoncer formellement. Mais ce docteur se sentit blessé au vif par tout cela et ne put se contenir ; dès lors il se mit à nous presser sans relâche et ne se donna de cesse qu'il ne nous eût décidés à écrire à l'abbé de Clairvaux au sujet de cette affaire, pour l'assigner à comparaître devant nous le jour de l'octave de la Pentecôte, à Sens, où il se disait prêt, lui, Pierre Abélard, à. venir soutenir et défendre les propositions que cet abbé avait précédemment notées d'hérésie. De son côté, l'abbé de Clairvaux ne prit l'engagement ni de rendre à Sens au jour indiqué, ni d'accepter la discussion avec Pierre Abélard. Mais, comme dans l'intervalle, ce dernier fit appel à tous ses partisans en les invitant à se rendre de tous côtés à la controverse qu'il allait avoir à soutenir contre l'abbé de Clairvaux, et en les pressant vivement de venir se grouper autour de lui pour donner, par leur présence, plus de force à ses opinions et à son système, l'abbé de Clairvaux, qui ne pouvait ignorer toutes ces menées, craignit que son absence ne fût un prétexte pour les sots et pour les partisans de ferreux. de regarder toutes les propositions, ou plutôt toutes les folies du maître, comme beaucoup plus fortes et plus solides qu'elles ne l'étaient en effet,

 

a Les anciens donnaient le nom d'inepties aux hérésies même les plus graves, ainsi que nous l'avons dit dans la seconde préface du IVe  siècle bénédictin, page 133. Saint Jérôme dans sa lettre à Alypius et à saint Augustin, disait aussi en parlant de l'hérésie de Cèlestius: « Il n'est pas bien difficile de répondre à ces misérables inepties. » Saint Bernard se sert encore de la trime expression dans le sermon soixante-cinquième sur le Cantique des cantiques, n. 8.

 

et se présenta dans l'ardeur d'un saint zèle, de son propre mouvement ou plutôt par un véritable mouvement du Saint-Esprit, devant nous, à Sens, le jour même qui lui avait été indiqué, mais pour lequel il n'avait d'abord voulu prendre aucun engagement. Or ce jour-là, qui était celui de l'octave de la Pentecôte, tous nos frères, les suffragants de notre métropole, s'étaient réunis à nous dans la ville de Sens pour contribuer par leur présence à la pompe de la révélation des saintes reliques que nous nous proposions de faire ce jour-là au peuple dans notre église métropolitaine.

3. Ce fut donc en présence du glorieux roi de France, Louis (a), du pieux Guillaume, comte de Nevers, de monseigneur l'archevêque de Reims, accompagné de quelques-uns de ses suffragants, devant nous et en présence de tous les évêques nos suffragants, excepté ceux de Nevers et de Paris, d'un grand nombre d'abbés aussi distingués par leur science que par leur piété, et de clercs fort instruits, que l'abbé de Clairvaux et Pierre Abélard, suivi de ses partisans, firent leur entrée dans l'assemblée. Pour abréger, le seigneur abbé mit sous nos yeux lé livre de la Théologie de Pierre Abélard, en signala plusieurs propositions qu'il qualifiait d'absurdes et même de pleinement hérétiques, et mit maître Pierre en demeure ou de nier qu'elles étaient de sa plume, ou de les prouver, ou enfin de les rétracter s'il reconnaissait les avoir écrites. Maître Pierre, comme s'il ne fût pas bien sûr de lui-même, commença par chercher des détours, et finalement refusa de s'expliquer, quoiqu'il eût pleine liberté de le faire, qu'il fût en lieu parfaitement sûr et qu'il eût des juges équitables. Il aima mieux en appeler à Vous, très-saint Père, et se retira ensuite de l'assemblée avec tous ceux qui l'y avaient suivi.

4. Pour nous, quoique cet appel ne nous parût point cationique, nous nous sommes abstenus, par respect pour le saint Siège apostolique, de prononcer aucun jugement contre sa peine ; mais quant à ses erreurs dogmatiques, qui déjà avaient infesté une foule de personnes et pénétré jusqu'au fond du coeur d'un grand nombre de gens, nous les avion; condamnées la veille du jour où Abélard interjeta son appel; après les avoir, à plusieurs reprises différentes, lues et relues en pleine assemblée, et après avoir entendu par quelles raisons excellentes et par quels arguments, tirés de saint Augustin et des autres Pères le seigneur abbé de Clairvaux en démontrait la fausseté et le sens évidemment

 

Tous les historiens avec Hugues, chronographe de Saint-Marien, placent cette cérémonie en 1140, mais ne parlent pas de la révélation des reliques dont il est question ici. La chronique de Saint-Pierre-le-Vif se tait également sur cette particularité. En parlant de cette assemblée d'évêques, Othon, évêque de Freisingen, dit que le comte palatin Thibaut y assista avec plusieurs autres personnages de distinction. Voir livre des Faits et Gestes de Frédéric, chap. 48.

 

hérétique. Mais, comme ces erreurs entraînent une infinité les d'âmes dans une voie on ne peut plus pernicieuse et tout à fait damnable, nous vous prions tous d'une voix, très-saint Père, de les censurer de votre propre autorité et de décerner des peines contre quiconque s'opiniâtrera méchamment à les défendre. De plus, si Votre Révérence jugeait à propos d'imposer silence à leur auteur, de lui ôter le pouvoir d'enseigner et d'écrire, de condamner ses ouvrages comme remplis de dogmes impies, elle arracherait ainsi les ronces et les épines du champ de l'Eglise et pourrait encore jouir de la consolation de voir l'héritage du Christ se couvrir de verdure, de fleurs et de fruits. Nous vous adressons, très-révérend Père, la liste de quelques-unes des propositions que nous avons condamnées, afin que par ces extraits vous puissiez vous faire plus aisément une idée du reste de l'ouvrage.

 

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LETTRE CCCXXXVIII. A HAIMERIC, CARDINAL ET CHANCELIER DE LA COUR DE ROME.

 

Pierre Abélard étant convaincu d'hérésie ne devrait pas pouvoir espérer qu'il trouvera un refuge auprès des cardinaux et de la cour de Rome.

 

A son intime et très-illustre ami Haimeric, cardinal diacre et chancelier de la cour romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, souhaits qu'il se conduise avec sagesse devant Dieu et devant les hommes.

 

1. Ce que je n'avais entendu que de mes oreilles de la doctrine de Pierre Abélard, je l'ai vu de mes propres yeux dans ses livres. J'ai remarqué ses expressions, j'ai noté le sens qu'elles cachaient, lequel pour moi n'est qu'un sens pernicieux. Notre nouveau théologien se sert des propres paroles de la loi pour renverser la loi elle-même; il jette les choses saintes aux chiens et les perles aux pourceaux; corrupteur de la foi des simples, il souille la pureté même de l'Eglise. Il est dit que le vase garde longtemps sa première odeur (Horace). On a retiré des flammes un livre qu'on avait condamné à y périr, et c'est dans le sein de l'Eglise qu'un ennemi déclaré de l'Eglise, un persécuteur de la foi vient chercher un asile; c'est elle-même qui le relève après qu'il a été terrassé : Périsse, est-il dit, celui qui souille la couche de son

te père et porte atteinte à l'honneur de son lit ! Or cet homme a déshonoré l'Eglise et infesté de ses vices les âmes des simples. Il prétend aborder avec les seules lumières de la raison les mystères qui ne sont accessibles qu'à la vivacité d'une foi pieuse et soumise qui croit sans examen. Pour lui, doutant de Dieu même, il ne veut croire que ce que sa raison saisit et comprend. Le Prophète a beau dire : « Vous ne comprendrez pas si vous ne croyez pas (Isa., VII, 9), » Abélard traite la foi spontanée de pure crédulité, en se fondant mal à propos sur ces paroles de Salomon : « Celui qui croit promptement est un esprit léger (Eccli., XIX, 4). » Qu'il blâme donc Marie d'avoir cru sans hésiter à la parole de l'ange lui disant : « Vous concevrez et vous mettrez un enfant au monde (Luc., I, 21); » qu'il blâme également celui qui, à sa dernière heure, à sa dernière minute, ajouta foi sans balancer aux paroles du mourant qui lui disait : « Aujourd'hui même vous serez avec moi dans le paradis (Luc., XXIII, 43), » et qu'il réserve ses louanges pour les coeurs durs qui méritèrent d'entendre ce reproche du Sauveur lui-même : «  O insensés! coeurs lents et tardifs à croire ce que les prophètes ont prédit (Luc., XXIV, 25), n et qu'il garde son approbation pour celui qui â mérité d'entendre ces mots : « Pour n'avoir point ajouté foi à ce que je vous ai dit, vous allez perdre la parole et devenir muet (Luc., I, 20). »

2. Mais, pour renfermer en peu de mots ce que le cadre étroit d'une lettre ne peut recevoir tout au long, je vous dirai que notre admirable docteur à de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la Trinité; avec Pélage, de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité, après tout cela il se vante d'avoir ouvert les canaux de la science aux cardinaux et aux ecclésiastiques de la cour de Rome, de leur avoir fait recevoir et goûter ses livres et ses maximes, et de compter des partisans dévoués de ses erreurs dans ceux mêmes en qui il ne devrait trouver que des juges pour le condamner.

Hyacinthe m'a fait bien des menaces qui sont demeurées sans effet, parce qu'il n'a pu y donner suite. Après tout, je n'en ai pas été surpris, puisqu'il n'a su garder de mesure à Rome même, ni envers le Pape, ni envers la cour de Rome. Mon cher Nicolas, qui d'ailleurs vous est aussi dévoué qu'à moi, vous apprendra de vive voix, mieux que je ne pourrais le faire par écrit, tout ce qu'il a vu et entendu.

 

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