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LETTRE LXXIX. A L'ABBÉ LUC (a).
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE LXXX. A GUY (a), ABBÉ DE MOLÊMES.
LETTRE LXXIX. A L'ABBÉ LUC (a).
Vers l'an 1130.
Saint Bernard lui recommande de fuir la fréquentation des femmes et lui indique la règle de conduite à suivre à l'égard d'un religieux coupable d'une faute grave contre la pureté.
l . Mon bien cher ami, vous m'avez singulièrement édifié, car on n'a pas souvent de ces exemples de vertu sous les yeux, non-seulement par la manière dont vous avez reçu mes avis, quelque peu de chose que je sois auprès de vous, mais encore par la reconnaissance que vous m'avez témoignée pour vous les avoir donnés; vous avez eu la sagesse de ne pas vous arrêter à la personne du conseiller pour ne voir que ses conseils; j'en remercie Dieu; car si vous avez accueilli ce que je me suis permis de vous dire, avec reconnaissance plutôt qu'avec mécontentement c'est à lui que je le dois. Encouragé par les preuves insignes d'humilité que vous m'avez données, je me sens plus hardi à revenir sur mes conseils et à les réitérer. Je vous prie donc, au nom du sang divin qui a été répandu pour le salut des hommes, de ne pas regarder d'un oeil indifférent le péril que peut faire courir à des âmes d'un si grand prix la réunion de personnes de sexes différents dans la même demeure. On ne peut pas ne point le redouter, pour peu qu'on ait en soi-même à lutter, sous l'il de Dieu, contre les efforts du tentateur, et qu'on ait pu apprendre, par sa propre expérience, à dire avec l'Apôtre : « Nous n'ignorons pas les ruses du démon (II Cor., II, 2). » Enfin, s'il y a quelque chose qui puisse vous engager à tenir un compte sérieux de mes paroles, après la recommandation ou plutôt d'après l'ordre de l'Apôtre, qui nous dit: « Evitons la fornication (I Cor., VI, 18), » c'est assurément la chute honteuse de ce malheureux frère au sujet duquel vous daignez me consulter. Au reste, je m'étonne que vous ayez jugé à propos de vous adresser à moi dans cette occasion, malgré mon éloignement, quand vous avez sous la main un saint homme de votre ordre, l'abbé Guillaume de Saint-Thierri. D'ailleurs, je ne doute pas non plus que l'abbaye de Prémontré n'ait beaucoup d'hommes capables de vous aider de leurs conseils et qui soient certainement bien assez sages et bien assez prudents pour débrouiller les affaires les plus difficiles. 2. Mais, quoi qu'il en soit, c'est à vous de savoir pourquoi vous avez mieux aimé recourir à mes conseils, et tout ce que j'ai à faire, c'est de vous les donner. Si ce religieux était venu de lui-même confesser sa faute,
a Abbé de Cuissy, monastère de premontré au diocèse de Laon. Voir aux notes.
quelque grave et honteuse qu'elle fût, mon avis est qu'on aurait dû songer à guérir les blessures de son âme et ne pas prendre le parti de l'expulser du couvent; mais, comme cette affreuse corruption ne s'est trahie que par l'horrible odeur qu'elle répandait, il n'en faut pas moins, autant que possible, travailler avec soin à la guérison de cette âme; toutefois on doit procéder différemment qu'on ne l'eût fait. En effet, il n'est peut-être pas prudent de le garder plus longtemps au milieu de vous, il y aurait à craindre, ainsi que vous me l'écrivez avec raison, que la brebis malade n'infectât votre jeune et tendre troupeau. D'un autre côté, un père ne saurait fermer tout à fait ses entrailles à son fils; je suis donc d'avis que vous agirez en père et que vous pourvoirez au salut de votre enfant en tâchant de le faire entrer dans quelque autre maison de votre ordre, mais un peu éloignée, où il puisse faire pénitence, en changeant de résidence sans renoncer à sa profession, et d'où vous pourrez le rappeler auprès de vous quand vous le jugerez opportun. Quant à le faire entrer dans une de nos maisons, vous n'y trouveriez peut-être aucun avantage. Vous m'écrivez, il est vrai, qu'il a prétendu bien souvent avoir reçu de nous la promesse que nous le recevrions, si vous lui permettiez de se présenter chez nous, mais à présent il soutient qu'il n'a pas tenu ce langage. Il peut se faire que vous n'ayez pas l'intention de l'envoyer dans une de vos maisons, comme je vous le conseillais plus haut, ou bien qu'il ne veuille pas s'y rendre; il est possible également qu'après être tombés d'accord l'un et l'autre sur le parti qu'il convient de prendre, vous ne trouviez pas de maison qui veuille le recevoir; en ce cas je ne vois que deux choses à faire: lui donner un dimissoire avec permission d'aller où il voudra travailler au salut de son âme, ou lui faire la grâce de le conserver parmi vous, si toutefois vous pouvez prendre les moyens efficaces d'empêcher le retour de si honteux désordres. Mais en voilà assez sur ce sujet. 3. Il y a encore un point en ce qui vous concerne sur lequel je ne puis m'empêcher de vous dire toute ma pensée: je veux parler du moulin dont la garde oblige les frères convers (a) à se trouver souvent en l'apport avec les femmes. Si vous m'en croyez, vous prendrez l'un de ces trois partis: ou bien vous interdirez absolument l'entrée du moulin aux femmes, ou vous en confierez la garde à tout autre qu'à vos frères convers, ou bien encore vous renoncerez tout à fait à ce moulin.
a Voir sur les frères convers la lettre cent quarante-troisième. La lettre quatre cent quatrième recommande également d'éviter les rapports avec les femmes.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON
LETTRE LXXIXe.
59. A l'abbé Luc, non pas de Mont-Cornélius,appelé plus tard Beau-Retour, près de Liège, comme l'ont pensé à tort Picard et Horstius après lui, mais de Cuissy, de l'ordre de Prémontré, dans le diocèse de Laon, ainsi qu'on le voit dans la bibliothèque de Prémontré, et comme saint Bernard semble d'ailleurs l'indiquer assez clairement quand il s'étonne qu'il n'ait pas consulté plutôt que lui soit Guillaume, abbé de Saint-Thierri, soit quelque religieux de Prémontré, puisqu'il les avait dans son voisinage. Voici ce qu'on trouve dans le moine Hermann, au sujet de l'abbé Luc et du monastère de Cuissy; Barthélemi, évêque de Laon, « construisit encore à l'endroit appelé Cuissy un autre monastère de clercs, auquel il donna pour abbé un religieux nommé Luc. » (Voir livre III des Miracles de la sainte Vierge, chap 16.) (Note de Mabillon.)
LETTRE LXXX. A GUY (a), ABBÉ DE MOLÊMES.
Vers l'an 1130.
Saint Bernard le console d'une grande injustice qu'il a eu à souffrir, et lui recommande de ne s'en venger qu'en écoutant les conseils de la charité.
Dieu, qui lit au fond des coeurs et qui est l'auteur de tous nos bons sentiments, m'est témoin de la part que je prends au malheur dont j'ai su que vous avez été frappé. Mais quand je considère plutôt celui qui permet que celui qui vous cause cette épreuve, autant je compatis à vos infortunes présentes, autant j'espère me réjouir bientôt avec vous de la prospérité qui ne peut manquer de les suivre. Mais en attendant ne vous laissez point abattre par le découragement; pensez avec moi qu'à l'exemple du saint homme Job nous devons recevoir du même coeur les biens et les maux de la main de Dieu qui nous les envoie. Je dis plus : au lieu de vous indigner des coups que vos gens vous portent, vous devez comme David vous humilier sous la main du Tout-Puissant, qui certainement a lui-même suscité vos propres serviteurs pour vous causer cette peine. Cependant, comme il est de votre devoir de les punir, puisqu'ils sont serfs d'une église confiée à vos soins, il est juste que vous fassiez expier à ces domestiques infidèles leur criminelle audace et que vous preniez sur leurs biens pour indemniser autant que possible votre monastère du tort qu'ils lui ont fait; mais, pour éviter qu'on ne dise qu'en agissant ainsi vous cherchez plutôt à vous venger d'une injustice qu'à leur faire expier leur faute, je vous prie et vous conseille de faire beaucoup moins attention à ce qu'ils méritent qu'à ce qu'exige de vous votre position. Que la miséricorde parle donc en vous plus haut que la stricte justice, et que votre modération en cette circonstance soit un sujet d'édification. Au reste, je vous prie d'engager pour moi de vive voix comme je le fais moi-même en esprit, ce fils que vous aimez, qui m'est cher à moi-même, tant à cause de vous qu'à cause de lui, de ne pas se montrer dans ses réclamations d'une âpreté et d'une exigence telles qu'il oublie le conseil que le divin Maître nous a donné: de présenter la joue gauche à celui qui nous a frappés sur la droite.
a GUY fut le second abbé de Molêmes après saint Robert. Voir à son sujet les lettres 43, 44 et 60.
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