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QUATRIÈME TRAITÉ.DEPUIS LENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « ET TEL EST LE TÉMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYÈRENT DE JÉRUSALEM DES PRÊTRES »; JUSQUÀ CES PAROLES : « CEST LUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT ». (Chap. I, 19-33.)
Par son Incarnation le Fils de Dieu sétait si profondément abaissé, que les Juifs le méconnurent néanmoins, comme ils attendaient le Messie, et que la vertu de Jean les étonnait, ils envoyèrent des députés à celui-ci pour lui demander qui il était : « Je ne suis pas le Christ; mais un autre, plus grand que moi, vient après moi cest lagneau de Dieu, cest son Fils ». Ainsi par ses paroles et son baptême Jean-Baptiste a-t-il rempli, pour le premier avènement du Christ, le même rôle quElie pour le second, et fait reconnaître notre Sauveur, malgré les abaissements de son humanité, pour le Messie envoyé de Dieu.
1. Bien souvent votre sainteté la entendu dire, et vous le savez parfaitement, Jean-Baptiste a dautant mieux mérité de devenir lami de lEpoux, quil a été plus grand parmi les enfants des hommes, et quil sest montré plus humble pour connaître le Sauveur. Il était jaloux, non de son honneur personnel, mais de celui de lépoux; il recherchait, non sa propre gloire, mais la gloire de son juge, de celui devant qui il marchait comme un héraut pour lannoncer. Aussi, tandis que les Prophètes, ses prédécesseurs, ont seulement prédit les événements relatifs au Christ, il a eu le privilège de le montrer du doigt. Comme avant sa venue, le Sauveur nétait pas connu de ceux qui refusaient de croire aux Prophètes; ainsi fut-il méconnu deux, même quand il vivait parmi eux. A son premier avènement il sest fait voir dans un état dhumiliation où il était difficile à reconnaître, dautant plus difficile quil était plus humilié; aussi les hommes, aveuglés par leur orgueil à cause de ses profonds abaissements, ont crucifié leur Sauveur, et, par là ils se sont préparé en lui un juge qui les condamnera. 2. Mais celui qui dabord est venu caché parce quil est venu humble, ne sera-t-il pas facile à reconnaître quand il viendra plus tard, puisque alors il sera élevé au-dessus de toutes choses? Vous venez dentendre dire au Psalmiste : « Dieu viendra manifesté à tous, cest notre Dieu, et il ne se taira plus ». Il sest tu, afin dêtre jugé. Il ne se taira pas quand il commencera à juger à son tour. Le Psalmiste ne dirait pas : « Il viendra manifesté à tous », si auparavant il nétait venu caché; aussi pareillement il ne dirait pas « Il ne se taira plus », si dabord il navait gardé le silence. Comment sest-il tu? Interroge Isaïe: « Il a été mené à la mort comme une brebis, comme un agneau devant celui qui le tond; il est demeuré sans voix, il na pas ouvert la bouche (1)». Cependant « il viendra manifesté et il ne se taira plus». Comment sera-t-il « manifesté? ». La flamme marchera devant lui, et à ses côtés une violente tempête (2) ». La tempête doit enlever de son aire toute la paille qui sy trouve maintenant foulée aux pieds. Le feu brûlera ce quaura emporté la tempête. Aujourdhui le Christ se tait. Il se tait comme juge, il ne se tait pas comme docteur. Car si Jésus-Christ se tait tout à fait, à quoi bon les Evangiles? A quoi
1. Ps. LIII, 7. 2. Ps. XLIX, 3.
bon les accents des Apôtres, les cantiques du Psalmiste, les prédictions des Prophètes? En tout cela Jésus-Christ ne se tait pas. Aujourdhui il se tait en ce quil ne se venge pas mais il ne se tait pas sous le rapport de notre instruction. Un jour il viendra, il se manifestera pour la vengeance; il apparaîtra à tous, même à ceux qui ne croient pas en lui. En attendant, comme il étai caché aux yeux des hommes, bien quil se trouvât au milieu deux, il fallait quon le méprisât ; car si on ne lavait pas méprisé, on ne laurait pas crucifié; sil navait pas été crucifié, il neût point répandu ce sang au prix duquel il nous a rachetés. Afin de pouvoir donner pour nous cette rançon, il a été crucifié; pour être crucifié, il a été méprisé; pour être méprisé, il sest fait voir dans un état dhumiliation. 3. Cependant, parce quil sest montré dans un corps mortel, comme dans les ombres de la nuit, il a allumé une lampe afin quelle aidât à le voir. Cette lampe était Jean, dont je vous ai déjà beaucoup parlé (1). Et la leçon de lEvangile que nous venons dentendre renferme les paroles de Jean, et dabord cette importante confession quil nétait pas le Christ. Telle était lexcellence de Jean, quon aurait pu aisément le prendre pour le Christ, et ça été la preuve de son humilité, que pouvant être pris pour le Christ, il a déclaré quil ne létait pas. « Voici donc le témoignage de e Jean, quand les Juifs envoyèrent vers lui, de Jérusalem, des prêtres et des lévites pour lui demander : Qui êtes-vous? » ce quils nauraient point fait sils navaient eu une haute idée de son excellence et de lautorité qui lui donnait la hardiesse de baptiser. « Et il confessa, et il ne le nia pas ».Que confessa-t-il? « Et il confessa quil nétait pas le Christ ». 4. « Et ils lui demandent: Qui donc es-tu? «Es-tu Elie? » Car ils savaient quElie devait précéder le Christ chez les Juifs; le nom du Christ nétait inconnu de personne. Ils nont pas reconnu pour le Christ celui qui létait véritablement ; mais ils nont pas cru que le Christ ne dût jamais venir. Tout en espérant quil viendrait, ils nont pas laissé de se heurter à sa présence, quand il est venu parmi eux : ils se sont heurtés à ses abaissements comme à une pierre. Quoique petite encore, cette pierre était déjà détachée de la montagne,
1. Jean, V, 35.
sans le secours de main dhomme. Cétait delle que parlait le prophète Daniel quand il disait avoir vu une pierre détachée de la montagne, sans le secours de main dhomme. Mais que dit-il ensuite? « Et cette pierre vint à grossir, et elle devint une grande montagne, et elle couvrit la surface de la terre (1) ». Que votre charité remarque ce que je dis : mis en présence des Juifs, le Christ était détaché de la montagne; cette montagne était leur royaume. Toutefois, le royaume des Juifs ne couvrait pas la surface de la terre. Cest de là qua été séparée la pierre, parce que cest de là quest sorti selon la chair Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et pourquoi sans le secours de main dhomme? Parce quune vierge la enfanté sans le secours de lhomme. Cette pierre était donc déjà détachée de la montagne sans le secours de main dhomme, puisquelle se trouvait placée sous les yeux des Juifs; mais elle était encore toute petite. En cela, rien détonnant; car elle nétait pas encore devenue grande; elle navait pas encore rempli lunivers. Le Christ la fait plus tard avec son royaume qui est lEglise ; car il a couvert la surface de la terre. Comme donc il navait pas encore pris tout son développement., les Juifs se sont heurtés à lui comme à une pierre; et ainsi sest vérifié en eux ce qui est écrit : « Celui qui tombera sur cette pierre sy brisera, et ceux sur lesquels elle tombera, elle les écrasera (2) ». Dabord ils sont tombés sur Jésus-Christ humilié, il viendra tomber sur eux du haut de sa grandeur; mais pour que sa grandeur les écrasât un jour, il a fallu quauparavant son humilité les brisât. Ils se sont heurtés à lui et sy sont brisés; il les a non pas broyés, mais brisés; il viendra dans sa grandeur et il les brisera. Or, les Juifs sont excusables de sêtre heurtés à cette pierre car elle était encore petite. Mais qui sont ceux qui se sont heurtés à la montagne elle-même? Ceux dont je veux vous parler, vous les connaissez. Ceux qui nient lEglise répandue par tout lunivers; ce nest pas a la petite pierre quils se heurtent, cest à la montagne elle-même; car, en grandissant, cette pierre est devenue une montagne : en raison de leur aveuglement, les Juifs nont pas vu la petite pierre; mais de quelle cécité ne faut-il pas être frappé pour ne pas voir la montagne?
1. Dan. II, 34, 35. 2. Luc, XX, 18.
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5. Les Juifs ont donc vu Jésus-Christ dans labaissement, et ils ne lont pas reconnu. Une lampe le leur montrait; car dabord cet homme, le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, leur dit : « Je ne suis pas le Christ ». On lui demande ensuite : « Es-tu donc Elie? » Il répond : « Je ne le suis pas ». Car le Christ devait envoyer Elie devant lui. Cependant il répond : « Je ne le suis pas » ; et par là il soulève une difficulté quil nous faut résoudre. Il est è craindre, en effet, que quelques-uns peu avancés dans la connaissance des Ecritures ne croient voir une contradiction entre les paroles de Jean et celles de Jésus Christ. Le Sauveur parlant de lui-même dans un autre endroit de lEvangile, ses disciples lui dirent : « Comment donc les scribes », cest-à-dire les habiles dans la science de la loi, « disent-ils quElie doit dabord venir? » Et le Seigneur leur dit : « Elie est déjà venu et ils lont traité comme ils ont voulu; et si vous le voulez connaître, cest Jean-Baptiste ». Notre-Seigneur Jésus-Christ répondit : « Elie est déjà venu, cest Jean-Baptiste». Cependant, Jean, interrogé, confesse quil nest pas Elie, de la même manière quil avait confessé nêtre pas le Christ. Et de fait, comme sa confession était véritable quand il reconnaissait nêtre pas le Christ, elle ne létait pas moins quand il reconnaissait nêtre pas Elie. Comment accorder ensemble les paroles du juge et les paroles de celui qui lannonce? Il sen faut de tout que le héraut soit un menteur; car ce quil dit, il le dit sous linspiration du juge. Pourquoi donc Jean dit-il : « Je ne suis pas Elie », et le Seigneur: « Il est Elie? » Parce que Notre-Seigneur a voulu par là annoncer figurément son avènement futur, et dire que Jean était venu dans lesprit dElie. Car ce que Jean était pour le premier avènement, Elie le sera pour le second. Comme donc il y aura deux avènements du Juge, ainsi y aura-t-il deux envoyés qui lannonceront; le juge sera le même ; il y aura bien deux envoyés différents ; mais il ny aura pas deux juges. Il fallait dabord que le juge vint. pour être jugé. Il sest fait précéder dun premier envoyé, quil a appelé Elie, parce quElie sera pour le second avènement ce que Jean a été pour le premier.
1. Matth. XVII, 10-13; XI, 11-14.
6. Que votre charité remarque combien est vrai ce que je dis. Lorsque Jean fut conçu, ou plutôt lorsquil vint au monde,le Saint-Esprit fit de lui cette prophétie, qui devait saccomplir un jour : « Il sera le précurseur du Très-Haut dans lesprit et la vertu dElie (1) ». Il nétait donc pas Elie ; mais « il devait venir dans lesprit et la vertu dÉlie ». Quest-ce à dire, « dans lesprit et la vertu dElie? » Cest-à-dire à la place dElie et dans le Saint-Esprit comme lui. Pourquoi à la place dElie? Parce quau premier avènement Jean a rempli le rôle quElie doit remplir au moment du second. Ainsi, la réponse de Jean est juste, mais au sens propre. Notre-Seigneur avait dit en figure : « Il est Elie ». Mais Jean dit au sens propre, ainsi que je lai expliqué: «Je ne suis pas Elie ». Si tu considères sous le rapport figuratif la mission de précurseur, Jean est Elie ; car ce quil est pour le premier avènement, Elie le sera pour le second. Mais si tu tarrêtes à la propriété de la personne, Jean est Jean, Elie est Elie. Cest pourquoi Notre-Seigneur, parlant en figure, a dit avec justesse : « Il est Elie » ; et Jean, parlant selon la propriété des personnes, a dit avec non moins de justesse : « Je ne suis pas Elie ». Ni Jean, ni le Seigneur, ni le précurseur, ni le juge nont parlé contre la vérité; seulement il faut les bien comprendre. Mais qui les comprendra? Celui qui aura imité lhumilité du précurseur et reconnu la grandeur du juge. Rien, en effet, de plus humble que ce Précurseur. Mes frères, Jean na jamais eu de plus grand mérite que celui dont lhumilité a été pour lui la source, eu la circonstance présente : il pouvait, en effet, tromper les hommes et se faire regarder comme le Christ et passer pour lui (tant étaient grandes sa grâce et son excellence!) Cependant il ta déclaré ouvertement et il la dit : « Je ne suis pas le Christ. Es-tu donc Elie? » Sil avait dit : Je le suis, çaurait donc été le second avènement du Christ où il viendra comme juge, et non plus le premier où il est venu afin dêtre jugé. Mais comme pour leur dire: Elie doit venir, il répond : « Je ne sus pas Elie ». Remarquez, cependant, quil sagit du Christ humilié, dont Jean a été le précurseur, et non du Christ élevé en gloire que doit précéder Elie. Car voici le complément donné par Notre-Seigneur: « Jean est Elie
1. Luc, I, 17.
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qui doit venir ». Il est déjà venu pour être en figure ce quElie sera en réalité. Alors Elie sera Elie en personne, maintenant Jean nest Elie que par ressemblance. En réalité, maintenant Jean est Jean, par similitude il est Elie. Ils étaient tous les deux des précurseurs : chacun deux a rempli le même ministère que lantre, sans perdre toutefois sa personnalité; mais pour lun comme pour lautre, il ny a eu quun seul Seigneur, quun seul juge. 7. « Et ils lui demandaient : Qui êtes-vous donc? Etes-vous Elie? et il répondit : non. Et ils lui dirent : Etes-vous prophète? et il répondit: non. Ils lui dirent donc : Qui êtes vous afin que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés? Que dites-vous donc de vous-même? Il leur répondit: Je suis la voix de celui qui crie dans le désert». Isaïe lavait déjà dit (1). Cette prophétie sest accomplie en Jean-Baptiste : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Que crie-t-elle? « Redressez la voie du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». A votre avis nest-ce pas le rôle dun héraut de dire : Sortez dici? Le héraut dit : Sortez dici, et Jean dit : Venez; voilà la différence. Jean appelle vers le Sauveur humble pour quon nait rien à souffrir du juge lorsquil viendra dans sa grandeur. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert; redressez les voies du Seigneur, comme dit le prophète lsaïe ». Il ne dit pas : Je suis Jean, je suis Elie, je suis un prophète; mais que dit-il? Voici mon nom : « La voix de celui qui crie dans le désert, redressez les voies du Seigneur », je suis la prophétie même. 8. « Et ceux qui airaient été envoyés étaient du nombre des Pharisiens », cest-à-dire des principaux dentre les Juifs. « Et ils linterrogèrent et lui dirent : Pourquoi donc baptisez-vous, si vous nêtes ni le Christ, ni Elie, ni prophète ? » Ce leur semblait être une sorte de témérité que de baptiser, ils lui demandaient : Au nom de qui le fais-tu? Nous lavons demandé si tu étais le Christ; tu nous as répondus que tu ne létais pas ; si tu es son précurseur; car nous savons quavant lavènement du Christ, Elie doit venir. Tu nous as aussi dit que tu nes pas Elie; serais-tu par hasard quelque personnage envoyé longtemps avant les précurseurs, cest-à-dire un prophète
1. Isa. XL, 3.
qui aurait la puissance de baptiser? Tu ne te donnes pas non plus comme prophète. En effet, Jean nétait pas prophète, il était plus grand quun prophète. Cest le témoignage qua rendu de lui Notre-Seigneur. « Quêtes-vous allés voir dans le désert? Un roseau agité par le vent? » Assurément tu supposes quil nen était pas ainsi de Jean ; car il ne ressemblait en rien à ce que le vent agite. Car être agité du vent, cest subir de tous côtés le souffle de tout esprit séducteur. « Quêtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu avec mollesse ». Or, les vêtements de Jean étaient grossiers: cétait une tunique faite de poils de chameau. « Car ceux qui sont vêtus avec mollesse, cest dans les palais des rois quils habitent ». Vous nêtes donc pas allés voir un homme vêtu avec mollesse. « Mais quêtes-vous allés voir? Un prophète. Oui, je vous le dis, il est plus quun prophète ». Car les Prophètes ont annoncé le Christ longtemps avant sa venue, Jean la montré pendant quil était présent sur la terre. 9. « Pourquoi donc baptises-tu, si tu nes ni le Christ, ni Elie, ni prophète? Jean leur répondit : Pour moi, je baptise dans leau, mais au milieu de vous demeure celui que vous ne connaissez pas ». Les abaissements du Christ faisaient obstacle à ce quon le vît; cest pourquoi la lampe a été allumée. Voyez comment il cède la place, lui qui aurait pu se faire passer pour ce quil nétait pas. « Cest lui qui est venu après moi, qui a été fait avant moi » ; cest-à-dire, comme nous lavons déjà expliqué, qui ma été préféré. « Et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ». Comme il sest abaissé! Cest pourquoi il a été grandement élevé parce que celui qui sabaisse sera exalté (2). Votre sainteté doit le comprendre maintenant. Si Jean sest humilié jusquà dire : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers » , quel sujet de shumilier ont ceux qui disent : Cest nous qui baptisons, ce que nous donnons est à nous, ce qui est à nous est saint! Jean dit: Ce nest pas moi, cest lui. Eux disent: cest nous. Jean se reconnaît indigne de délier les cordons de ses souliers; sil avait reconnu en être digue, combien déjà il se serait montré humble! Sil sen était déclaré digne et quil eût dit : Celui-là est venu après moi, qui a été fait avant moi,
Matth. XI, 7, 8,9. 2. Luc, XIV, 11.
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je ne suis digne que de délier les cordons de ses souliers, il se serait déjà beaucoup humilié. Mais avouer quune telle fonction est bien au-dessus de ses mérites, il ny a quun homme véritablement rempli du Saint-Esprit qui lait pu faire, et le serviteur qui a ainsi reconnu son maître a mérité de devenir son ami. 10. « Ceci se passa en Béthanie, au-delà du Jourdain où Jean baptisait. Un autre jour Jean vit Jésus qui venait à lui,et il dit : Voici lAgneau de Dieu, voilà celui qui enlève les péchés du monde». Que personne ne sen fasse accroire et ne dise quil enlève lui-même les péchés du monde. Remarquez, dès maintenant, quels orgueilleux Jean désignait du doigt. Les hérétiques nétaient pas encore nés, et déjà le Précurseur les faisait connaître. Du milieu du fleuve il criait déjà contre ceux contre lesquels il crie dans lEvangile. Voici venir Jésus, et que dit Jean ? « Voici lAgneau de Dieu ». Si, pour être agneau il suffit dêtre innocent, Jean est agneau. Lui aussi nest-il pas innocent? Mais quel innocent est-il ? Et jusquà quel point lest-il ? Tous viennent de cette souche,tous sortent de cette source au sujet de laquelle David chante et gémit ainsi : « Moi jai été conçu dans liniquité, et ma mère ma enfanté dans le péché (1)». Celui-là seul est donc agneau, qui nest pas venu en cette manière. En effet, il na pas été conçu dans liniquité, puisquil na pas été conçu par le fait dun mortel; sa mère ne la pas, non plus, enfanté dans le péché, puisquune vierge la conçu et mis au monde. Cest par la foi quelle la conçu; cest aussi par la foi quelle la enfanté. Donc, « voici lagneau de Dieu», celui-là ne tire pas dAdam son origine. Il ne lui a emprunté que son corps, sans en prendre le péché; il na pas puisé liniquité à cette source empoisonnée. Cest pourquoi il enlève notre péché. « Voici lAgneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ». 11. Certains hommes, vous le savez, disent quelquefois: Nous sommes saints, nous ôtons les Péchés du monde; car, ajoutent-ils, si celui qui baptise nest pas saint, comment, étant rempli de péchés, peut-il ôter le péché dautrui? A des arguments de cette nature nopposons pas nos paroles, lisons notre Evangile : «Voici lAgneau de Dieu, voici celui qui
1. Ps. L, 7.
ôte le péché du monde ». Que des hommes ne cherchent pas à lemporter sur dautres hommes; que le passereau ne se retire pas sur la montagne, quil se confie au Seigneur (1). Et sil lève les yeux vers les montagnes doù lui viendra le secours, quil reconnaisse que ce secours lui vient du Seigneur, Créateur du ciel et de la terre (2). Telle était lexcellence de Jean, quon lui dit : Tu es le Christ? Non, répondit-il. Tu es Elie? Non. Tu es prophète? Non. Pourquoi donc baptises-tu? « Voici lAgneau de Dieu, voici celui qui ôta le péché du monde. Cest lui de qui jai dit: Après moi est venu un homme qui a été mis devant moi, parce quil était avant moi. Il est venu après moi », parce que ma naissance a précédé la sienne; « il a été mis devant moi», parce quil ma été préféré; «il était avant moi, parce quau commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». 12. « Pour moi », continue-t-il, « je ne le connaissais pas, mais afin quil fût manifesté à Israël, je suis venu baptiser dans leau. Et Jean rendit témoignage en disant: Jai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Cependant je ne le connaissais pas; mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit : Celui sur qui tu verras lEsprit descendre et demeurer est celui qui baptise dans le Saint-Esprit. Je lai vu, et jai rendu le témoignage quil est le Fils de Dieu ». Que votre charité veuille être un peu attentive : A quel moment le précurseur Jean a-t-il connu le Christ? Dabord il est envoyé pour baptiser dans leau; on lui demande pourquoi il baptise : « Afin », répond-il, « quil soit manifesté à Israël ». Quel a été lutilité du baptême de Jean? Mes frères, si le baptême de Jean avait été utile, il se donnerait encore, les hommes seraient encore baptisés du baptême de Jean, et ils arriveraient ainsi au baptême de Jésus-Christ. Mais que dit-il? « Afin quil soit manifesté à Israël, cest-à-dire au peuple dIsraël. Cest donc pour manifester le Christ au peuple dIsraël que Jean est venu baptiser dans leau. Jean a reçu la mission de baptiser et de préparer la voie au Seigneur par leau de la pénitence, avant lapparition du Christ ; mais le Sauveur une fois connu, il était inutile de lui
1. Ps. X, 2. 2. Id. CXX, I, 2.
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préparer 1a voie, car il sest fait lui-même la voie de tous ceux qui le connaissent. Cest pourquoi le baptême de Jean na pas été de longue durée. Mais dans quel état sest manifesté le Christ? Dans un état dhumilité, jusquà confier à Jean le baptême que Notre-Seigneur devait recevoir. 13. Mais le Sauveur avait-il besoin dêtre baptisé? Je vous demande à mon tour: Notre-Seigneur avait-il besoin de se faire homme? dêtre crucifié? de mourir? dêtre mis dans un tombeau? Puisquil sest ainsi abaissé pour nous, pourquoi donc naurait-il pas reçu le baptême? Et puisquil a reçu le baptême de son serviteur, quen conclure, sinon que tu ne dois pas dédaigner de recevoir celui de ton maître? Que votre charité soit attentive. Il devait y avoir plus tard dans lEglise des catéchumènes doués dune grâce plus parfaite. Ainsi voyez-vous quelquefois un catéchumène sabstenir de tout commerce charnel, dire adieu au siècle, renoncer à tous ses biens, les distribuer aux pauvres, et quoique simple catéchumène, connaître peut-être mieux la doctrine du salut quun grand nombre de fidèles. Il est à craindre pour lui quil narrive à se dire intérieurement au sujet du saint baptême par lequel les péchés sont remis Que recevrai-je que je naie déjà? Déjà je suis meilleur que tel ou tel fidèle; ce disant, il pensera à tels et tels fidèles, les uns mariés, les autres peut-être dépourvus dintelligence, les autres possédant encore leurs biens, tandis que lui-même a déjà distribué les siens aux pauvres. Alors il sestimera meilleur que ces fidèles déjà baptisés, et il dédaignera de se présenter au baptême. Après tout, se dira-t-il en ayant soin de porter son attention sur ceux dont il fait moins de cas, je ne recevrai que ce que tels et tels ont reçu, et il regardera comme indigne de lui de recevoir ce quil sait avoir été reçu par dantres quil juge lui être inférieurs, Cependant, tous ses péchés demeurent sur lui, et à moins quil se présente à ce baptême salutaire où les péchés sont remis, il ne peut, même avec toute sa supériorité de mérites, entrer dans le royaume des cieux. Aussi, afin dattirer à son baptême un homme si supérieur aux autres, et de lui ménager, par ce moyen, le pardon de ses péchés, le Sauveur est-il venu lui-même se faire baptiser par son serviteur : il ny avait en lui rien à remettre, rien à effacer, et pourtant il a reçu de son serviteur le baptême. Par là il semblait sadresser à ce fils orgueilleux et superbe qui ne daigne pas recevoir avec les simples ce qui lui procure la grâce du salut. Par là il semblait lui dire : Si étendues que soient tes prétentions, si haut que monte ton orgueil, quels que soient ton excellence et tes mérites, peuvent-ils être plus grands que les miens? Hé quoi! je suis venu à mon serviteur, jai reçu son baptême et tu dédaignerais de venir à ton maître et dêtre baptisé par lui? 14. Sachez-le bien, mes frères, aucun péché nobligeait Notre-Seigneur à venir vers Jean ; les autres Evangélistes nous apprennent que le Seigneur arrivant pour être baptisé, Jean lui dit: « Vous venez à moi? Cest moi qui dois être baptisé par vous ». Et que lui répondit Jésus-Christ? « Laisse présentement, il faut que toute justice saccomplisse (1)». Quest-ce à dire : « Il faut que toute justice saccomplisse ? » Je suis venu mourir pour les hommes, nest-ce pas juste que je sois aussi baptisé pour eux? Quest-ce encore : « Il faut que toute justice saccomplisse? » Il faut que je porte à son comble mon humilité. Jean était un bon serviteur, et le Christ naurait pas permis à Jean de le baptiser, quand il a permis à de mauvais serviteurs de le faire souffrir et mourir? Remarquez bien ceci : Puisque Jean baptisait afin que son baptême fît connaître lhumilité du Sauveur, le Christ étant baptisé, personne autre ne devait-il désormais recevoir le baptême de Jean? Plusieurs ont reçu le baptême de Jean ; mais après que Jésus-Christ leut reçu, le baptême cessa aussitôt dêtre donné. En effet Jean alors fut mis en prison; car lon ne voit pas quà partir de ce moment quelquun ait été baptisé par lui. La raison dêtre du baptême de Jean a été de nous manifester lhumilité de Notre- Seigneur; et nous devons conclure de là que si le Christ a reçu le baptême de son serviteur, nous ne devons pas dédaigner de recevoir celui de notre maître. Mais puisque telle a été la raison dêtre du baptême de Jean, il semble que celui-ci naurait dû baptiser que le Sauveur. Toutefois si Jean navait baptisé que Jésus-Christ, plusieurs se seraient rencontrés qui auraient regardé le baptême de Jean comme plus saint que celui de Jésus-Christ, sous ce prétexte
1. Matth. III, 14, 15.
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que Jésus-Christ seul a mérité de recevoir le baptême de Jean, tandis que tous les hommes peuvent prétendre à celui de Jésus-Christ. Que votre charité mécoute avec attention. Nous avons tous reçu le baptême de Jésus-Christ : en disant cela, jentends parler non-seulement de nous- mêmes, mais encore de lunivers tout entier ; et jusquà la fin des siècles cest ce baptême que lon recevra. Lequel dentre nous, nimporte sous quel rapport, peut se comparer à Notre-Seigneur, dont saint Jean a dit quil nétait pas digne de dénouer les cordons de ses souliers? Si donc le Christ, lui si parfait, lui Homme-Dieu,avait été seul à recevoir le baptême de Jean, que nauraient pas dit les hommes? Quel baptême a été celui de Jean! Quel admirable baptême! Vois : Le Christ seul a mérité de le recevoir. Ainsi le baptême du serviteur aurait dans lidée générale primé celui du maître. Dautres donc ont reçu le baptême de Jean, afin quil ne semblât pas meilleur que celui de Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur la reçu à son tour, afin quayant consenti humblement à être baptisé par le serviteur, les autres serviteurs ne dédaignassent pas le baptême du maître. Voilà donc pourquoi Jean a été envoyé. 15. Mais Jean connaissait-il Jésus-Christ ou ne le connaissait-il pas? Sil ne le connaissait pas quand Jésus-Christ vint au bord du Jourdain, pourquoi disait-il: « Cest moi qui dois être baptisé par vous? » Nétait-ce pas dire: Je sais qui vous êtes? Si donc à ce moment il ne le connaissait pas déjà, assurément il a appris à le connaître quand il a vu la colombe descendre sur lui. Il est certain que la colombe nest descendue sur le Seigneur quaprès quil fut sorti des eaux du Jourdain. Après avoir été baptisé, se Sauveur sortit de leau, et alors les cieux souvrirent. Or, Jean vit descendre sur lui la colombe: la colombe nest descendue quaprès le baptême de Notre-Seigneur. Avant de le baptiser Jean lui a dit: « Comment venez-vous à moi, cest à moi dêtre baptisé par vous » ; dès lors il savait quel était celui à qui il disait: «Comment venez-vous à moi, cest à moi dêtre baptisé par vous ?» ; Comment donc a-t-il pu dire ensuite: « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit: Celui sur lequel tu verras descendre le Saint-Esprit en forme de colombe, cest lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». Question importante, mes frères en saisir la difficulté, cest déjà beaucoup; daigne le Seigneur nous accorder la grâce de la résoudre. Voici Jean-Baptiste, vous le savez; il est sur les bords du Jourdain, arrive Notre-Seigneur demandant le baptême quil na pas encore reçu, Jean va parler: « Comment», sécrie-t-il, « vous venez à moi, mais cest à moi dêtre baptisé par vous ! » Déjà donc il connaît Notre-Seigneur puisquil veut être baptisé par lui. Après avoir été baptisé, Notre-Seigneur sort de leau, les cieux souvrent, le Saint-Esprit descend sur lui. Alors Jean apprend à le connaître. Si, alors seulement, il apprend à le connaître, comment a-t-il pu dire quelques instants auparavant: « Cest à moi dêtre baptisé par « vous? » Mais sil napprend pas alors à le connaître parce quil le connaissait déjà, comment peut-il sexprimer ainsi? « Je ne le connaissais pas; mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit: Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». 16. Mes frères, essayer de répondre aujourdhui à cette question, ce serait, je nen doute pas, vous fatiguer; car je vous ai parlé déjà bien longuement. Il faut néanmoins que vous le sachiez; cette question est si importante lue de sa solution dépend lanéantissement du parti de Donat. Jen ai entretenu votre charité, afin, selon mon habitude, de vous exciter à être attentifs. Je lai fait aussi, afin que vous priiez Dieu pour nous et pour vous; car nous avons besoin, nous de parler dune manière digne dun pareil sujet; et vous, de nous bien coin prendre. Aujourdhui permettez-moi de ne point aborder ce sujet. Je vais en attendant vous dire ce petit mot: Interrogez, en esprit de paix, sans animosité, sans contention, sans querelles, loin de toute disposition haineuse, cherchez eu vous-mêmes et demandez aux autres; dites-leur : Notre évêque nous a proposé aujourdhui cette question quil nous a promis de résoudre avec laide de Dieu. Mais que je puisse la résoudre ou que jen sois incapable, cette difficulté que je vous ai proposée rue préoccupe, je vous lassure, et me préoccupe beaucoup. Jean dit au Christ, comme sil le connaissait déjà: « Je dois être baptisé par vous ». Sil ne connaissait pas celui dont il voulait recevoir le baptême, [345] cétait, de sa part, une grande imprudence de lui dire: « Cest à moi dêtre baptisé par vous ». Donc il le connaissait. Or, sil le connaissait, que signifie ce quil dit: « Je ne le connaissais pas; mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit: Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit? » Que dirons-nous? Que nous ne savons pas quand est venue la colombe? Mais ne laissons pas aux partisans de Donat ce moyen de défense. Lisons le récit des autres évangélistes qui ont parlé dune manière plus précise de la descente de la colombe, et nous ly trouverons clairement marquée au moment où le Seigneur sortit de Leau. Ce fut, en effet, après le baptême du Sauveur que les cieux souvrirent et que Jean-Baptiste vit descendre le Saint-Esprit (1). Si Jean na connu Jésus-Christ
1. Matth. III, 16 ; Marc, I, 10; Luc, III 21, 22.
quaprès son baptême, comment pouvait-il dire au moment où le Sauveur sapprochait de lui, pour en recevoir le baptême: « Cest à moi dêtre baptisé par vous? » Occupez-vous intérieurement de cette difficulté ; jusquà notre prochaine réunion conférez-en les uns avec les autres, traitez-la par ensemble. Plaise au Seigneur notre Dieu den révéler dabord la solution à quelquun dentre vous, avant le jour où je dois vous en entretenir. Quoi quil en soit, mes frères, la question sera résolue, retenez-le bien: sur la question de la grâce du baptême, les Donatistes jettent de la poussière aux yeux des ignorants, ils tendent des lacets, pour y prendre, comme on prendrait des oiseaux au vol, les esprits inconsidérés. Aujourdhui ils lèvent la tête ils cesseront de la lever, et nous leur fermerons parfaitement la bouche.
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