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SOIXANTE-QUATRIÈME TRAITÉ.SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « MES PETITS ENFANTS, ENCORE UN PEU DE TEMPS JE SUIS AVEC VOUS : VOUS ME CHERCHEREZ, ET COMME JAI DIT AUX JUIFS, OU JE VAIS VOUS NE POUVEZ VENIR ; JE VOUS LE DIS AUSSI A VOUS». (Chap. XIII, 33.)PERMANENCE ET DÉPART.
Le Sauveur annonce à ses Apôtres, pour quils ne se désolent pas, que sil doit être bientôt glorifié par son Père, il restera néanmoins encore un peu avec eux, mais quil sen séparera ensuite pour aller dans le ciel, où ils ne le suivront que plus tard, lorsquils lauront mérité.
1. Remarquez, mes bien chers frères, la liaison qui existe entre les paroles de Notre-Seigneur. Lorsque Judas fut sorti et se fut séparé, même extérieurement, de la société des saints, Jésus avait dit : « Maintenant le Fils de lhomme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui » ; il avait ainsi parlé pour annoncer que son royaume commencerait quand les bons seront séparés des méchants, ou pour indiquer que sa résurrection aurait lieu immédiatement, et ne serait pas, comme la nôtre, différée jusquà la fin du monde; il avait ensuite ajouté: « Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même, et le glorifiera bientôt » ; ce qui marquait, sans aucune ambiguïté, que sa résurrection était proche. Après avoir dit ces choses, il continua en ces termes : « Mes petits enfants, encore un peu de temps, je suis avec vous ». Ils pouvaient croire que Dieu était sur le point de le glorifier, de telle façon quil ne leur serait plus uni, et quil ne converserait plus avec eux sur la terre; aussi leur dit-il: « Encore un peu de temps je suis avec vous » ; cest comme sil leur disait : Il est vrai que maintenant je vais être glorifié par ma résurrection; mais je ne monterai pas au ciel immédiatement : « Encore un peu de temps je suis avec vous». En effet, par ce qui est écrit aux Actes des Apôtres, nous voyons quaprès sa résurrection il resta avec eux pendant quarante jours, allant et venant, mangeant et buvant (1); non pas quil eût faim ou soif, mais pour montrer par là la vérité de sa chair; car si elle néprouvait pas le besoin de manger et de boire, elle en avait au moins le pouvoir. Cétait donc de ces quarante jours quil entendait parler, lorsquil disait : « Encore un peu de temps je suis avec vous » ; peut-être voulait-il aussi marquer autre chose? En effet, ces paroles : « Encore un peu de a temps je suis avec vous », peuvent vouloir dire : Encore un peu de temps je suis dans linfirmité de cette chair aussi bien que vous, cest-à-dire jusquà sa mort et à sa résurrection. Après sa résurrection, en effet, Jésus fut bien avec ses disciples pendant quarante jours, les faisant jouir de sa présence corporelle; mais il nétait plus, comme eux, soumis aux infirmités humaines. 2. Il y a encore une autre présence divine, mais qui ne tombe pas sous nos sens mortels; cest celle dont il dit : « Voilà que je suis
1. Act. I, 3.
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avec vous jusquà la consommation des siècles (1)». Mais ce nest assurément pas celle quil désigne par ces mots: a Encore un peu de a temps je suis avec vous a; car ce qui doit durer jusquà la fin du monde ne peut sappeler un peu de temps; ou bien, si lon considère même cet intervalle comme nétant quun peu de temps (car le temps vole avec rapidité, et aux peux de Dieu, mille ans sont comme un jour ou comme une veille de la nuit (2)), on doit croire que ce nest pas ce que Notre-Seigneur a voulu dire, car il ajoute : « Vous me chercherez, et, comme jai dit aux Juifs, où je vais vous ne pouvez pas venir » ; cest-à-dire : après ce peu de temps où je suis avec vous, « vous me chercherez, et où je vais vous ne pouvez pas venir». Est-ce que, après la fin du monde, les disciples ne pourront pas aller où il va lui-même ? Mais alors que signifie ce quil doit dire peu après dans le même discours : « Père, je veux que, où je suis, ils soient, eux aussi, avec moi (3)? » Ce nest donc pas de cette présence, par laquelle il est avec eux jusquà la fin du monde, quil a voulu parler lorsquil a dit : « Encore un peu de temps je « suis avec vous ». Il avait en vue le peu dheures que, dans sa faiblesse et sa mortalité, il devait passer avec eux jusquà sa passion; ou bien sa présence corporelle dont il devait les faire jouir jusquà sa résurrection. De ces deux sentiments, chacun peut choisir celui qui lui agrée le plus: ils nont rien de contraire à la foi. 3. Quelquun trouvera peut-être que le sens donné par nous à ces paroles : « Encore un peu de temps je suis avec vous », sécarte de la vérité, et quainsi Notre-Seigneur na pas voulu faire allusion au temps quil devait passer avec ses disciples jusquà sa passion, dans la communion dune chair mortelle; celui-là doit remarquer les paroles que Notre-Seigneur prononça après sa résurrection, et que nous trouvons dans un autre Evangéliste : « Je vous ai dit ces choses lorsque jétais encore avec vous (4) ». Nétait-il pas alors avec ses disciples assemblés autour de lui, qui le voyaient, le touchaient et lui parlaient ? Que veulent donc dire ces mots: « Lorsque jétais encore avec vous? » Le voici: Lorsque jétais dans une chair mortelle,
1. Matth. XXVIII, 20. 2. Ps. LXXXIX, 4. 3. Jean, XVII, 24. 4. Luc, XXIV, 41.
comme celle où vous êtes encore; alors en effet il était ressuscité dans la même chair, mais il nétait plus dans la condition mortelle de ses disciples. Quand il était revêtu dune chair immortelle, il a dit avec vérité : « Lorsque jétais encore avec vous », et par ces paroles, nous ne pouvons entendre autre chose que ceci : Lorsque jétais encore avec vous dans une chair mortelle; de même en est-il de linterprétation à donner à ce passage : « Encore un peu de temps je suis avec vous » ; on peut croire, sans tomber dans labsurde, quil a voulu dire : Encore un peu de temps, je suis mortel comme vous lêtes vous-mêmes. Voyons donc ce qui suit : 4. « Vous me chercherez, et comme jai dit aux Juifs, où je vais vous ne pouvez pas venir, je vous le dis aussi à vous présentement ». Cest-à-dire, présentement vous ne pouvez pas. Quand il parlait aux Juifs, il najoutait pas le mot : « présentement » ; les disciples ne pouvaient donc pas, pour le moment, aller où il allait lui-même; mais ils le pourraient dans la suite. Peu après, Notre-Seigneur le déclara ouvertement à lapôtre Pierre; ce disciple lui ayant dit : « Seigneur, où allez-vous? » il lui répondit : « Où je vais, tu ne peux pas me suivre présentement, mais tu me suivras un jour (1) ». Mais cest là une question importante, sur laquelle il ne faut point passer- légèrement. Où donc les disciples ne pouvaient-ils pas suivre le Seigneur présentement, tandis quils le pourraient plus tard ? Dirons-nous que cest à la mort ? Mais pour lhomme venu au monde, quel est le temps où il na pas la facilité de mourir? Tout le temps quil a un corps sujet à la corruption, il ne lui est pas plus facile de vivre que de mourir. Ce nétait donc pas que les disciples ne fussent pas encore aptes à suivre Notre-Seigneur jusquà la mort; mais cest quils nétaient pas encore aptes à le suivre jusquà la vie qui ne connaît point la mort. En effet, par sa résurrection dentre les morts, Notre-Seigneur allait en un endroit où il ne devrait plus mourir, et où la mort naurait plus sur lui aucun empire (2). Comment auraient-ils suivi leur Maître qui allait mourir pour la justice, puisquils nétaient pas encore mûrs pour le martyre? Ou bien, comment auraient-ils suivi leur Maître jusquà limmortalité de la chair, eux qui devaient bien mourir,
1. Jean, XIII, 36. 2. Rom. VI, 9.
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mais ne devaient ressusciter quà la fin du monde? Enfin, comment auraient-ils suivi leur Maître jusque dans le sein du Père? Leur Maître allait retourner dans le sein de son Père sans les abandonner, comme il était venu à eux sans en sortir ; comment lauraient-ils suivi jusque-là, puisque personne nest admis dans ce séjour de la félicité, sil nest dabord consommé en charité? Aussi cest pour leur apprendre comment ils pouvaient se mettre en état de le suivre où il les précédait, quil leur dit : « Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres (1) ». Voilà sur quelles traces il faut marcher pour suivre Jésus-Christ. Mais il faut remettre à un autre temps den parler plus au long.
1. Jean, XIII, 34.
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