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QUARANTE-NEUVIÈME TRAITÉ.DEPUIS LENDROIT OÙ IL EST DIT : « OR IL Y AVAIT UN MALADE NOMMÉ LAZARE », JUSQUÀ : « IL SEN ALLA DANS LE PAYS QUI EST PRÈS DU DÉSERT, DANS LA VILLE QUI EST APPELÉE EPHREM, ET LÀ IL DEMEURAIT AVEC SES DISCIPLES ». (Chap. XI, 1-54.)RÉSURRECTION DE LAZARE.
Le Christ a ressuscité trois morts pour manifester sa puissance. La mort corporelle est limage de la mort spirituelle, avec cette différence, néanmoins, quon redoute lune et quon ne craint guère lautre : la résurrection des corps est aussi lemblème de celle des âmes par la foi. Si la fille de Jaïre et le fils de la veuve de Naïm figurent les pécheurs non invétérés de pensée et daction, Lazare représente ceux qui se trouvent plongés dans la corruption de mauvaises habitudes. Sa résurrection miraculeuse devait être une preuve de la divinité du Christ. En raison de la mauvaise volonté des Pharisiens, les Apôtres voulaient le dissuader de se rendre à Béthanie, mais Jésus, après les avoir rappelés au devoir, et leur avoir appris ce quest la mort avant le jour du jugement, sen alla, et ils le suivirent. Avant de ressusciter Lazare, il déclara à Marthe quil est principe de vie pour le corps et pour lâme ; que quiconque croit, vivra toujours de la vie de la grâce. Arrivé prés de Marie, il frémit et pleura pour donner au pécheur lexempte de ce quil doit faire pour revenir à la vie de lâme. La suite indique comment les esclaves des mauvaises habitudes parviennent à en obtenir le pardon et à en sortir. A la suite de ce miracle eurent lieu et un grand émoi parmi les Pharisiens, et la prophétie de Caïphe.
1. De tous les miracles opérés par Notre-Seigneur Jésus-Christ, le plus célèbre est la résurrection de Lazare. Mais si nous en remarquons bien lauteur, nous devrons bien plus nous en réjouir que nous en étonner. Cest celui qui a créé lhomme qui a ressuscité un homme ; car il est le Fils unique du Père, et par lui, vous le savez, toutes choses ont été faites. Si donc cest par lui quont été faites toutes choses, y a-t-il rien détonnant à ce quun homme ait été ressuscité par lui, quand tant dhommes naissent chaque jour par leffet de sa puissance? Cest bien plus de créer les hommes que de les ressusciter. Cependant il a daigné créer et ressusciter; créer tous les hommes et en ressusciter quelques-uns. Car le Seigneur Jésus a fait beaucoup de choses ; mais toutes nont pas été écrites ; lEvangéliste Jean lui-même nous atteste que le Seigneur Jésus a fait et dit beaucoup de choses qui nont pas été écrites (1) : on choisit de préférence, pour les écrire, les choses qui paraissaient suffire au salut des croyants. Tu as entendu que le Seigneur Jésus a ressuscité un mort : il te suffit de savoir que, sil avait voulu, il aurait ressuscité tous les morts ; mais il sest réservé de le faire à la fin du monde. Car pour lui qui, comme vous lavez appris, a par un grand miracle fait sortir vivant du tombeau un mort qui y était
1. Jean, XX, 30.
renfermé depuis quatre jours, « lheure viendra », comme il dit lui-même, « où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront ». Il a ressuscité un mort déjà tombé en putréfaction ; mais cependant ce cadavre infect avait encore la forme de corps humain ; mais au dernier jour, cest avec des cendres que dun seul mot il reconstituera des corps. Il fallait néanmoins quen attendant il fît quelques miracles qui nous fussent donnés comme des marques de sa puissance, afin que nous croyions en lui, et que nous nous préparions à cette résurrection , qui sera pour la vie et non pour la condamnation. Car voici ce quil dit : « Lheure viendra où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et ceux qui auront bien fait sortiront pour la résurrection de la vie; ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement (1) ». 2. Nous lisons crans lEvangile que trois morts ont été ressuscités par le Seigneur, et ce nest assurément pas sans raison; car les oeuvres du Seigneur ne sont pas seulement des actions, elles sont aussi des signes. Si donc elles sont des signes, outre quelles ont un côté admirable, elles nous indiquent certainement aussi quelque chose de caché à nos yeux. Mais trouver ce que signifient ces actions offre parfois plus de difficulté que de les lire
1 Jean, V, 28, 29.
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ou de les entendre. Nous écoutions avec admiration, comme en présence dun grand miracle étalé à nos regards, lorsquon nous lisait dans lÉvangile de quelle manière Lazare a été ressuscité. Si nous y réfléchissons, par une opération bien plus admirable de Jésus-Christ, tout homme qui croit ressuscite: et si nous reportons notre attention sur tous ceux qui meurent, et si nous pensons au genre de mort le plus lamentable, celui qui pèche se fait mourir. La mort du corps, tout homme la craint, et la mort de lâme, bien peu la redoutent. Pour la mort du corps, qui, sans aucun doute, doit arriver un jour, tous cherchent à lempêcher de venir : cest là tout leur travail. Il travaille à ne pas mourir, lhomme qui doit mourir, et lhomme qui doit vivre éternellement, ne travaille pas à ne point pécher, et lorsquil travaille à ne pas mourir, il soccupe inutilement : car ce quil fait ne peut servir quà différer lheure de la mort et non à léloigner tout à fait. Si, au contraire, il voulait ne pas pécher, il naurait pas tant de peine et il vivrait éternellement. Oh ! si nous pouvions exciter les hommes et nous exciter nous-mêmes avec eux à aimer la vie permanente autant quils aiment cette vie fugitive ! Que ne fait pas lhomme tombé en danger de mort? En voyant le glaive suspendu sur leur tête, plusieurs ont livré ce quils avaient en réserve pour assurer leur vie. Quel est celui qui naurait pas tout donné pour nêtre pas frappé? Et après cet abandon peut-être a-t-il été frappé. Quel est celui qui, pour vivre, ne consentirait pas à linstant à perdre ce qui le faisait vivre, préférant une vie de mendiant à une prompte mort? Quel est celui à qui lon adit: Embarque-toi, si tu neveux pas mourir, et qui a hésité ? Quel est celui à qui lon a dit : Travaille, si tu ne veux pas mourir, et qui a été paresseux? Ils sont bien légers les ordres que Dieu nous donne pour nous faire obtenir une vie éternelle, et nous négligeons de lui obéir ! Dieu ne te dit pas : Sacrifie tout ce que tu as, pour vivre pendant un temps bien court, et accablé de soucis; mais il dit: Donne aux pauvres une partie de ce que tu as, si tu veux vivre toujours et à labri de toute peine. Ils sont notre condamnation, les amateurs de cette vie temporelle quils nont ni quand ils veulent, ni aussi longtemps quils le veulent, et nous ne nous condamnons pas nous-mêmes, nous qui nous montrons si paresseux, si lâches à ne quérir la vie éternelle, que nous aurons si nous le voulons, et que nous ne perdions jamais quand nous laurons. Et cette mort que nous craignons tant, nous la subirons malgré nous. 3. Si donc le Seigneur par sa grâce et sa miséricorde infinie ressuscite nos âmes pour nous garantir de la mort éternelle, nous devons bien le comprendre, ces trois morts quil ressuscita dans leurs corps signifient quelque chose, et ils figurent la résurrection des âmes qui se fait par la foi. Il a ressuscité la fille du chef de la synagogue lorsquelle était encore étendue dans sa demeure (1); il a ressuscité le jeune fils de la veuve quon portait déjà hors de la ville (2) ; il a ressuscité Lazare enseveli depuis quatre jours. Que chacun examine létat de son âme: si elle pèche, elle meurt; le péché, cest la mort de lâme. Mais quelquefois on pèche en pensée. Ce qui est mal ta causé du plaisir. Tu as consenti, tu as péché. Ce péché ta donné le coup de la mort ; mais la mort est à lintérieur, parce que la mauvaise pensée ne sest pas réduite en acte. Voulant montrer quil ressusciterait cette âme, le Seigneur ressuscita cette jeune fille qui navait pas encore été portée dehors, mais qui gisait sans vie dans sa demeure, indiquant par là un péché caché. Toutefois, si tu ne tes pas borné à consentir à la mauvaise pensée, mais quen outre tu aies fait le mal, tu as transporté le mort en dehors des portes; tu es dehors, et tu es emporté mort. Cependant le Seigneur ressuscita aussi ce mort et le rendit à sa mère qui était veuve. Si tu as péché, fais pénitence; et le Seigneur te ressuscitera et te rendra à lÉglise, ta mère. Le troisième mort est Lazare. Il y a un genre de mort bien cruel : on lappelle la mauvaise habitude; car autre chose est de pécher, autre chose est de contracter lhabitude du péché. Celui qui pèche et qui se corrige aussitôt, revient bien vite à la vie; comme il nest pas encore enlacé par lhabitude, il nest pas encore enseveli. Mais celui qui a lhabitude de pécher est enseveli, et lon dit de lui avec raison : Il sent mauvais. Car il commence à avoir une mauvaise réputation, qui se répand autour de lui comme une odeur insupportable. Tels sont tous ceux qui saccoutument aux crimes, qui sont perdus de moeurs. Tu lui dis : Nagis pas ainsi ; est-ce quil tentend, celui que la terre étouffe, que la corruption
1. Marc, V, 41, 42. 2. Luc, VII, 14, 15.
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déjà gagné et qui est écrasé sous le poids de lhabitude? Et cependant, même ce dernier, Jésus-Christ est assez puissant pour le ressusciter. Nous avons connu, nous avons vu, et nous voyons tous les jours des hommes qui, renonçant à une habitude criminelle, vivent ensuite beaucoup mieux que ceux qui les reprenaient. De tels hommes peut-être te faisaient horreur. Vois la soeur même de Lazare (si toutefois cest elle qui couvrit de parfums les pieds du Seigneur, et les essuya avec ses cheveux après les avoir arrosés de ses larmes), cette soeur de Lazare fut plus avantageusement ressuscitée que son frère. Elle fut délivrée du poids énorme de ses habitudes criminelles. Cétait en effet une pécheresse célèbre, et delle il a été dit : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce quelle a aimé beaucoup (1) ». Nous en voyons beaucoup, nous en avons connu beaucoup qui ont été ainsi ressuscités ; que personne ne désespère, ruais que personne ne se laisse aller à la présomption. Si le désespoir est un mal, la présomption en est aussi un. Evite le désespoir et ne choisis point ce qui pourrait te donner de la présomption. 4. Le Seigneur ressuscita donc Lazare ; vous avez entendu en quel état il était, cest-à-dire ce que signifie sa résurrection. Continuons donc à lire ; et comme dans ce récit beaucoup de choses sont très-claires, nous ne donnerons point lexplication de chaque passage, afin de pouvoir traiter plus au long ce quil est nécessaire dexpliquer. « Or, il y avait un malade nommé Lazare, de Béthanie, dans la demeure de Marie et de Marthe, ses soeurs ». Vous vous souvenez que, dans la dernière lecture, le Seigneur séchappa des mains de ceux qui voulaient le lapider, et quil se retira au-delà du Jourdain, au lieu où Jean baptisait (2). Pendant que le Seigneur était là, Lazare était malade à Béthanie, bourg rapproché de Jérusalem. 5. « Or, Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et qui essuya ses pieds avec ses cheveux, et son frère Lazare était malade. Ses soeurs envoyèrent donc vers Jésus, disant». Nous avons déjà compris où elles envoyèrent; cétait là où se trouvait le Seigneur, car il était absent, et il se trouvait au-delà du Jourdain. Elles envoyèrent vers le Seigneur, lui annonçant que leur
1. Luc, VII, 47. 2. Jean, X, 39, 40.
frère était malade, afin quil vînt, sil le voulait bien, et quil le délivrât de sa maladie. Mais le Christ différa de le guérir, afin de pouvoir le ressusciter. Que lui firent donc dire les soeurs de Lazare ? « Seigneur, celui que vous a aimez est malade » ; elles ne lui dirent pas : Venez. Comme il aimait Lazare, il suffisait de lui annoncer quil était malade. Elles nosèrent pas lui dire : Venez et guérissez-le ; elles nosèrent pas lui dire: Commandez du lieu où vous êtes, et il sera fait ici comme vous lordonnerez. Mais pourquoi nosèrent-elles pas le faire, puisque ce fut précisément là le motif pour lequel la foi du centurion mérita des éloges ? Le centurion dit en effet : « Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, mais seulement dites une parole et mon serviteur sera guéri (1) ». Elles ne lui dirent rien de pareil, mais seulement ceci : « Seigneur, celui que vous aimez est malade ». Il suffit que vous le sachiez, car ceux que vous aimez vous ne les abandonnez pas. Mais, dira quelquun, comment Lazare peut-il figurer le pécheur, puisque le Seigneur laimait si tendrement? Que celui-là écoute le Seigneur, car il nous dit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (2) ». Si Dieu navait pas aimé les pécheurs, il ne serait pas descendu du haut du ciel sur la terre. 6. « Or, Jésus entendant cela, leur dit : Cette maladie ne va point à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié ». Cette glorification du Fils ne la pas grandi ; cest à nous quelle a profité. Il dit donc : « Cette maladie ne va pas à la mort », parce que la mort même de Lazare nallait point à la mort, mais bien plutôt au miracle quil devait faire pour amener les hommes à croire en Jésus-Christ, et à éviter la mort éternelle. Remarquez comme Notre-Seigneur affirme indirectement quil est Dieu, à cause de quelques-uns qui disent que le Fils nest pas Dieu. Il y a, en effet, des hérétiques qui nient que le Fils de Dieu soit Dieu. Quils écoutent donc : « Cette maladie », dit Jésus, « ne va point à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu ». Pour quelle gloire? pour la gloire de quel Dieu? Ecoute ce qui suit : « Afin que soit glorifié le Fils de Dieu ». « Cette maladie ne va donc point à la mort », dit-il, « mais elle
1. Matth. VIII, 8, 10. 2. Id. IX, 13.
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est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle ». Par quoi ? Par cette maladie. 7. « Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur Marie et Lazare ». Lazare était malade, et ses soeurs étaient tristes; mais tous étaient ses amis. Ils étaient aimés de Celui qui sauvait les malades, je dis plus, de Celui qui ressuscitait les morts et consolait les affligés. « Ayant appris quil était malade, il resta deux « jours dans le même lieu n. On apporta donc la nouvelle à Jésus; mais il resta là, et il sécoula quatre jours complets. Et ce ne fut pas sans raison; car peut-être, et même certainement, ce nombre de jours indique quelque mystère. « Et après cela, il dit à ses disciples « Allons de nouveau en Judée ». Il sy était presque vu lapider, et il semblait ne sêtre éloigné que pour nêtre pas lapidé. Il sétait éloigné comme homme; mais, en revenant, il oublia, en quelque sorte, sa faiblesse et montra sa puissance. « Allons en Judée », dit-il. 8. Quand il eut dit cela, voyez comme ses disciples furent effrayés. « Ses disciples lui disent : Maître, tout à lheure les Juifs cherchaient à vous lapider, et vous y allez de nouveau? Jésus répondit: Ny a-t-il pas douze heures au jour? » Que signifie cette réponse? Ces disciples lui ont dit: « Tout à lheure les Juifs voulaient vous lapider », et « de nouveau vous y allez? » Est-ce pour quils vous lapident? Et le Seigneur leur répond : « Ny a-t-il pas douze heures au jour? Si quelquun marche pendant le jour, il ne chancelle point, parce quil voit la lumière de ce monde ; mais sil marche pendant la nuit, il chancelle, parce que la lumière nest point en lui ». Le Seigneur a parlé du jour; mais dans notre intelligence règne encore une sorte de nuit. Invoquons le jour, pour quil chasse la nuit et quil éclaire notre coeur des feux de sa lumière. Qua voulu dire le Seigneur? Daprès ce quil me semble, et autant que me permettent de juger lélévation et la profondeur de ce discours, il a voulu leur reprocher leur doute et leur infidélité. Ils voulaient conseiller au Seigneur de ne pas mourir, lui qui nétait venu que pour mourir et les empêcher de mourir eux-mêmes. Cest ainsi que, dans un autre passage, saint Pierre qui aimait Notre-Seigneur, mais ne comprenait pas encore pleinement pourquoi il était venu, témoigna la crainte quil avait de le voir mourir; par là il déplut à la vie, cest-à-dire au Seigneur lui-même. En effet, comme. Notre-Seigneur apprenait à ses disciples ce quil aurait à souffrir de la part des Juifs à Jérusalem, Pierre, au milieu de tous les autres, lui dit : « A Dieu ne plaise, Seigneur; épargnez-vous, cela ne vous arrivera pas ». Et aussitôt Notre-Seigneur lui répondit: « Retire-toi de moi, Satan, car tu goûtes non point les choses qui sont de Dieu, mais celles qui sont des hommes ». Peu auparavant il avait confessé le Fils de Dieu et n1érité des louanges ; il avait entendu Jésus lui adresser ces paroles : «Tu es heureux, Simon fils de Jona ; car ce nest pas la chair et le sang qui te lont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux (1) ». A celui auquel il avait dit : « Tu es heureux », il dit: « Retire- toi, Satan »: parce que, sil était heureux, ce nétait pas en lui-même quil trouvait le principe de son bonheur; quelle en était donc la cause ? « Parce que ce nest pas la chair et le « sang qui te lont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux ». Voilà ce qui te rend heureux; cela ne vient pas de toi, mais de moi. Non que je sois le Père, mais parce que tout ce que le Père possède est à moi (2). Mais si Pierre est heureux par le fait du Seigneur lui. même, qui est-ce qui fait de lui un Satan? Le Seigneur nous lapprend ici même. Il a indiqué la raison de la béatitude de Pierre, en disant: « Ce nest pas la chair et le sang qui tont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux » ; voilà la cause de ta béatitude. Mais si jai dit : « Retire-toi de moi, Satan », écoutes-en la raison : « Cest que tu goûtes, non pas les choses qui sont de Dieu, mais les choses qui sont de lhomme ». Que personne donc ne se flatte; de son propre fonds, lhomme est un satan ; cest Dieu seul qui le rend heureux. Quest-ce à dire: De son propre fonds, sinon de son péché? Ote le péché, que te reste-t-il en propre? Ce qui me fait juste, dira quelquun, vient de mon propre fonds. Mais « quas-tu que tu ne laies reçu (3) ? » Comme donc des hommes sadressaient à Dieu, des disciples à leur Maître, des serviteurs à leur Seigneur, des malades à leur Médecin, pour lui donner un conseil, il les reprit et leur dit : « Ny a-t-il pas douze heures au jour? Si quelquun marche dans
1. Matth. XVI, 16-23. 2. Jean, XVI, 15. 3. I Cor. IV, 7.
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le jour, il ne bronche point ». Suivez-moi, si vous voulez ne pas broncher ; ne cherchez pas à me donner des conseils, car vous devez en recevoir de moi. Que signifient donc ces mots : « Ny a-t-il pas douze heures au jour? » Le voici : pour montrer quil était lui-même le jour, il choisit douze disciples. Si je suis le jour, leur dit-il, et si vous êtes les heures, les heures doivent-elles donner des conseils au jour? Ce sont les heures qui. suivent le jour, et non le jour qui suit les heures. Mais si les disciples étaient les heures, quel rôle Judas remplissait-il au milieu deux? Etait-il du nombre des douze heures? Sil était une heure, il éclairait; et sil éclairait, comment livrait-il le jour à la mort? Mais en prononçant cette parole, le Seigneur avait en vue non Judas, mais son successeur. Judas étant déchu, Matthias lui succéda, et le nombre douze demeura intact (1). Ce nest donc pas sans raison que le Seigneur choisit douze disciples: cest parce quil est le jour spirituel. Que les heures suivent donc le jour; quelles lannoncent, quelles reçoivent sa lumière, et que par la prédication des heures le monde croie au jour. Cest ce que Jésus leur dit dun seul mot : Suivez-moi, si vous ne voulez point broncher. 9. Après cela il leur dit :«Lazare, notre ami, dort; mais je vais pour le réveiller ». Il disait vrai : Lazare était mort pour ses soeurs; pour le Seigneur, il dormait. Il était mort pour les hommes qui ne pouvaient le ressusciter. Mais le Seigneur le fit sortir du sépulcre plus facilement que tu ne fais sortir de son lit un homme endormi. Cest donc eu égard à sa puissance quil a dit que Lazare dormait. Du reste, dans les Ecritures, les morts sont souvent appelés ceux qui dorment; ainsi les dénomme lApôtre : « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce qui a regarde ceux qui dorment, afin que vous ne a soyez point attristés, comme les autres qui nont point lespérance (2) ». LApôtre lui-même les appelle ceux qui dorment, parce quil annonce quils doivent ressusciter. Donc tous les morts dorment, quils soient bons ou mauvais. Mais il y a de la différence dans létat de ceux qui dorment du sommeil quotidien et qui séveillent tous les jours, selon ce que chacun deux voit en songe: les uns ont des songes joyeux, dautres en ont de si
1. Act. I, 26. 2. I Thess. IV, 12.
effrayants quils séveillent et craignent de se rendormir, de peur de retomber dans les mêmes songes. Cest ainsi que chaque homme sendort avec sa cause, et se réveille avec elle; et il importe de savoir à quelle espèce de garde on est soumis jusquà ce moment où lon paraît devant le juge. Car il y a différentes sortes de garde, selon que le demandent les différentes causes. Les uns sont confiés à un licteur: cest là un traitement humain, doux et digne dun citoyen. Dautres sont livrés aux geôliers; dautres sont envoyés en prison; et dans la prison même tous ne sont pas traités de la même façon; ceux dont les causes sont plus graves sont enfermés dans des cachots plus profonds. Ainsi donc, comme il y a différentes prisons pour ceux qui paraissent en justice, il y a de même différentes prisons pour les morts et différents mérites en ceux qui. ressuscitent. Le pauvre est reçu, et le riche aussi; mais le premier est reçu dans le sein dAbraham, et le second en un lieu où il a soif et où il ne trouve pas même une goutte deau pour se rafraîchir (1). 10. Toutes les âmes ont donc, et je saisis cette occasion de lenseigner à votre charité, toutes les âmes ont donc, lorsquelles sortent de ce monde, des demeures différentes. Les bonnes sont reçues dans la joie, les méchantes dans les tourments. Mais quand la résurrection sera faite, la joie des bons sera plus grande, et plus graves aussi seront les tourments des méchants, parce quils seront torturés avec leur corps. Les saints patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les martyrs, les bons chrétiens ont tous été reçus dans le séjour de la paix, mais tous ne recevront quà la fin des temps ce que Dieu a promis. Car il a promis la résurrection même de la chair, la destruction de la mort, le partage de la vie éternelle avec les anges. Cest là ce que tous recevront également, car pour le repos qui est accordé immédiatement après la mort, chacun, sil en est digne, le reçoit aussitôt quil est mort. Les patriarches lont reçu les premiers; voyez depuis quand ils reposent. Après eux lont reçu les Prophètes, plus récemment les Apôtres, beaucoup plus tard encore les saints martyrs; et chaque jour les bons chrétiens le reçoivent. Et ainsi les uns y sont déjà depuis longtemps ;dautres, depuis moins de temps; dautres, depuis quelques
1. Luc, XVI, 22-24.
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années seulement; dautres ny sont pas encore. Mais quand ils séveilleront de ce sommeil, tous ensemble recevront ce qui a été promis. 11. « Lazare, notre ami, dort; mais je vais pour le tirer du sommeil. Les disciples lui a dirent donc ». Comme ils comprenaient, ils répondirent : « Seigneur, sil dort, il sera sauvé ». Ordinairement, en effet, le sommeil des malades est un indice de guérison. « Or, Jésus avait parlé de sa mort; mais ils pensèrent quil parlait du sommeil ordinaire. Alors Jésus leur dit clairement ». En effet, cette parole : « Il dort », ne manquait pas dêtre obscure; il leur dit donc clairement : « Lazare est mort, et je me réjouis à cause de vous de ce que je nétais pas là, afin que vous croyiez ». Et je sais quil est mort, et cependant je ny étais pas. On avait annoncé quil était malade, mais non pas quil était mort. Mais pouvait-il y avoir rien de caché pour Celui qui avait créé Lazare, et entre les mains duquel était passée lâme du mourant? Cest pourquoi il dit : « Je me réjouis à cause de vous de ce que je nétais pas là, afin que vous croyiez ». Afin que dès lors ils fussent dans ladmiration de ce que le Sauveur avait pu dire quil était mort sans lavoir ni vu ni entendu. Cest ici le cas de nous rappeler que, par ces miracles, le Christ consolidait la foi de ses disciples qui déjà avaient cru en lui; non en ce sens que la foi, qui nétait pas encore en eux, commençât à y exister; mais en ce sens que cette foi qui sy trouvait déjà saugmentât encore. Jésus sest néanmoins servi dun mot qui semble dire quils commençaient seulement à croire. Il ne dit pas, en effet: « Je me réjouis à cause de vous », pour que votre foi soit augmentée ou affermie; mais : « Pour que vous croyiez ». Ce quil faut entendre ainsi : Pour que vous croyiez dune foi plus large et plus ferme. 12. « Mais allons à lui. Thomas, appelé a Didyme, dit à ses condisciples: Allons, nous aussi, et mourons avec lui. Jésus vint donc et le trouva déposé depuis quatre jours dans a le tombeau ». Sur ces quatre jours, on peut dire bien des choses : les Ecritures obscures par elles-mêmes fournissant, selon la différence des intelligences, des sens différents. Disons, nous aussi, ce que nous semble signifier ,ce mort de quatre jours. Comme dans laveugle dont nous vous parlions dernièrement, nous reconnaissions en quelque sorte le genre humain; dans ce mort nous pouvons bien aussi retrouver un grand nombre dhommes, car une même chose peut être représentée de différentes manières. Lhomme, quand il naît, naît déjà avec la mort, puisque dAdam il hérite le péché; ce qui fait dire à lApôtre : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la a mort; et ainsi elle a passé dans tous les a hommes, par celui en qui tous ont péché (1)». Voilà le premier jour de mort; cest lhéritage auquel lui donne droit son origine. Ensuite lhomme grandit, il approche de lâge de raison, où il peut se faire une idée de la loi naturelle que tous portent écrite dans leur coeur. « Ce que tu ne veux pas quon te fasse, ne le fais pas aux autres ». Est-ce là une chose que nous apprenions dans les livres? Ne la lisons-nous pas en quelque sorte dans la nature? Voudrais-tu être volé? Non, certes, tu ne le veux pas; car voici la loi écrite dans ton coeur : Ce que tu ne veux pas endurer, ne le fais pas toi-même. Et cependant cette loi-là, les hommes la transgressent. Voilà le second jour de mort. Dieu a donné aussi une loi par son serviteur Moïse ; il y est dit : « Tu ne tueras point; tu ne commettras point le péché de la chair; tu ne porteras point de faux témoignage; honore ton père et ta mère; tu ne convoiteras point le bien de ton prochain ; tu ne convoiteras point lépouse de ton prochain (2) ». Voilà la loi écrite; elle aussi, on la méprise. Cest le troisième jour de mort. Que reste-t-il? Vient lEvangile. Le royaume des cieux est annoncé ; Jésus-Christ est prêché partout; il menace de lenfer, il promet la vie éternelle : tout cela est méprisé. Les hommes transgressent lEvangile. Voilà le quatrième jour de mort. Cest bien vrai que déjà il est en putréfaction. Mais à de telles gens faut-il refuser toute miséricorde? A Dieu ne plaise ! Le Seigneur na pas dédaigné devenir pour ressusciter même ces sortes de morts. 13. « Or, beaucoup dentre les Juifs étaient venus vers Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère. Quand Marthe a apprit que Jésus venait, elle alla au-devant a de lui, mais Marie resta assise à la maison. « Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous a aviez été ici, mon frère ne serait pas mort;
1. Rom. V, 12. 2. Exode, XX, 12-17.
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mais je sais maintenant que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous laccordera ». Elle ne dit pas: mais maintenant je vous prie de ressusciter mon frère, car que savait-elle, sil était avantageux pour son frère de ressusciter ? Elle dit seulement : Je sais que vous le pouvez, et que si vous le voulez vous le ferez ; mais le ferez-vous, cest à vous den juger ; ce serait présomption à moi de le décider. « Mais ce que je sais, cest que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous laccordera ». 14. « Jésus lui dit: Ton frère ressuscitera ». Réponse peu claire, car il ne dit pas : Je vais ressusciter ton frère, mais : « Ton frère ressuscitera ». « Aussi Marthe lui dit : Je sais quil ressuscitera à la résurrection du dernier jour ». De cette résurrection, jen suis certaine ; dune résurrection immédiate, je ne sais rien. « Jésus lui dit : Je suis la résurrection ». Tu dis : « Mon frère ressuscitera au dernier jour ». Cest vrai, mais celui par qui il ressuscitera alors, peut bien le ressusciter dès maintenant, parce que, dit-il, « Je suis la résurrection et la vie ». Ecoutez, mes frères, écoutez ce que dit Notre-Seigneur. Certes, toute lattente des Juifs réunis était de voir revivre Lazare, ce mort de quatre jours. Ecoutons et ressuscitons, nous aussi. Quils sont nombreux dans cette assemblée ceux quécrase le poids des mauvaises habitudes ! Peut-être en est-il parmi ceux qui mécoutent, auxquels on pourrait dire : « Ne vous laissez point enivrer par le vin, doù naît la luxure(1) ». Et ils disent : Nous ne pouvons pas. Peut-être, parmi ceux qui mécoutent y a-t-il des personnes impures, souillées de débauches et de corruption, auxquelles je dis : Ne faites point ces choses, si vous voulez ne point périr; et elles répondent: Nous ne pouvons pas nous tirer de cette habitude. O Dieu, ressuscitez-les. « Je suis » , dit-il, « la résurrection et la vie ». Il est la résurrection, parce quil est la vie. 15. « Celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais ». Quest-ce à dire? « Celui qui croit en moi, quand même il serait mort », comme Lazare, « il vivra » ; parce que le Christ nest pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants. Déjà, au sujet des patriarches morts depuis longtemps,
1. Ephés. V, 18.
cest-à-dire, dAbraham, dIsaac et de Jacob, il avait fait aux Juifs la même réponse: « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac, le Dieu de Jacob. Or, Dieu nest pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants ; car tous vivent pour lui (1) ». Crois donc, et quand tu serais mort, tu vivras; mais si tu ne crois pas, quoique tu sois vivant, tu es réellement mort. Prouvons que si tu ne crois pas, quoique tu sois vivant, tu es réellement mort. Quelquun différait de suivre le Seigneur et sexcusait en disant : « Je vais dabord ensevelir mon père ». « Laisse a, dit le Seigneur, « laisse « les morts ensevelir leurs morts ; pour « toi, viens et suis-moi (2) ». Il y avait donc un mort à ensevelir, il y avait aussi des morts qui devaient ensevelir ce mort : lun était mort dans son corps, les autres dans leur âme. Doù vient la mort dans lâme ? De ce que la foi ny est plus. Doù vient la mort dans le corps ? De ce que lâme ny est plus. Donc, lâme de ton âme, cest la foi. « Celui qui croit en moi », dit le Seigneur, « quand il serait mort » dans son corps, « vivra » dans son âme, jusquà ce que le corps lui-même ressuscite pour ne plus mourir ; cest-à-dire : « Celui qui croit en moi », quoiquil meure, « vivra » ; et « quiconque vit » dans son corps « et croit en moi », bien quil doive mourir pour un temps à cause de la mort du corps, « ne mourra pas pour léternité », à cause de la vie de lesprit et de limmortalité que donnera la résurrection. Cest là ce que veut dire Jésus : « Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas pour léternité. Crois-tu cela ? Elle lui répondit : Oui, Seigneur, jai cru que vous êtes le Christ Fils de Dieu, qui êtes venu dans le monde ». En croyant cela, jai cru que vous êtes la résurrection, jai cru que vous êtes la vie ; jai cru que celui qui croit en vous, bien quil meure, vivra, et que celui qui vit et croit -en vous ne mourra pas pour léternité. 16. « Et quand elle eut dit cela, elle sen alla, et appela Marie, sa soeur, en silence, disant : Le Maître est ici et il tappelle ». Il faut remarquer comment lEvangile, pour indiquer une parole dite à voix basse, se sert du mot « silence ». Comment, en effet, a-t-elle gardé le silence, puisquelle a dit : « Le « Maître est ici, et il tappelle ? » Il faut aussi remarquer que lEvangéliste ne dit ni où, ni
1. Matth. XXII, 32; Luc, XX, 37, 38. 2. Matth. VIII, 21, 22.
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quand, ni comment le Seigneur appela Marie ; mais il nous le fait comprendre par les paroles de Marthe, afin dabréger son récit. 17. « Dès que Marie eut entendu, elle se leva aussitôt et vint vers lui. Car Jésus nétait pas encore arrivé dans le bourg, mais il se tenait au lieu même où Marthe sétait présentée à lui. Les Juifs donc qui étaient avec Marie. dans la maison, et la consolaient, quand ils virent quelle sétait levée a si promptement et quelle était sortie, la suivirent en disant : Elle va au tombeau pour y pleurer ». Pourquoi lEvangéliste a-t-il voulu nous raconter tout cela ? Cest pour nous faire voir par quelle occasion ils se trouvèrent présents en grand nombre, quand Lazare fut ressuscité. Les Juifs pensant quelle ne se précipitait au dehors que pour chercher dans les larmes un soulagement à sa. douleur, la suivirent, et cela se faisait pour quun miracle aussi grand que la résurrection dun mort de quatre jours eût un grand nombre de témoins. 18. « Mais quand Marie fut venue où était Jésus, en le voyant elle tomba à ses pieds et lui dit : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Jésus donc, voyant quelle pleurait et que les Juifs qui étaient avec elle pleuraient aussi , frémit en son esprit et se troubla lui-même, et il dit : Où lavez-vous déposé ? » Je ne sais ce quil a voulu nous apprendre en frémissant dans son esprit, et en se troublant lui-même. Car doù aurait pu venir son trouble, sinon de lui-même ? Cest pourquoi, mes frères, remarquez dabord sa puissance, et cherchez ensuite ce quil a voulu signifier. Tu te troubles même quand tu ne le veux pas : Jésus-Christ sest troublé parce quil la voulu. Jésus a eu faim, cest vrai; mais cest quil la voulu. Jésus a dormi, cest vrai ; mais cest quil la voulu. Jésus a été triste, cest vrai ; mais cest quil la voulu. Jésus est mort, cest vrai ; mais cest quil la voulu. Il était en son pouvoir déprouver ces affections ou de ne les pas éprouver. Le Verbe a pris une âme et un corps, sappropriant ainsi la nature de lhomme tout entier, dans lunité dune seule personne. Car lâme de lApôtre a été éclairée par le Verbe ; lâme de Pierre a été éclairée par le Verbe ; lâme de Paul, les âmes des autres Apôtres et des saints Prophètes ont été éclairées par le Verbe; mais daucune il na été dit : « Le Verbe sest fait chair (1) » ; daucune il na été dit : « Mon Père et moi nous sommes un (2) ». Lâme et le corps de Jésus-Christ ne forment avec le Verbe de Dieu quune seule personne, un seul Christ ; et par là, comme en lui réside la souveraine puissance, il dispose de la partie faible selon sa volonté ; cest pourquoi : « Il se troubla lui-même ». 19. Je vous ai montré la puissance du Christ, examinons ce quil a voulu nous faire entendre. Ce ne peut être quun grand coupable celui que représentent ces quatre jours de mort et de, sépulture. Pourquoi donc Jésus. Christ se trouble-t-il lui-même, sinon pour te montrer comme tu dois être troublé lorsque tu es chargé et accablé dune si grande masse de péchés ? Tu tes examiné, tu tes reconnu coupable et tu as dit en toi-même : Jai fait cela, et Dieu ma épargné ; jai commis telle faute, et Dieu a différé de me punir ; jai entendu lEvangile, et je lai méprisé ; jai reçu le baptême, et je suis retombé dans les mêmes fautes : que faire, où aller ? comment méchapper ? Quand tu parles ainsi, déjà Jésus-Christ frémit en toi, car ta foi frémit, et dans la voix du frémissement, apparaît lespérance de la résurrection. Si la foi est en nous, Jésus-Christ sy trouve et frémit : si la foi est en nous, Jésus-Christ est en nous. LApôtre dit-il autre chose : « Jésus-Christ par la foi habite en nos coeurs (3)?» Donc ta foi en Jésus-Christ, cest Jésus-Christ dans ton coeur. De là vient quil dormait dans la barque, et ses disciples craignant de périr. victimes du naufrage qui les menaçait, sapprochèrent de lui et léveillèrent. Jésus-Christ se leva, commanda aux vents et aux flots, et il se fit un grand calme (4). Ainsi en est-il de toi : les vents entrent dans ton coeur, pendant que tu navigues et que tu traverses la vie comme une mer pleine de tempêtes et de dangers. Les vents entrent dans ta barque ; les flots lagitent et la bouleversent. Quels sont ces vents ? On tadresse une injure, tu te laisses aller à la colère linjure, cest le vent ; la colère, cest le flot tu es en danger, car tu te disposes à répondre, tu te disposes à rendre malédiction pour malédiction ; déjà la barque est sur le point de sombrer. Eveille Jésus-Christ qui dort, car si tu temportes, si tu te prépares à
1. Jean, I, 11. 2. Id. X, 30. 3. Ephés. III, 17. 4.Matth. VIII, 24-26.
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rendre le mal pour le bien, cest que Jésus-Christ dort dans la barque. Le sommeil de Jésus-Christ dans ton coeur, cest loubli de la foi, car si tu réveilles Jésus-Christ, cest-à-dire si tu te rappelles les enseignements de la foi, que te dit Jésus-Christ au moment où il se réveille dans ton coeur? Des hommes mont dit : « Vous êtes possédé du démon (1) » ; et jai prié pour eux. Le maître reçoit une injure et il la supporte, et le serviteur se laissera aller à lindignation ! Mais tu veux te venger. Eh quoi ! me suis-je moi-même vengé ? Quand ta foi te parle de la sorte, elle commande aux vents et aux flots, et il se fait en toi un grand calme. De même donc que réveiller Jésus-Christ dans la barque, cest y exciter la foi ; de même dans le coeur de lhomme quoppressent une masse énorme diniquités et une longue habitude du péché, dans le coeur de lhomme qui a transgressé lEvangile et méprisé les peines éternelles, que Jésus-Christ frémisse, que lhomme se condamne lui-même. Ecoute encore : Jésus-Christ a pleuré; que lhomme pleure sur lui-même. Pourquoi, en effet, Jésus-Christ a-t-il pleuré? Nest-ce point pour apprendre à lhomme à pleurer? Pourquoi a-t-il frémi et sest-il troublé lui-même? Nest-ce point parce que la foi de lhomme, qui se déplaît à lui-même, à juste titre, doit frémir dans laccusation de ses fautes, afin que lhabitude du péché cède à la violence de la pénitence? 20. « Et il dit : Où lavez-vous déposé? » Eh quoi ! vous avez su quil était mort, et vous ignorez où on la enseveli? Cela signifie que lhomme perdu de la sorte, Dieu ne le connaît pour ainsi dire pas. Je nai pas osé dire : Dieu ne le connaît pas; car, où est ce que Dieu ne connaît pas? mais jai dit: Il lignore pour ainsi dire. Et comment le prouver? Ecoute ce que le Seigneur doit dire au jour du jugement : « Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi (2) ». Quest-ce à dire : « Je ne vous connais pas? » Je ne vous vois point dans ma lumière, je ne vous vois point dans cette justice que je connais. Cest pourquoi, comme sil ne connaissait pas un pécheur de cette espèce, il dit:« Où lavez-vous déposé? » Cest aussi dans le même sens que Dieu parla dans le paradis, quand lhomme eut péché : « Adam, où es-tu (3)? Ils lui disent : Seigneur, venez et voyez.
1. Jean, VII, 20. 2. Matth. VII, 23. 3. Gen. III, 9.
« Voyez », cest-à-dire, ayez pitié. Le Seigneur voit, en effet, quand il fait miséricorde. Cest pourquoi le Psalmiste lui dit : « Voyez mon abaissement et ma peine, et pardonnez-moi tous mes péchés (1) ». 21. « Jésus pleura. Alors les Juifs dirent : Voilà comme il laimait ». Quest-ce à dire il laimait ? « Je ne suis pas venu », dit-il lui-même, « appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence (2). Or, quelques-uns dentre eux dirent : Celui qui a ouvert les yeux de laveugle ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût point? » Sil na pas voulu faire quil ne mourût pas, cest quil voulait faire quelque chose de plus, le retirer vivant du séjour de la mort. 22. « Jésus donc, frémissant de nouveau en lui-même, vint vers le tombeau ». Quil frémisse aussi en toi, si tu te prépares à revivre. A tout homme, accablé par une mauvaise habitude, il est dit : « Jésus vint vers le tombeau. Or, cétait une grotte, et une pierre avait été placée au-dessus ». Le mort qui se trouve sous la pierre, cest le pécheur sous la loi. Vous le savez, la loi donnée aux Juifs fut écrite sur la pierre (3). Or, tous les pécheurs sont sous la loi; ceux qui vivent bien sont avec la loi. La loi nest point établie pour le juste (4). Que veulent donc dire ces paroles : « Ecartez la pierre? » Elles veulent dire : prêchez la grâce. Car lapôtre Paul se dit ministre du Nouveau Testament, non de la lettre, mais de lesprit. « Car », dit-il,,« la « lettre tue, et lesprit vivifie (5)». La lettre qui tue est comme une pierre qui écrase. « Ecartez la pierre », dit-il, écartez le poids de la loi, prêchez la grâce. « Car, si la loi qui a été donnée pouvait vivifier, alors vraiment la justice viendrait de la loi. Mais la loi écrite a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût, par la foi en Jésus-Christ, donnée en ceux qui croient (6) »; donc, « écartez la pierre ». 23. Marthe, la soeur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà mauvais; car il est là depuis quatre jours. Jésus lui dit : Ne tai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire, de Dieu? » Quest-ce à dire, « tu verras la gloire de Dieu ? » Cest-à-dire que ce mort enterré depuis quatre jours, et déjà tombé en putréfaction, il va le ressusciter.
1. Ps. XXIV, 18. 2. Matth. IX, 13. 3. Exod. XXXI, 18. 4. I Tim. I, 9. 5. II Cor. III, 6. 6. Galat. III, 21, 22.
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« Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (1) », et, « là où a abondé le péché, la grâce aussi a surabondé (2) ». 24. « Ils enlevèrent donc la pierre, et Jésus, élevant les yeux en haut, dit : Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous mavez exaucé. Pour moi, je savais bien que vous mexaucez toujours; mais je lai dit à cause du peuple qui mentoure, afin quils croient que vous mavez envoyé. Ayant dit « ces mots, il cria à haute voix ». Il frémit, il pleure, il crie à haute voix. Quil a de peine à se lever celui quoppresse le poids dune, mauvaise habitude ! Cependant il se lève; une grâce cachée lui rend intérieurement la vie; il se lève après avoir entendu ce grand cri,. Quarriva-t-il ensuite ? « Il sécria à haute voix : Lazare, viens dehors. Et soudain le mort sortit , ayant les mains et les pieds liés avec des bandes et le visage enveloppé dun suaire ». Tu tétonnes quil ait marché les pieds liés, et tu nes pas étonné quil soit ressuscité après quatre jours? En ces deux faits agissait la puissance de Dieu, et non les forces du mort. Il marcha, et il était encore lié; il était encore enveloppé, et cependant il sortit du tombeau quest-ce que cela signifie? Quand tu violes la loi, tu es étendu mort; et si tu la violes en choses graves, comme jai dit plus haut, tu es enseveli; quand tu confesses tes péchés, tu sors. Quest-ce, en effet, que sortir, sinon sortir dun lieu caché et se montrer? Mais que tu confesses tes fautes, cest Dieu qui le fait en te criant à haute voix, cest-à-dire en tappelant par une grande grâce. Cest pourquoi le mort qui savance encore lié, cest le pécheur qui se confesse, mais qui est encore coupable; et pour que ses péchés soient remis, le Seigneur dit à ses ministres : « Déliez-le et laissez-le aller ». Que veut dire : « Déliez-le et laissez-le aller? Ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel (3) ». 25. « Plusieurs donc dentre les Juifs qui étaient vénus vers Marie et avaient vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui; mais quelques-uns dentre eux sen allèrent vers les Pharisiens, et leur dirent ce quavait fait Jésus ». Tous ceux des Juifs qui étaient venus vers Marie ne crurent pas; et cependant il y en eut beaucoup pour croire. « Mais
1. Rom. III, 23. 2. Id. V, 20. 3. Matth. XVI, 19.
quelques-uns dentre eux », soit de ceux qui sétaient rassemblés, soit de ceux qui avaient cru, « sen allèrent vers les Pharisiens et leur dirent ce quavait fait Jésus »; soit en leur annonçant ce prodige, pour les amener à croire eux-mêmes, soit plutôt pour le trahir et afin que les Pharisiens le poursuivissent. Mais nimporte par qui et de quelle manière la chose se fit, ce qui sétait passé fut rapporté aux Pharisiens. 26. « Les Pontifes et les Pharisiens assemblèrent le conseil, et ils disaient : Que faisons-nous? » Ils ne disaient pas : Croyons, car ces hommes perdus, songeaient bien plus à nuire à Jésus et à le perdre quà prévoir comment. ils éviteraient de périr eux-mêmes. Toujours est-il quils craignaient et semblaient pourvoir à lavenir (3). « Ils disaient » donc : « Que faisons-nous? car cet homme opère beaucoup de miracles; si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront, et ils nous extermineront, nous et notre ville ». Ils craignaient de perdre les biens temporels, et ils ne pensaient pas à sassurer la vie éternelle ; et ainsi ont-ils perdu lune et lautre. Car, après la passion et la glorification du Seigneur, les Romains leur enlevèrent et leur ville quils prirent dassaut, et leur nation quils transportèrent ailleurs, et à eux sapplique ce qui a été dit en un autre endroit : « Les enfants de ce royaume iront dans les ténèbres extérieures (1) ». Le sujet de leur crainte était que si tous croyaient en Jésus-Christ, il ne restât personne pour défendre la cité de Dieu et le temple contre les Romains; car ils pensaient que la doctrine de Jésus-Christ allait contre le temple et contre les lois de leurs pères. 27. « Mais lun deux, Caïphe, le grand « prêtre de cette année, leur dit : Vous ny connaissez rien, et vous ne considérez pas quil vous est avantageux quun seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse point. Or, il ne dit pas cela de lui-même, mais comme il était grand prêtre de cette année, il prophétisa ». Par là, nous apprenons que même les hommes méchants peuvent par lesprit de prophétie annoncer les choses à venir. Cependant lEvangéliste attribue ce dernier fait à un mystère tout divin ; car, dit-il, il était
1 Matth. VIII, 12.
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Pontife, cest-à-dire grand prêtre. On peut se demander comment il est appelé Pontife de cette année, car Dieu navait établi quun seul grand prêtre qui, à sa mort, ne devait avoir quun seul successeur. Mais il faut croire que, par suite de lambition et des rivalités qui surgirent parmi les Juifs, il fut établi dans la suite quils seraient plusieurs, et quils exerceraient leurs fonctions à leur tour et chacun pendant une année. Cest ce qui est dit à propos de Zacharie : « Or il arriva, lorsque Zacharie remplissait en son rang les fonctions du sacerdoce devant Dieu, selon la coutume établie parmi les prêtres, que le sort décida quil offrirait lencens dans le temple du Seigneur (1) ». Par là il paraît quils étaient plusieurs, et quils avaient leur tour. Car il nétait permis quau grand prêtre doffrir lencens (2). Et peut-être pour la même année étaient-ils plusieurs qui remplissaient ces fonctions, auxquels dautres succédaient pour lannée, et parmi eux, le sort désignait-il celui qui devait offrir lencens ? Que prophétisa donc Caïphe? « Que Jésus devait mourir pour la nation; et non-seulement pour la nation, mais aussi pour rassembler les enfants de Dieu qui étaient dispersés ». Ces derniers mots ont été ajoutés par lEvangéliste ; car Caïphe, dans sa prophétie, na parlé que de la 1. Luc, I, 8, 9. 2. Exode, XXX, 7.
nation juive, où se trouvaient ces brebis dont le Seigneur dit lui-même : « Je nai été envoyé que vers les brebis perdues de la maison dIsraël (1) ». Mais lEvangéliste savait quil y avait dautres brebis qui nétaient pas de ce bercail, et quil fallait réunir , aria quil ny eût quun seul bercail et un seul pasteur (2). Mais tout cela doit sentendre par rapport à la prédestination; car ceux qui navaient pas encore cru, nétaient encore ni les brebis ni les enfants de Dieu. 28. « A partir de ce jour, ils pensèrent donc à le mettre à mort. Cest pourquoi. Jésus nallait plus en public parmi les Juifs ; mais il sen alla dans le pays qui est près du désert, en une ville appelée Ephrem, et là il demeurait avec ses disciples ». Le motif de sa conduite nétait point la disparition de sa puissance. Certes, sil leût voulu, il aurait vécu publiquement au milieu des Juifs, et ils ne lui auraient fait aucun mal; mais, dans cette faiblesse apparente de son humanité, il montrait à ses disciples lexemple quils devaient suivre : il leur prouvait que, pour les fidèles qui sont ses membres, il ny aurait point de péché à se dérober aux yeux de leurs persécuteurs, et à éviter leur fureur criminelle, en se cachant, plutôt quà lallumer davantage, en se présentant devant eux.
1. Matth. XV, 24. 2. Jean, X, 16.
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