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SOIXANTE-SIXIÈME TRAITÉ.SUR CE QUI EST DIT DEPUIS CES MOTS : « SIMON PIERRE LUI DIT : SEIGNEUR, OÙ ALLEZ-VOUS ? » JUSQUÀ CES AUTRES : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE MAIES RENIÉ TROIS FOIS ». (Chap. XIII, 36-38.)PRÉSOMPTION ET INCAPACITÉ.
Dans sa vivacité, Pierre avait demandé à Jésus où il allait. Où tu ne peux venir maintenant. Jirai partout avec vous. Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Reniant son Maître, Pierre pouvait-il le suivre ?
1. Lorsque le Seigneur Jésus recommandait à ses disciples le saint amour dont ils devraient être animés les uns envers les autres, « Simon Pierre lui dit: Seigneur, où allez-vous?» Ainsi le disciple parlait-il à son Maître, le serviteur à son Seigneur, comme sil était prêt à le suivre. Cest pourquoi le Seigneur voyait bien lintention qui portait Pierre à lui adresser une pareille question; il lui répondit donc: « Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant» ; comme sil lui eût dit : Ce pourquoi tu minterroges, tu ne le peux pas maintenant. Il ne dit point: « Tu ne peux pas »; mais bien : « Tu ne peux pas maintenant ». Par là, il lui imposait un délai, mais il ne lui enlevait pas lespérance. Et cette espérance quil nenlevait pas, mais quil faisait naître, il la confirma par les paroles suivantes : « Mais tu me suivras un jour ». Pierre, pourquoi te hâtes-tu ? La Pierre ne ta pas encore affermi en te communiquant son esprit; ne te laisse pas entraîner par la présomption. « Tu ne peux venir maintenant » ; mais ne te laisse point abattre par le désespoir, « tu me suivras un jour». Mais que dit encore Pierre ? « Pourquoi ne puis-je vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous». Pierre voyait ce quil y avait en lui de désir, il ne voyait pas combien peu de force il sy trouvait. Il était malade, et il vantait sa bonne volonté; mais le médecin voyait sa faiblesse : lun promettait merveilles, mais lautre savait davance ce quil adviendrait : Pierre osait tout, parce quil ne se connaissait pas; mais Jésus, qui voyait davance ce qui devait arriver, lui donnait des renseignements salutaires. Quelle présomption de la part de Pierre ! nenvisager [719] que ce quil voulait, et fermer les yeux sur ce quil pouvait ! Quelle présomption ! Notre-Seigneur était venu donner sa vie pour ses amis, et par conséquent pour lui-même, et il croyait quil pouvait en faire autant pour Notre-Seigneur. Jésus-Christ navait pas encore donné sa vie pour lui, et il promettait de donner sa vie pour Jésus-Christ ! « Jésus lui répondit donc : Tu donneras ta vie pour moi?» tu feras pour moi ce que je nai pas encore fait pour toi? « tu donneras ta vie pour moi ?» Pourrais-tu me précéder, toi qui ne peux pas même me suivre? Quelle présomption ! que penses-tu de toi-même? qui crois-tu être? Ecoute, voici ce que tu es : « En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne maies renié trois fois». Te voilà tel que tu vas te montrer bientôt, toi qui promets de si grandes choses, et qui ignores combien tu es si petit; tu me promets de subir la mort pour moi, et tu me renieras trois fois, moi qui suis ta vie. Avant de croire que tu peux mourir pour moi, commence par vivre pour toi-même. Parce que tu craindras la mort de ton corps, tu donneras la mort à ton âme. Autant est excellente la vie qui consiste à confesser Jésus-Christ, autant est terrible la mort quon se donne en le reniant. 2 . Dirons-nous, comme quelques-uns , quune délicatesse déplacée porte à excuser Pierre, dirons-nous que cet Apôtre na pas renié Jésus-Christ (1), parce que, interrogé par la servante, il a répondu : « Je ne connais pas cet homme », comme les autres Évangélistes le rapportent en termes plus exprès ? Nétait-ce pas renier Jésus-Christ, que renier Jésus-Christ homme, que renier en lui ce quil sest fait à cause de nous, et pour empêcher de périr ce quil nous a faits? Celui donc qui confesse que Jésus-Christ est Dieu, tout en refusant de reconnaître en lui lhumanité, Jésus-Christ nest pas mort pour lui, puisque cest comme homme que Jésus-Christ est mort. Celui qui nie Jésus-Christ homme nest pas réconcilié à Dieu par le médiateur ; car il y a un seul Dieu et un seul médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme (2). Celui qui nie Jésus-Christ homme nest pas justifié; « car, comme par la désobéissance dun seul homme, plusieurs « sont devenus pécheurs, de même, par
1. Ambroise, sur le chapitre XII de saint Luc. 2. I Tim. II, 5.
lobéissance dun seul homme, plusieurs seront rendus justes (1). Celui qui nie Jésus-Christ homme ne ressuscitera pas pour la résurrection de la vie : « Parce que par un homme est venue la mort, et par un homme la résurrection des morts; comme, en effet, tous meurent en Adam, de même aussi en Jésus-Christ tous seront vivifiés (2)». Par où Jésus-Christ est-il le chef de lÉglise, si ce nest par son humanité, et parce que le Verbe sest fait chair, cest-à-dire parce que le Fils unique de Dieu et Dieu lui-même sest fait homme? Comment donc est-il dans le corps de Jésus-Christ, celui qui nie Jésus-Christ homme ? Celui qui renie la tête, peut-il être membre? Mais pourquoi marrêter si longtemps, puisque Notre-Seigneur a lui-même rendu inutiles toutes les subtilités de largumentation humaine; il ne dit pas, en effet Le coq ne chantera pas jusquà ce que tu maies renié comme homme, ou bien, selon lexpression plus familière dont il daignait se servir avec les hommes : Le coq ne chantera pas que tu naies renié trois fois le Fils de lhomme. Voici ses paroles : « Jusquà ce que tu maies renié trois fois ». Que veut dire ce mot: « moi », sinon ce quil était? et quétait-il, sinon Jésus-Christ ? Nimporte donc ce que Pierre ait renié en Jésus-Christ, cest lui quil a renié, cest Jésus-Christ quil a renié, cest le Seigneur son Dieu. Ainsi quand Thomas, son condisciple, sécria à son tour : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » ce nest pas le Verbe, mais sa chair, quil avait touchée. Ce nest pas la nature incorporelle du Dieu, mais bien le corps de lhomme quil avait pressé de ses mains curieuses (3). Il avait touché lhomme, et cependant il reconnut le Dieu. Si ce que Thomas a touché, Pierre la renié, ce que Thomas a proclamé, Pierre la attaqué. « Le coq ne chantera pas, que tu ne maies renié trois fois». Exprime-toi comme tu voudras. Que tu dises : « Je ne connais pas cet homme »; ou bien : « O homme, je ne sais ce que tu dis » ; ou bien encore : « Je ne suis pas du nombre de ses disciples (4) », tu me renieras. Comme il nest pas permis den douter , si tel est ce que Jésus-Christ a dit, et sil a dit vrai, sans aucun doute encore cest Jésus-Christ que Pierre a renié. Naccusons pas Jésus-Christ pour défendre Pierre.
1. Rom V, 19. 2. I Cor. XV, 21, 22. 3. Jean, XI, 27, 28. 4. Matth. XXVI, 34, 69-74 ; Luc, XXII, 55-60.
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Que la faiblesse reconnaisse son péché, puisque la vérité ne peut mentir. Pierre lui-même a reconnu sa faiblesse et son péché, il les a reconnus assurément, et par ses pleurs il a montré quel mal il avait fait en reniant Jésus-Christ : il réfute lui-même ses défenseurs et, pour les convaincre, il produit dans ses larmes des témoins irrécusables . Et quand nous parlons nous - mêmes ainsi, nous prenons plaisir à dénigrer le premier des Apôtres. Mais, en considérant sa faute, nous devons nous tenir pour avertis quaucun homme ne doit compter sur ses propres forces. Car, quel autre buta eu notre Sauveur et notre Maître, sinon de nous montrer, par lexemple du premier des Apôtres, que personne ne doit rien présumer de lui-même? Pierre a souffert dans son âme ce quil offrait de souffrir dans son corps; mais ce na pas été pour le Seigneur, comme il avait la témérité de le présumer; il la précédé, mais tout autrement quil ne pensait. Car, avant la mort du Christ, il est mort par son reniement, et il est ressuscité par ses larmes; mais, sil est mort, cest que dans son orgueil il avait présumé de lui-même, et sil est ressuscité, la raison en est que le Seigneur la regardé avec bonté.
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