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TRENTE-HUITIÈME TRAITÉ.DEPUIS CE PASSAGE : « JÉSUS LEUR DIT DONC : VOUS ME CHERCHEREZ », JUSQUÀ CET AUTRE : « JE SUIS LE COMMENCEMENT, MOI QUI VOUS PARLE ». (Chap. VIII, 21-25.)LE CHRIST, PRINCIPE.
Jésus avertit les Juifs quils chercheront à le connaître, mais que leurs efforts naboutiront point, parce quils ont, à son sujet, des idées charnelles, et quils mourront dans leurs péchés parce quils nauront pas la foi La seule condition pour ne pas mourir ainsi, cest de croire que le Christ est, en lui-même, sans changement daucune sorte; en un mot, quil est le principe,la source de la vie pour toutes choses.
1. La leçon du saint Evangile qui précède celle daujourdhui se terminait par ce passage : « Jésus dit ces paroles dans le parvis du trésor, enseignant dans le temple » ce quil a voulu et ce que vous avez entendu, a et personne ne sempara de lui, parce que a son heure nétait pas encore venue (1) ». Voilà
1. Jean, VIII, 20.
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le sujet de notre conférence de dimanche dernier ; nous avons dit ce quil a bien voulu nous inspirer. Daprès notre instruction, votre charité a dû comprendre le sens de ces mois: « Son heure nétait pas encore venue ». De là, sans doute, personne noserait pousser limpiété jusquà oser impudemment supposer que le Christ ait subi lirrésistible empire de la fatalité : « lheure choisie par lui nétait pas encore venue », où, selon ce qui avait été prédit de lui, il devait mourir non point forcément, mais librement et parfaitement préparé au sacrifice. 2. Aujourdhui, il parle aux Juifs de cette mort quil na pas subie involontairement, mais quil a bien voulu accepter : voici ses paroles : « Je men vais ». Pour le Seigneur Jésus, la mort a été un départ pour lendroit doù il était venu et doù il nétait jamais sorti. « Je men vais », dit-il, « et vous me chercherez ». Et le mobile de vos recherches ne sera pas le désir de me trouver; ce sera la haine de ma personne. Après quil se fut dérobé aux regards des hommes, il fut recherché par ses ennemis comme par ceux qui laimaient : ceux-ci désiraient le posséder, ceux-là le persécutaient. Le Seigneur avait dit lui-même, dans un psaume, par lorgane du Roi-Prophète : « La fuite métait interdite , et personne ne recherchait ma vie (1) », et encore dans un autre psaume : « Quils se retirent confus et couverts de honte, ceux qui cherchent ma vie (2) ». Il déclare coupables ceux qui ne recherchent pas son âme, et il condamne ceux qui la rechercheront. Cest mal, en effet, de ne pas rechercher la vie du Christ, comme lont recherchée ses disciples; et cest aussi une faute de la rechercher comme les Juifs lont recherchée : ceux-là voulaient la partager avec lui, ceux-ci voulaient en faire la fin. Les Juifs la recherchaient avec des intentions mauvaises et des sentiments coupables; cest pourquoi le Sauveur, dit ensuite : « Vous me chercherez », et nallez pas vous. imaginer que vous me chercherez bien; car «vous mourrez dans votre péché». Mourir dans son péché, cest mal chercher Jésus-Christ, cest haïr Celui qui pourrait seul nous sauver. Les hommes qui ont mis en Dieu leur espérance, ne doivent pas rendre le mal même pour le mal : et les ennemis du Christ lui
1. Ps. CXLI, 5. 2. Id. XXIX, 15.
rendaient le mal pour le bien; aussi leur annonce-t-il davance leur sort à venir : il prononce leur sentence, car il sait ce qui doit leur arriver plus tard; il leur prédit quils mourront dans leur péché ; puis, il ajoute « Vous ne pouvez venir où je vais ». En une autre circonstance, il avait tenu à ses disciples le même langage, sans toutefois leur dire : « Vous mourrez dans votre péché ». Quelles paroles leur avait-il donc adressées? Les mêmes quaux Juifs : « Vous ne pouvez venir où je vais (1) ». Par là, il ne leur ôtait point lespérance de le suivre, mais il les avertissait quils niraient pas immédiatement avec lui. Au moment où le Sauveur parlait à ses disciples, ils ne pouvaient pas, en effet, aller où il allait lui-même; mais ils devaient y parvenir plus tard ; pour les Juifs, jamais, puisquil leur disait davance et en connaissance de cause : « Vous mourrez dans votre péché ». 3. Les Juifs entendirent ces paroles, comme pouvaient les entendre des gens habitués à navoir que des pensées charnelles, à juger de tout selon la chair, à tout écouter et à tout comprendre dans un sens charnel; ils se dirent donc les uns aux autres: « Se tuera-t-il lui-même, puisquil dit: Vous ne pouvez venir où je vais ? » Paroles insensées et pleines dineptie ! Eh quoi ! si le Christ devait se tuer lui-même, ne pouvaient-ils aller où il irait? Nétaient-ils pas eux-mêmes destinés à mourir ? Alors, pourquoi sexprimer ainsi : « Se tuera-t-il lui-même, puisquil a dit: Vous ne pouvez venir où je vais? » Sil voulait parler de sa mort, y en avait-il un seul qui ne dût mourir comme lui? Par ces mots : « où je vais », il nentendait donc point parler du moment de sa mort, mais de lendroit où il devait aller après sa mort. Ils firent donc au Sauveur cette réponse, parce quils ne le comprenaient pas. 4. A ces hommes imbus didées toutes terrestres, que dit le Sauveur? « Et il leur dit : Vous êtes den bas ». Vous avez des goûts terrestres, parce quà lexemple des serpents , vous vous nourrissez de terre, Quest-ce à dire : Vous vous nourrissez de terre ? Vous faites, de pensées terrestres, laliment de vos âmes : vous trouvez vos délices dans les choses de ce monde; cest vers elles que tendent vos désirs les plus ardents : vos
1. Jean, XIII, 33.
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coeurs ne sont pas en haut. « Vous êtes den bas, et moi je suis den haut: vous êtes de ce monde, et moi je ne suis pas de ce monde ». Comment serait-il du monde, celui qui a créé le monde? Ceux-là sont du monde, qui ont été créés après lui : le monde est sorti en premier lieu du néant, par conséquent lhomme est du monde. Quant au Christ, il était dabord, le monde fut ensuite. Avant le monde était le Christ : avant le Christ, rien, parce qu « au commencement était le Verbe, et que toutes choses ont été faites par lui (1) ». Voilà pourquoi il était den haut. Den haut? De lair? Non ; cest là que volent les oiseaux. Du ciel que nous voyons? Non plus: Le soleil, la lune, les étoiles en parcourent lespace. De larmée des anges? Gardez-vous de le croire : il a créé les anges puisquil a créé toutes choses. Comment donc le Christ est-il den haut? Il est du Père lui-même. Rien de supérieur à ce Dieu qui a engendré un Verbe égal à lui, coéternel avec lui, Fils unique, indépendant du temps, parole par laquelle il devait créer tous les temps. Pour comprendre comment le Christ est den haut, il faut donc télever par la pensée au-dessus de tout ce qui a été fait, de toutes les créatures, de tous les êtres matériels, de tous les esprits créés, de toutes les choses susceptibles dun changement quelconque. Elève-toi au-dessus de tout cela, comme Jean sest élevé lui-même pour en tenir à dire : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe tétait Dieu ». 5. « Moi », dit le Sauveur, « je suis den haut. Vous êtes de ce monde, et moi, je ne suis pas de ce monde ». Il nous a montré, mes frères, ce que nous devons entendre par ces paroles : « Vous êtes de ce monde ». Il a dit aux Juifs : « Vous êtes de ce monde », parce quils étaient des hommes pécheurs, iniques, infidèles, remplis de pensées toutes terrestres. Car, quant aux saints Apôtres, que cous en semble? Quelle distance entre les Juifs et les Apôtres ! La même quentre les ténèbres et la lumière, la foi et linfidélité, la piété et limpiété, lespérance et le désespoir, la charité et la cupidité. Encore une fois, quelle différence entre eux ! Eh quoi ! parce quils étaient si loin de se ressembler , les Apôtres nétaient-ils pas de ce monde? Soutiens-toi de la manière dont leur naissance a
1. Jean, I, I, 3.
eu lieu, de lendroit doù ils sont sortis, et tu verras quils descendaient tous dAdam, et quen conséquence ils étaient de ce monde. Mais quel langage leur a tenu le Sauveur? « Je vous ai choisis et tirés du milieu du monde (1) ». Ces hommes, qui étaient du monde, y sont devenus étrangers, et ils ont alors commencé à appartenir à Celui qui a créé le monde. Mais les Juifs ont continué à être du monde; cest pourquoi il leur a été dit : « Vous mourrez dans vos péchés ». 6. Que personne dentre nous, mes frètes, ne dise : Je ne suis pas du monde. Par cela même que tu es homme, tu es nécessairement du monde; mais celui qui la créé, est venu sur la terre et ta délivré de ce monde. Si tu mets tes délices en ce monde, tu persistes à vouloir rester immonde : si, au contraire, il ne tinspire que du dégoût, tu es déjà pur. Si, néanmoins, par suite de quelque passion, le monde te charme encore, puisse celui qui purifie les âmes habiter en toi, et tu deviendras pur; et dès lors que rien ne souillera ton coeur, tu ne seras plus du monde, et à toi ne sadresseront plus ces paroles adressées aux Juifs : « Vous mourrez dans vos péchés ». Nous sommes tous nés dans létat de péché à la prévarication originale nous avons ajouté les fautes de notre propre vie, et, par là, nous avons multiplié les liens qui nous attachaient au monde, lorsque nos parents nous ont donné le jour. Où en serions-nous, si Celui que ne souillait aucun péché nétait venu nous délivrer de tous les nôtres ? Puisque les Juifs ne croyaient pas en lui, cest donc avec raison quil leur a dit : « Vous mourrez dans vos péchés ». Vous êtes nés dans le péché; il vous est donc absolument impossible dêtre exempts de péché : si, cependant, vous voulez croire en moi, malgré que vous soyez nés dans le péché, vous ny mourrez pas. Tout le malheur des Juifs consistait donc, non point à être dans létat du péché, mais à y mourir. Et voilà ce que doit éviter tout chrétien : voilà pourquoi on sempresse de recevoir le baptême : telle est la raison pour laquelle lhomme dangereusement malade ou exposé à un péril quelconque, demande les secours de la religion : tel est encore le motif qui engage les mères à porter pieusement à léglise leurs petits enfants, elles ne veulent point les voir sortir de
1. Jean, XV, 19.
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cette vie sans la grâce du baptême : elles ne veulent point les voir mourir dans le péché quils ont apporté avec eux en naissant. A quelle malheureuse destinée; à quel triste sort sont condamnés ceux qui ont entendu sortir de la bouche véridique du Sauveur ces effrayantes paroles : « Vous mourrez dans vos péchés ! » 7. Doù leur vient ce malheur? Jésus-Christ le leur apprend : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». Jen suis persuadé, mes frères : dans cette multitude à laquelle Jésus adressait la parole se trouvaient ceux qui devaient croire en lui. Cette sévère sentence : «Vous mourrez dans vos péchés », semblait donc prononcée contre tous les auditeurs du Christ, et, par conséquent, ses futurs disciples eux-mêmes ne pouvaient plus conserver aucun espoir pour lavenir : tandis que les Juifs sirritaient contre le Sauveur, ils tremblaient ou plutôt ils ne tremblaient pas, mais ils désespéraient de leur sort. Jésus les rappelle au sentiment de lespérance ; car il ajoute : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». Donc, si vous croyez que je suis, vous ne mourrez pas dans vos péchés. Par là, il rend lespoir à ceux qui nen ont plus ; il réveille ceux qui dorment, et leurs coeurs sortent de lassoupissement où ils étaient plongés : aussi plusieurs se décident-ils à croire, comme latteste la suite de lEvangile. Il y avait là, en effet, des membres du Christ, qui nétaient pas encore unis à son corps : dans les rangs de ce peuple, qui le crucifiait, lélevait dans les airs avec linstrument de son supplice, se moquait de lui, le perçait dune lance, labreuvait de fiel et de vinaigre, dans les rangs de ce peuple se trouvaient des membres du Christ, en faveur desquels il a fait cette prière : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font ». Quels péchés ne seront point remis à lhomme repentant, si Dieu pardonne même leffusion du sang de son Fils? Quel homicide pourrait encore désespérer de son salut, quand celui qui a fait mourir le Christ a récupéré le droit despérer encore? Aussi, beaucoup crurent en Jésus : son sang leur fut donné, afin quen le buvant ils devinssent plus innocents quils nétaient devenus coupables en le répandant. Quel homme peut maintenant désespérer ? Un homme avait été surpris, peu de temps auparavant, dans la perpétration du crime dhomicide; puis, un peu après, il sétait vu accusé, convaincu, condamné, crucifié, et néanmoins le Christ la absous de son forfait si ce brigand, attaché à la croix, a été sauvé, ne ten étonne pas : il a été condamné là où son crime a été prouvé ; mais le pardon lui en a été accordé là où il sen est repenti (1). Dans les rangs du peuple, auquel le Sauveur adressait-la parole, se trouvaient donc des. hommes qui devaient mourir dans leur péché, et aussi des hommes qui devaient croire en Celui qui leur parlait, et se voir par lui délivrés de tout péché. 8. Remarquez, néanmoins avec attention ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ: « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». Quest-ce à dire: « Si vous ne croyez pas que le suis ? » Que « suis-je? » Il na rien ajouté; et, parce quil na rien ajouté, il a voulu nous faire entendre bien des choses. On sattendait à lentendre dire ce quil était, et il ne la pas dit. Mais quelles paroles attendait-on de lui? Peut-être celles-ci : « Si vous ne croyez pas que je suis » le Fils de Dieu, « si vous ne croyez pas que je suis » le Verbe du Père, « si vous ne croyez pas que je suis » le Créateur du monde, « si vous ne croyez pas que je suis » le formateur et le réformateur de lhomme, lauteur et le réparateur de son être, Celui qui la fait et refait, « si vous ne croyez pas que je suis » cela, « vous mourrez dans vos péchés ». Dire : « Je suis », cest beaucoup dire ; en parlant à Moïse, Dieu sétait déjà exprimé ainsi : «.Je suis Celui qui suis ». Où est lhomme capable dexpliquer, comme il le faudrait, le sens du mot: « Je suis ? » Dieu envoyait, par son ange, son serviteur Moïse, avec la mission de délivrer son peuple de la captivité dEgypte ; (vous avez lu ce fait dont je vous parle, vous le con. naissez; je le rappelle néanmoins à votre souvenir.) Moïse tremblait à la pensée dune pareille mission ; il sen excusait, mais enfin il laccepta. Dans lintention de décliner les ordres de Dieu; il dit au Très-Haut dont il reconnaissait la voix dans celle de lange: Si le peuple me dit: Quel est donc ce Dieu qui ta envoyé? que lui répondrai-je ? Le Seigneur lui répondit « Je suis celui qui suis ». Et il recommença « Tu diras aux enfants dIsraël : Celui qui est
1. Luc, XXIII, 34-43.
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a ma envoyé vers vous ». Il ne dit pas ici : Je suis Dieu; ou: Je suis le Créateur du monde; ou encore : Je suis celui qui a fait toutes choses; ou bien aussi : Je suis celui qui a multiplié le peuple dont je veux opérer la délivrance; il se contente de dire : «Je suis Celui qui suis », et: « Tu diras aux enfants dIsraël : Celui qui est », et il najoute pas Votre Dieu, le Dieu de vos pères; mais : « Celui qui est ma envoyé vers vous ». Cétait sans doute beaucoup pour Moïse, comme cest beaucoup et bien plus encore pour nous, de comprendre ces paroles : « Je suis Celui qui suis. Celui qui est ma envoyé vers vous ». Si Moïse pouvait en saisir le sens, ceux vers qui Dieu lenvoyait pourraient-ils jamais en connaître la signification? Pour le moment, Dieu ne dit donc point ce que lhomme nétait pas apte à comprendre, et il ajouta ce que lintelligence humaine était capable de saisir; il sexprima donc ainsi : « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu a dIsaac et le Dieu de Jacob (1) ». Ceci, tu peux le comprendre ; mais où est lâme qui soit à même de comprendre toute la signification de ces mots : « Je suis Celui qui suis ? » 9. Et nous? Oserons-nous élever la voix pour vous entretenir de ces paroles : « Je suis celui qui suis? » Ou plutôt, de ces paroles que vous avez entendu sortir de la bouche même du Sauveur: « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés?» Avec des forces si petites quelles sont presque nulles, oserai-je essayer de donner le sens de ces paroles du Christ : « Si vous ne croyez pas que je suis? » Joserai, du moins, interroger Notre-Seigneur lui-même. Je vais donc plutôt le questionner que disserter sur le sens de ce quil a dit; je chercherai à le saisir, au lieu de limaginer de moi-même; loin de vous lenseigner, je lapprendrai de sa bouche; écoutez-moi et interrogez-le vous-mêmes en ma personne et par mon entremise. Dieu, qui est partout, se trouve à côté de nous ; puisse-t-il accorder un accueil favorable à notre désir de linterroger, et nous accorder le don dintelligence. Car, si je parviens à comprendre quelque chose, de quelles expressions me servir pour communiquer à vos coeurs les lumières que jaurai acquises? Quels termes employer? Quelle éloquence appeler à mon secours? Quelles forces il me
1. Exod. III, 13-15.
faut pour bien comprendre? Quelle facilité il me faudrait pour bien mexpliquer ? 10. Je madresserai donc à Notre-Seigneur Jésus-Christ; je lui parlerai, et il mécoutera. Je le crois présent devant moi ; nul doute en moi à cet égard, car il a dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles (1) ». Seigneur notre Dieu, quavez-vous dit en prononçant ces paroles: « Si vous ne, croyez pas que je suis? » De toutes les choses que vous avez faites, en est-il une seule qui ne soit pas? Le ciel, la terre, tout ce que le ciel et la terre renferment, lhomme à qui vous adressez la parole, et les anges, qui sont vos messagers, ne sont-ils pas? Toutes les créatures sorties de vos mains sont donc; alors comment vous êtes-vous réservé lêtre lui-même, lêtre que vous navez communiqué à personne et que vous seul possédez ? « Je suis Celui qui suis » ; ces paroles signifient-elles que tous les autres êtres ne sont pas ? Et ces autres paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis », ont-elles le même sens? Et ceux qui les entendaient nétaient-ils pas non plus? Eussent-ils été des pécheurs, ils étaient du moins des hommes. Mais que fais-je? Quest-ce que lêtre? Daigne le Sauveur le dire à mon coeur, me le dire intérieurement, men parler dans le secret de mon âme ! Que lhomme intérieur lentende ! Puisse mon esprit comprendre ce que cest quêtre réellement ! Etre, cest ne subir jamais aucun changement. Une chose, nimporte laquelle (je commence, ce me semble, à expliquer, et jai cessé de menquérir; je veux dire ce que jai peut-être entendu : que Dieu nous donne aux uns et aux autres la grâce de nous réjouir, moi, en écoutant ses instructions, vous, en écoutant mes paroles !) Une chose quelconque, si excellente quelle soit, nexiste vraiment pas dès quelle est sujette au changement; lêtre véritable ne se trouve pas là où se trouvent en même temps lêtre et le non-être. Tout ce qui peut changer nest plus, dès lors quil change; ce quil était auparavant; sil nest plus ce quil était, il a subi une sorte de mort; ce qui était en lui précédemment a été enlevé et ny est plus. Les cheveux dun vieillard dont la tête blanchit, ont perdu la noirceur de leur teinte ; la beauté ne réside plus dans les traits de lhomme fatigué et courbé par lâge; les
1. Matth. XXVIII, 20.
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forces nexistent plus dans un corps malade ; il ny a plus trace de stabilité chez celui qui marche ; lindividu qui est tombé à terre, ne marche pas plus quil ne se tient debout; la parole est morte à légard dune langue qui ne remue pas ; pour tout être qui change et qui devient ce quil nétait pas, je remarque une sorte de vie dans ce quil est, une sorte de mort dans ce quil nest plus. Enfin, lorsquon parle dun mort, on dit: Où est cet homme? dautres répondent : Il a existé. O vérité essentiellement vraie ! En effet, dans toutes nos actions et toutes nos agitations, en nimporte quel mouvement dune créature, je trouve deux temps, le passé et le futur. Je cherche le présent, il nest déjà plus ; ce que je dis est déjà loin de moi ;. ce que je dirai nexiste pas encore. Ce que jai fait nest plus, ce que je ferai nest pas encore : il ne reste plus vestige de ma vie passée ; ce qui me reste à vivre est encore dans le néant. Le prétérit et le futur se rencontrent dans tout changement des choses, mais ils ne se trouvent ni lun ni lautre dans limmuable vérité; je ny vois que le présent, et cela sans ombre de vicissitude; il nen est pas ainsi des créatures. Examine attentivement les variations des choses; toujours tu. remarqueras quelles ont été et quelles seront; que si tu reportes tes pensées vers Dieu, tu verras quil est, parce quon ne peut rencontrer en lui ni passé ni avenir. Pour que tu sois, il faut que tu télèves au-delà des limites du temps. Mais qui est-ce qui pourra sélever ainsi par ses propres forces? Cest à celui-là de nous y aider, qui a dit à son Père: « Là où je suis, je veux que ceux-ci y soient pareillement ». Jésus-Christ nous a fait cette promesse, afin que nous ne mourions pas dans nos péchés ; cest pourquoi, en disant ces paroles: « Si vous ne croyez pas que je suis », il na pu, à mon avis, vouloir dire autre chose que ceci : « Si vous ne croyez pas que je suis » Dieu, « vous mourrez dans vos péchés ». Bien. Grâces à Dieu de ce quil a dit : « Si vous ne croyez pas », au lieu de dire : Si vous ne comprenez pas; car où est lhomme capable de saisir un pareil mystère? Mais parce que jai osé en parler et que vous avez paru suivre ma pensée, auriez-vous réellement pénétré cette ineffable vérité? Si tu ny comprends rien, la foi te sauve. Cest en raison de la difficulté de le comprendre que le Sauveur na pas dit : Si vous ne comprenez pas que je suis ; il sest donc mis à la portée de ses auditeurs, et il a dit: « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». 11. Toujours imbus de pensées terrestres, écoutant et répondant toujours dune manière charnelle, les Juifs lui répondirent. Que lui répondirent-ils? «Qui es-tu? » Quand vous leur avez adressé ces paroles: « Si vous a ne croyez pas que je suis », vous navez rien dit de plus pour leur apprendre qui vous étiez. « Qui êtes-vous? » Disons-le, afin que nous croyions en vous. « Je suis le principe». Voilà bien ce que cest quêtre. « Le commencement » ne peut subir de vicissitude; il demeure en lui-même et renouvelle toutes choses ; cest à lui quil a été dît : « Vous êtes éternellement le même, et vos années ne passeront pas (1). Je suis le principe, parce « que je vous parle ». Pour ne pas mourir dans vos péchés, croyez que je suis « le commencement ». En lui disant: « Qui es-tu?» ils semblaient ne pas avoir voulu lui dire autre chose que ceci : comment devons-nous te considérer? Aussi leur répondit-il : Comme « le Principe », cest-à-dire, regardez-moi comme « le Principe ». Le latin se prête moins que le grec à certaines distinctions; chez les Grecs, le mot principe est du genre féminin, comme, chez nous, le mot loi, qui est masculin dans leur langue. Chez eux et chez nous, le mot sagesse est féminin. Lhabitude a déterminé dans les divers idiomes le genre des mots destinés à exprimer les choses qui nont pas de sexe. La sagesse nest vraiment pas du sexe féminin, puisque «le Christ est la sagesse de Dieu (2) », et que le mot Christ semploie au masculin, tandis que le mot sagesse semploie au féminin. Les Juifs lui avaient dit : « Qui es-tu? » Parmi eux, il ne lignorait pas, se trouvaient des hommes qui lui adressaient cette question : « Qui es-tu ? » Pour savoir ce quils devaient penser de lui, il leur répondit donc: « Le commencement » ; non comme sil leur disait : Je suis le principe, mais : Regardez-moi comme le principe. Je lai dit, ce sens ressort évidemment du mot grec « principe », qui est du féminin. Sil avait voulu dire quil était la vérité, à ceux qui lui auraient fait cette question: « Qui es-tu ? » il aurait répondu : La vérité, parce quil aurait dû, ce semble,
1. Ps. CI, 28. 2. I Cor. I, 24.
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répondre directement à la question: « Qui a es-tu ? » La vérité, cest-à-dire je suis la vérité. Mais il leur a fait une réponse plus profonde. Voyant quils lui avaient adressé cette question: « Qui es-tu ? » comme pour lui dire: Nous avons entendu sortir de ta bouche ces paroles: « Si vous ne croyez pas que je suis », pour qui devons-nous te prendre ? il leur répondit : « Pour le Principe » ; cétait, en dautres termes, leur dire : Considérez-moi comme « le Principe » ; et il ajouta : « Parce que je vous parle » , cest-à-dire, parce je suis devenu humble à cause de vous et que je me suis abaissé jusquà vous parler. En effet, si le Principe tel quil est était demeuré dans le sein du Père, de manière à ne jamais se revêtir de la forme desclave, à ne jamais devenir homme pour parler aux hommes, comment ceux-ci auraient-ils cru en lui? Des esprits nécessairement bornés eussent été incapables dentendre sans le secours de la parole et de comprendre le Verbe. Croyez donc, leur dit-il, que je suis le « Principe » : parce que, pour vous donner la foi, il ne me suffit pas dêtre, il faut que je daigne encore vous parler moi-même. Mais je vous ai déjà bien longuement entretenus sur ce sujet; quil plaise donc à votre charité dattendre à demain pour lexplication de ce qui reste; avec le secours de Dieu, jépuiserai alors toute la matière.
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