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HUITIÈME TRAITÉ.DEPUIS CET ENDROIT : « TROIS JOURS APRÈS, DES NOCES SE FIRENT A CANA EN GALILÉE », JUSQUÀ : « FEMME, QUEST-CE QUE CELA FAIT A VOUS ET A MOI? MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE ». (Chap. II, 1-4.)LES NOCES DE CANA.
Tontes les oeuvres visibles ou invisibles quopère la Verbe sont admirables. Néanmoins lhabitude de les contempler affaiblit notre admiration nous ne laccordons quà celles dont le spectacle soffre moins souvent à nos yeux. Aussi, le Fils de Dieu fait homme a-t-il accompli des prodiges pour frapper nos sens et nous amener à la foi; il en est de celui-ci comme des astres. Jésus est venu aux noces de Cana, comme par son Incarnation il était venu célébrer les noces de sa divinité avec son humanité, de son Eglise avec lui-même. De ces paroles à Marie: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi?» Certains hérétiques concluent que le Christ navait pas un véritable corps : le contexte les condamne; dailleurs on demandait un prodige que le Sauveur ne pouvait opérer quen tant que Dieu : comme tel, il ne reconnaissait pas Marie pour mère, puisquil nen avait pas; il ne devait la reconnaître pour telle que sur la croix. Dautres infèrent de ces autres paroles «Mon heure nest pas encore venue », que Jésus nétait pas libre; cette interprétation est fautive, car il a dit : « Jai le pouvoir de quitter ma vie et de la reprendre ». Son oeuvre nétant pas accomplie au moment des noces de Cana, lheure nétait pas encore venue de reconnaître Marie pour sa mère. Voilà le vrai sens de ces paroles.
1. Assurément le miracle par lequel Notre-Seigneur Jésus-Christ a changé leau en vin, la rien détonnant pour ceux qui savent que lest un Dieu qui la fait. Aussi bien Celui qui en ce jour de noces a changé leau en vin dans ces six urnes quil avait ordonné de remplir (1), est le même qui chaque année opère dans les vignes un prodige pareil. En effet, comme leau versée dans les urnes par es serviteurs a été convertie en vin par loeuvre du Seigneur, ainsi par loeuvre du même Seigneur leau que versent les nuées est convertie en vin. Ce dernier prodige ne nous étonne point, parce quil se renouvelle tous les ans; oui, parce quil sopère continuellement, il na plus rien de merveilleux pour nous : cependant, il exigerait bien plus dattention de notre part que celui qui a été opéré dans les urnes remplies deau. Où est, en effet, lhomme capable de considérer ce que Dieu fait dans le gouvernement et ladministration des choses de ce monde, sans tomber dans la stupeur et se voir comme écrasé sous le poids des merveilles quil
1. Jean, II, 6-11.
opère? Si lon se rend compte de la vertu dun seul grain, de nimporte quelle semence, loeuvre divine apparaît avec des proportions si étonnantes, quon éprouve involontairement une impression deffroi. Mais les hommes attentifs à dautres objets ont perdu de vue les oeuvres de Dieu qui devaient les porter à offrir chaque jour, au Créateur, leurs louanges. Aussi Dieu sest-il, en quelque sorte, réservé dopérer certaines oeuvres inaccoutumées, voulant, par ces merveilles, tirer les hommes de leur assoupissement et les rendre plus vigilants pour son culte. Quun mort reparaisse, tout le monde sen étonne; des milliers dhommes naissent tous les jours, et personne ne sen occupe. A considérer les choses avec attention, cest une plus grande merveille de donner la vie à qui ne lavait pas, que de la rendre à qui lavait précédemment; néanmoins, le même Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, fait tout cela et gouverne ses créatures par son Verbe. Il a fait les premières de ces merveilles par son Verbe, Dieu en lui; les secondes, il les a faites par son Verbe incarné et devenu homme [378] pour nous. Comme nous admirons les oeuvres de Jésus-Christ homme, admirons les oeuvres de Jésus-Christ Dieu, Par Jésus-Christ Dieu ont été faits le ciel et la terre, la mer, toute la parure des cieux, la richesse de la terre, la fécondité de la mer; en un mot, tout ce qui sétale à nos regards, cest Jésus-Christ Dieu qui la fait. Nous le voyons, et si lesprit de Jésus-Christ se trouve en nous, la joie que nous cause un pareil spectacle nous anime et nous porte à en louer lauteur, et ainsi nous ne nous tournons pas tellement vers loeuvre, que nous nous détournions de louvrier; nous nappliquons pas notre visage à louvrage, au point de tourner le dos à celui qui la fait. 2. Toutes ces merveilles, nous les voyons, elles sont exposées à nos regards; mais que dire de ce que nous ne voyons pas, des Anges, des Vertus, des Puissances, des Dominations et de tous les habitants de cette demeure céleste que nos yeux ne peuvent contempler? Les Anges, quand il la fallu, se sont néanmoins souvent montrés aux hommes. Nest-ce point par sou Verbe, cest-à-dire par son Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur, que Dieu a fait toutes ces créatures? Que dire de lâme humaine, invisible aux yeux du corps, mais qui parles oeuvres quelle opère dans son corps offre un merveilleux spectacle aux yeux de ceux qui savent y être attentifs? Qui est-ce qui la créée? Nest-ce pas Dieu? Et par qui a-t-elle été faite, sinon par son Fils? Mais je ne parle pas encore de lâme humaine. Quel empire lâme de nimporte quelle bête nexerce-t-elle pas sur la matière de son corps? Elle met en mouvement tous ses sens, ses yeux pour voir, ses oreilles pour entendre, ses narines pour percevoir les parfums, son palais pour discerner les saveurs, tous ses membres enfin, pour faire remplir à chacun deux son office particulier. Est-ce le corps, ou plutôt, nest-ce pas lâme, cest-à-dire, lhabitant du corps qui fait tout cela? Cependant elle demeure invisible, mais par ce quelle fait elle excite ladmiration. Considère maintenant lâme de lhomme elle-même, cette âme douée par Dieu dintelligence pour connaître son Créateur, pour distinguer et discerner le bien du mal, cest-à-dire, le juste de linjuste. Que ne fait-elle point par lintermédiaire du corps? Voyez comme toutes les parties de lunivers sont admirablement coordonnées dans la république des hommes! Quelle organisation des gouvernements ! Quelle hiérarchie dans les pouvoirs, quels agencements dans la constitution des villes ; quelles lois, quelles moeurs, quels arts ! Cest lâme qui dirige tout cet ensemble de choses, et pourtant, cette puissance de direction quelle exerce, personne ne la voit. Retirez-la du corps, il ne reste plus quun cadavre; laissez-la dans le corps, sa première action est den relever, en quelque sorte, le mauvais goût. Car la chair est sujette à se corrompre ; elle tombe en pourriture à moins que lâme, pareille à un assaisonnement, nen retarde la putréfaction. Ce privilège, lâme des bêtes le partage avec elle; mais bien autrement admirables sont les facultés spéciales de lhomme, dont jai parlé, qui découlent de son esprit et de son intelligence et par lesquelles il renouvelle en lui les traits du Créateur, à limage de qui il a été formé (1). Quelle sera la puissance de lâme, lorsque le corps aura revêtu lincorruptibilité et que, de mortel, il sera devenu immortel (2) ? Si lâme peut faire de si grandes choses au moyen dune chair corruptible, que ne pourra-t-elle pas faire après la résurrection des morts avec un corps spiritualisé? Cette âme, comme je lai dit, si merveilleuse par sa nature et sa substance, est néanmoins invisible a des yeux autres que ceux de lintelligence; toutefois elle a été faite par Jésus-Christ Dieu, parce quil est le Verbe de Dieu, car toutes choses ont été faites par lui, sans lui rien na été fait (3). 3. Puisque nous voyons de si grandes choses faites par Jésus-Christ Dieu, y a-t-il rien détonnant à ce que leau ait été changée en vin par Jésus-Christ homme? Aussi bien, il ne sest pas fait homme pour perdre ce quil était comme Dieu: lhumanité sest approchée de lui, la divinité nen a pas été éloignée. Celui qui a fait ce miracle est donc le même qui a fait toutes choses. Par conséquent, ne soyons pas surpris que Dieu ait fait ce prodige, mais aimons-le parce quil la fait parmi nous et pour notre salut. Dailleurs ses actions mêmes ont un but; celui de nous instruire. Selon moi, il nest pas venu à ces noces sans motif. Indépendamment du miracle, cette action de Notre-Seigneur cache un secret et un mystère. Frappons à la porte,
1. Coloss. III, 10. 2. I Cor. XV, 53, 51. 3. Jean, I, 3.
afin quil nous ouvre et nous enivre dun vin invisible; car nous aussi, nous étions de leau, et il nous a changés en vin; nous étions des insensés, et il nota a rendus sages de la sagesse que donne le goût de la foi qui vient de lui. Et sans doute, il est de cette sagesse de chercher, à lhonneur de Dieu, à la louange de sa majesté, en reconnaissance de sa miséricorde toute-puissante, à avoir lintelligence des circonstances de ce miracle. 4. Invité aux noces, le Seigneur sy rendit. Quelle merveille que des noces laient fait venir en cette maison, lui que des noces ont fait venir en ce monde? Car si ce ne sont pas des noces qui lont fait venir, ici donc il na pas dEpouse. Mais alors qua voulu dire lApôtre : « Je vous ai fiancés à un unique Epoux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure? » Pourquoi craindre que la pureté de cette Epouse du Christ ne soit flétrie par lartifice du diable ? « Je crains»,dit-il, «que comme Eve a été séduite par lartifice du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la pureté qui est en Jésus-Christ (1)». Ici donc il a une épouse rachetée par lui avec son sang, et à laquelle il a donné comme arrhes le Saint-Esprit (2). Il la délivrée de lesclavage du diable , il est mort pour ses péchés , il est ressuscité pour sa justification (3). Quel époux offrira de tels présents à son épouse? Que les autres hommes offrent des ornements mondains, de lor, de largent, des pierres précieuses, des chevaux, des esclaves, des champs et des terres; y en aura-t-il un seul parmi eux pour offrir son sang? car sil sen trouvait un pour donner son sang à son épouse, il ne pourrait plus se marier avec elle. Mais le Seigneur na pas eu cette crainte à lheure de sa mort. LEpouse pour laquelle il a donné son sang et quil sétait déjà unie dans le sein dune Vierge, il est assuré de lavoir après sa résurrection. LEpoux, cest le Verbe ; lépouse, cest la nature humaine; et la réunion des deux forme Jésus-Christ, Fils de Dieu, et en même temps Fils de lhomme. Le lit nuptial où il est devenu chef de lEglise, cest le sein de la Vierge Marie; cest de là quil est sorti comme lépoux de son lit nuptial, suivant cette prophétie contenue dans les Ecritures: « Semblable à un époux, sortant de son lit nuptial,
1. II Cor. XI, 2, 3. 2. Id. I, 22. 3. Rom. IV, 25.
il sest élancé comme un géant pour courir sa voie (1) ». Jésus-Christ est donc sorti de son lit nuptial comme un époux, et il est venu aux noces, auxquelles il avait été invité. 5. Certainement ce nest pas sans mystère quil semble méconnaître sa Mère, du sein de laquelle il est sorti comme de son lit nuptial, et quil lui dit: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi ? mon heure nest pas encore venue ». Et quoi ! est-il venu aux noces pour y apprendre aux enfants à mépriser leur mère? Certes, celui dont les noces lavaient fait venir ne prenait une épouse que pour mettre des enfants au monde, et ces enfants quil souhaitait en voir naître, il désirait aussi les voir honorer leur mère. Jésus-Christ serait-il venu aux noces pour mépriser sa mère, quand les noces se célèbrent et quun homme prend femme pour avoir des enfants, et quand Dieu fait à ces enfants un commandement exprès de respecter leurs pères et mères? Mes frères, il y a sous cette conduite du Sauveur un mystère. Oui, il y a là un grand mystère, car certains hommes dont lApôtre nous a avertis de nous garder, ainsi que nous lavons rapporté plus haut, lorsquil nous dit : « Je crains que comme Eve a été séduite par lartifice du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la pureté qui est en Jésus-Christ », certains hommes qui abusent de lEvangile et prétendent que Jésus nest pas né de la Vierge Marie, se sont efforcés dy trouver des arguments pour la défense de leur erreur. Voici leurs paroles: Comment serait-elle sa mère, puisquil lui a dit: « Femme, quy a t-il de commun entre vous et moi? » Cest à ceux-là quil faut répondre, et cest à eux quil faut expliquer pourquoi le Seigneur a parlé ainsi, de peur quils naient pas lair davoir, dans leur fureur contre la vraie foi, trouvé le moyen de corrompre la pureté de lEpouse, cest-à-dire débrécher la foi de lEglise. Assurément mes frères, elle est corrompue la foi de ceux qui préfèrent le mensonge à la vérité. Car ceux qui, sous prétexte dhonorer le Christ, nient quil ait pris une chair, ne font rien moins que le signaler comme un menteur. Et ceux qui élèvent parmi les hommes un édifice de mensonge, que bannissent-ils de leur coeur, sinon la vérité? Ils introduisent le
1. Ps. XVIII, 6. 380
démon, ils chassent Jésus-Christ ; ils introduisent un adultère, ils chassent lEpoux: para. nymphes, ou plutôt entremetteurs du serpent, ils nélèvent la voix que pour faire régner le serpent et pour détrôner le Christ, Quand le serpent règne-t-i!? Lorsque règne le mensonge. Où règne le mensonge, là règne le serpent; où règne la vérité, là règne le Christ. Car le Sauveur a dit de lui-même: « Je suis la vérité (1) » ; au lieu quil a dit du serpent: « Il ne sest pas tenu dans la vérité, parce que la vérité nétait pas en lui (2) ». Le Christ est tellement la vérité que tout en lui doit être par toi considéré comme vrai, un vrai Verbe, Dieu égal au Père, une vraie âme, une vraie chair, un vrai homme, un vrai Dieu, une vraie naissance, une vraie passion, une vraie mort, une vraie résurrection. Si un seul de ces points te semble faux et que tu le dises tel, la corruption entrera dans tous les autres; du venin du serpent naîtront les vers du mensonge; rien ne demeurera intact. 6. Mais, dira ladversaire, que signifient ces paroles du Sauveur: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? » Peut-être dans ce qui suit nous montrera-t-il pourquoi il a ainsi parlé. « Mon heure », dit-il, « nest pas encore venue ». Car, voici ses paroles « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? Mon heure nest pas encore venue», Pourquoi a-t-il ainsi parlé? Cest ce quil faut essayer de découvrir. Cest par là quil nous faut dabord résister aux hérétiques. Que dit le vieux serpent, lantique siffleur et souffleur de poisons? Que dit-il ? Jésus na point eu pour mère une femme. Quelle preuve en donnes-tu ? Cest que le Christ a dit: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pour le croire, nous voudrions savoir qui la dit. Qui donc la dit? Lévangéliste Jean. Mais le même évangéliste Jean a dit : « Et la mère de Jésus y était ». Car voici son récit: « Trois jours après, il se fit des noces à Cana, en Galilée, et la mère de Jésus y était. Il y vint aussi, convié avec ses disciples ». Nous avons cette double assertion de lEvangéliste. « La mère de Jésus y était », lEvangéliste le dit. Ce que Jésus dit à sa mère, lEvangéliste le dit aussi. Il rapporte la réponse de Jésus à sa mère, mais seulement après avoir dit : « Sa mère lui dit ». Faites attention à ceci, mes frères, afin de fortifier la pureté de
1. Jean, XLV, 6. 2. Id. VIII, 44.
votre coeur contre la langue du serpent. Là, dans le même Evangile, le même Evangéliste vous dit : « La mère de Jésus y était »; et encore: «Sa mère lui dit ». Qui a fait ce récit? Lévangéliste Jean. Et quest-ce que Jésus a répondu à sa mère? « Femme, quy a-t-il de « commun entre vous et moi? » Qui fait ce récit? Le même évangéliste Jean. O Evangéliste très-fidèle et très-véritable, vous me rapportez que Jésus a dit: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi ?» Pourquoi lui avoir donné une mère quil ne connaît pas? Car vous avez dit aussi: « La mère de Jésus était là » ; et encore : « Sa mère lui dit ». Pourquoi navoir pas dit de préférence: Marie était là, et Marie lui dit? Vous rapportez lun et lautre: « Sa mère lui dit », et : « Jésus lui répondit : Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi?» Pourquoi cela, sinon parce que lun et lautre sont vrais. Mais les hérétiques consentent à ajouter foi à lEvangéliste lorsquil raconte que Jésus dit à sa mère: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? » et refusent de le croire lorsquil dit : « La mère de Jésus était là », et: « Sa mère lui dit ». Maintenant, quel est celui qui résiste au serpent, qui garde la vérité, qui ne laisse pas la pureté de son coeur se corrompre aux artifices du diable ? Cest celui qui regarde lun et lautre comme vrais, à savoir que « la mère de Jésus était là », et que Jésus a ainsi répondu à sa mère. Mais si cet hérétique ne comprend pas encore en quel sens Jésus a dit « Femme, « quy a t-il de commun entre vous et moi?» quil croie du moins que Jésus la dit et quil la dit à sa mère. Quil ait dabord la soumission pieuse de la foi, et le fruit de lintelligence viendra ensuite. 7. Chrétiens fidèles, cest vous que jinterroge : La mère de Jésus y était-elle? Répondez: Elle y était. Comment le savez-vous? Répondez: LEvangile le dit. Quest-ce que Jésus a répondu à sa mère? Répondez: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? mon heure nest pas encore venue». Et comment le savez-vous? Répondez: LEvangile le dit. Que personne ne corrompe votre foi sur ce point, si vous voulez conserver intacte à lépouse votre virginité. Si lon vous demande pourquoi il n ainsi répondu à sa mère, que celui qui le comprend le dise; pour celui qui ne le comprend pas, quil se [381] contente de croire dune foi très-ferme que Jésus a fait cette réponse et quil la faite à sa mère. Par cette soumission pieuse, il méritera de comprendre pourquoi Jésus a fait cette réponse, sil frappe à la porte de la vérité par ses prières et ne sen approche pas avec un esprit de contention et de querelle. Seulement, quil y prenne garde ; au lieu davoir lintelligence de cette réponse ou de rougir de ce quil ne laurait pas, il pourrait être forcé de croire que lEvangéliste a menti en disant: « La mère de Jésus y était » ; ou que le Christ lui-même a souffert pour nos péchés une mort simulée; quil a montré pour notre justification de fausses cicatrices; quil a dit faussement : « Si vous demeurez en ma parole, vous êtes véritablement mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité nous rendra libres (1) ». Car si sa mère nest que supposée, comme aussi sa chair, comme sa mort, comme les blessures de sa Passion, comme les cicatrices de sa Résurrection, ce nest plus la vérité qui rendra libres ceux qui croient en lui, mais cest la duperie. Que plutôt la duperie laisse la place à la vérité, et quils soient confondus ceux qui en paraissant véridiques veulent prouver que le Christ été menteur. Ils ne veulent pas quon leur dise: Nous ne vous croyons pas parce que mous mentez, bien quils accusent de mensonge la Vérité même. Cependant, si nous leur demandons: Comment savez-vous que le Christ a dit : « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? » ils répondent quils en croient lEvangéliste. Pourquoi nen croient-ils pas lEvangile, lorsquil dit: «La mère de Jésus y était» ; et : « Sa mère lui dit»; ou bien, si lEvangile est menteur en ce point, pourquoi croient-ils que Jésus a dit: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? » Ou plutôt, pourquoi ces malheureux ne croient-ils pas fidèlement que le Seigneur a ainsi répondu, non à une étrangère, mais à sa mère, et ne cherchent-ils pas pieusement pourquoi il a fait cette réponse ! Car, il y a une grande différence entre celui qui dit: Je voudrais savoir pourquoi le Christ a ainsi répondu à sa mère et celui qui dit : Je sais que la femme à laquelle le Christ a ainsi répondu nétait pas sa mère. Autre chose est de vouloir comprendre ce qui nest pas clair, autre chose de ne vouloir pas croire ce qui est
1. Jean, VIII, 31, 32.
évident. Celui qui dit: Je voudrais savoir pourquoi le Christ a ainsi répondu à sa mère, demande quon lui fasse comprendre lEvangile auquel il croit; mais celui qui dit : Je sais que la femme à laquelle le Christ a ainsi répondu nétait pas sa mère, accuse de mensonge lEvangile lui-même, puisquil croit que le Christ a fait cette réponse. 8. Si vous y consentez, mes frères, laissons dans leur aveuglement les malheureux destinés à y croupir toujours, à moins que lhumilité ne les guérisse; puis cherchons pourquoi le Seigneur a ainsi répondu à sa mère. Il y a cela de singulier en Notre-Seigneur, quil est né dun père sans le secours dune mère, et dune mère sans lintermédiaire dun père: comme Dieu, il navait pas de mère; comme homme, il navait pas de père : avant le temps, il était sans mère; il était sans père, avant la fin des temps. Ce quil a répondu, il la répondu à sa mère; car, « la mère de Jésus y était » et « sa mère lui dit ». Tout cela se trouve dans lEvangile. Il nous apprend que « la mère de Jésus y était », et que Jésus lui dit : « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? Mon heure nest pas encore venue ». Croyons le tout, et ce que nous ne comprenons pas encore, cherchons à le saisir; mais dabord prenez garde, car de même que les Manichéens ont trouvé un prétexte à leur perfidie dans cette parole du Seigneur: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi ? » ainsi les mathématiciens trouveront peut-être un prétexte à leurs mensonges dans cette autre: « Mon heure nest pas encore venue ». Et si le Seigneur la dite en leur sens,nous avons commis un sacrilège en brûlant leurs livres. Si, au contraire, nous avons eu raison dimiter ce qui se faisait du temps des Apôtres(1), le Seigneur na pas dit en leur sens: « Mon heure nest pas encore venue ». Les hâbleurs et ceux qui séduisent les autres après sêtre laissé séduire eux-mêmes, disent : Tu vois bien que le Christ était soumis à la fatalité, puisquil a dit « Mon heure nest pas encore venue ». Auxquels donc répondrons-nous dabord: aux hérétiques ou aux mathématiciens? Les uns et les autres procèdent de lancien serpent, puisquils veulent tous corrompre la virginité du coeur de lEglise qui se trouve dans lintégrité de sa foi. Commençons, si vous le trouvez
1. Act. XIX, 19.
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bon, par ceux que nous avons mis les premiers en avant, et auxquels nous avons déjà en grande partie répondu. Cependant, pour leur ôter cette idée que nous navons rien à dire sur cette réponse de Notre-Seigneur à sa mère, nous allons achever de vous prémunir contre eux; car, pour les réfuter, je crois que ce que nous avons dit jusquici est suffisant. 9. Pourquoi donc le fils dit-il à sa mère: « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? Mon heure nest pas encore venue ». Notre-Seigneur Jésus-Christ était Dieu et homme tout ensemble. En tant que Dieu, il navait pas de mère, en tant quhomme il en avait une. Elle était donc la mère de son corps, la mère de son humanité, la mère de linfirmité quil a prise à cause de nous. Or, le miracle quil allait faire, il allait le faire selon sa divinité, et non selon son humanité; en tant quil était Dieu, et non en tant quil était né dans la faiblesse. Toutefois, ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes (1). Sa mère lui demanda donc un miracle; mais comme il allait faire une oeuvre divine, il sembla oublier quil était né delle et lui dire : Ce qui en moi fait des miracles, vous ne lavez pas enfanté; ce nest pas vous qui avez donné lêtre à ma divinité; mais comme vous avez donné le jour à mon infirmité, je vous reconnaîtrai lorsque mon infirmité sera attachée à la croix; voilà le sens de ces mots : « Mon heure nest las encore venue». Alors, en effet, il la reconnue, quoiquil ne leût jamais méconnue. Avant de naître delle, et au moment où il la prédestinait, il lavait connue comme sa mère avant de créer, comme Dieu, celle dont il devait être formé comme homme, il la connaissait comme sa mère; mais à une certaine heure , il la méconnaît mystérieusement, comme encore à une certaine heure qui nétait pas encore venue, il devait mystérieusement la reconnaître. Alors, en effet, il la reconnut, lorsque mourait ce quelle avait enfanté; car ce qui mourut en ce moment, ce fut non pas ce qui avait formé Marie, mais ce qui avait été formé de Marie ; non pas la divinité, mais linfirmité de la chair. Il a donc répondu ainsi, afin de distinguer en lui, dans la foi de ceux qui devaient croire, ce quil était, de celle par qui il était venu. Le Dieu et Seigneur du ciel et de la terre a donc
1. I Cor. I, 25.
eu pour mère une femme. Comme Seigneur du monde, comme Seigneur du ciel et de la terre, il est aussi le Seigneur de Marie; comme Créateur du ciel et de la terre, il est aussi le Créateur de Marie; mais en tant que sappliquent à lui ces paroles : « Formé dune femme, formé sous la loi (1) », il est le fils de Marie. Le Seigneur de Marie est en même temps le fils de Marie; celui qui a créé Marie a été formé de Marie. Ne sois pas surpris de voir quil soit à la fois son fils et son Seigneur; car sil a été appelé le fils de Marie, il a été aussi appelé le fils de David, et il a été le fils de David précisément parce quil a été le fils de Marie. Entends lApôtre; il dit formellement « quil lui est né de la race de David selon la chair (2) ». Ecoute encore : Il a été aussi appelé le Seigneur de David. Que David le dise lui-même: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite (3) ». Et Jésus lui-même a proposé ce passage aux Juifs, et sen est servi pour les confondre (4). Comment donc est-il en même temps le fils et le Seigneur de David ? Il est le fils de David selon la chair, il en est le Seigneur selon la divinité. Il est pareillement le fils de Marie selon la chair, et son Seigneur selon la majesté. Comme Marie nétait pas la mère de la divinité, et comme cétait la divinité qui devait opérer le miracle demandé par Marie, il lui dit : « Femme, quy a-t-il de commun entre vous et moi? » Ne croyez pas cependant que je vous renie pour ma mère: « Mon heure nest pas encore venue ». Je vous reconnaîtrai au moment où mon infirmité, dont vous êtes la mère;sera attachée à la croix. Voyons si cela est vrai. Quand fut venue lheure de la passion du Christ, voici ce qui se passa daprès le témoignage de lEvangéliste même qui connaissait la mère du Seigneur et qui nous la représente maintenant comme assistant aux noces: « La mère de Jésus était près: de la croix, et Jésus dit à sa mère: Femme, voici votre fils; et au disciple : Voici votre mère (3) ». Il recommande sa mère à son disciple, car il devait mourir avant elle et ressusciter avant sa mort; il la recommande à Jean; homme, il recommande à un homme lhumanité doù il est sort!. Voilà ce que Marie avait enfanté. Alors était venue lheure dont il dit aujourdhui :
1. Gal. IV, 4. 2. Rom. I, 3. 3. Ps. CIX, 1. 4. Matth. XXII, 45. 5. Jean, XIX, 25-27.
383
« Mon heure nest pas encore venue ». 10. Si je ne me trompe, mes frères, rions avons répondu aux hérétiques; répondons maintenant aux mathématiciens. Pourquoi ceux-ci prétendent-ils que Jésus était soumis à la fatalité? Cest, assurent-ils, parce quil a dit: « Mon heure nest pas encore venue ». Donc, nous croyons à sa parole. Et sil avait dit : Je nai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens. Mais, disent-ils, voici ses paroles : « Mon heure nest pas encore venue ». Si donc il avait dit: Je nai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens; il ny aurait pas de prétexte à leurs calomnies; mais comme il a dit: « Mon heure nest pas encore venue », que pouvons-nous opposer à ses paroles? Cest merveille de voir les mathématiciens ajouter foi aux paroles de Jésus-Christ et sefforcer en même temps de convaincre les chrétiens que le Christ a vécu nus la fatalité dune heure. Quils ajoutent donc foi aux paroles de Jésus-Christ lorsquil dit: « Jai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau; personne ne me lenlève, mais je la quitte de moi-même, et de nouveau je la reprends (1) ». Un tel pouvoir dépend-il du destin ? Un homme qui a le pouvoir de décider quand il mourra, et combien de temps il vivra, est-il soumis à la fatalité? Quils nous le montrent donc! Mais ils ne le montreront pas. Quils ajoutent par conséquent foi à ces paroles du Sauveur « Jai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau »; quils cherchent ensuite pourquoi il a dit : « Mon heure nest point encore venue», et quen raison de ces paroles ils ne soumettent pas à la fatalité lauteur du ciel, le créateur et lordonnateur des astres. Dailleurs, si les astres étaient les maîtres du destin, celui qui a créé les astres ne pouvait être assujetti à la nécessité quils imposent. Ajoute à cela que ce que tu appelles le destin, le Christ, non-seulement ny est pas soumis, mais ni toi, ni moi, ni un autre, ni personne, nen subissons la fatalité. 11. Quoi quil en soit, et parce quils se sont laissé séduire, ces malheureux cherchent à séduire à leur tour: ils proposent aux hommes leurs moyens de séductions, ils tendent leurs piéges pour les prendre, et cela sur les
1. Jean, X, 18.
places publiques. Au moins ceux qui tendent des pièges aux animaux sauvages choisissent pour cela les forêts et les lieux déserts. Combien sont malheureux et vains ceux à qui lon tend des piéges jusque sur les places publiques, afin de les prendre ! Les hommes reçoivent de largent pour se vendre à dautres hommes, et ceux-ci donnent le leur pour se vendre à la vanité ! Car ils entrent chez un astrologue pour sy procurer des maîtres tels quil plaît à cet homme de leur en donner: Saturne, Jupiter, Mercure, ou tout autre de nom aussi sacrilège. Il est entré libre, afin, pour son argent, de sortir esclave. Que dis-je? Il ne serait pas entré sil avait été libre; mais il est entré là où lerreur, où la cupidité lattiraient pour en faire leur esclave. Cest ce qui a fait dire à la vérité : « Tout homme qui commet le péché est lesclave du péché (1)». 12. Pourquoi donc Jésus-Christ a-t-il dit « Mon heure nest pas encore venue?» Cétait surtout parce que, ayant le pouvoir de mourir quand il le voudrait, il ne jugeait pas opportun den user encore. Pourquoi , par exemple, mes frères, disons-nous : Lheure est venue de partir afin de célébrer les mys1ères? Si nous sortons avant lheure convenable, ne nous con luisons-nous pas en dehors de la règle et à contre-temps ? Mais, si nous ne sortons quau moment opportun, est-ce que la fatalité dicte nos paroles ? Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon heure nest pas encore venue? » Lheure nest pas encore venue pour moi de savoir que le moment de souffrir est venu pour moi, et que ma passion sera utile. Quand elle sera venue, alors je souffrirai volontairement. De cette façon seront vrais pour toi ces deux passages : « Mon heure nest pas encore venue » ; et: « Jai le pouvoir de donner ma vie et de la reprendre à nouveau ». Jésus-Christ était donc venu avec le pouvoir de choisir le moment de sa mort. Mais sil était mort avant davoir choisi ses disciples, à coup sûr il eût agi à contre-temps. Or, sil navait pas eu le pouvoir de choisir lheure de sa mort, il aurait pu mourir avant de choisir ses disciples; et sil était mort après les avoir choisis et instruits, ceût été un effet, non pas de sa propre volonté, mais de la volonté dautrui. Mais il était venu avec le pouvoir de sen aller et de revenir, de savancer jusquoù il voulait,
1. Jean, VIII, 34.
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de tenir lenfer devant lui, non-seulement après sa mort, mais même après sa résurrection, afin de faire briller à nos yeux lespérance de voir son Eglise durer toujours ; par conséquent, il a marqué dans le chef ce que les membres avaient droit dattendre. Il est ressuscité comme chef, il ressuscitera donc aussi dans ses membres. Son heure nétait donc pas encore venue, ce nétait pas encore le moment opportun. Il lui fallait appeler ses disciples, annoncer le royaume des cieux, opérer des prodiges, prouver sa divinité par des miracles, et son humanité par les souffrances de son corps. En effet, il avait faim parce quil était homme, et néanmoins, avec cinq pains il nourrit cinq mille hommes, parce quil était Dieu ; il dormait comme homme, et, comme Dieu, il commandait aux vents et aux flots. Il fallait dabord en donner des preuves, afin que les évangélistes eussent de quoi écrire, et les Apôtres de quoi prêcher au sein de lEglise. Mais lorsque le Christ eut fait ce quil jugeait utile de faire, alors vint lheure fixée, non par la nécessité, mais par son choix; non par la condition de sa nature, mais par sa puissance. 13. Toutefois, mes frères, de ce que nous ayons répondu aux hérétiques et aux mathématiciens, sensuit-il que nous devions ne pas vous dire ce que signifient les urnes, leau changée en vin, le maître dhôtel, lépoux, la présence de la mère du Christ à cette mystérieuse cérémonie, et ces noces elles-mêmes? Il nous faut vous dire tout cela, mais il nous faut aussi ne pas vous fatiguer. A pareil jour quhier, nous avons lhabitude de faire un sermon à votre charité; nous aurions voulu en profiter pour vous en entretenir au nom du Christ : mais des difficultés insurmontables sont venues y mettre obstacle. Si votre sainteté le trouve bon, nous remettrons à demain à vous expliquer ce que cette circonstance a de mystérieux et, ainsi, nous ne surchargerons ni votre faiblesse, ni la nôtre. Peut-être en est-il plusieurs que la solennité du jour, et non le désir dentendre prêcher, a fait venir ici; que ceux qui viendront demain, viennent pour sinstruire ; par là, nous ne priverons pas ceux qui veulent sinstruire, et nous ne fatiguerons nullement ceux qui nen ont pas le désir.
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