|
|
88
CENT TROISIÈME TRAITÉ.SUR CE QUI EST DIT DEPUIS CES MOTS : « SES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI QUE MAINTENANT VOUS PARLEZ OUVERTEMENT », JUSQU'À CES AUTRES : « MAIS AYEZ CONFIANCE, MOI J'AI VAINCU LE MONDE ». (Chap. XVI, 29-33.)
LA FOI DES APOTRES.
Les disciples de Jésus ne le comprenaient pas encore et croyaient néanmoins le comprendre ; ils voyaient briller en lui l'omniscience et, en conséquence, ils croyaient en lui. Cependant le Sauveur leur prédit que, eu dépit de leur foi, ils le quitteront, mais seulement pour un temps.
1. A plusieurs indices répandus dans tout 1'Evangile, on reconnaît ce qu'étaient les disciples de Jésus-Christ, lorsque, leur parlant avant sa passion, il leur disait de bien grandes choses : ils étaient pourtant bien petits, mais cependant il s'adressait à eux comme il le fallait pour dire de grandes choses à des petits; car ils n'avaient pas encore reçu le Saint-Esprit comme ils le reçurent après sa résurrection , au moment où Jésus souffla sur eux, ou bien lorsque l'Esprit-Saint descendit du ciel sur eux, et par conséquent ils goûtaient plutôt les choses humaines que les choses divines; voilà pourquoi ils disaient ce que nous lisons dans la leçon d'aujourd'hui. L'Evangéliste, en effet, continue : « Ses disciples lui disent : Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles. Maintenant nous savons que vous connaissez toutes choses, et il est inutile que quelqu'un vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu ». Notre-Seigneur avait dit lui-même peu auparavant : « Je vous ai dit ces choses en paraboles; l'heure vient où je ne vous parlerai pas en paraboles ». Comment donc lui disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles? » L'heure était-elle venue où, selon sa promesse, il ne devait plus leur parler en paraboles ? Mais la suite de ses paroles montre bien que cette heure n'avait pas encore sonné. Voici, en effet, ce qu'il dit : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, mais l'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, je vous parlerai alors ouvertement de mon Père. En ce jour, vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous; car le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père (1) ». Par toutes ces paroles, il promet encore cette heure où il ne parlera plus en paraboles, mais où il leur parlera ouvertement de son Père; heure où ils demanderont en son nom, et ou il ne priera pas le Père pour eux; car le Père les aime parce qu'ils ont eux-mêmes aimé Jésus-Christ; parce qu'ils ont cru qu'il était sorti du Père pour venir dans le monde, et que maintenant il allait laisser le monde pour retourner à son Père. Puisqu'il leur promet encore cette heure où il doit parler sans paraboles, pourquoi les disciples disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement et vous ne dites point de paraboles? » Evidemment, en voici la raison les choses que Jésus savait être des paraboles pour eux qui ne les comprenaient pas, ils les comprenaient si peu qu'ils ne voyaient pas même qu'ils ne les comprenaient point. Ils étaient encore de petits enfants, et ils ne pouvaient juger spirituellement de ce qui se disait, non par rapport au corps, mais par rapport à l'esprit. 2. Enfin, pour les avertir de leur âge, qui, selon l'homme intérieur, était encore peu avancé et bien faible, « Jésus leur répondit : Vous croyez maintenant; voici venir l'heure, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés
1. Jean, XVI, 25-28.
89
chacun de votre côté, et vous me laisserez seul; mais je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi ». Un peu auparavant, il avait dit : « Je laisse le monde et je vais à mon Père »; maintenant il dit : « Le Père est avec moi ». Comment aller à celui qui est avec lui? Voilà une parole claire pour celui qui comprend, une parabole pour celui qui ne comprend pas. Néanmoins, ce que les enfants sont maintenant incapables de comprendre, ils peuvent le sucer, et s'il ne leur fournit pas une alimentation solide, qu'ils ne pourraient supporter, du moins il ne les prive pas d'un lait qui leur sert de nourriture. Aux Apôtres, cet aliment donnait de savoir que Jésus connaissait toutes choses et qu'il n'avait pas besoin que quelqu'un l'interrogeât; aussi l'on peut demander pourquoi ils s'expriment ainsi. Il semble, en effet, qu'il eût fallu dire : Vous n'avez pas besoin d'interroger quelqu'un, et non pas: « Que quelqu'un vous interroge ». Ils venaient de dire : « Nous savons que vous connaissez toutes choses » ; or, évidemment, ceux qui ignorent, interrogent d'ordinaire celui qui connaît tout, afin d'apprendre de lui ce qu'ils cherchent à savoir. Mais celui qui connaît tout n'interroge pas comme s'il voulait apprendre quelque chose. Par conséquent, puisqu'ils savaient qu'il connaissait toutes choses , et qu'ils auraient dû lui dire : Vous n'avez besoin d'interroger personne, pourquoi ont-ils cru devoir lui dire : « Vous n'avez pas besoin que quelqu'un vous interroge ? » Pourquoi cela, quand nous voyons que l'un et l'autre ont été faits, c'est-à-dire que Notre-Seigneur a interrogé et qu'il a été lui-même interrogé? La solution de cette difficulté est facile à trouver. Ce n'était pas lui qui avait besoin de les interroger et d'être interrogé par eux ; c'étaient eux-mêmes. Car s'il les interrogeait, il voulait non pas apprendre d'eux quelque chose, mais bien plutôt les instruire; et puisque ceux qui l'interrogeaient voulaient apprendre quelque chose de lui, ils avaient assurément besoin de l'interroger, pour apprendre quelque chose de Celui qui connaissait tout. Il n'avait donc pas besoin que quelqu'un l'interrogeât. Pour nous, quand ceux qui veulent apprendre quelque chose de nous nous interrogent, il nous est facile de comprendre, d'après leurs questions , ce qu'ils veulent savoir. Nous avons donc besoin d'être interrogés par ceux à qui nous voulons apprendre quelque chose, afin de connaître ;les questions auxquelles nous aurons à répondre. Mais Jésus, qui connaissait tout, n'avait pas même besoin de cela; il n'avait pas besoin qu'on lui fît des questions pour connaître ce que chacun voulait apprendre de lui, parce qu'avant d'être interrogé, il connaissait la volonté de celui qui devait l'interroger. Néanmoins, il se laissait interroger afin de montrer quels étaient ceux qui l'interrogeaient, soit à ceux qui étaient présents, soit à ceux qui devaient en entendre raconter ou lire le récit: c'était encore afin de nous faire ainsi connaître quels piéges on lui tendait sans pouvoir l'y faire tomber, et aussi par quels moyens on s'approchait de lui. Prévoir les pensées des hommes et ainsi n'avoir nul besoin d'être interrogé, ce n'était pas chose difficile pour Dieu, mais c'était une grande chose aux yeux de disciples peu spirituels, comme étaient les siens; car ils lui dirent: « En cela, nous croyons que « vous êtes sorti de Dieu ». Une chose bien plus difficile à comprendre était celle à l'intelligence de laquelle il voulait les amener et les élever, lorsqu'après les avoir entendus lui dire, et lui dire avec vérité : « Vous êtes « sorti de Dieu »; il leur répondit : « Le Père est avec moi », pour ne point leur laisser croire que le Fils était sorti du Père, de façon à le quitter. 3. Enfin, pour terminer ce grand et long discours, le Christ ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez des afflictions ; mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde ». Cette affliction devait avoir le commencement dont il leur avait parlé plus haut, quand pour leur montrer qu'ils n'étaient que de petits enfants qui ne comprenaient pas encore , qui prenaient une chose pour une autre et qui regardaient comme des paraboles les choses élevées et divines qu'il leur adressait, il leur dit : « Maintenant vous croyez? Voici venir l'heure, et elle est déjà venue, où vous vous disperserez chacun de votre côté ». Voilà le commencement de leur affliction ; mais elle ne devait pas durer toujours de cette façon; s'il leur dit : « Et vous me laisserez seul », il ne veut pas que pendant la persécution qui doit (90) suivre et qu'ils auront à souffrir dans le monde après son ascension, ils le laissent seul; mais il veut qu'ils demeurent en lui et qu'ils y trouvent la paix. Lorsque, en effet, il eut été pris par les Juifs, non-seulement ils abandonnèrent corporellement son humanité, mais leur âme elle-même abandonna la foi en lui. C'est à cela que se rapportent ces paroles : « Maintenant vous croyez? Voici venir l'heure où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez». C'était, en d'autres termes, leur dire : Alors vous serez tellement troublés, que vous laisserez même ce que vous croyez maintenant. Ils en vinrent en effet à un désespoir inouï, et pour ainsi dire à une sorte d'anéantissement de leur foi première. Cléophas en fut une preuve vivante; car, s'entretenant avec Jésus sans le connaître après la résurrection, et lui racontant ce qui lui était arrivé, il lui disait : « Nous espérions qu'il rachèterait Israël (1) ». Voilà comment ils l'avaient laissé: ils avaient abandonné même la foi qu'ils avaient eue en
1. Luc, XXIV, 21.
lui. Mais dans la persécution qu'ils souffrirent après sa glorification et après la descente du Saint-Esprit, ils ne l'abandonnèrent plus : sans doute, ils s'enfuirent de ville en ville , mais ils ne s'éloignèrent plus de lui ; mais, afin de trouver la paix en lui-même au milieu de la persécution, ils ne s'éloignèrent pas de lui comme des transfuges; ils le prirent, au contraire, pour leur refuge. Quand ils eurent reçu le Saint-Esprit, alors s'accomplit en eux ce qu'il leur dit maintenant . « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde ». Ils ont eu confiance et ils ont vaincu. En qui ? En lui, évidemment. Car lui n'aurait pas vaincu le monde, si ses membres s'étaient laissé vaincre parle monde. Aussi l'Apôtre dit-il : « Rendons grâces à Dieu, qui nous donne la victoire », et ajoute-t-il aussitôt : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ (1)». Car le Sauveur avait dit à ses disciples : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde ».
1. I Cor. XV, 57.
|