TRAITÉ LXXX
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QUATRE-VINGTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « JE SUIS LA VRAIE VIGNE ET MON PERE EST LE VIGNERON », JUSQU'À CES AUTRES : « DÉJÀ VOUS ÊTES PURS A CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE ». (Chap. XV, 1-3.)

 

JÉSUS-CHRIST, VIGNE ET VIGNERON.

 

Le Sauveur est, comme homme, la vigne, c'est-à-dire le cher de l'Eglise, tandis que nous en sommes les branches ou les membres : comme Dieu, il est, aussi bien que le Père, le vigneron qui retranche les bourgeons improductifs et émonde par la parole de la foi ceux qui rapportent du fruit.

 

1. Cet endroit de l'Evangile, mes frères, où Notre-Seigneur dit à ses disciples qu'il est la vigne et qu'ils en sont les branches, doit s'entendre en ce sens que Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes (1), est le chef de l'Eglise et que nous sommes ses membres. La vigne et ses branches sont de même nature; c'est pourquoi, comme il était Dieu et que nous n'avons pas la nature divine, il s'est fait homme, afin que la nature humaine fût en lui comme une vigne, dont nous autres hommes nous pourrions être les branches. Mais que veut dire : « Je suis la vraie vigne? » En ajoutant le mot « vraie », a-t-il voulu dire qu'il se rapporte à cette vigne d'où la comparaison est tirée ? Il est en effet appelé vigne par comparaison, et non par appropriation, comme il est appelé brebis, agneau, lion, rocher, pierre angulaire et autres choses qui sont vraiment ce que leur nom signifie; mais qui, dans le cas présent, servent à établir une comparaison et non à indiquer l'existence de propriétés réelles. Aussi, quand Jésus dit : « Je suis la vraie vigne », c'est pour se distinguer de celle à qui il est dit : « Comment as-tu dégénéré jusqu'à devenir une fausse vigne (2) ? » Car peut-on dire qu'elle était une vraie vigne,

 

1. I Tim. II, 5. — 2. Jérém. II, 21.

 

celle dont on attendait du raisin et qui a produit des épines (1) ?

2. « Je suis la vraie vigne », dit Jésus-Christ, « et mon Père est le vigneron. Il retranchera toutes les branches qui ne portent point de fruit en moi, et il émondera toutes celles qui portent du fruit, afin qu'elles en portent davantage ». Le vigneron et la vigne sont-ils donc la même chose ? Jésus-Christ est la vigne selon la nature qui lui permet de dire : « Le Père est plus grand que moi (2) ». Mais selon la nature qui lui permet de dire : « Le Père et moi nous sommes un (3) », il est lui-même le vigneron ; non pas un vigneron comme ceux qui en travaillant ne peuvent donner que des soins extérieurs, mais un vigneron capable de donner l'accroissement intérieur. « Car ce n'est pas celui qui plante ni celui qui arrose qui « est quelque chose, mais c'est Dieu qui donne l'accroissement ». Or, Jésus-Christ est vraiment Dieu; car « le Verbe était Dieu », ce qui fait que le Père et lui ne sont qu'un; et si « le Verbe s'est fait chair (4) », ce qu'il n'était pas, il est cependant resté ce qu'il était. Enfin, après avoir dit du Père, en parlant de lui comme d'un vigneron, qu'il retranchera les branches stériles et qu'il émondera celles qui

 

1. Isa. V, 4. — 2. Jean, XIV, 28. — 3. Id. X, 30. — 4. Id. I, 1, 14.

 

30

 

porteront du fruit, afin de leur en faire porter davantage, il montre qu'il émondera lui-même aussi les branches, et il ajoute aussitôt : « Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai dite ». Voilà que lui-même il émonde les branches; c'est l'office du vigneron, et non celui de la vigne. Il fait même de quelques branches ses coopérateurs. Car bien qu'ils ne donnent pas l'accroissement, ils contribuent néanmoins en quelque chose à le produire, sans toutefois le faire par leur propre puissance. « Parce que sans moi », dit Jésus-Christ, « vous ne pouvez rien faire ». Écoute-les, ils en font eux-mêmes l'aveu. « Qu'est-ce qu'Apollo? Qu'est-ce que Paul? Des ministres par qui, siwn, vous avez cru et chacun selon le don du Seigneur. Moi, j'ai planté, Apollo a arrosé; c'est donc selon le don que le Seigneur a fait à chacun, et non de leur propre fonds ». Voyez ce qui suit : Mais « Dieu a donné l'accroissement (1) »; ce n'est donc point par eux, mais par lui-même, que Dieu l'a fait. Cela, en effet, surpasse la faiblesse humaine, la grandeur même des anges, et n'appartient qu'à la Trinité qui seule est le vigneron. « Déjà vous êtes purs». Emondés sans doute, mais ayant besoin de l'être encore. S'ils n'avaient pas été taillés, ils n'auraient pu porter de fruit, et cependant quiconque porte du fruit, le vigneron l'émonde pour lui en faire porter davantage. Il porte du fruit parce qu'il est taillé, et pour qu'il en porte davantage, on l'émonde encore. En effet, quel est celui qui en cette vie est assez émondé, pour n'avoir pas besoin de l'être de plus en plus en cette vie, en laquelle, « si nous disons que nous n'avons « pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous; mais si nous confessons nos péchés, il est quelqu'un de fidèle et de juste qui nous remettra nos péchés et nous purifiera de toute iniquité, (2) ? » Qu'il émonde donc ceux qui sont déjà émondés, c'est-à-dire qui portent des fruits, afin qu'ils portent d'autant plus de fruits qu'ils seront plus émondés.

            3. « Déjà vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite ». Pourquoi ne dit-il pas: Vous êtes purs à cause du baptême dont vous avez été lavés, mais bien a à cause

 

1. I Cor. III, 5-7. — 2. I Jean, I, 8, 9.

 

de la parole que je vous ai dite ? » Parce que dans l'eau c'est encore la parole qui purifie? Retranche la parole, et l'eau, que sera-t-elle? De l'eau. La parole se joint à l'élément, et aussitôt se fait le sacrement qui est comme une parole visible. C'est ce qu'il avait dit en lavant les pieds de ses disciples: « Celui qui est lavé n'a besoin que de se laver les pieds ; car il est pur tout entier (1) ». D'où vient à l'eau cette vertu si grande, qu'en touchant le corps elle purifie le coeur? Elle lui vient uniquement de la parole; non parce que l'on prononce cette parole, mais parce que l'on y croit. Car en ce qui concerne la parole elle-même, autre chose est le son qui passe, autre chose est la vertu qui reste. « C'est la parole de la foi que nous vous prêchons», dit l'Apôtre, « parce que si vous confessez de bouche que Jésus est le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvés. Il faut croire de coeur pour obtenir la justice, et confesser de bouche pour obtenir le salut (2)» . Aussi est-il dit dans les Actes des Apôtres : « Purifiant leurs coeurs par la foi (3) ». Pierre dit aussi dans son Epître : « Le baptême vous sauve, non par la purification des souillures de la chair, mais par le témoignage d'une bonne conscience (4). C'est la parole de la foi que nous vous prêchons », parole qui sanctifie le baptême et lui donne la vertu de purifier; car Jésus-Christ qui est avec nous la vigne, et avec le Père le vigneron, « a aimé l'Église et s'est livré pour elle». Lis l'Apôtre et vois ce qu'il ajoute : « Afin de la sanctifier en la purifiant dans le baptême de l'eau par la parole (5) La purification ne serait donc pas l'effet de cet élément fluide et coulant, si on n'y ajoutait « la parole ». Cette parole de foi a tant de force dans l'Église de Dieu, qu'elle purifie même un petit enfant par l’intermédiaire de celui qui croit, qui l'offre, le bénit et le lave dans ces eaux salutaires ; et néanmoins cet enfant ne peut encore ni croire de coeur pour obtenir la justice, ni confesser de bouche pour obtenir le salut. Tout cela se fait par cette parole dont Notre-Seigneur a dit : « Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai dite ».

 

1. Jean, XIII, 10. — 2. Rom. X, 8-10. — 3. Act. XV, 9. — 4. I Pierre, III, 21. — 5. Ephés. V, 25, 26.

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