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QUARANTE-SEPTIÈME TRAITÉ.DEPUIS CES PAROLES : « JE SUIS LE BON PASTEUR, ET JE CONNAIS MES BREBIS », JUSQUÀ CES AUTRES : « LE DÉMON PEUT-IL OUVRIR LES YEUX DES AVEUGLES ». (Chap. X, 14-21.)PASTEUR ET PORTE.
Jésus-Christ nourrit ses brebis du pain de la vérité; cest par sa grâce que les prédicateurs ont entrée dans lesprit des fidèles pour y porter la connaissance du bon Pasteur. Il y entre donc par lui-même. Il est aussi exclusivement la porte qui nous conduit au Père, car il a quitté son âme, il est mort pour nous; oeuvre dautant plus méritoire quelle fut leffet de sa pleine liberté, bien que son Père la lui eût commandée.
1. Tous ceux dentre vous qui écoutent la parole de notre Dieu, non-seulement avec plaisir, mais encore avec attention, se souviennent, sans aucun doute, de la promesse que nous vous avons faite. On vous a donné encore aujourdhui lecture du passage de lEvangile qui nous a déjà été lu dimanche dernier; comme nous nous étions arrêté sur certaines explications indispensables, il nous a été impossible de vous fournir toutes celles dont vos désirs nous rendaient redevable envers vous. Nous ne nous occupons donc plus aujourdhui de ce qui a été précédemment dit et discuté. En nous répétant, nous nous exposerions peut-être à ne pouvoir traiter les sujets non encore abordés. Vous avez déjà appris, au nom du Seigneur, qui est le bon pasteur, et comment les bons pasteurs sont ses membres; vous savez quil ny a par conséquent quun seul pasteur. Vous nignorez pas davantage quels sont les mercenaires à supporter; le loup, les voleurs et les brigands à éviter; vous connaissez les brebis et la porte par laquelle entrent dans le bercail les brebis et le pasteur. On vous a dit qui est-ce qui est désigné sous le nom de portier; enfin, vous savez que celui qui nentre point par la porte est un voleur et un brigand, dont le but unique est de dérober, de tuer et de détruire. Tout cela a été dit et, je le pense, suffisamment expliqué. Notre Sauveur Jésus-Christ nous a déclaré être le pasteur et la porte, et il a ajouté que le bon pasteur entre dans la bergerie par la porte; aujourdhui, nous dirons donc, avec le secours de la grâce, comment il entre par lui-même. Puisque, dune part, nul nest bon pasteur sil nentre par la porte, et que, dautre part, il est lui-même et particulièrement le bon pasteur et aussi la porte, je dois nécessairement comprendre quil entre par lui-même dans le bercail, quil fait entendre sa voix à ses brebis afin quelles le suivent, et quen entrant et en sortant, elles trouvent des pâturages, cest-à-dire la vie éternelle. 2. Je mexplique donc sans plus tarder. Je cherche à pénétrer en vous, cest-à-dire en vos coeurs ; cest pourquoi je vous prêche le Christ : si je vous prêchais autre chose, je chercherais à entrer par un autre endroit. Le Christ est donc pour moi la porte par laquelle il mest légitimement possible darriver jusquà vous : par le Christ, je pénètre, non jusquà vos murs, mais jusquà vos curs. J entre en vous par le Christ, et vous lécoutez volontiers parler par ma bouche. Et pourquoi lécoutez-vous avec plaisir en ma propre personne? Parce que vous êtes les brebis du Christ, rachetées au prix de son sang. Vous connaissez votre valeur : je ne vous la donne [647] pas, cette valeur ; je ne fais que vous lannoncer. Celui qui a versé pour vous son sang, vous a achetés, et ce sang précieux est le sang de Celui qui est sans péché. Et Celui-là a donné de la valeur au sang des fidèles pour lesquels il a répandu son précieux sang ; sil ne lui avait pas communiqué cette valeur, il ne serait pas dit : « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur (1) » . Par conséquent, il na pas été le seul à mettre en pratique ces paroles : « Le bon pasteur donne a sa vie pour ses brebis ». Et puisque ceux qui lont fait sont ses membres, il est, à vrai dire, le seul qui lait fait. Sans eux, il a pu agir de la sorte ; mais quauraient-ils pu faire sans lui, puisquil a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire (2) ? » La preuve que les autres ont donné leur vie pour leurs brebis, je la trouve dans une épître de ce même apôtre Jean, qui a écrit lEvangile dont on vous a donné lecture: « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous a donner la nôtre pour nos frères (3) ». « Nous a devons » ; en nous donnant lexemple, il nous a imposé lobligation de ce sacrifice. Cest pourquoi il est écrit quelque part : « Quand tu seras assis pour manger avec le roi, considère attentivement ce quon placera devant toi : tends alors la main, et sache quil te faut préparer de telles choses (4)». Cette table du roi, quelle est-elle ? Vous le savez. Là se trouvent le corps et le sang de Jésus-Christ : celui qui sapproche dune pareille table doit préparer de pareilles choses. Quest-ce à dire : il doit préparer de pareilles choses ? « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous », pour lédification du peuple et laffirmation de notre foi, « donner la nôtre pour nos frères » . Aussi le Sauveur dit-il à Pierre, dont il voulait faire un bon pasteur, non en Pierre lui-même, mais dans son propre corps: « Pierre, maimes tu? Pais mes brebis ». Il ne se contenta pas de lui parler ainsi une seule fois, il lui répéta ces paroles deux et trois fois, jusquà le contrister. Et quand il leut interrogé autant de fois quil jugea à propos de le faire, pour obtenir de lui une confession triple comme son reniement, quand il lui eut, pour la troisième fois, confié ses brebis, il lui dit : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais
1. Ps. CXV, 15. 2. Jean, XV, 5. 3. I Jean, III, 16. 4. Prov. XXIII, 1, 2, suiv. les Septante.
toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas ». LEvangéliste a donné lexplication des paroles du Sauveur; la voici : « Il dit cela, pour marquer par quelle mort il devait glorifier Dieu (1)». Ces mots : « Pais a mes brebis », signifient donc : Tu dois donner ta vie pour tes brebis. 3. Quant aux paroles suivantes : « Comme le Père me connaît, ainsi je connais le Père », qui est-ce qui en ignore ? Il connaît le Père par lui-même ; nous le connaissons par lui. Quil connaisse son Père par lui-même, nous le savons : que nous le connaissions par le Christ, nous ne lignorons pas davantage, parce quen réalité il en est ainsi. Na-t-il pas dit de lui-même : « Nul na jamais vu Dieu, sinon le Fils unique, qui est dans le sein du Père : il nous la manifesté lui-même (2) ? » Il nous la donc fait connaître, puisquil nous la manifesté. Il dit encore ailleurs : « Nul ne connaît le Fils, si ce nest le Père, et nul ne connaît le Père, si ce nest le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler (3) ». Comme il connaît le Père par lui-même, et que nous le connaissons par lui ; ainsi, il entre par lui-même dans la bergerie, et nous y entrons par lui. Nous disions que, par le Christ, nous avons une porte pour arriver jusquà vous : comment cela ? Parce que nous prêchons le Christ. Nous prêchons le Christ ; aussi entrons-nous par la porte. Le Christ prêche le Christ, parce quil se prêche lui-même ; doù il suit que le pasteur entre par lui-même. Puisque la lumière fait voir tous les autres êtres qui se voient à la faveur de ses rayons, aurait-elle elle-même besoin dun secours étranger pour se faire voir ? La lumière fait apercevoir les objets étrangers, et du même coup, elle se fait apercevoir elle-même. Tout ce que nous comprenons, nous le comprenons au moyen de notre intelligence ; et notre intelligence, comment en avons-nous la connaissance, sinon par elle-même ? En est-il de même de nos yeux, et se font-ils voir en même temps quils montrent les objets environnants ? Non, car si lhomme aperçoit les autres avec ses yeux, il ne les aperçoit pas eux-mêmes. Les yeux de notre corps voient autour deux, mais ils ne se voient pas : quant à notre intelligence, elle comprend
1. Jean, XXI, 15-19. 2. Id., I, 18. 3. Matth. XI, 27.
ce qui nest pas elle, et elle se comprend elle-même. De même que lintelligence humaine se voit, ainsi le Christ se prêche lui-même. Sil se prêche, il pénètre en toi par sa prédication, il entre en toi par lui-même. Il est aussi la porta qui mène à son Père, parce quil est impossible darriver au Père sans passer par lui. En effet, il ny a quun Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (1). On dit bien des choses avec le secours de la parole, et tout ce que jai dit, je lai évidemment dit à laide de la parole. Si je veux prononcer le mot parole, comment le ferai-je, sinon avec la parole ? Par conséquent, cest elle qui nous aide à nous entretenir de ce qui nest pas elle, et sans elle, il est impossible de la prononcer elle-même. Avec la grâce de Dieu, nous avons pu citer plusieurs exemples. Comprenez donc comment Notre-Seigneur Jésus-Christ est tout à la fois porte et pasteur : il est porte en souvrant lui-même ; il est pasteur en entrant par lui-même. Et de fait, mes frères, il a donné à ses membres sa qualité de pasteur, car Pierre et Paul, et les autres Apôtres et les bons évêques sont pasteurs. Mais personne dentre nous ne sattribue la qualité de porte; il a gardé pour lui seul le privilège de faire entrer par lui ses brebis. Enfin, lapôtre Paul remplissait loffice de bon pasteur, quand il prêchait le Christ, car il entrait par la porte. Mais lorsque des brebis indisciplinées commencèrent à faire des schismes et à se faire dautres portes, non pour y passer et se réunir dans le bercail, mais pour se perdre et se séparer les unes des autres; mais pour dire, les uns : « Moi je suis à Paul », les autres: « Moi je suis à Céphas » ; ceux-ci : « Moi je suis à Apollo » ; ceux-là : « Moi je suis à Jésus-Christ » : épouvanté de ce que quelques-uns disaient : « Je suis à Paul », et semblant sadresser à des brebis, il sécria : Malheureuses ! par où allez-vous ? Je ne suis pas la porte : « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés (2) ? » Pour ceux qui disaient «Moi je suis au Christ », ils avaient trouvé la véritable porte. 4. Quant à la bergerie, qui nest pas la bergerie du Christ, et au pasteur qui nest pas le vrai pasteur, vous en entendez assez souvent parler ; car nous vous avons maintes fois dit
1. I Tim. II, 5. 2. I Cor. I, 12,13.
quil ne doit y avoir quun bercail; nous vous avons à tout moment prêché lunité, pour y faire entrer toutes les brebis par le Christ, et empêcher quaucune delles vienne à suivre Donat. Mais pourquoi le Sauveur en a-t-il parlé en propres termes ? La raison en est facile à saisir. Il sadressait aux Juifs : il avait été envoyé au milieu deux, non à cause de ceux qui sentêtaient à nourrir les sentiments dune haine sauvage, mais en faveur de certains membres de cette nation quil appelle ses brebis, et dont il dit : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison dIsraël (1) ». Au milieu de ses ennemis en fureur, il les apercevait, et il prévoyait que ces hommes jouiraient un jour du calme des croyants. Que signifiaient donc ces paroles « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison dIsraël ? » Il navait manifesté sa présence corporelle quau peuple juif. Il nest pas allé en personne visiter les Gentils, il sest contenté de leur envoyer ses représentants ; mais, pour le peuple dIsraël, il lui a député ses Prophètes, et il la lui-même visité, afin que ceux qui le mépriseraient fussent plus grandement coupables en raison de sa venue au milieu deux. Le Sauveur a donc paru au sein de cette nation, il y a choisi sa mère, il a voulu y être conçu, y naître, y répandre son sang ; on y voit, on y adore la trace de ses pas, à lendroit où il sest arrêté en dernier lieu, où il a quitté la terre pour monter au ciel. Quant aux Gentils, il leur a envoyé ses représentants. 5. Mais quelquun simagine peut-être quau lieu de venir personnellement vers nous, le Christ sest borné à nous envoyer ses ministres, et que, par conséquent, nous avons entendu non pas sa voix, mais celle de ses ambassadeurs. Il nen est pas ainsi ; éloignez de vos curs une pareille pensée : il était présent dans la personne de ses envoyés. Au nombre de ces derniers se trouvait Paul lui-même ; écoute-le : cétait surtout pour les Gentils que Paul avait reçu sa mission dApôtre : voici ce quil dit, pour inspirer la crainte, non pas de lui-même, mais du Christ: « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche (2) ? » Ecoutez le Sauveur lui-même . « Et jai dautres brebis », parmi les Gentils, « qui ne sont pas de cette bergerie »,
1. Matth. XV, 21. 2. II Cor. XIII, 3.
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cest-à-dire du peuple dIsraël ; « il faut aussi que je les amène », Il les amène par ses Apôtres, mais cest lui-même et non un autre. Ecoute encore ceci : « Et elles entendront ma voix». Cest lui-même qui parle par ses envoyés, et cest par leur bouche que sa voix se fait entendre, « afin quil ny ait quun seul bercail et un seul pasteur ». De la réunion de ces deux troupeaux, comme de la réunion de deux murailles, sest formée la pierre angulaire (1). Le Christ est donc, en même temps, porte et pierre angulaire ; mais que tout cela soit dit par similitude ; car rien de tout cela nexiste en réalité. 6. Je lai déjà dit, et jai fortement appuyé sur cette vérité : ceux qui me comprennent le sentent bien, et même ceux qui le sentent me comprennent ; pour ceux dont lintelligence ne saisit pas tout ce que je veux dire, leur devoir est de croire fermement ce qui dépasse encore les bornes de leur esprit. Par similitude se trouvent dans le Christ des qualités qui ne lui appartiennent point par nature ; ainsi, il est pierre, il est porte, il est pierre angulaire, il est pasteur, il est agneau, il est lion. Que de titres par similitude, sans en compter dautres, quil serait trop long dénumérer ! Si tu fais attention aux propriétés des choses que tu as lhabitude de voir, tu remarqueras que le Christ nest pas une pierre, car il nen a ni la dureté ni linsensibilité ; il nest pas davantage une porte, parce quil nest pas sorti des mains dun artisan, tu ne saurais non plus voir en lui une pierre angulaire, car un maçon ne la point préparée ; serait-il un berger ? Mais non : jamais il na gardé de brebis à quatre pattes ; comme il nest pas une bête sauvage, on ne peut dire quil soit un lion ; enfin, ne le considérons pas comme un agneau, puisquil ne fait point partie dun troupeau. Il nest donc tout cela que par comparaison, car voici ce quil est par nature : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Quétait-il comme homme, tel quil nous est apparu ? « Et le Verbe sest fait chair, et il a habité parmi nous (2) ». 7. Ecoute encore : « Cest pour cela que le Père maime, parce que moi je quitte mon âme, afin que je la reprenne de nouveau ». Que dit-il ? « Cest pour cela que le Père maime » : parce que je meurs pour ressusciter.
1 Eph. II, 11-22. 2. Jean, I, 1, 14.
Le mot « moi » a été prononcé avec une affectation visible: « Parce que moi je donne », dit-il ; « je quitte mon âme, moi; je quitte». Quest-ce à dire, « moi je quitte ? » Cest moi qui la quitte ; que les Juifs ne soient pas si fiers : ils ont pu chercher à me faire du mal, mais jamais ils nont eu la puissance de disposer de moi. Quils me tourmentent autant que cela dépend deux, si je ne consens pas à quitter mon âme, à quoi leur servira de me tourmenter ? Un seul mot de réponse, proféré par le Christ, a suffi pour les jeter à terre ; à cette question du Sauveur : « Qui cherchez-vous ? ils répondirent : « Jésus » ; alors il leur dit : « Cest moi». Ils reculèrent de quelques pas, et furent « renversés (1) ». Sur une seule parole du Christ, ils sont tombés par terre ; que feront-ils, lorsquil leur parlera en qualité de juge ? « Moi, moi », dis-je, « je quitte mon âme, afin de la reprendre de nouveau ». Que les Juifs ne se glorifient point , comme sils étaient devenus les maîtres : il a seul disposé de sa vie. « Je me suis endormi »,. Vous connaissez le psaume où se trouvent ces paroles du Christ « Je me suis endormi, jai pris mon sommeil, je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui (2) ». Tout à lheure, ce psaume nous a été lu, et nous avons entendu ce passage : « Je me suis endormi, et jai pris mon sommeil, et je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui». Quest-ce à dire : « Je me suis endormi ? » Jai dormi, parce que je lai bien voulu. Quest-ce à dire : « Je me suis endormi ? » Je suis mort. A vrai dire, ne donnait-il point, puisquil est sorti de son sépulcre comme dun lit, et cela quand il la voulu ? Mais il aime à rendre gloire à son Père, afin de nous porter à rendre gloire à notre Créateur. Quant à ces autres paroles : « Je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui », avez-vous le droit de conclure que le pouvoir de ressusciter lui a fait défaut, et que sil a pu mourir par un effet de sa volonté, la puissance lui a manqué pour sortir dentre les morts ? Daprès ces paroles, si on ne les comprend point suffisamment, il semblerait quon doive les entendre en ce sens : « Je me suis endormi », ou, en dautres termes, jai dormi parce que je lai bien voulu. « Et je me suis réveillé». Pourquoi ? « Parce que le Seigneur est mon appui». Eh quoi !
1. Jean, XVIII, 4-6. 2. Ps. III, 6.
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vous seriez impuissant par vous-même de sortir du tombeau ? Si vous étiez incapable de le faire, vous ne diriez pas : « Jai le pouvoir de quitter mon âme, et jai le pouvoir de la reprendre à nouveau ». Il est dit en un autre endroit de lEvangile, non-seulement que le Père a ressuscité son Fils, mais aussi que le Fils sest ressuscité lui-même : « Détruisez ce temple en trois jours, et je le rebâtirai ». LEvangéliste ajoute : « Mais il parlait du temple de son corps (1)». Ce qui était mort en lui, il le ressuscitait. Car le Verbe nest pas mort, son âme non plus : si la tienne elle-même nest pas exposée aux coups du trépas, celle du Sauveur en serait-elle la victime ? 8. Mais, me dis-tu, comment savoir si mon âme ne meurt pas ? Ne la fais pas mourir, et elle ne mourra pas. Tu ajoutes : Comment puis-je tuer mon âme ? Il mest inutile de parler dautres péchés : « La bouche qui ment tue lâme (2) ». Serai-je jamais sûr quelle ne mourra pas? Le Sauveur lui-même en a donné la certitude à son disciple. Ecoute-le : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent rien de plus ». Mais que dit-il de positif ? « Craignez Celui qui peut tuer le corps et lâme, et les jeter dans lenfer (3) ». Voilà la preuve quelle meurt, et aussi quelle ne meurt pas. Pour lâme, quest-ce que mourir? Et pour le corps? Pour ton corps, mourir, cest perdre sa vie propre ; pour ton âme, cest encore perdre sa vie propre. Ton âme est la vie de ton corps ; Dieu est la vie de ton âme. De même que le corps meurt au moment où lâme, qui est sa vie, sen sépare, ainsi meurt lâme, dès quelle se sépare du principe de sa vie, dès quelle séloigne de son Dieu. Néanmoins, lâme est certainement immortelle. Oui, elle est immortelle , parce quen mourant elle na pas cessé de vivre. Ce que lApôtre dit de la veuve qui vit dans les délices sapplique aussi à lâme qui a perdu son Dieu : « Elle est morte, quoiquelle paraisse vivante (4) ». 9. Comment donc le Sauveur donne-t-il sa vie ? Mes frères, apportons encore plus dattention à élucider cette question : lheure qui nous presse dhabitude le dimanche, ne nous presse pas aujourdhui ; nous avons du temps à notre disposition : jengage à en profiter
1. Jean, II, 19, 21. 2. Sag. I, 11. 3. Matth. X, 28; Luc, XII, 4, 5. II Tim. V, 6.
ceux qui se sont réunis même aujourdhui pour entendre la parole de Dieu. « Je donne ma vie », dit le Sauveur. En quelle qualité donne-t-il sa vie ? Quelle vie donne-t-il? Quest le Christ? Il est Verbe et homme tout ensemble : et il nest pas homme en ce sens quil nait quun corps, parce que lhomme se compose dun corps et dune âme ; et dans le Christ, lhomme se trouve tout entier. Il ne se serait pas, en effet, revêtu de la partie la plus grossière de notre humanité, sans en prendre la plus noble ; or, lâme de lhomme est supérieure à son corps. Puisque notre humanité se trouve tout entière dans le Christ, quest-il donc ? Je lai dit : il est Verbe et homme. Quest-ce à dire : Verbe et homme ? Cest-à-dire, Verbe, âme et corps. Tenez à ce point de doctrine, car il y a des hérétiques qui y sont opposés : depuis longtemps déjà, la vérité catholique les compte au nombre de ses ennemis, mais pareils à des voleurs et à des brigands, qui nentrent point par la porte, ils ne cessent de tendre des piéges au troupeau. Les Apollinaristes ont été déclarés hérétiques pour avoir osé enseigner que le Christ est seulement Verbe et corps: à les entendre, il na pas pris une âme humaine. Plusieurs dentre eux nont pu disconvenir quil ait eu une âme ; mais voyez en quelle insoutenable absurdité, en quelle folie ridicule ils sont tombés. Ils ont admis en lui lexistence dune âme dépourvue de raison : quant à la présence en lui dune âme raisonnable, ils lont niée : ils lui ont attribué une âme animale, ils lui ont refusé une âme humaine. Ils ont refusé au Christ, parce quils lavaient eux-mêmes perdue. Que leur erreur ne devienne pas la nôtre, car nous avons été nourris et élevés dans la foi catholique. Je profite donc de cette occasion pour prémunir votre charité, comme dans les leçons précédentes nous vous avons suffisamment prémunis contre les Sabelliens et les Ariens ; contre les Sabelliens, qui ne voient aucune différence entre le Père et le Fils; contre les Ariens, qui prétendent quautre chose est le Père, autre chose est le Fils, comme sils navaient pas tous deux la même substance. Autant quil vous en souvient, et que vous devez vous en souvenir, nous vous avons fortifiés contre lhérésie des Photiniens, qui nont vu en Jésus-Christ quun pur homme, sans y reconnaître aussi un Dieu ; et [651] contre les Manichéens, suivant lesquels il était Dieu sans être homme en même temps ; enfin, nous avons profité de loccasion présente pour vous parler de lâme du Sauveur et combattre lerreur des Apollinaristes : ces hérétiques, nous lavons dit, soutiennent que le Christ na pas eu dâme humaine, dâme raisonnable et intelligente, une âme, enfin, qui nous distingue des bêtes, et telle quil en faut une pour faire de nous des hommes. 10. Comment le Sauveur a-t-il dit ici: «Jai le pouvoir de donner ma vie ? » En quelle qualité donne-t-il sa vie ? Quelle vie donne-t-il ? Est-ce en tant que Verbe que le Christ donne sa vie et quil la reprend ? Est-ce en tant quil est âme humaine, quil se perd pour se retrouver ensuite ? Est-ce en tant que corps quil abandonne son âme et sen ressaisit ? Autant de questions quil nous faut. traiter : nous choisirons la solution la plus conforme à la règle de la vérité. Si nous disons : Le Verbe de Dieu a quitté son âme et la reprise ensuite, il est à craindre que nous donnions lieu à une mauvaise interprétation, et quon nous dise : Cette âme a donc été séparée du Verbe pendant un certain temps, et à partir du moment où il a pris cette âme, le Verbe sen est un jour trouvé dépourvu. Je le sais bien , à une certaine époque le Verbe na pas eu dâme humaine, cest quand, « au commencement, était le Verbe, et » que « le Verbe était en Dieu, et » que « le Verbe était Dieu » ; mais le Verbe en a eu une, dès qu « il sest fait chair pour habiter parmi nous (1) », et quil sest revêtu de notre humanité; car il est devenu homme complet, cest-à-dire quil a pris un corps et une âme. A quoi ont abouti ses souffrances et sa mort, sinon à séparer son corps et son âme ? Mais son âme, elles ne lont jamais séparée du Verbe. Si le Sauveur est mort, ou plutôt parce quil est mort (et, de fait, il est mort pour nous sur la croix), il est sûr que son corps a rendu son âme par son dernier soupir ; et celle-ci sen est éloignée, pour revenir bientôt en lui et le ressusciter. Mais je suis loin de dire que lâme du Christ a été séparée du Verbe. Il a dit, en effet, à lâme du larron : « Aujourdhui, tu seras avec moi dans le Paradis (2)». A ce moment-là, il nabandonnait pas lâme fidèle du larron, et il aurait alors abandonné la sienne ? Comme le Seigneur
1. Jean, I, 1, 14. 2. Luc, XXIII, 43.
Jésus a gardé celle du brigand, il est resté inséparablement uni à la sienne. Si nous disons que son âme sest séparée delle-même, pour se retrouver ensuite, nous dirons la plus grossière absurdité; car une âme qui ne sest point séparée du Verbe, ne pouvait se séparer delle-même. 11. Disons donc ce qui est vrai et facile à comprendre, et pour cela, prenons, comme terme de comparaison, le premier homme venu. Il ne se compose point du verbe, dune âme et dun corps; il se compose uniquement dun corps et dune âme : apprenons de lui comment un homme quelconque quitte son âme. Est-ce quaucun ne la quitte? Tu es à même de me dire : personne na le pouvoir de quitter son âme et de la reprendre. Mais si personne ne pouvait quitter son âme, lapôtre Jean ne dirait pas : « Comme le Christ quitte son âme pour nous, ainsi devons« nous la quitter pour nos frères (2)». Par conséquent, il nous est permis de quitter nos âmes pour nos frères, si, toutefois, nous sommes remplis du dévouement de celui sans laide duquel nous ne pouvons rien faire. Quand un saint martyr a quitté son âme pour ses frères, en quelle qualité la-t-il quittée? quelle vie a-t-il quittée? Si nous saisissons bien ceci, nous verrons en quel sens le Christ a dit : « Jai le pouvoir de quitter mon âme». O homme, es-tu prêt à mourir pour le Christ ? Je le suis. Je vais mexprimer dune autre manière : Es-tu prêt à quitter ton âme pour le Christ? A ces mots, on me répond : Je suis prêt, comme on mavait répondu quand je demandais. Es-tu prêt à mourir? Quitter son âme et mourir, cest donc la même chose. Mais pour qui y a-t-il ici combat? Il suffit à un homme de mourir pour quitter son âme, mais tous ne la quittent point pour le Christ, et personne na le pouvoir de reprendre ce quil a quitté : le Christ, au contraire, a quitté la sienne pour nous; il la quittée quand il a voulu, et quand il a voulu, il la reprise. Quitter son âme, cest donc mourir. Lapôtre Pierre a dit, en ce sens, au Sauveur : « Je quitterai mon âme pour vous (2) » ; cest-à-dire : Je mourrai pour vous. Agir ainsi, cest le propre du corps : le corps quitte son âme, et il la reprend non par leffet de son propre pouvoir, mais par la puissance de celui qui y réside
1. I Jean, III, 16. 2. Jean, XIII, 37.
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le corps quitte donc son âme en expirant. Considère le Sauveur sur la croix; il dit : « Jai soif » ; ceux qui lenvironnaient trempèrent une éponge dans le vinaigre, lattachèrent à un roseau, et lapprochèrent de ses lèvres : lorsquil en eut goûté, il sécria « Cest fini ». Quest-ce à dire : « Cest fini? » Jai accompli tout ce que les Prophètes avaient annoncé comme devant avoir lieu avant ma mort. Il avait le pouvoir de quitter son âme quand il le voudrait; aussi, après avoir rapporté ces paroles de Jésus-Christ « Cest fini », que dit lEvangéliste? « Et ayant baissé la tête, il rendit lesprit (1)». Cest là quitter son âme. Que votre charité veuille faire attention à ce passage : « Ayant baissé la tête, il rendit lesprit ». Qui est-ce qui rendit lesprit ? quel esprit fut rendu ? Il rendit lesprit : ce fut le corps qui le rendit. Quest-ce à dire : Le corps rendit lesprit? Le corps le chassa hors de lui, il lexpira; car le mot expirer veut dire : mettre son esprit hors du corps. Comme le mot exiler signifie mettre un homme dehors et le forcer à rester seul ; comme exorbiter signifie : exclure de lorbite; ainsi, expirer veut dire chasser lesprit; cet esprit, cest lâme. Au moment donc où lâme sort du corps, et que le corps se trouve être sans âme, alors, daprès la manière habituelle de parler, lhomme quitte son âme. A quel instant le Christ a-t-il quitté son âme? Quand le Verbe y a consenti. Lautorité suprême se trouvait dans le Verbe : à lui appartenait de désigner lheure où il quitterait son âme, et lheure où il la reprendrait. 12. Puisque cest le corps qui quitte lâme, comment le Christ a-t-il quitté la sienne ? Le Christ nétait-il pas corps? Oui, il létait; car il était corps, âme et Verbe tout ensemble; et le corps, lâme, le Verbe, ne formaient pas trois Christs, mais un seul Christ. Examine lhomme, fais de toi-même comme un gradin pour télever jusquà ce qui est au-dessus de toi, sinon pour le comprendre, du moins pour le croire. De même que lâme et le corps ne forment quun seul homme, ainsi le Verbe et lhomme ne forment quun seul Christ. Remarquez ce que jai dit, et comprenez-moi. Lâme et le corps sont deux choses bien distinctes, et, pourtant, leur réunion ne fait quun seul homme. A leur tour, le Verbe et lhomme sont bien différents lun de lautre ;
1. Jean, XIX, 18-30.
néanmoins, ils ne font ensemble quun seul Christ. Prenons un homme pour exemple. Où se trouve maintenant lapôtre Paul? Celui qui me répond : Il repose dans le Christ, dit vrai; et celui qui me répond : Il est à Rome, dans un tombeau, ne se trompe pas: celui-là me parle de son âme, celui-ci de son corps. Toutefois, nous ne prétendons pas quil y ait deux apôtres Paul, dont lun repose dans le Christ et lautre dans le sépulcre; et, pourtant, nous disons que lapôtre Paul vit dans le Christ, et que le même apôtre Paul est étendu mort dans un tombeau. Que quelquun vienne à mourir, nous disons : Cétait un homme bon, un homme exact à ses devoirs; il est, avec le Christ, dans le séjour de la paix; et presque en même temps nous ajoutons : Allons à son convoi, et mettons-le en terre. Tu vas enterrer celui que tu avais dabord affirmé se trouver dans la paix avec Dieu : bien que son âme, qui vit pour les siècles, soit toute différente du corps, que la corruption dévore dans le sépulcre. Mais de ce que la réunion du corps et de lâme porte le nom dhomme, lune et lautre de ces parties appartiennent même séparément à la personnalité de lhomme, et porte son nom. 13. Aucun ne doit donc chanceler en entendant ces paroles sortir de la bouche du Sauveur : « Je quitte mon âme, et je la reprends ». Cest son corps qui la quitte par un effet de la puissance du Verbe; et il la reprend, toujours en vertu de la même puissance. Le corps même seul du Sauveur a reçu et porte le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Comment le prouves-tu, me dit quelquun? Oui, jose le dire, le corps même seul du Sauveur porte le nom du Christ. Nous croyons avec certitude, non-seulement en Dieu le Père, mais aussi en son Fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ ; en disant: son Fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ, jai parlé de sa personne tout entière. Comprends le bien, il est question de lui dans son entier, cest-à-dire comme Verbe, comme âme et comme corps. Il est évident que la confession embrasse toutes les vérités reconnues par la foi catholique; tu crois en ce Christ qui a été crucifié et enseveli. Par conséquent, tu ne nies pas que le Christ ait été enseveli, et, pourtant, son corps seul a été mis dans un sépulcre. Si son âme sy était trouvée enfermée, il naurait pu dire quil était mort, et [653] puisque sa mort était réelle, et elle devait lêtre pour que sa résurrection le fût aussi, il était donc enfermé dans le tombeau sans son âme, et pourtant le Christ a été enseveli. Donc son corps, même séparé de son âme, qui ne fut pas même ensevelie avec lui, portait le nom de Christ. Jen trouve une nouvelle preuve dans les paroles suivantes de lApôtre : « Soyez dans les mêmes dispositions que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui qui, étant Dieu, na pas cru que ce fût pour lui une usurpation de ségaler à Dieu». Nest-il pas ici question de Jésus-Christ, en tant que Verbe, Dieu en Dieu? Ecoute ce qui suit. « Mais il sest humilié lui-même en prenant la forme desclave, en se rendant semblable à un homme, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ». Et tout cela, qui est-ce qui la fait, si ce nest le même Jésus-Christ? Ici, nous trouvons tout ce qui concerne et le Verbe dans la forme de Dieu, qui sest revêtu de la forme desclave, et lâme et le corps dans la forme desclave, dont sest revêtue la forme de Dieu. « Il sest a humilié lui-même, en se faisant obéissant jusquà la mort (1) ». Au moment de sa mort, son corps seul a été attaché à la croix par les Juifs; car sil a dit à ses disciples : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer lâme (2) », les Juifs ont-ils pu faire plus que tuer son corps? Pourtant le Christ a été mis à mort, parce que son corps a été tué. Ainsi, lorsque son corps a quitté son âme, le Christ la quittée, et quand, pour ressusciter son corps, il la reprise, il la reprise lui-même. Cela ne sest pas fait en
1. Philipp. II, 6-8. 2. Matth. X, 28.
raison de la puissance du corps, mais en vertu du pouvoir de celui qui sétait revêtu de ce corps et de cette âme pour accomplir toutes ces choses. 14. Et le Sauveur dit : « Jai reçu ce commandement de mon Père ». Le Verbe na point reçu verbalement ce commandement; mais tout précepte se trouve dans le Verbe unique du Père. Puisquon dit que le Fils reçoit du Père ce quil possède en vertu de sa substance divine, comment le Sauveur a-t-il pu dire : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils davoir la vie en lui-même (1) ? » Dès lors que le Fils lui-même est la vie, ces paroles namoindrissent aucunement sa puissance, tuais elles prouvent sa génération divine. En effet, le Père na point agi comme sil ajoutait quelque chose à sa substance pour lui donner un degré de perfection qui lui manquerait. Mais comme il la engendré avec toutes les perfections, il lui a tout donné en lengendrant. Ainsi la-t-il engendré son égal, parce qualors il ne la point établi dans un état dinfériorité. Toutefois, au moment où le Sauveur parlait, et parce que la lumière luisait dans les ténèbres, et que les ténèbres ne la comprenaient point (2) , « une nouvelle dispute séleva entre les Juifs à cause de ces paroles, et plusieurs dentre eux disaient: Il est possédé du démon, il est fou, pourquoi lécoutez-vous? » Voilà une preuve que les ténèbres les plus épaisses régnaient en eux. « Les autres disaient : Ces paroles ne sont point dun démoniaque, le démon peut-il a ouvrir les yeux dun aveugle? »
1. Jean, V, 26. 2. Id. I, 5.
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