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SOIXANTE-DEUXIÈME TRAITÉ.DEPUIS LE PASSAGE OU IL EST ÉCRIT : « ET AYANT TREMPÉ DU PAIN, IL LE DONNA À JUDAS », JUSQUÀ CET AUTRE : « MAINTENANT LE FILS DE LHOMME A ÉTÉ GLORIFIÉ ». (Ch. XIII, 26-34.)JUDAS POSSÉDÉ DU DÉMON.
Suivant quon y apporte de bonnes dispositions ou de mauvaises, ce quon reçoit produit le bien ou le mal : aussi, à peine Judas eut-il reçu, de la main du Sauveur, le pain trempé, que Satan sempara définitivement de lui, et que, sur une parole de Jésus, il sortit du cénacle pour aller le livrer à ses ennemis.
1. Je le sais, mes très-chers, plusieurs seront émus, les bons pour sy éclairer, les impies pour sen moquer, de ce que Notre-Seigneur ayant donné du pain trempé à celui qui devait le trahir, Satan entra aussitôt en lui. En effet, il est écrit: « Et quand il eut trempé du pain, il le donna à Judas, fils de Simon Iscariote, et après quil eut pris ce morceau de pain, Satan entra en lui». Or, diront les uns et les autres, le pain de Jésus-Christ venant de sa table et donné à Judas, pouvait-il produire cet effet, quaussitôt après quil fut pris, Satan entra dans le coeur de ce disciple ? A cela nous répondons: Voilà une leçon bien capable de nous apprendre avec quel soin nous devons éviter de recevoir les bonnes choses dans des dispositions mauvaises. Car il importe beaucoup de savoir, non ce quest la chose quon reçoit, mais ce quest celui qui la reçoit; non pas quelle est la chose donnée, [710] mais quel est celui à qui elle est donnée; car les bonnes choses nuisent, et les mauvaises sont utiles, selon les dispositions de ceux à qui elles sont données, « Cest le péché », dit lApôtre, « qui pour faire paraître sa corruption, ma donné la mort par une chose qui était bonne (1) ». Voilà un mal produit par un bien, parce que ce bien est reçu avec des dispositions mauvaises. Le même apôtre dit encore : « De peur que la grandeur de mes révélations ; ne me donne de lorgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan, pour me donner comme des soufflets. Cest pourquoi jai prié trois fois le Seigneur de léloigner de moi, et il ma dit : Ma grâce te suffit, car la force se « perfectionne dans la faiblesse (2) ». Voilà un mal qui produit un bien, parce que le mal est reçu avec de bonnes dispositions. Pourquoi nous étonner si le pain de Jésus-Christ, donné à Judas, a livré ce dernier au diable; quand, dun autre côté, nous voyons lange du diable donné à saint Paul, servir à le perfectionner en Jésus-Christ? Ainsi, le bien devient nuisible au méchant, et le mal profite au bon. Rappelez-vous pourquoi il a été écrit : « Quiconque aura mangé le pain ou bu le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur (3) ». Quand il écrivait ces mots, lApôtre voulait parler de ceux qui recevaient le corps du Seigneur comme toute autre nourriture, avec négligence et sans discernement. Si donc lApôtre blâme celui qui napprécie pas le corps du Seigneur, cest-à-dire quine le distingue pas des autres aliments, quelle condamnation mérite celui qui, en feignant dêtre son ami, sapproche en ennemi de sa table? Si le blâme atteint la négligence de celui qui prend part au festin, de quel châtiment sera frappé celui qui vend son hôte? Mais que signifiait ce pain donné au traître? Il était la marque de la grâce, à laquelle Judas répondait par lingratitude. 2. Quand ce traître eut pris le pain, Satan entra en lui, afin de posséder en entier celui qui sétait déjà livré à lui, et en qui il était déjà entré pour le tromper. Car, on ne peut en douter, le démon était en lui quand il alla trouver les Juifs, et quil convint du prix pour lequel il livrerait le Seigneur. Lévangéliste Luc le témoigne ouvertement par ces
1. Rom. VII, 13. 2. II Cor. XII, 7-9. 3. II Cor. XI, 27.
paroles : « Satan entra en Judas, qui était surnommé Iscariote, lun des douze, et il sen alla, et il parla aux Princes des prêtres (1) ». Par là il paraît bien que Satan était entré dans Judas. Il y était donc dabord entré, en faisant naître dans son coeur la pensée de livrer Jésus, et Judas était dans cette disposition quand il vint pour faire la cène. Après quil eut pris le morceau de pain, Satan entra en lui, non comme chez un étranger, pour le tenter, mais pour se mettre en possession de lui comme de son bien propre. 3. Toutefois il ne faut pas croire, comme font quelques-uns qui lisent avec trop peu dattention, que Judas reçut à ce moment le corps de Jésus-Christ. Il faut comprendre que déjà Notre-Seigneur avait distribué le sacre. ment de son corps et de son sang à tous ses Apôtres, et que Judas était avec eux (2). Ainsi le rapporte très-clairement Luc, et ensuite on en vint à ce que Jean raconte. Le Seigneur trempa un morceau de pain, et, en le donnant à Judas, il fit connaître celui qui devait le trahir; peut-être, par ce pain ainsi trempé, voulait-il en montrer la fourberie? Car tout ce quon trempe, on ne le lave pas, et parfois il suffit de tremper un objet pour lui faire perdre son éclat. Si cette action, qui consistait à tremper ce pain. signifiait quelque chose de bon, Judas lut avec justice puni de son ingratitude pour ce nouveau bienfait. 4. Cependant, si Judas était possédé non du Seigneur, mais du diable, depuis que le morceau de pain entra dans son corps et lennemi dans son âme, il était encore libre de faire et de ne pas faire le grand mal quil avait conçu dans son coeur,et dont il avait formé le damnable dessein. Cest pourquoi, lorsque Notre-Seigneur, le pain vivant, eut donné du pain à ce mort, et fait connaître par là celui qui devait livrer le pain véritable, il lui dit : « Ce que tu fais, fais-le au plus tôt». Non pas quil lui fît un commandement de son crime, mais il pré. dit à Judas son mal, et à nous notre bien. Car pouvait-il y avoir rien de plus funeste pour Judas et de plus utile pour nous que la tradition de Jésus livré à ses ennemis, de Jésus livré par le traître pour sa propre condamnation, livré pour nous, Judas excepté? « Ce que tu fais, fais-le au plus tôt ». O parole dun homme impatient dendurer les souffrances
1. Luc, XXII, 3, 4. 2. Ibid. 19-21.
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quil a acceptées ! ô parole qui ne demande pas le châtiment du traître, mais qui montre le prix de la rédemption ! Il dit : « Ce que tu fais, fais-le promptement », non pour en arriver plus vite à punir le perfide, mais pour hâter le salut des fidèles. Car il a été livré à cause de nos péchés (1); il a aimé lEglise et sest livré lui-même pour elle (2). Ce qui a fait dire à lApôtre, en parlant de lui-même : « Il ma aimé et sest livré lui-même pour moi (3) ». Si donc Jésus-Christ ne sétait livré lui-même, personne naurait pu le livrer. Que revient-il à Judas, sinon son péché? Car, en livrant Jésus-Christ, il ne pensait pas à notre salut, pour lequel Jésus-Christ se livrait lui-même; il ne songeait quau gain de son argent, et il a trouvé la perte de son âme. Il a reçu la récompense quil avait désirée; mais sans lavoir désiré, il a reçu aussi le châtiment quil méritait. Judas a livré Jésus-Christ, et Jésus-Christ sest livré lui-même. Le premier ne travaillait quà laffaire de son marché, Jésus travaillait à notre rachat: « Ce que tu fais, fais-le au plus tôt » ; non parce que tu le peux, mais parce que celui qui peut tout, le désire. 5. « Or, aucun de ceux qui étaient à table ne savait pourquoi il lui dit cela ; et comme Judas avait la bourse, quelques-uns pensaient que Jésus lui disait : « Achète ce qui nous est nécessaire, pour le jour de la fête, ou donne quelque chose aux pauvres ». Le Seigneur avait donc une bourse, et il conservait ce que lui offraient
1. Rom, IV, 25. 2. Ephés. V, 25. 3. Galat. II, 20.
les fidèles, pour subvenir aux besoins de ceux qui le suivaient et des autres indigents. Ce sont les premiers vestiges des biens ecclésiastiques; et par là nous devons comprendre quen recommandant de ne pas sinquiéter du lendemain (1), Notre-Seigneur a voulu non pas défendre à ses fidèles de se réserver de largent, mais seulement leur apprendre à ne pas le servir par amour de largent, et à ne pas abandonner la justice par la crainte den manquer. LApôtre usait de cette prévoyance permise, car il disait : « Si quelque fidèle a des veuves, quil leur donne ce qui leur est nécessaire, afin que lEglise nen soit pas grevée, et quelle puisse suffire à celles qui sont vraiment veuves (2) ». 6. « Judas ayant donc reçu ce morceau de pain, sortit aussitôt, et il était nuit ». Et celui qui sortit était lui-même la nuit. « Lors donc que fut sorti celui qui était la nuit, Jésus dit : Maintenant, le Fils de lhomme a été glorifié». Le jour, alors adressa la parole au jour, cest-à-dire Jésus-Christ parla à ses disciples, afin quils lécoutassent et le suivissent avec amour. Et la nuit apprit à la nuit à le connaître (3), cest-à-dire Judas parla aux Juifs infidèles, afin quils vinssent à lui et le poursuivissent pour sen saisir. Mais le discours que le Seigneur adressa à ses fidèles, avant dêtre pris par ces impies, demande un auditeur plus attentif; cest pourquoi il vaut mieux en renvoyer à une autre fois lexplication que le traiter précipitamment.
1. Matth. VI, 34. 2. I Tim. V, 16. 3. Ps. XVIII, 3.
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