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CINQUIÈME TRAITÉ.LA COLOMBE.ENCORE SUR CES PAROLES « JE NE LE CONNAISSAIS PAS, ETC. », OU IL EST MARQUÉ CE QUE JEAN A APPRIS DE NOUVEAU TOUCHANT NOTRE SEIGNEUR ET QUI LUI A ÉTÉ ENSEIGNÉ PAR LA COLOMBE. (Chap. I, 33.)LE BAPTÊME DU CHRIST.
Saint Jean était véridique, puisquil s été envoyé par la Vérité même: comment donc, au moment de baptiser le Christ, a-t-il pu dite quil devait être lui-même baptisé par le Christ, tandis quun peu plus loin il ajoute : « Je ne le connaissais pas? » Jean baptisait, mais en son propre nom : bien différent est le baptême du Christ; ceux qui le donnent, le donnent en son nom seul; car sil a commandé à ses Apôtres dadministrer le baptême, il sest réservé le pouvoir de le rendre efficace. Jean savait que le Christ était le Seigneur, mais il ignorait que le baptême du Christ ne porterait pas dautre nom et naurait de vertu que par lui. Les Donatistes lignorent aussi ou feignent de lignorer, puisquils réitèrent le baptême conféré par les hérétiques, concluant des défauts du ministre à son invalidité. La colombe a instruit Jean du contraire; en cela consiste notre foi et notre tranquillité, et sil a fallu réitérer le baptême de Jean, parce quil était celui de Jean, nous savons quil ne faut point réitérer celui du Christ, quels quen soient les ministres, parce quil tire de lui seul toute son efficacité.
1. Puisquil a plu à Notre-Seigneur de nous amener au jour marqué pour laccomplissement de ma promesse, il flous accordera sans doute aussi sa grâce, pour que nous puissions nous acquitter de notre dettes Tout ce que nous vous disons nest utile ni à vous, ni à nous, quautant quil vient de lui; car ce qui vient de lhomme, nest que mensonge, suivant celte parole de Jésus-Christ Notre-Seigneur : « Celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien ». Personne, en effet, na du sien que mensonge et péché. Mais ce que lhomme a de vérité et de justice, il le puise à celte source où nous devons chercher à nous désaltérer dans le désert de cette vie, [346] afin dy puiser au moins quelques gouttes qui nous rafraîchissent et nous consolent pendant notre pèlerinage, qui nous empêchent de tomber en défaillance dans le chemin et nous conduisent finalement au repos et à la satiété dont il est le principe. «Si donc celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien», celui qui dit la vérité parle daprès Dieu. Jean disait la vérité, et le Christ, cest la Vérité même; Jean disait la vérité, mais tout homme qui dit la vérité reçoit de la Vérité même, le don de la dire; si Jean dit la vérité et si lhomme ne peut la dire quautant que la Vérité elle-même lui en donne le pouvoir, de qui Jean tenait-il donc le pouvoir de dire la vérité, sinon de celui qui a dit : « Je suis la Vérité (1)? » La Vérité ne peut donc pas plus démentir celui qui parle daprès elle, que celui qui parle daprès la Vérité ne peut la démentir à son tour. La Vérité avait envoyé celui qui disait vrai, et il ne disait vrai que parce que la Vérité lavait envoyé. Si la Vérité avait envoyé Jean, cétait de Jésus-Christ quil tenait sa mission. Mais ce que le Christ fait avec son Père, son Père le fait, et ce que le Père fait avec le Christ, le Christ le fait à son tour. Le Père ne fait rien séparément du Fils, comme le Fils ne fait rien séparément du Père; en eux la charité, lunité, la majesté, la puissance sont inséparables, suivant ces paroles formelles de Jésus-Christ lui-même « Mon Père et moi sommes une même chose (2)». Qui donc a envoyé Jean ? Si nous disons que cest le Père, nous disons vrai ; si nous disons que cest le Fils, nous disons vrai encore; mais pour parler plus juste, il faudrait dire que cest le Père et le Fils. Mais celui qui a été ainsi envoyé par le Père et le Fils, cest un seul et même Dieu qui la envoyé, parce que le Fils a dit: « Mon Père et moi, nous sommes une seule nature ». Comment donc Jean ne connaissait-il pas celui qui lavait envoyé ? Il laffirme pourtant: « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, lui-même ma dit ». Jadresse à Jean cette question : que vous a dit celui qui vous a envoyé pour baptiser dam leau? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit». Jean, est-ce bien là ce que vous a dit celui qui vous a envoyé? Oui, cest
1. Jean, XIV, 6. 2. Jean, X, 30.
cela. Qui donc vous a envoyé? Serait-ce le Père? Dieu le Père est la Vérité, comme aussi Dieu le Fils : si le Père vous a envoyé sans le concours du Fils, Dieu vous a envoyé sans le concours de la Vérité ; mais si vous êtes véridique, parce que vous dites la vérité, et que vous parlez daprès la Vérité; le Père ne vous a pas envoyé indépendamment de son Fils, mais le Père et le Fi!s vous ont envoyé par ensemble. Si donc le Fils vous a envoyé daccord avec le Père, comment ne connaissez-vous pas celui par qui vous avez été envoyé? Celui que vous aviez vu dans la vérité, vous a envoyé, afin que vous le fissiez connaître dans sa chair, et il vous a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». 2. Ce que Jean a entendu lui a-t-il été dit pour lui faire connaître celui quil ne connaissait pas encore ou pour lui faire connaître plus pleinement celui que déjà il a appris à connaître? Car sil ne lavait pas connu, du moins en partie, il ne lui aurait point dit, au moment où il venait vers le Jourdain pour recevoir le baptême : « Cest à moi dêtre baptisé par vous, et vous venez à moi (1)!» Il le connaissait donc déjà. Quand, en effet, la colombe est-elle descendue du ciel ? Après le baptême de Jésus-Christ et sa sortie de leau. Puisque celui qui a envoyé Jean lui a dit: « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui qui baptise dans le Saint-Esprit »; puisque dailleurs Jean ne le connaissait pas alors et ne la connu quà la descente de la colombe; puisque la colombe est descendue seulement après que Jésus-Christ fut sorti de leau du fleuve; puisquenfin Jean le connaissait déjà au moment où le Sauveur vint à lui pour recevoir le baptême, il est évident pour nous quen un sens, Jean connaissait Notre-Seigneur, et quen un autre sens il ne le connaissait pas encore. A moins de comprendre ainsi les choses, nous devrions considérer Jean comme un menteur. Comment donc a-t-il pu dire en toute vérité, et par suite de la connaissance quil en avait déjà: « Vous venez à moi pour être baptisé, cest à moi dêtre baptisé par vous ? » A-t-il dit vrai en parlant de la sorte? Dun autre côté encore, comment a-t-il parlé selon la vérité,
1. Matth, III, 14
347
quand il a dit : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, cest le même qui ma dit : «Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe a donc fait connaître le Christ à Jean, non comme à un bomme qui ne le connaissait pas du tout, mais comme à un homme qui le connaissait sous certains rapports, sans le connaître sous dautres. Cest donc à nous de chercher ce que Jean ne connaissait pas en Notre-Seigneur et ce que la colombe lui on a appris. 3. Pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de baptiser ? Je me souviens davoir déjà répondu de mon mieux à cette question, en présence de votre charité. Si le baptême de Jean était nécessaire à notre salut, aujourdhui encore on devrait le donner. Car aujourdhui encore les hommes parviennent au salut, ils y parviennent même en plus grand nombre: autre nétait pas alors le salut,autre il nest pas aujourdhui. Si Jésus-Christ a changé, notre salut a changé aussi; mais si notre salut se trouve en Jésus-Christ et si Jésus-Christ est le même, notre salut aussi est le même. Cela étant, pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de donner le baptême? Parce quil fallait que Jésus-Christ fût baptisé; mais pourquoi fallait-il que Jésus-Christ fût baptisé? Pourquoi fallait-il quil vînt au monde ? Pourquoi fallait-il quil fût crucifié? Car puisque cétait pour nous montrer la voie de lhumilité quil était venu en ce monde, et puisquil devait lui-même devenir celte voie, il fallait quen toutes choses il pratiquât lhumilité. Par là il a daigné relever à nos yeux la valeur de son propre baptême et apprendre à ses serviteurs avec quel joyeux empressement ils devaient courir au baptême du maître, puisque le maître navait pas dédaigné le baptême de son serviteur. Tel a été le privilège de Jean, que le baptême quil donnait portait son nom. 4. Que votre charité remarque attentivement ceci; quelle ne fasse point confusion; quelle me comprenne bien. Le baptême que Jean a reçu la mission de donner a été appelé de son nom. Jean a été le seul à recevoir un pareil privilège. Ni avant lui, ni après lui, aucun juste na reçu le pouvoir de conférer un baptême qui fût appelé de son nom. Jean a reçu le pouvoir de baptiser, car de lui-même il nétait capable de rien; tout homme, en effet, qui parle de lui-même, ne peut de lui-même que dire des mensonges. Et de qui a- t-il reçu ce pouvoir, sinon de Notre-Seigneur Jésus-Christ? Celui de qui il a reçu le pouvoir de baptiser, cest celui quil devait baptiser ensuite; ne vous étonnez pas; car Jésus-Christ a agi à légard de Jean, commue il a agi à légard de sa mère. En effet il est dit du Christ: « Toutes choses ont été faites par lui (1) ». Si le Christ a fait toutes choses, il a donc aussi fait Marie qui, Plus tard, la mis au monde. Que votre charité soit attentive. De même que Jésus-Christ a formé Marie et a été ensuite formé par elle; ainsi il a donné à Jean le pouvoir de baptiser et a été baptisé par lui. 5. Voilà donc pourquoi il a reçu le baptême de Jean, cétait afin que, recevant de son inférieur ce qui était au-dessous de lui, il encourageât les inférieurs à recevoir ce qui était au-dessus deux. Mais pourquoi na-t-il pas été le seul baptisé par Jean, si la mission de Jean consistait à le baptiser et à préparer la voie au Seigneur, cest-à-dire à Jésus-Christ? Nous en avons déjà donné la raison, mais nous y revenons parce que la question présente lexige. Si Notre-Seigneur Jésus-Christ seul avait été baptisé par Jean, retenez bien nos paroles, que le monde ne soit pas assez puissant pour effacer de vos coeurs ce que lEsprit de Dieu y a mis; que les épines des sollicitudes mondaines ne prévalent pas au point détouffer en vous la bonne semence que nous y jetons, car pourquoi sommes-nous forcés de répéter plusieurs fois les mêmes choses, si ce nest parce que nous ne sommes pas assez sûrs de la fidélité de votre mémoire? Si donc Notre-Seigneur seul avait reçu le baptême de Jean, plusieurs se seraient rencontrés, qui auraient regardé le baptême de Jean comme supérieur et préférable à celui du Christ; car ils auraient dit : Ce baptême lemporte à tel point sur lautre, que le Sauveur a seul mérité de le recevoir. Aussi, pour nous donner un exemple dhumilité et nous procurer le salut auquel nous ne pouvions parvenir que par le baptême, il a reçu celui dont il navait nul besoin pour lui-même, mais qui lui était nécessaire à cause de nous: il a voulu aussi empêcher les hommes
1. Jean, I, 3.
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de préférer au sien propre le baptême quil avait reçu de Jean, et pour cela il a permis que son précurseur en baptisât dautres que lui. Mais à ceux-là le baptême de Jean na pas suffi; aussi ont-ils été baptisés du baptême du Christ, parce quen effet le baptême de Jean nétait pas le baptême du Christ. Ceux qui reçoivent le baptême du Christ ne cherchent pas à recevoir celui de Jean ; mais ceux qui ont reçu le baptême de Jean ont cherché à recevoir celui du Christ. Ainsi le baptême de Jean na suffi quau Christ. Et comment ne lui aurait-il pas suffi, puisquil ne lui était pas même nécessaire? Le Sauveur nen avait nul besoin, mais sil a reçu le baptême de son serviteur, ça été pour nous encourager à recevoir le sien. Et afin que le baptême du serviteur ne fût point préféré à celui du maître, plusieurs autres ont reçu le baptême dun homme qui était serviteur de Dieu comme eux. Mais il leur était indispensable de recevoir aussi le baptême du maître, tandis que le baptême du maître dispensait de recevoir celui du serviteur. 6. Jean avait donc reçu le pouvoir de donner le baptême qui sappelait proprement te baptême de Jean. Mais le Christ na voulu donner à personne la propriété du sien, non pas quil fût dans son intention de dispenser nimporte qui de lobligation de le recevoir, mais parce quil voulait ne pas cesser de le conférer lui-même : de là il est résulté que le Sauveur en personne donne le baptême, même quand il le donne par lintermédiaire de ses ministres; en dautres termes, lorsque les ministres de Jésus-Christ baptisent, cest lui qui baptise et non pas eux. Car, autre chose est de baptiser comme représentant dune tierce personne, autre chose est de baptiser en son nom propre. Le baptême, en effet, ressemble à celui par le pouvoir de qui il se donne, et non à celui qui ladministre. Ainsi tel était Jean, tel était son baptême; ce baptême était saint, parce que cétait celui dun saint. Malgré sa sainteté, Jean nétait quun homme; mais il avait reçu de Notre-Seigneur la grâce extraordinaire dêtre digne de précéder le Juge, de le montrer du doigt et daccomplir cette parole de sa propre prophétie: «Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : préparez la voie au Seigneur ». Au contraire, tel était
1. Isa. XL, 3.
Jésus-Christ, tel était aussi son baptême; le baptême de Jésus-Christ était donc divin, puisque Jésus Christ était Dieu. 7. A la vérité, Notre-Seigneur Jésus-Christ aurait pu, sil lavait voulu, accorder à quelquun de ses serviteurs le pouvoir de conférer le baptême en son propre nom; il était le maître de renoncer à la propriété de son baptême, den disposer en faveur de quelquun de ses ministres et de communiquer à ce baptême, ainsi donné en propre à dautres, la même vertu que sil ladministrait lui-même; mais il ne la pas fait parce quil voulait que les baptisés missent leur espoir en celui dont ils reconnaîtraient avoir reçu le baptême: il na pas prétendu que le serviteur mettrait son espérance dans le serviteur. Aussi, quand lApôtre voyait des hommes placer en lui leur espérance, leur disait-il hautement : « Paul a-t-il été crucifié pour vous? ou avez-vous été baptisés au nom de Paul (1) ?» Paul a baptisé comme ministre, mais non comme ayant de lui-même le pouvoir de le faire ; tandis que Jésus-Christ a baptisé en vertu de sa propre puissance. Remarquez-le bien. Le Sauveur aurait pu donner à ses serviteurs le pouvoir de baptiser en leur propre nom : il ne la pas voulu. Sil leur eût donné un tel pouvoir, cest-à-dire, si le baptême de Notre-Seigneur était devenu,le leur, il y aurait eu autant de baptêmes que de ministres, et ainsi, comme on disait : le baptême de Jean, on aurait pu dire: le baptême de Pierre, le baptême de Paul, le baptême de Jacques, le baptême de Thomas, de Matthieu, de Barthélemy. Car le baptême de Jean porte son nom. Mais peut-être quelquun refuse de le croire et dit : Prouvez-nous que le baptême donné par Jean a été appelé son baptême? Je le prouverai par le témoignage de la Vérité même. Interrogée par les Juifs, elle a dit: « Le baptême de Jean, doù est-il? du ciel ou des hommes (2)?» Afin quon ne pût compter autant de baptêmes quil y aurait de ministres pour baptiser en vertu du pouvoir conféré par Notre Seigneur, Jésus-Christ a gardé pour lui le pouvoir de baptiser, et il nen a donné que la charge à ses serviteurs. Le serviteur dit quil baptise et il dit bien; lApôtre le dit aussi : « Pour moi, jai encore baptisé ceux de la famille de Stephanas (3) » , mais cest comme ministre. De
1. I Cor. I, 13. 2. Matth. XXI, 25. 3. I Cor. I, 16.
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cette façon, un méchant peut devenir le ministre du baptême; les hommes peuvent ne pas connaître son indignité, mais Dieu ne lignore pas; et il permet que ce ministre confère le baptême dont il garde pour lui-même le pouvoir. 8.Or, voilà ce que Jean ne connaissait pas à Notre-Seigneur. Que Jésus-Christ fût te Seigneur, il le savait bien; quil dût baptiser Jésus Christ, il le savait encore, et il confesse que le Sauveur dit la Vérité et que lui, homme véridique, avait été envoyé par la Vérité; et il savait tout cela. Que ne savait-il donc pas relativement à Notre-Seigneur ? Cest que Jésus-Christ conserverait par devers lui la propriété de son baptême, sans la transmettre ni la conférer à aucun de ses ministres: de cette manière que le ministre du baptême fût digne ou indigne dadministrer ce sacrement, le baptisé ne devait reconnaître, comme lauteur de sa régénération, que celui qui avait conservé pour lui le pouvoir de baptiser. Sachez-le bien, mes frères, voilà ce que Jean ignorait par rapport à Jésus-Christ. Voilà ce que lui a appris la colombe. Ainsi donc Jean connaissait le Sauveur; mais ce quil ignorait, cest que Jésus-Christ dût se réserver pour lui-même et en propre le pouvoir de baptiser et ne le communiquer à aucun de ses ministres. Telle est la raison de ces paroles : « Pour moi, je ne le connaissais pas ». Si vous voulez être assurés quil a reçu en ce moment la connaissance de cette vérité, écoutez attentivement ce qui suit : « Mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, ma dit : Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe, cest lui-même ». Que signifie : cest lui? Le Seigneur. Mais il avait déjà appris à connaître le Seigneur. Supposez donc que jusquici Jean a dit : « Celui qui ma envoyé baptiser dans leau, ma dit ». Que lui a-t-il dit? Le voici : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe ». Nallons pas plus loin, cependant soyez attentifs. « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest lui ». Que signifient ces mots : « cest lui? » Qua voulu menseigner par la colombe celui qui ma envoyé? Quil était le Seigneur? Je connaissais déjà celui qui ma envoyé; je connaissais déjà celui à qui jai dit : « Vous venez à moi pour être baptisé, cest à moi dêtre baptisé par vous»; je savais si bien sa qualité de Seigneur, que jaurais mieux aimé être baptisé par lui que le baptiser moi-même. Cest alors quil ma dit : « Laisse faire maintenant, il faut que toute justice saccomplisse (1)». Je suis venu pour souffrir et je ne serais pas venu pour être baptisé? « Que toute justice saccomplisse », ma dit mon Dieu, que toute justice saccomplisse, que jenseigne lhumilité dans sa perfection. Je sais quil se rencontrera des orgueilleux dans mon futur peuple, je sais quil se trouvera des hommes ornés de certains dons particuliers de la grâce. Quand ces hommes verront les simples recevoir le baptême, comme ils croiront valoir mieux, soit à cause de leur continence, soit en raison de leurs aumônes eu de leur science, ils dédaigneront peut-être de recevoir ce quauront reçu leurs inférieurs. Il me faut les guérir et les empêcher de séloigner avec dédain du baptême de leur maître, puisque je serai venu au baptême de mon serviteur. 9. Voilà donc ce que Jean savait déjà, et il connaissait le Seigneur. Que lui a donc appris la colombe? Qua voulu lui apprendre pas la colombe, cest-à-dire par le Saint-Esprit venant sous sa figure, celui qui a envoyé Jean et qui lui a dit: « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest lui-même ». Que signifient ces mots, « cest lui-même? » Le Seigneur. Je le savais déjà. Mais savez-vous que ce Seigneur qui avait le pouvoir de baptiser, ne le donnerait à aucun de ses serviteurs et le garderait pour lui seul, en sorte que tout homme baptisé par le ministère dun serviteur ne pût attribuer la grâce de son baptême à ce serviteur, mais uniquement au maître? Est-ce là ce que vous saviez? Non, je ne le savais pas encore. Aussi, que ma-t-il dit? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest lui-même qui baptise dans le Saint-Esprit». Il ne ma pas dit: Cest le Seigneur; il ne ma pas, dit: Cest le Christ; il ne ma pas dit: Cest Dieu; il ne ma pas dit: Cest Jésus ; il ne ma pas dit: Cest Celui qui est né de la Vierge Marie, qui est venu après toi et qui est avant toi; il ne ma pas dit cela, car déjà je le savais. Quest-ce donc que Jean
1. Matth. III, 14, 15.
ne connaissait pas? Ce pouvoir unique de donner le baptême que le Seigneur posséderait et se réserverait pour lui seul, pouvoir qui serait son apanage, soit pendant sa vie mortelle, soit quand, après son ascension dans les cieux, il ne cesserait dexercer sur la terre sa puissance; pouvoir en vertu duquel ni Pierre, ni Paul ne pourraient dire: Mon baptême. Aussi remarquez la manière dont se sont exprimés les Apôtres : faites-y bien attention; aucun deux na dit: mon baptême. Bien que le même Evangile fût commun à tous, il sen est trouvé pour dire: mon Evangile; tu nen trouveras aucun qui ait dit: mon baptême. 10. Voilà, mes frères ce que Jean a appris. Mais ce quil a aussi appris par la colombe, apprenons-le à notre tour. Car la colombe na pas instruit Jean, sans vouloir instruire aussi lEglise, cette Eglise à laquelle il a été dit: « Une est ma colombe (1)». Que la colombe instruise donc la colombe. Que la colombe apprenne à connaître ce que Jean a appris de la colombe. Cest le Saint-Esprit qui est descendu en forme de colombe. Mais ce que Jean a ainsi appris, pour qui a-t-il dû lapprendre de la colombe ? Assurément cette science lui était nécessaire, mais peut-être était-il aussi indispensable quil la reçût de la colombe? Que dirai-je de la colombe, mes frères? Mon coeur et ma langue me permettront ils den dire ce que je voudrais et comme je le voudrais? Ce que je veux en dire est peut-être au-dessous de ses mérites, si tant est , néanmoins , que je puisse seulement mexprimer comme je le désirerais, à plus forte raison, comme il le faudrait. Aussi aimerai-je mieux entendre sur ce sujet un plus savant, que vous en parler moi-même. 11. Jean apprend donc à connaître celui quil connaissait déjà; mais il apprend à le connaître sous un rapport sous lequel il ne le connaissait pas encore, et non à un point de vue où il le connaissait déjà. Que connaissait-il déjà? Le Seigneur. Que ne savait-il pas encore? Que le pouvoir de donner le baptême du Christ ne serait transmis par le Sauveur à aucun homme, tandis que la mission de le conférer en son nom serait confiée par lui à ses serviteurs; en dautres termes, il ignorait que la propriété du baptême resterait au Christ et que la mission de le donner en
1. Cant. VI, 8.
son nom passerait à ses serviteurs bons ou mauvais. Que la colombe ne considère pas avec horreur le ministère des méchants, quelle considère le pouvoir du Seigneur, Pourquoi tinquiéter du méchant ministre, là où le Seigneur est bon? En quoi te nuit la malice de celui qui marche devant le juge, si tu es sûr de la bienveillance du juge? Cest là ce que Jean a appris par la colombe. Qua-t-il donc appris? Que lui-même vous le dise encore une fois: « Celui qui ma envoyé ma dit: Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». O colombe, ne te laisse donc pas tromper par des séducteurs qui disent: Cest nous qui baptisons. Vois, ô colombe, ce que la colombe ta enseigné: « Cest lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe te dit que cest lui, et si tu penses être baptisé par le pouvoir de ceux par te ministère desquels tu reçois le baptême, si tu penses ainsi, tu nes plus du corps de la colombe, et si tu ne fais plus partie du corps de la colombe, il nest pas surprenant que la simplicité te manque; car la colombe est surtout Le symbole de la simplicité. 12. Pourquoi, mes frères, est-ce la simplicité de la colombe qui appris à Jean que « cest le Christ qui baptise dans le Saint-Esprit? » Nest-ce point parce que tous ceux qui sèment le trouble dans lEglise ne sont pas des colombes? Ils sont des mitans et des oiseaux de proie. La colombe ne déchire pas. Aussi, tu le vois, ils nous en veulent et sen prennent à nous, comme si nous étions les auteurs des persécutions quils ont eu à subir. Ils semblent avoir souffert des tourments corporels; en effet, Dieu les a punis dans le temps, pour les ramener au bien et ne point les punir pendant léternité, si toutefois ils comprennent et se corrigent. Mais en réalité, ils persécutent lEglise, puisquils ne cessent de lui tendre des piéges: ils la blessent plus grièvement au coeur, puisquils la frappent du glaive de leur langue, ils répandent le sang dune façon plus cruelle quun homicide, puisquils tuent le Christ dans leurs semblables, autant que cela dépend deux. Ou voit quils sont effrayés, comme si les puissances les jugeaient. Pourquoi craindre la puissance, si tu es bon? Si, au contraire, tu es méchant, redoute la puissance, « car ce nest pas en vain quelle porte le [351] glaive», dit lApôtre (1), Ne tire pas le glaive pour frapper Jésus-Christ. Chrétien, que persécutes-tu dans le chrétien? Quest-ce que lempereur a persécuté en ta personne? Il a persécuté le corps, et toi, dans le chrétien, tu persécutes lâme. Toi, tu ne tues pas le corps. Et toutefois ils ne sen privent pas toujours: autant ils ont pu en frapper, autant ils en ont fait mourir; ils nont épargné ni les leurs ni les autres. Cela est connu de tous. La puissance leur est odieuse, parce quelle sexerce légitimement; celui qui agit selon le droit, ils ne peuvent le supporter; ils ne supportent que le violateur des lois. Que chacun de vous, mes frères, considère ce qua le chrétien. En qualité dhomme, il ressemble à beaucoup dautres ; comme chrétien, il se distingue dun grand nombre, et il est bien plus précieux pour lui dêtre chrétien que dêtre homme. Parce quil est chrétien, limage de Dieu a été restaurée en lui par celui-là même qui, en le créant, lavait fait à son image (2); mais, comme homme, il pourrait être un méchant, un païen, un idolâtre. Tu persécutes dans le chrétien ce quil a de meilleur, car lu veux lui ravir le principe de sa vie; lesprit de vie, qui anime son corps, le fait vivre pendant le temps; mais la vie de léternité, il la puisée dans le baptême, quil a reçu de Dieu. Tu veux donc lui ravir ce que Dieu lui a donné, tu veux lui enlever ce qui le fait vivre. Lorsque des voleurs se décident à dépouiller un homme, leur intention est de senrichir à ses dépens et de ne rien lui laisser; pour toi, tu enlèves au chrétien ce quil a, sans espérance den devenir toi-même plus riche; car de ce que tu lu dépouilles, il nen résulte rien pour ton avantage: voilà bien ce que font ceux qui ravissent lâme dautrui, sans avoir eux-mêmes pour cela deux âmes. 13. Que veux-tu donc enlever? En quoi te déplaît celui que tu veux rebaptiser ? Tu ne peux lui donner ce quil a déjà. Mais tu lui fais renier ce quil a. En quoi agissaient plus cruellement les païens persécuteurs de lEglise ? En tirant le glaive contre les martyrs, en lançant sur eux les bêtes, en approchant deux les flammes. Pourquoi tout cela ? Pour faire dire au patient: Je tue suis pas chrétien. Le motif qui portait autrefois le persécuteur à employer les flammes, est le même qui te fait employer ta langue. Tes séductions produisent
1. Rom XIII, 4. 2. Coloss. III, 10.
leffet que nont pu produire ses supplices. Mais que donneras-tu et à qui le donneras-tu ? Si le chrétien te dit vrai, si tes artifices ne parviennent pas à lentraîner et à le rendre menteur, il te dira : Jai le baptême. Tu lui demanderas: As-tu le baptême? Je lai, te répondra-t-il. Mais, diras-tu, je ne le lui donnerai pas tant quil répondra : Je lai, et ne me le donne pas, car ce que tu veux me donner ne peut demeurer en moi, ce que jai reçu ne pouvant mêtre enlevé. Attends, néanmoins, que je voie ce que tu prétends menseigner. Dis dabord : Je ne lai pas. Mais je lai et si je dis: je ne lai pas, je suis un menteur , car ce que jai, je lai. Tu ne las pas, te dis-je. Montre-moi que je ne lai pas. Un méchant te la donné. Le Christ est donc un méchant. Je ne dis pas que le Christ soit méchant, mais ce nest pas le Christ qui te la donné. Qui donc me la donné? réponds-tu : moi, je sais lavoir reçu du Christ. Ce nest pas le Christ qui te la donné, mais cest je ne sais quel traditeur des Ecritures. Je voudrais bien savoir qui a été le ministre ; je voudrais savoir qui a parlé au nom du Juge; je nen suis pas sur lofficier, je ne considère que le juge. Peut-être que dans tes reproches contre lofficier, tu es un menteur; mais je ne veux ni discuter, ni connaître La cause de son officier ; le Seigneur est son juge et le tien; si jexigeais de toi des preuves, peut-être ne les donnerais-tu pas. Mais tu es un menteur; car il a été prouvé que tu ne pouvais rien prouver. Or, ce nest pas là-dessus que je fonde ma cause, de peur que si jentreprends avec ardeur la défense dhommes innocents, tu ne timagines que je mets mon espérance dans les hommes, même innocents. Que les hommes soient donc ce quils veulent; pour moi, ce que jai, je lai reçu du Christ cest par le Christ que jai été baptisé. Non pas, cest tel évêque qui ta baptisé, et cet évêque communique avec les traditeurs. Cest par le Christ que jai été baptisé, je le sais. Qui te la dit? Je lai appris de la colombe qua vue Jean. Cruel milan, tu ne marracheras pas des entrailles de la colombe. Je suis lun des membres de la colombe, parce que je sais ce que ma appris la colombe. Tu me dis: Cest un tel ou un tel qui ta baptisé ; à toi et à moi il est dit par la colombe : « Cest celui-là qui baptise ». A qui [352] dois-je croire? au milan ou à la colombe? 14. Réponds-moi donc, afin que tu sois confondu par cette même lampe qui a confondu autrefois les premiers ennemis du Seigneur, les Pharisiens tes pareils. Ils demandaient un jour à Jésus-Christ par quelle puissance il faisait ces choses: « Et moi», leur répondit-il, « je vous interrogerai à mon tour; dites-moi: le baptême de Jean, doù est-il, du ciel ou des hommes ? » Et eux qui se préparaient à lui décocher les traits de leurs ruses, se virent embarrassés par cette question ; ils réfléchirent donc : « Si nous répondons », se dirent-ils, « quil est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi ne lavez-vous pas cru ? » Car Jean avait dit du Seigneur: « Voici lAgneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ». Pourquoi donc me demandez-vous par quelle puissance je fais ces choses. O loups, ce que je fais, je le fais par la puissance de lAgneau ; mais afin de connaître lAgneau, pourquoi navez-vous pas cru à cette parole de Jean : « Voici lAgneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde? » Sachant donc ce que Jean avait enseigné du Seigneur, ils se dirent: « Si nous répondons que le baptême de Jean est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi donc ne lavez-vous pas cru? Si nous répondons quil est des hommes, nous serons lapidés par le peuple; car il regarde Jean comme un prophète». Dun côté, ils craignaient les hommes, de lautre ils avaient honte de dire la vérité. Les ténèbres firent une réponse de ténèbres, mais la lumière les confondit. Que répondirent-ils en effet? « Nous ne savons pas ». Ils le savaient bien, et néanmoins ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et le Seigneur : « Ni moi non plus », leur répondit-il, «je ne vous dis au nom de qui je fais ces choses (2) ». Ainsi furent confondus les premiers ennemis du Christ. Par quoi ? Par la lampe. Qui était cette lampe? Cétait Jean. Prouvons-nous quil était une lampe? Nous le prouvons. En effet le Seigneur a dit: «Jean était une lampe ardente et luisantes (3)». Prouvons-nous que cest par elle que les ennemis du Christ ont été confondus? Oui, écoutez le Psalmiste : « Jai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis (4) ».
1. Jean, I, 29. 2. Matth. XXI, 23-27. 3. Jean, V, 35. 4. Ps. CXXXI, 17, 18. 15. Plongés encore dans les ténèbres de cette vie, nous marchons à la lueur de la lampe de la foi ; tenons aussi en main cette lampe qui est Jean ; avec elle confondons à notre tour les ennemis du Christ. Ou plutôt, que le Christ lui-même confonde ses ennemis par sa lampe. Adressons-leur la même question que le Seigneur adressait aux Juifs ; faisons-leur la même question et disons : Le baptême de Jean, doù est-il? Du ciel ou des hommes? Que diront-ils ? Voyez, si eux aussi ne sont pas, comme autrefois les ennemis du Sauveur, confondus par la lampe ? Que diront-ils? Sils disent que ce baptême est des hommes, les leurs eux-mêmes les lapideront ; sils disent, du ciel, nous leur répondrons : Pourquoi donc ny croyez-vous pas? Ils répliqueront: Peut-être nous y croyons. Comment donc dites-vous que vous baptisez, tandis que, daprès le témoignage de Jean, « cest celui-là qui baptise ? » Mais, selon eux, les ministres dun si grand Juge doivent être justes, puisquils donnent le baptême. Moi aussi je dis, et tous nous disons que les ministres dun si grand Juge doivent être justes. Que les ministres soient donc justes, sils le veulent ; mais si ceux qui sont assis dans la chaire de Moïse sy refusent, mon maître me tranquillise; car lEsprit a dit, en parlant de lui : « Cest celui-là qui baptise ». Et comment me tranquillise-t-il ? « Les Scribes », a-t-il dit, « et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; ce quils disent, faites-le, mais ne faites pas ce quils font, car ils disent et ne font pas (1) ». Si le ministre est juste, je le mets avec Paul, je le range avec Pierre ; avec eux je range les ministres; mais les saints ministres ne cherchent pas leur gloire, ils sont ministres et ils ne veulent point passer pour des juges ; ils verraient avec indignation les hommes mettre en eux leur espérance. Un tel ministre, je le range avec Paul. En effet, que dit Paul: « Pour moi, jai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ni celui qui plante nest quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître (2) ». Quant au ministre orgueilleux, il a sa place à côté du diable ; mais le don du Christ nest point pour cela profané. Il coule par le canal de ce ministre, il coule limpide et pur, il arrive à la terre fertile : supposé
1. Matth. XXIII, 2, 3. 2. I Cor. III, 6, 7.
353
que le canal est fait de pierre et que leau ny peut produire aucun fruit ; toujours est-il quelle passe par ce canal de pierre et quelle arrive jusquau réservoir. Elle ne produit rien dans le canal, jen conviens; mais, parvenue au jardin, elle lui fait produire des fruits abondants. La vertu spirituelle des sacrements est comme la lumière, ceux quelle éclaire la reçoivent dans toute sa pureté et, pour passer en des milieux impurs, elle nest nullement souillée. Que les ministres soient purs, quils ne recherchent point leur propre gloire, mais la gloire de celui dont ils sont les ministres; quils ne disent pas : mon baptême, parce quil nest pas le leur. Que Jean soit leur modèle. Cet homme était rempli du Saint-Esprit qui avait reçu du ciel, et non des hommes, la mission de baptiser; mais dans quel but ? Uniquement, comme il la dit lui-même pour « préparer la voie au Seigneur (1) ». Mais aussitôt que le Seigneur a été connu, lui-même est devenu sa voie, et dès lors le baptême de Jean nétait plus nécessaire pour préparer la voie au Seigneur. 16. Cependant, quest-ce que les Donatistes, nous disent dordinaire?Après Jean on a baptisé. En effet, avant que cette question ait été traitée à fond dans lEglise catholique, plusieurs, même de grands et saints personnages, sont tombés à cet égard dans lerreur; mais parce quils étaient du nombre des membres de la colombe, ils ne sen sont pas retranchés et en eux sest accompli ce qua dit lApôtre : « Si vous pensez en quelque point autrement quil ne faut, Dieu vous le révélera (2) ». Aussi, pourquoi ceux qui se sont séparés de lEglise sont-ils devenus indociles? Quont-ils donc coutume de dire? Voilà quaprès Jean on a baptisé; et après les hérétiques on ne baptiserait pas? Ainsi raisonnent-ils, parce que certaines personnes qui avaient reçu le baptême de Jean ont reçu de Paul lordre de se faire baptiser de nouveau (3); car elles navaient pas le baptême du Christ. Pourquoi donc exagérer le mérite de Jean et sen faire un prétexte de nous reprocher le malheur des hérétiques? Pour moi, je taccorde que les hérétiques sont criminels; mais, bien quhérétiques, ils ont donné le baptême du Christ et Jean ne la pas donné. 17 Je reviens à Jean, et je dis : « Cest celui-là qui baptise », Jean était meilleur
1. Jean, I, 23. 2. Philipp. III, 15. 3. Act. XIX, 3-5
quun hérétique, comme aussi il était meilleur quun homicide. Devons-nous réitérer le baptême donné par un homme qui vaut moins que Jean, par la raison que les Apôtres ont rebaptisé après le Précurseur? Supposons quun donatiste ait été baptisé par un ivrogne; je ne parle ici ni dun homicide, ni du satellite dun scélérat, ni du ravisseur du bien dautrui, ni de ceux qui oppriment les orphelins, ni de ceux qui séparent les époux ; non, je ne parle pas de ces sortes de gens ; je parle seulement de ce qui est publiquement connu, de ce qui se voit tous les jours, je me borne à citer le nom que lon donne à tous, même en cette ville, quand on leur dit: « Enivrons-nous, prenons du bon temps; dans cette fête des premiers jours de janvier, on ne jeûne pas ». Vous le voyez, je vous parle de choses qui comptent pour rien, parce quelles arrivent tous les jours. Eh bien ! quune personne soit baptisée par un homme en état divresse, je te demande lequel des deux, de Jean ou de livrogne, est le meilleur? Réponds, si tu peux, que ton ivrogne est meilleur que Jean ; tu noseras jamais. Toi qui es sobre, baptise donc après ton ivrogne. Car si les Apôtres ont baptisé après Jean, à bien plus juste titre lhomme sobre doit-il baptiser après livrogne? Mais tu diras peut-être : Cet ivrogne est en communion avec moi. Jean, lami de lEpoux, nétait donc pas en union avec lEpoux? 18. Mais nimporte qui que tu sois, je te dis: qui est le meilleur, toi ou Jean ? Tu noseras pas dire : Je suis meilleur que Jean. Que tes partisans baptisent donc après toi, sils sont meilleurs que toi ; car, puisquon a baptisé après Jean, rougis si lon ne baptise pas après toi. Tu me diras: Mais moi; jai le baptême du Christ et jenseigne en ce sens. Reconnais donc enfin le Juge, et ne sois pas un crieur orgueilleux. Tu donnes le baptême du Christ, cest pourquoi on ne baptise pas après toi. On a baptisé après Jean, pourquoi? Parce quau lieu de donner le baptême du Christ, il donnait le sien; il avait, en effet, reçu le pouvoir de conférer ce baptême en son propre nom. Tu nes donc pas meilleur que Jean, mais le baptême que tu donnes est meilleur que celui de Jean. Car cest celui du Christ, tandis que celui de Jean était le sien, Le baptême donné par Paul et le baptême donné par Pierre, était celui du Christ, et si jamais Judas a donné le baptême, ça été celui du Christ, [354] Judas a baptisé et lon na point baptisé après lui : Jean a baptisé et lon a baptisé après Jean; cest que si Judas a donné le baptême, ce baptême était celui du Christ, et que le baptême donné par Jean était celui de Jean. Ce nest pas que mous préférions Judas à Jean, mais nous préférons le baptême du Christ, même donné par les mains de Judas, au baptême de Jean, même donné par les mains de Jean. En effet, il est dit de Notre-Seigneur, quavant sa passion il baptisait plus de personnes que Jean, après quoi lEvangéliste ajoute : « Encore quil ne baptisât pas lui-même, mais ses disciples (1)». Ils prêtaient au Christ leurs services pour baptiser, mais le pouvoir de baptiser demeurait tout entier en lui. Donc ses disciples baptisaient, et Judas se trouvait encore parmi eux. Ceux que Judas a baptisés, ne lont pas été une seconde fois, et ceux que Jean a baptisés, lont-ils été de nouveau? Evidemment, oui. Mais on ne leur a pas donné un nouveau baptême; car ceux que Jean avait baptisés, cétait Jean qui les avait baptisés; ceux aux contraire que Judas a baptisés, ont été baptisés par le Christ. De même en est-il de ceux qua baptisés un ivrogne ou un homicide, ou un adultère; si ce baptême était celui du Christ, ils ont été baptisés par le Christ. Je ne crains ni ladultère, ni livrogne, ni lhomicide, parce que je fais attention aux paroles de la colombe « Cest celui-là qui baptise ». 19. Au reste, mes frères, cest une folie de prétendre que, sinon Judas, du moins nimporte quel autre homme, a été plus riche en mérites que celui dont il a été écrit: « Parmi les enfants des hommes, il nen a paru aucun meilleur que Jean-Baptiste (2) ». On ne lui préfère donc aucun serviteur; mais on préfère le baptême du maître, même donné par un méchant serviteur, au baptême du serviteur, ami du maître. Ecoute quels sont ceux que lapôtre Paul appelle des faux frères: ce sont ceux qui prêchent la parole de Dieu par jalousie. Quen dit-il? « Et je men réjouis, et je men réjouirai toujours ». En effet, ils annonçaient te Christ par jalousie; mais enfin cétait le Christ (3) quils annonçaient; ne considérez point le mobile qui dirige le prédicateur, mais le sujet de sa prédication. Est-ce
1. Jean, IV, 1, 2. 2. Matth. XI, 11. 3. Philipp. I, 15-18.
par motif denvie quon tannonce le Christ? Porte ton attention sur le Christ et évite lenvie. Nimite pas le mauvais prédicateur, mais suis les traces du bon Sauveur quon tannonce. Ainsi, certaines gens prêchaient le Christ par jalousie. Quest-ce que la jalousie? Cest un mal horrible. Cest lui qui a fait tomber le diable; cette peste maligne en a fait tomber beaucoup dautres. Certains hommes qui prêchaient le Christ, en étaient atteints; cependant lApôtre les laissait prêcher. Pourquoi? Parce quils prêchaient le Christ. Toutefois, la jalousie ne va pas sans la haine; et de celui qui hait, que dit lapôtre Jean? Ecoutez, voici ses paroles: « Celui qui hait son frère est homicide (1) ». Voilà quon a baptisé après Jean; après un homicide on ne la pas fait, parce que Jean a donné son baptême, tandis que lhomicide a donné celui du Christ. Ce sacrement est si saint quun ministre homicide ne le souille pas. 20. Je ne rejette pas Jean ; jaime mieux croire à Jean. Par rapport à quoi croirai-je Jean? Par rapport à ce que lui a appris la colombe. Qua-t-il appris par la colombe? « Cest celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Donc, mes frères, tenez-vous-en là et pénétrez vos coeurs de cette vérité. Car si je voulais aujourdhui développer entièrement ma pensée et vous dire pourquoi Jean a été ainsi instruit par la colombe, je nen finirais pas. Que Jean eût appris par la colombe ce quil ne savait pas du Christ, bien quil connût déjà le Christ, je crois lavoir expliqué à votre sainteté; mais cette connaissance, pourquoi a-t-il dû la recevoir par lintermédiaire de la colombe? Si je pouvais vous le dire en quelques mots, je vous le dirais; mais il me faudrait beaucoup de temps pour vous lexpliquer; je ne veux pas vous être à charge, Vos prières mont aidé à accomplir la promesse que je vous ai faite; aidé encore, et plus efficacement, par vos pieuses dispositions et vos voeux secourables, je vous ferai voir pourquoi Jean na pu apprendre que par la colombe ce quil a appris du Seigneur, à savoir que « cest lui qui baptise dans le Saint-Esprit » et quil na légué à aucun de ses serviteurs le pouvoir de baptiser.
1. I Jean, III, 15.
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