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SEPTIÈME TRAITÉ.DEPUIS LENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « ET MOI JE LAI VU, ET JAI RENDU TÉMOIGNAGE QUIL EST « FILS DE DIEU », JUSQUA « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL « OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DESCENDRE SUR LE FILS DE LHOMME ». (Chap. I, 34.51.)LES TÉMOINS DU CHRIST.
La colombe a fait connaître à Jean lunité du baptême et lunion des coeurs dans le Christ par la charité qui vivifie les oeuvres et même ta foi, et les rend dignes du ciel; aussi cet Apôtre en a-t-il rendu témoignage et affirmé que Jésus est « lAgneau de Dieu qui efface les péchés du monde ». A ces paroles du Précurseur, les deux disciples, qui étaient là, sapprochèrent du Christ vers la dixième heure pour lui adresser une question, et trouvèrent en lui lauteur et le docteur de la loi que nous devons accomplir dans le sentiment de la charité, avec le secours et la grâce de notre maître. Pierre vint ensuite, qui reçut de Jésus le privilège de figurer lEglise, cette pierre sur laque le seule peut reposer solidement lédifice de notre sanctification. Puis, Nathanaël lui succéda, homme docte et digne, à cause de sa droiture. dêtre sinon choisi comme apôtre, du moins guéri par le céleste médecin. A la première parole du Christ, il reconnut effectivement en lui le Fils de Dieu è cause de sa miséricorde pour les pécheurs; il crut donc, mais sa foi devait saccroître encore à la vue des vertus et des travaux des Apôtres.
1. Je veux dabord me réjouir avec vous de votre grand nombre, et de ce que vous êtes venus ici avec un empressement qui dépasse toutes nos espérances. Cest là ce qui nous réjouit et nous console dans tous les travaux et les périls de cette vie, votre amour pour Dieu, la piété de votre zèle, la fermeté de votre espérance et votre ferveur. Vous avez entendu à la lecture du psaume que le pauvre et lindigent crient vers Dieu en cette vie (1). Cette voix , vous lavez entendu dire souvent, et vous ne devez pas en avoir perdu le souvenir, cette voix, ce nest pas la voix dun seul homme, et pourtant elle est la voix dun seul ; elle nest pas la voix dun seul à cause de la multitude des fidèles, grains nombreux mêlés à la paille où ils gémissent, et répandus par tout lunivers; elle est la voix dun seul parce que tous sont les membres du Christ et forment ainsi un seul corps. Ce peuple indigent et pauvre ne sait tirer ses joies de ce monde: ses douleurs comme ses joies sont au dedans de lui ; elles se trouvent où celui-là seul porte ses regards, qui écoute les gémissements et couronne les espérances. Les joies du siècle ne sont que vanité. Cette joie, on lattend avec une fiévreuse impatience, et quand elle est venue on ne peut la retenir. Ainsi ce jour, qui est un jour de joie pour les débauchés de cette ville, ne sera plus demain, et eux-mêmes ne seront plus demain ce quils
1. Ps. LXXIII, 21.
sont aujourdhui. Ainsi, tout passe, tout senvole, tout sévanouit comme la fumée, et malheur à ceux qui y attachent leurs affections. Car toute âme suit ce quelle aime. Toute chair est comme lherbe, et toute la gloire de la chair est comme la fleur des champs; lherbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur demeure éternellement (1). Voici ce quil te faut aimer, si tu veux demeurer toujours; niais, vas-tu me dire : Comment puis-je saisir le Verbe de Dieu ? Le Verbe sest fait chair, et il a habité parmi nous (2). 2. Cest pourquoi, mes bien-aimés, que le rôle de notre indigence et de notre pauvreté soit de pleurer ceux qui sont riches à leurs yeux. Car leur joie ressemble à celle des frénétiques. Un frénétique se réjouit de sa folie, il en rit; mais celui qui jouit de son bon sens, pleure sur le sort de cet infortuné. Ainsi devons-nous faire, mea bien-aimés, si nous avons reçu le remède descendu du ciel; car, tous aussi nous étions des frénétiques; mais nous avons été guéris, car nous cessons daimer ce que nous aimions alors; gémissons devant Dieu sur le malheur de ceux qui sont encore fous. Aussi bien il est assez puissant pour les guérir à leur tour. Pour cela, il est besoin quils se regardent et quils se déplaisent. Ils veulent voir, et ils ne savent pas se voir eux-mêmes. Sils veulent jeter un
1. Ps, XL, 6-8. 2. Jean, I, 14.
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instant les yeux sur eux-mêmes, ils verront des sujets quils ont de rougir. Jusquà ce quils le fassent, nous avons dautres soucis dautres soins réclament notre attention ; mieux vaut notre douleur que leur joie. Pour ce qui regarde le nombre de nos frères, il me semble difficile que les divertissements de cette journée nous en aient ravi quelques-uns; mais en ce qui regarde nos soeurs, cest pour nous le sujet dune grande tristesse et dune profonde douleur, de voir quelles nont pas été plus empressées à venir à léglise. Car, à défaut de la crainte de Dieu, le sentiment de la pudeur aurait dû les éloigner du tumulte de la rue. Que celui qui voit tout, jette les yeux sur elles, et que sa miséricorde vienne les guérir toutes. Pour nous qui sommes assemblés ici, nourrissons-nous au festin de Dieu, et que sa parole fasse notre joie. Il nous a invités à entendre son Evangile, il est lui-même notre nourriture; il ny en a pas de plus douce, à condition, néanmoins, que le palais de notre coeur puisse en apprécier la saveur. 3. Jai sujet de le croire, votre charité na pas oublié quon lui fait une lecture suivie et convenable de lEvangile. Vous vous souvenez sans doute de ce que nous avons déjà dit, principalement en dernier lieu, de Jean et de la colombe. Au sujet de Jean, nous avons dit ce quil avait appris de nouveau sur le ministère de la colombe relativement au Sauveur, bien quil le connût déjà. Avec lassistance du Saint-Esprit , nous nous sommes aperçus que Jean connaissait le Seigneur; mais que le Seigneur dût baptiser de manière à ne communiquer à personne le pouvoir du baptême, voilà ce que Jean a appris par la colombe lorsquil lui a été dit : « Celui sur lequel tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, cest celui-là qui baptise dans lEsprit-Saint (1) ». Quest-ce à dire : « Cest celui-là? » Cest-à-dire nul autre, quoique par un autre. Mais pourquoi Jean la-t-il appris par la colombe ? Jen ai donné plusieurs raisons quil mest impossible de vous rappeler en totalité ; dailleurs, pas nest besoin dy revenir. La principale de toutes était le motif de la paix. En effet, les bois qui navaient pas servi à la construction de larche avaient été comme les antres plongés dans leau, et parce que la colombe avait
1. Jean, V ,33.
trouvé du fruit sur leurs branches, elle en avait rapporté dans larche. Vous vous souvenez, en effet, que Noé avait envoyé la colombe hors de larche, et que cette arche, portée sur les eaux du déluge, en était baignée, mais non submergée. Ayant donc été envoyée au dehors, la colombe tapporta un rameau dolivier; mais le rameau navait pas seulement des feuilles, il avait aussi du fruit (1). De là nous avons conclu que ce quil faut désirer à nos frères baptisés hors de lEglise, cest de porter du fruit, la colombe ne les laissera pas dehors, elle les ramènera dans larche. Ce fruit est tout entier dans la charité, sans laquelle lhomme nest rien, quoi quil ait dailleurs. Et nous avons rappelé et cité ces paroles formelles de lApôtre à ce sujet: «Quand même je parlerais le langage des anges et des hommes, si je nai pas la charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand jaurais la science de toutes choses, quand même je connaîtrais tous les mystères, quand jaurais surabondamment le don de prophétie, quand jaurais la perfection de la foi », (quentend-il par cette perfection de la foi?) « cest-à-dire jusquà transporter les montagnes, quand même jaurais distribué tous mes biens aux pauvres, quand jaurais livré mon corps aux flammes, si je nai pas la charité, cela ne me servira de rien (2) ». Or, ceux qui détruisent lunité ne peuvent en aucune manière prétendre avoir la charité. Voilà ce que nous avons dit; voyons la suite. 4. Jean a rendu témoignage parce quil a vu. Quel témoignage a-t-il rendu? « Que celui-là est le Fils de Dieu ». Il fallait donc que celui-là baptisât qui est le Fils unique de Dieu par nature, et non par adoption. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique. Le Fils unique a le pouvoir, les fils adoptifs ont le ministère, Quoique le baptême soit vraiment conféré par un ministre qui nest pas du nombre des fils adoptifs, à cause de sa mauvaise vie et de sa mauvaise conduite, quel sujet de consolation avons-nous? « Cest celui-là qui baptise ». 5. « Le lendemain Jean était encore là, et deux de ses disciples avec lui, et, regardant Jésus qui marchait, il dit: Voici lAgneau de Dieu ». Il est sûr que cet Agneau est unique de ce nom; bien que ses disciples aient aussi
1. Gen. VIII, 8-11. 2. I Cor. III, 1, 3.
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été appelés de ce nom: « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups (1) ». Il a été dit quils étaient la lumière: « Vous êtes la lumière du monde (2) »Jésus-Christ était aussi la lumière, mais dune manière bien différente, puisquil a été dit de lui : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde (3)». Pareillement il est lAgneau, mais cet Agneau est unique; il est le seul qui nait pas de tache, le seul qui nait pas de péché: en lui nulle souillure na été effacée, parce quil nen portait aucune. Eh quoi! parce que Jean disait du Sauveur: « Voici lAgneau de Dieu », nétait-il pas lui-même un agneau? Nétait-il pas sain? Nétait-il pas lami de lEpoux? A Jésus-Christ seul pouvaient sappliquer réellement ces paroles: « Voici lAgneau de Dieu », parce que les hommes nont pu être rachetés que par le sang de cet Agneau unique. 6. Mes frères, si nous reconnaissons que le prix de notre rançon cest le sang de lAgneau, de quel nom appeler ceux qui célèbrent aujourdhui la fête du sang de je ne sais quelle femme ? Quils sont inconséquents ! Un pendant, à ce quils disent, a été arraché de loreille de cette femme, le sang a coulé; lor a été mis sur un plateau ou une balance, le sang dont il était imprégné a donné à lor plus de poids. Si le sang dune femme a été capable de faire incliner le plateau de la balance où se trouvait lor, quel poids a dû ajouter au monde le sang de lAgneau qui a créé le monde? Je ne sais quel esprit apaisé par ce sang ajoutait ainsi au poids de lor. Car les esprits impurs connaissaient lavènement futur de Jésus-Christ; ils lavaient appris des anges et des Prophètes, ils ne doutaient pas quil ne dût venir. Sils en avaient douté, se seraient-ils écrié: « Quy a-t-il entre vous et nous? Etes-vous venu nous perdre avant le temps? Nous savons qui vous êtes, le Saint de Dieu (4) ». Ils savaient quil devait venir; mais ils ignoraient le temps de sa venue. Mais quavez-vous entendu dire au Psalmiste touchant Jérusalem? « Parce que ses pierres ont plu à vos serviteurs, et que sa poussière les a émus, vous vous lèverez, Seigneur, et vous aurez pitié de Sion, puisque le temps est venu den avoir pitié (5) ». Quand fut venu le temps où Dieu devait
1. Matth. I, 16. 2. Id. V, 14. 3. Jean, I, 9. 4. Marc, I, 24. 5. Ps. CI, 15, 14.
en prendre pitié, lavènement de lAgneau eut lieu. Quel était cet Agneau que redoutent les loups ? Quel était cet Agneau qui en mourant a tué le lion? Il a été dit du démon quil est un lion tournant et rugissant, cherchant une proie (1). Ce lion a été vaincu par le sang de lagneau. Voilà à quels spectacles assistent les chrétiens. Spectacles dautant plus excellents que dans les autres les yeux de la chair ne voient que vanité, et quici la vérité sétale aux regards de notre coeur. Ne pensez pas, mes frères, que Dieu nous ait privés de spectacles; car sil ny en a pas pour nous, pourquoi êtes-vous ici aujourdhui? Ce que nous vous avons dit, vous en avez la preuve, vous avez acclamé nos paroles. Lauriez-vous fait si vous naviez rien vu? Non, évidemment. Cest un grand spectacle donné par tout lunivers que celui du lion vaincu par le sang de lAgneau, que celui des membres du Christ arrachés de la mâchoire du lion et réunis au corps du Christ. Aussi, par je ne sais quelle imitation de la vérité, un esprit mauvais a voulu que son image fût achetée par le sang; car il savait quun jour un sang précieux rachèterait le genre humain. Cest ainsi que les esprits malins se procurent comme une ombre dhonneur afin de tromper ceux qui suivent le Christ. Cest au point que ceux-là même qui séduisent les autres par des sortilèges, des enchantements et toutes les machinations de lennemi, y mêlent le nom du Christ; car, ne pouvant plus séduire les chrétiens jusquà leur présenter le poison tout pur, ils y ajoutent un peu de miel. Ainsi lamertume du breuvage disparaît à la faveur de ce quils y mêlent de doux, et les chrétiens le boivent pour leur perte. Jai connu autre. fois un prêtre de Castor qui avait coutume de dire: Castor aussi est chrétien. Pourquoi cela, mes frères? Cest que les chrétiens ne peuvent être séduits par dautres moyens. 7. Ne cherchez donc le Christ que là où il a voulu vous être annoncé; et comme il a voulu être prêché, gardez-le et inscrivez-le dans votre coeur. Il est le mur qui doit vous préserver contre tous les assauts et toutes les embûches de lennemi. Ne craignez rien; car cet ennemi ne peut pas même vous tenter quil nen ait reçu la permission; il est constant aussi quil ne peut rien faire quil nen ait reçu lordre ou la permission. Il agit par
1. Pierre, V, 8.
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commandement, quand il est envoyé comme un ange mauvais par la puissance qui le domine. II agit par permission, quand il demande et obtient quelque chose. Lun et lautre nont lieu que pour lépreuve des justes et la punition des méchants. Que crains-tu donc? Marche dans le Seigneur ton Dieu, et sois tranquille. Ce quil ne veut pas que tu souffres, tu ne le souffriras pas; et sil permet que tu souffres, ce sera de sa part la correction dun père, et non la condamnation dun juge. Il veut nous préparer à lhéritage éternel, et nous refusons dêtre corrigés ! Mes frères, à un enfant qui refuserait de recevoir un soufflet ou des coups de verge de la main de son père naurions-nous pas le droit de dire quil est un orgueilleux et quil noffre plus aucune ressource, puisquil méconnaît lintérêt que lui porte son père? Cependant, pourquoi un père forme-t-il son fils, puisquil est un homme comme lui? Pour lempêcher de dissiper les biens temporels quil lui a acquis, quil a amassés pour lui, quil ne veut pas lui voir perdre et quil lui abandonne parce quil ne peut lui-même les posséder toujours. Il nélève pas un fils qui doive posséder ses biens conjointement avec lui, mais un fils qui les possédera après lui. Mes fières, si un père élève avec ce soin un fils destiné à nêtre que son successeur, et si ce fils ainsi élevé ne doit lui-même posséder ces biens que transitoirement, comme les possède celui qui le dirige, comment voudrions-nous nêtre pas formés par notre Père dont nous ne devons pas être les successeurs, mais les associés, avec qui nous demeurerons à jamais dans un héritage qui ne passe pas, qui ne finit pas, qui na à craindre ni les orages ni les tempêtes? Cet héritage nest autre que lui-même, et il est notre père. Cest lui que nous posséderons, et nous ne voudrions pas recevoir de lui des leçons? Supportons donc les enseignements dun père. Quand la tête nous fait mat, ne recourons ni aux enchantements, ni aux sortilèges, ni aux vains remèdes. Mes frères, comment pourrai-je ne pas gémir à votre sujet? Tous les jours je vois pareilles choses, et quy faire? Naurais-je donc pas encore réussi à persuader à des chrétiens quils doivent mettre toutes leurs espérances dans le Christ? Si quelquun est mort après avoir fait usage de ces remèdes (et de fait combien sont morts avec ces remèdes, et combien nont pas laissé de vivre sans y avoir recouru), de quel front sou âme est-elle allée vers Dieu? Le signe du Christ a été effacé en lui, et sur lui a été tracé le signe du diable. Peut-être dira-t-il: Je nai point perdu le signe du Christ. Tu as donc porté en même temps le signe dit Christ et le signe du diable? Le Christ ne veut pas de partage; il veut posséder tout entier ce quil a acheté, Il la acheté assez cher pour le posséder seul, tu lui donnes pour copartageant le diable auquel tu tes vendu par le péché. Malheur à ceux qui ont le coeur double (1), qui font dans leur coeur une part à Dieu et une part au diable, Dieu, irrité de voir quune part y est faite au diable, sen éloignera, et le diable le possédera tout entier. Aussi nest-ce pas sans raison que lApôtre a dit: « Ne donnez pas de place au diable (2) ». Connaissons donc lAgneau, mes frères, connaissons le prix de notre rachat. 8. « Jean était là, et deux de ses disciples avec lui ». Voilà avec Jean deux de ses disciples. Jean était un si sincère ami de lEpoux, quil ne cherchait pas sa propre gloire mais quil rendait témoignage à la vérité. A-t-il prétendu voir ses disciples demeurer avec lui et ne pas suivre le Seigneur? Au contraire il leur montre lui-même celui quils doivent suivre : ils le regardaient comme lAgneau; mais il leur disait: Pourquoi me considérer comme tel? Je ne suis pas lAgneau, « Voici lagneau de Dieu », le même dont il avait dit plus haut encore: « Voici lAgneau de Dieu ». A quoi nous sert lAgneau de Dieu? « Voici celui qui efface le péché du monde ». Layant entendu, les deux disciples qui étaient avec Jean suivirent Jésus-Christ. 9. Voyons la suite: « Voici lAgneau de Dieu ». Cest Jean qui parle. « Les deux disciples layant entendu parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus sétant tourné, et les voyant qui le suivaient, leur dit: Que cherchez-vous ? Ceux-ci lui dirent: Rabbi, cest-à-dire : Maître, où demeurez-vous? » Ils ne le suivirent pas comme sils devaient rester désormais attachés à sa personne; la circonstance où ils sattachèrent à lui est connue; cest lorsquil leur fit quitter leur barque. En effet, lun de ces deux disciples était André, ainsi que vous lavez entendu tout à lheure. Or, André était frère de Pierre, et nous savons
1. Eccli. II. 14. 2. Ephés. IV, 27.
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par lEvangile que le Seigneur fit quitter leur barque à Pierre et à André, en leur disant: « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs dhommes (1) ». Et de ce moment ils sattachèrent à lui et ne te quittèrent plus. De ce que les deux disciples le suivent alors, il ne résulte pas quils le suivirent pour ne plus le quitter; mais ils voulurent voir où il demeurait et faire ce qui est écrit : « Que ton pied use le seuil de sa porte, lève-toi souvent pour aller le voir et tinstruire de ses Préceptes (2)» Il leur montra où ils demeuraient, ils vinrent et passèrent ce jour-là à causer avec lui. Quel bienheureux jour ils passèrent ! Quelle bienheureuse nuit ! Qui nous dira ce quils ont entendu de la bouche du Sauveur?Bâtissons, nous aussi, dans notre coeur, et faisons-lui une maison où il vienne nous instruire et sentretenir avec nous. 10. « Que cherchez-vous? Ils lui dirent: « Rabbi, cest-à-dire Maître, où demeurez-vous? Il leur dit: Venez et voyez. Et ils vinrent et ils virent où il demeurait, et passèrent avec lui ce jour-là. Cétait environ la dixième heure ». Pensons-nous que lEvangéliste navait aucun motif de nous dire quelle heure il était? Est-il possible quil nait rien voulu nous faire remarquer? quil nait pas voulu nous exciter à découvrir quelque chose ? Il était dix heures. Ce nombre dix signifie la loi, parce que la loi a été donnée en dix préceptes. Or, le temps était venu où la loi serait accomplie par la charité ; car les Juifs ne pouvaient laccomplir par la crainte. Ce qui fait dire à Notre-Seigneur: « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais laccomplir (3) ». Cest donc avec raison que, sur la parole de lami de lEpoux, ses disciples se mirent à la suite du Christ à la dixième heure, et quau même moment le Sauveur fut appelé par eux: « Rabbi », cest-à-dire Maître. Si le Seigneur sentendit appeler : « Rabbi », à la dixième heure, et si le nombre dix marque la loi, le Maître de la loi nest autre que celui qui a donné la loi. Que personne ne dise: Autre est celui qui a donné la loi, autre est celui qui enseigne. Celui-là lenseigne qui la donnée. Il est à la fois le Maître et le docteur de la loi. Ses paroles sont empreintes de miséricorde ; aussi enseigne-t-il miséricordieusement la loi, ainsi quil est dit de la Sagesse: « Elle porte la loi et la miséricorde sur sa
1. Matth. IV, 19. 2. Eccli. VI, 36, 37. 3. Matth. V, 17.
langue (1)». Ne crains donc pas de ne pouvoir accomplir la loi ; aie recours à la miséricorde. Si cest trop pour toi daccomplir la loi, utilise ce contrat, le titre est la prière que la donnée et qua composée pour toi ce jurisconsulte céleste. 11. Ceux qui ont un procès et qui veulent adresser à ce sujet une supplique à lempereur, cherchent quelque légiste habite qui rédige leur requête; car ils ont peur, sils demandent autrement quil ne faut, non-seulement de ne pas obtenir ce quils demandent, mais même de se voir punis au lieu dêtre favorisés. Les Apôtres voulaient adresser une supplique à lEmpereur-Dieu, et ne savaient comment sy prendre pour arriver jusquà lui : cest pourquoi ils dirent au Sauveur: « Seigneur, enseignez-nous à prier », cest-à-dire, notre jurisconsulte, notre conseiller, ou plutôt, notre assesseur, composez-nous notre prière. Et, par une formule puisée au livre de la jurisprudence céleste, le Seigneur leur apprit à prier, et dans cette formule même il mit une condition : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs (2) ». Si tu ne demandes pas selon la loi, tu deviens criminel. Devenu criminel, crains-tu le Juge ? Offre le sacrifice de lhumilité, offre le sacrifice de la miséricorde, dis en tes prières : Remettez-moi, comme je remets. Mais si tu le dis, fais-le. Que feras-tu, en effet? Où iras-tu, si tes prières sont des mensonges ? Comme on dit au barreau, non-seulement In seras privé du bénéfice de ton rescrit, mais ce rescrit lui-même tu ne lobtiendras pas. Cest une maxime de droit: quand un homme a menti dans sa requête, la grâce quil a obtenue devient nulle. Ceci a lieu parmi les hommes, car lhomme a pu être trompé, lempereur a pu être induit en erreur quand lu lui as présenté ta requête; tu as dit ce que tu as voulu, et celui à qui tu las dit ignore si tu as dit la vérité. Aussi laisse-t-il à ton adversaire le soin de prouver ton mensonge, afin que si tu en es convaincu devant le juge, tu sois privé du bénéfice de ce rescrit que tu as porté devant lui ; car il na pu sempêcher de taccorder la grâce que tu sollicitais, vu quil ignorait si tu disais vrai ou non. Mais Dieu, qui sait si tu dis la vérité ou un mensonge, nagit pas seulement de manière à rendre ta requête nulle à son tribunal :
1. Prov. XXXI, 26. 2. Luc, XI, 1-4.
il lempêche même dy arriver, parc que tu as osé mentir à la vérité. 12. Que feras-tu? dis-le-moi. Accompli de tout point la loi, en sorte que lu n manques en rien, cest difficile. La faute est donc certaine; refuseras-tu duser du remède Voyez, mes frères, quel remède Dieu a pré paré contre les maladies de lâme. Lequel donc? Lorsque tu as mal à la tête, nous te louons si tu y mets lEvangile au lieu de lenvelopper de linges. Linfirmité des hommes est si grande, ceux qui recourent aux bandages sont tellement à plaindre, que nous sommes forcés de nous réjouir quand nous voyons un homme couché dans un lit, en proie à la fièvre et aux douleurs, ne mettre sa confiance que dans le livre des Evangiles et le placer sur sa tête, non pas que lEvangile soit destiné à pareil usage, mais parce quil est préféré aux bandages. Dès lors quon le met sur sa tête pour en calmer la douleur, pourquoi ne point le placer sur son coeur pour le guérir de ses péchés? Quon le fasse donc. Quon fasse quoi? Quon lapplique sur son coeur, afin que ce coeur soit guéri. Il est bon, oui il est bon que tu naies dautre souci de ta santé que de la demander à Dieu. Sil sait quelle te sera utile, il te laccordera; et sil ne te la donne pas, cest quil prévoit quelle note serait pas profitable. Combien demeurent dans leur lit sans commettre de péchés, qui se portant bien se laisseraient aller à toute sorte de crimes? A combien de gens la santé est nuisible ? Le brigand qui se jette à la gorge dun homme pour le tuer naurait-il pas plus davantages à être malade? Celui qui se lève de nuit pour miner un mur étranger, naurait-il pas plus davantages à être tourmenté de la fièvre ? Malade, il resterait innocent; en sauté, cest un scélérat. Dieu sait ce qui nous convient. Faisons seulement en sorte que notre coeur soit libre de tout péché, et sil nous arrive dêtre éprouvés en notre corps, prions Dieu. Lapôtre Paul lui a demandé déloigner de lui laiguillon de la chair, et il ne la pas voulu. Paul sest-il troublé? sest-il laissé aller à la tristesse ? sest-il plaint dêtre abandonné? Au contraire, il sest dautant moins dit abandonné, que ce dont il demandait léloignement lui demeurait pour la guérison de sa faiblesse. Il la reconnu à cette parole du médecin : « Ma grâce te suffit ; car la vertu se perfectionne dans linfirmité (1) ». Pourquoi Dieu ne veut-il pas te guérir? Cest quil est encore avantageux pour toi dêtre éprouvé. Comment pourrais-tu savoir jusquà quel point est pourri ce que retranche le médecin, quand il plonge son instrument dans une plaie ? Ne sait-il pas comment et jusquoù il doit le faire? Les hurlements du malade opéré éloignent-ils la main de lhabile opérateur? Lun crie, lautre coupe. Est-il cruel pour ne pas entendre les cris? Ou plutôt ne se montre-t-il pas miséricordieux en poursuivant le mal jusquà sa racine, afin de guérir plus sûrement le malade? Je vous ai dit ceci, mes frères, pour que personne ne cherche du secours ailleurs quen Dieu, quand il arrive que le Seigneur nous châtie. Prenez garde de périr, prenez garde de vous éloigner de lAgneau et dêtre dévoré par le lion. 13. Nous avons dit pourquoi à la dixième heure. Voyons la suite : « André, frère de Simon Pierre, était un de ceux qui avaient entendu Jean et avaient suivi Jésus. Il rencontra Simon son frère et lui dit: Nous avons trouvé le Messie, cest-à-dire le Christ ». Messie, en hébreu, cest comme Christ, en grec, et oint, en latin. De son onction lui vient le nom de Christ. Chrisma, en grec, veut dire onction, donc le Christ veut dire: oint. Onction unique, onction particulière et à laquelle participent tous les chrétiens et lui aussi, muais plus excellemment que tous. Voici comment en tarie te Psalmiste, écoute-le: «Cest pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a oint dune onction de joie par-dessus tous ceux qui la partageront avec vous (2) ». Les copartageants, ce sont les saints ; mais il est, lui, tout particulièrement le Saint des saints; il a reçu une onction qui est propre à lui seul ; il est le Christ dune manière unique. 14. « Et André lamena à Jésus. Jésus layant regardé lui dit: Tu es Simon, fils de Jean, tu tappelleras Céphas, cest-à-dire Pierre ». Ce nest pas chose étonnante que le Sauveur ait dit à Pierre de qui il était fils, Quy a-t-il de grand pour le Sauveur? Il connaissait le nom de tous les saints quil sétait prédestinés avant la constitution du monde, et tu es surpris quil ait dit à un homme : Tu es le fils dun tel, et tu tappelleras de tel nom ? Le merveilleux en cela, cest quil ait changé son nom et quil lait appelé
1. II Cor. XIX, 8, 9. 2. Ps. XLIV, 8,
372 Pierre ; car ce nom de Pierre est emprunté à celui de la pierre ; or, cette pierre, cest lEglise, Ainsi le nom de Pierre préfigurait lEglise. Qui est-ce qui bâtit avec assurance, sinon celui qui bâtit sur la pierre ? En effet, que dit le Seigneur? « Celui qui écoute mes paroles et les met en pratique, je te comparerai à un homme prudent qui bâtit sur la pierre » (il ne cède pas aux tentations): « la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle nest pas tombée; car elle était fondée sur la pierre. Celui qui écoute mes paroles et ne les met pas en pratique » (ici que chacun de vous tremble et se mette sur ses gardes), « je le comparerai à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable: la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle est tombée, et il sen est fait une grande ruine (1) ». A quoi sert dentrer dans lEglise, si lon veut bâtir sur le sable? En écoutant la parole sans la mettre en pratique, on bâtit, cest vrai, mais on bâtit sur le sable. Si lon nécoute rien, on ne bâtit rien; si lon écoute, on bâtit. Mais il faut savoir que quiconque écoute et agit bâtit sur la pierre, celui qui écoute et nagit pas bâtit sur le sable. Il y a donc deux sortes dhommes qui bâtissent, les uns bâtissent sur le sable, les autres bâtissent sur la pierre. Que dire de ceux qui nécoutent pas? Peuvent-ils se croire en sûreté? Le Sauveur dit-il quils nont rien à craindre parce quils ne bâtissent pas? Ils sont sans abri, exposés aux vents, aux fleuves, et lorsque la tourmente arrive, elle les enlève eux-mêmes avant que de renverser les maisons. Il ny a donc de sécurité quà bâtir et à bâtir sur la pierre. Si tu veux écouter sans rien faire, tu bâtis, mais tu prépares une ruine. Lorsque la tentation surviendra, elle renversera ta maison et tengloutira sous ses décombres, Si tu nécoutes pas, tu es sans abri, et cest toi que la tentation emportera tout dabord. Ecoute doue et agis, voilà lunique remède. Combien peut-être qui, pour avoir écouté sans agir, ont été emportés par le torrent de la solennité de ce jour! Ils ont écouté et nont rien tait, le fleuve, cest-à-dire lanniversaire de cette solennité est venu ; le torrent sest rempli ; il passera et se desséchera ensuite ; mais malheur à celui quil
1. Matth. VII, 24-27.
aura emporté ! Que votre charité ne lignore pas : à moins découter et dagir, on ne bâtit pas sur la pierre, et lon na rien de commun avec ce nom si grand que le Seigneur a mis si bien en relief. Par là il a voulu fixer ton attention ; car si dès-le premier abord Pierre avait porté ce nom, tu ne saisirais pas aussi bien le mystère de la pierre, et tu supposerais que sil portait ce nom, cétait par un effet du hasard, et non par une disposition spéciale de la Providence. Cest pourquoi Dieu a voulu que son Apôtre eût dabord un autre nom, afin que le changement de ce nom fît mieux ressortir le mystère du nom nouveau. 15. « Et le lendemain Jésus voulut sen aller en Gaulée, et il rencontra Philippe. Il lui dit : Suis-moi. Or, Philippe était de la même ville quAndré et Pierre. Philippe » (déjà appelé par Jésus-Christ) « rencontra Nathanaël, et il lui dit: Celui dont a écrit Moïse dans la loi, et que les Prophètes ont annoncé, nous lavons trouvé: cest Jésus, fils de Joseph ». Il passait pour le fils de celui à qui sa Mère était mariée. Mais quil ait été conçu et quil soit né de cette Mère demeurée Vierge, cest ce que tous les chrétiens savent daprès lEvangile. Voilà ce que Philippe dit à Nathanaël au sujet de Jésus, en y ajoutant même le nom de son pays: « De Nazareth. Et Nathanaël lui dit : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ?». Que faut-il entendre par là, mes frères? Il ne faut pas construire cette phrase comme plusieurs la construisent, car dordinaire cest par mode dinterrogation quon prononce: « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon?» Après quoi vient la réplique de Philippe: « Viens et vois ». Ces deux derniers mots peuvent suivre les précédents, nimporte laquelle des deux manières de prononcer la phrase on aime mieux adopter. Soit que Nathanaël ait dit, avec le ton de laffirmation: « De Nazareth peut venir quelque chose de bon », soit quil ait dit, comme en interrogeant: « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth », Philippe peut avoir ajouté: « Viens et vois». Aussi, comme lun et lautre énoncés conviennent également bien aux paroles qui suivent, cest à nous de chercher comment nous devons les entendre de préférence. 16. Quel a été ce Nathanaël, nous le montrons par ce qui suit. Ecoutez, voici ce quil [373] était: le Seigneur même lui rend témoignage. Tel que nous le fait connaître le témoignage de Jean, le Sauveur est grand. Bienheureux nous apparaît Nathanaël, daprès le témoignage de la Vérité. Certes, le Seigneur navait nul besoin dêtre recommandé par le témoignage de Jean; car il se rendait à lui-même témoignage; la Vérité se sert à elle-même de témoin, et cela est suffisant pour elle. Mais parce que les hommes étaient incapables de trouver la Vérité, ils la cherchaient au moyen dun flambeau; aussi Jean fut-il envoyé pour montrer le Seigneur. Ecoute le Seigneur rendant témoignage à Nathanaël: « Et Nathanaël dit à Philippe : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon, Philippe lui dit : Viens et vois. Et Jésus vit Nathanaël qui venait à lui, et il dit: Voici un vrai Israélite en qui il ny a pas de ruse ». Témoignage considérable qui na été rendu ni à André, ni à Pierre, ni à Philippe, mais uniquement à Nathanaël. « Voici un véritable Israélite en qui il ny a pas de ruse ». 17. Quest-ce à dire, mes frères? Naurait-il pas dû être le premier des Apôtres? Non- seulement on ne le trouve pas au premier rang parmi eux; on ne le trouve ni à un rang intermédiaire, ni même au dernier, ce Nathanaël auquel le Fils de Dieu a rendu un si grand témoignage : « Voici un vrai Israélite en qui il ny a pas de ruse ». Quelle en est la cause? Autant que le Seigneur me la fait connaître vraisemblablement, la voici. Nous devons comprendre que Nathanaël était un homme instruit et habile dans la loi : or, le Seigneur na pas voulu le mettre au nombre de ses disciples, parce quil ne voulait choisir que des ignorants, afin de confondre le monde. Ecoute, voici comme sen exprime lApôtre : « Considérez, mes frères, ceux qui parmi vous ont été appelés, il sy trouve peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles; mais Dieu a choisi ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde, et ce qui nest «rien comme ce qui est, afin que ce qui est soit détruit (1) ». Si Nathanaël, qui était savant, avait été choisi, peut-être aurait-il pensé que sa science len avait rendu digne. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ voulant briser
1. I Cor. I, 2628.
lorgueil des superbes, ne sest pas servi dorateurs pour prendre le pêcheur, mais par un pêcheur il a gagné lempereur. Cyprien est un grand orateur, mais avant lui est venu Pierre le pêcheur, par qui devait croire non-seulement lorateur, mais encore lempereur. Aucun noble, aucun savant na été choisi pour commencer: Dieu na choisi que ce qui était faible selon le monde pour confondre ce qui était fort. Ainsi ce grand homme en (lui il ny avait pas de ruse na pas été choisi, et ça été uniquement parce que Dieu ne voulait pas paraître avoir choisi des savants. Il connaissait si bien la loi, que quand il entendit prononcer le nom de Nazareth (car il avait étudié à fond les Ecritures; il savait quon devait attendre de là le Sauveur du monde, ce que les Pharisiens et les autres docteurs de la loi ne connaissaient pas aussi bien), quand donc cet homme profondément versé dans la science des Ecritures, et qui les connaissait si parfaitement. eut entendu dire à Philippe: « Celui dont Moïse a écrit dans la loi, que les Prophètes ont annoncé, nous lavons trouvé, cest le Fils de Joseph, Jésus de Nazareth ». Au seul nom de Nazareth il sentit se raviver ses espérances et il dit : « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon». 18. Voyons ce qui le concerne encore: «Voici un véritable Israélite en qui il ny a pas de ruse». Quest-ce à dire: e En qui il ny a pas e de ruse? o Nétait-il pas pécheur? Nétait-il pas malade? Le médecin ne lui était-il pas nécessaire? Non, personne ici-bas nest venu au monde avec ce privilège de navoir nul besoin dun tel médecin. Que signifie donc: « En qui il ny a pas de ruse? » Redoublons dattention pour un moment, et bientôt la grâce de Dieu nous le fera découvrir. Le Seigneur se sert du mot ruse ou dol, et quiconque comprend le latin sait que dol consiste à faire une chose et à en penser une autre. Que votre charité remarque bien ceci. Dol nest pas la même chose que douleur, et si je le dis, cest que plusieurs de nos frères, peu habiles dans la langue latine, sy trompent souvent, et disent : le dol le tourmente, au lieu de, la douleur le tourmente, Le dol est une fraude, une dissimulation. Par exemple, un homme cache une chose dans son coeur et en dit une autre, voilà un dol. Cest comme sil avait deux coeurs, deux appartements, dans lun desquels il voit la vérité, tandis que dans [374] lautre il machine le mensonge. Telle est lidée que vous devez avoir du dol; car il est écrit dans le psaume « Langues pleines de dol ».Quest-ce à dire: « Langues pleines de dol ?» Ecoutez la suite: «Ils ont un coeur, et un coeur pour dire le mal (1) ». Quest-ce à dire: «Un coeur et un coeur »,sinon un coeur double? Puis donc quil ny avait pas de dol en Nathanaël, le médecin le jugeait guérissable, mais non en santé. Autre chose est davoir la santé, autre chose est de pouvoir être guéri, autre chose encore est de ne pouvoir guérir. Le malade dont on espère la guérison, on dit de lui quil peut guérir; le malade dont on désespère,on ledit inguérissable; quant à celui qui est en santé, il na pas besoin de médecin. Le médecin venu pour rendre la santé aux hommes jugea donc que Nathanaël pouvait être guéri, puisquil ny avait pas de dol en lui. Comment ny avait-il pas de dol en lui? Cest que sil était pécheur, il en convenait . Si, étant pécheur il sétait dit juste, le dol se serait trouvé dans sa bouche. Ainsi le Seigneur loua en Nathanaël laveu quil faisait de son péché; mais il ne jugea pas quil fût exempt de fautes. 19. Les Pharisiens, qui se croyaient justes, faisaient au Sauveur un reproche de ce que le médecin se mêlait aux malades. Aussi disaient-ils : « Voyez avec qui il mange, cest avec des Publicains et des pécheurs ». Le médecin répondit à ces frénétiques : « Ce nest pas aux bien portants que le médecin est nécessaire, mais aux malades: je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (2) ». Vous vous croyez justes, quoique vous soyez pécheurs; vous vous croyez bien portants, quoique vous soyez malades; voilà pourquoi vous repoussez le remède et demeurez malades. Ainsi ce Pharisien qui avait invité le Seigneur à manger chez lui se croyait en santé; une femme malade apparut brusquement en cette maison sans être invitée; mais poussée par le désir de sa guérison, elle sapprocha, non pas de la tête, non pas des mains, mais des pieds du Seigneur, les arrosant de ses larmes, les essuyant avec ses cheveux, les couvrant de baisers, les oignant de parfums; pécheresse, elle fit sa paix avec les pieds du Seigneur. Se croyant en santé, le Pharisien qui était à la table du médecin lui fit intérieurement un reproche et se dit à lui
1. Ps. XI, 3. 2. Matth. IX, 11-13.
même : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme lui touche les pieds». Ce qui lui faisait croire à lignorance du Seigneur, cest que Jésus ne repoussait pas cette femme; car, à son avis, le Christ naurait pas voulu se laisser toucher par des mains aussi impures; mais Jésus-Christ la connaissait, et il lui permit de le toucher et de trouver la guérison dans cet attouchement. Le Seigneur voyant la pensée du Pharisien, lui proposa cette comparaison : « Un créancier avait deux débiteurs. Lun lui devait cinq cents deniers, et lautre cinquante. Comme ils navaient pas de quoi le payer, il remit à chacun sa dette. Lequel des deux laima le plus? Simon répondit : Je crois, Seigneur, que cest celui à qui il a le plus remis. Et se tournant vers la femme, Jésus dit à Simon: Tu vois cette femme? Je suis entré dans ta maison, tu ne mas pas donné deau pour laver mes pieds; elle, au contraire, les a lavés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne mas point donné de baisers; mais elle na pas cessé de baiser mes pieds. Tu ne mas pas donné dhuile pour ma tête; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de parfums; cest pourquoi je te dis: Beaucoup de péchés lui sont remis, parce quelle a beaucoup aimé; mais celui à qui on remet peu aime peu (1) ». Ce qui était lui dire: Tu es plus malade quelle, mais tu te crois en santé, tu penses quon te remet peu, bien que tu doives davantage. Cest à bon droit que cette femme en qui il ny a pas de dol a mérité dêtre guérie. Quest-ce à dire: En elle il ny a pas de dol? Elle confessait ses péchés. Aussi, ce que le Seigneur loue en Nathanaël, cest labsence de tromperie. En effet, plusieurs dentre les Pharisiens, quoique remplis de péchés, se disaient justes, et par cette tromperie rendaient leur guérison impossible. 20. Ayant vu que cet homme navait pas de ruse, le Seigneur dit : « Voici un véritable Israélite en qui il ny a pas de ruse. Nathanaël lui dit: Comment me connaissez-vous? Jésus lui répondit : Avant que Philippe teût appelé lorsque tu étais sous le figuier, je tai vu », cest-à-dire sous larbre de figues où tu étais. « Nathanaël lui répondit : Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi dIsraël ». Sans doute Nathanaël a entrevu
1. Luc, VII, 36-47.
375
quelque chose de grand sous cette parole: «Pendant que tu étais sous le figuier, je tai vu avant que Philippe tappelât », puisquil répondit par cette confession : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi dIsraël »; la même que fit Pierre si longtemps après, lorsque le Seigneur lui dit : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jean ; car ce nest ni la chair, ni le sang qui te lont révélé, mais mon Père qui est au ciel (1)». Ce fut alors quil lui donna le nom de Pierre et quil le loua comme étant devenu par cette foi le fondement de son Eglise. Nathanaël dit: «Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi dIsraël ». Pourquoi parle-t-il ainsi? parce que le Seigneur lui a dit: « Avant que Philippe tait appelé, pendant que tu étais sous le figuier, je tai vu ». 21. Il nous faut chercher, mes frères, si ce figuier est un symbole. Soyez donc attentifs, Nous trouvons dans lEvangile un figuier maudit parce quil ne portait que des feuilles et pas de fruits (2). A lorigine du genre humain, Adam et Eve ayant péché se tirent des ceintures de feuilles de figuier (3). Les feuilles de figuier représentent donc le péché. Nathanaël sous le figuier, cest donc Nathanaël assis à lombre de la mort. Le Seigneur la vu, lui dont il est écrit: « Une lumière sest levée sur ceux qui étaient assis à lombre de la mort (4) ». Quest-ce donc qui a été dit à Nathanaël? Tu me demandes, ô Nathanaël : «Comment me connaissez-vous? » Tu commences à me parler parce que Philippe ta appelé. Jésus-Christ a vu comme appartenant déjà à son Eglise celui quil a appelé par lintermédiaire de son Apôtre. O Eglise, ô Israël, ô toi en qui ne se trouve aucune ruse, tu connais déjà le Seigneur par les Apôtres, comme Nathanaël la connu par Philippe. Mais avant que tu le connusses, lorsque tu gisais encore sous le péché, sa miséricorde avait jeté les yeux sur toi. Est-ce nous qui avons les premiers cherché le Christ? Nest-ce pas lui qui nous a cherchés? Malades, sommes-nous venus les premiers au médecin? Ou le médecin a-t-il couru au-devant des malades? Cette brebis nétait-elle pas égarée, et le pasteur laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres ne la-t-il pas cherchée, retrouvée et rapportée sur ses épaules? Et avec quelle joie ne la-t-il pas fait? La drachme nétait-elle
1. Matth. IV, 17. 2. Id. XXI, 19. 3. Gen. III, 7. 4. Isa. IX, 2.
pas perdue, et la femme na-t-elle pas allumé sa lampe et cherché dans toute sa maison jusquà ce quelle fût retrouvée ? Et alors : « Réjouissez-vous avec moi », dit-elle à ses voisins, parce que jai retrouvé la drachme que javais perdue (1) ». Ainsi nous étions égarés comme la brebis, nous étions perdus comme la drachme, et notre pasteur a retrouvé la brebis, mais pour lavoir cherchée; la femme a trouvé la drachme, mais en la cherchant. Quest-ce que cette femme? La chair du Christ. Quest-ce que sa lampe? « Jai préparé une lampe à mon Christ (2) ». Donc on nous a cherchés pour nous retrouver, on nous a retrouvés et nous parlons. Ne nous laissons donc pas entraîner à des sentiments dorgueil ; car avant dêtre retrouvés nous étions égarés; nous aurions péri si Jésus-Christ ne nous avait cherchés. Que ceux que nous aimons et que nous voulons gagner à la paix de lEglise catholique, ne nous disent donc pas : Pourquoi nous voulez-vous? Pourquoi nous chercher si nous sommes pécheurs ? Nous vous cherchons pour vous empêcher de vous perdre. Nous vous cherchons, parce quon nous a cherchés nous-mêmes. Nous voulons vous retrouver, parce que nous avons nous-mêmes été retrouvés. 22. Cest pourquoi Nathanaël ayant dit: « Comment me connaissez-vous ? » le Seigneur lui répondit : « Avant que Philippe tappelât, pendant que tu étais sous le figuier, je tai vu ». O Israël, toi qui es sans ruse, ô qui que tu sois, peuple vivant de la foi, avant de tappeler par mes Apôtres, pendant que tu étais assis à lombre de la mort et que tu ne me voyais pas, je tai vu. « Parce que je tai dit: Je tai vu sous le figuier, tu crois; tu verras de plus grandes choses ». Quest-ce à dire: « Tu verras de plus grandes choses? » Et il lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis : Tu verras le ciel ouvert, et les anges monter et descendre sur le Fils de lhomme ». Mes frères, je viens de dire je ne sais quoi de plus admirable que ceci : « Je tai vu sous le figuier ». De fait, en nous justifiant après nous avoir appelés, le Seigneur a fait plus quen jetant les yeux sua nous, et en nous voyant assis à lombre de la mort. Il nous a vus, mais quel profit es aurions-nous retiré, si nous étions restés d lendroit où il nous a aperçus ? Ny serions-
1. Luc, XV, 4-10. 2. Ps. CXXXI, 17.
376
nous pas encore ? Quy a-t-il donc de plus considérable que nous ayons vu les anges monter et descendre sur le Fils de lhomme? 23. Je vous ai déjà parlé de ces anges qui montaient et descendaient sur le Fils de lhomme; mais de peur que vous rie layez oublié, je vous le rappelle brièvement. Je le ferais plus longuement sil était question de vous lapprendre; pour le moment je me contente de vous Je rappeler à la mémoire. Jacob vit en songe une échelle, et sur cette échelle des anges qui montaient et descendaient; en outre il oignit la pierre quil avait mise sous sa tête (1). On vous a expliqué que le Messie est le Christ, et que Christ ou oint est la même chose. Jacob navait pas mis là cette pierre quil oignit ensuite, dans lintention de venir ladorer; car ceût été de sa part un acte didolâtrie, et sa pierre naurait pas été une figure du Christ. Elle a donc été une figure, autant du moins que cela a été nécessaire, et cette figure a été celle du Christ. La pierre a été ointe, mais non pour devenir une idole. La pierre a été ointe, pourquoi une pierre? « Voici que je place en Sion une pierre choisie et précieuse, et celui qui croira en elle ne sera pas confondu (2) ». Pourquoi: a été ointe ? Parce que Christ vient de chrisma. Mais quest-ce que Jacob vit sur léchelle? Des anges qui montaient et descendaient. Ainsi est lEglise, unes frères. Les anges de Dieu, ce sont les bons prédicateurs, ceux qui annoncent le Christ, cest-à-dire qui montent et descendent sur le Fils de lhomme. Comment montent-ils et comment descendent-ils? Lun deux nous sert dexemple. Ecoute lapôtre Paul; ce que nous rencontrerons en lui, croyons-le des autres prédicateurs de la vérité. Vois monter Paul, « Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut ravi, il y a quatorze ans, jusquau troisième ciel; si ce fut en son corps ou avec son corps, je ne le sais pas, Dieu seul le sait. Et il y entendit des paroles ineffables quil nest pas permis à un homme de rapporter (3) ». Tu las vu monter, vois-le maintenant descendre. « Je nai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels: comme à des enfants en Jésus-Christ je vous ai donné le lait, et non une
1. Gen. XXVIII, 12-18. 2. Isa. XXVIII, 16; I Pierre, II, 6. 3. II Cor. XII, 2-4.
nourriture solide (1)». Ainsi descend celui qui était monté ; jusquoù était-il monté? « Jusquau troisième ciel ». Jusquoù était-il descendu ? « Jusquà donner du lait aux enfants ». Ecoute : voici comment il est descendu : « Je me suis fait », dit-il, « petit au milieu de vous, comme une nourrice qui nourrit ses enfants (2) ». Nous voyons les nourrices et les mères descendre jusquà leurs enfants ; bien quelles sachent parler correctement le latin, elles écourtent néanmoins leurs paroles ; elles brisent en quelque sorte leur langage et, dune langue accoutumée à bien dire, elles tirent des mots capables damuser de petits enfants. Car si elles parlaient suivant leur habitude, leurs enfants ne les entendraient pas et nen profiteraient pas non plus. Ainsi en est-il dun père éloquent, habitué à ébranler le forum et à faire retentir les tribunaux de sa parole, sil a un petit enfant; de retour en sa maison, il descend des hauteurs de cette éloquence dont il avait atteint le sommet au forum, et sabaisse jusquà son enfant par la familiarité de sa conversation enfantine. Vois encore dans un même endroit lApôtre montant et descendant, et nous le découvrons dans une seule phrase: « Soit que nous sortions de nous-mêmes, cest pour Dieu; soit que nous soyons plus calmes, cest pour vous (3)». Quest-ce à dire : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, cest pour Dieu ? » sinon : « afin de voir des choses quil nest pas permis à lhomme de rapporter? » Quest-ce à dire: « Quand nous sommes calmes, cest pour vous ? » sinon: « Je nai fait profession de rien savoir parmi vous, que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (4)? » Enfin, si le Seigneur lui-même est monté et descendu, il est manifeste que ses prédicateurs montent quand ils limitent, et descendent quand ils lannoncent. 24. Si je vous ai retenus un peu plus longtemps que de coutume, ça été à dessein et pour laisser passer ces heures de réjouissances importunes. Je pense que les absents en ont fini avec leurs vanités, Pour nous, mes frères, nourris de mets salutaires, employons le temps qui nous reste de telle manière quaprès avoir passé la solennité du jour du Seigneur dans les joies spirituelles nous puissions comparer les joies de la vérité avec celles de la
1. I Cor. III, 1,2. 2. I Thess.II, 7. 3. II Cor. V, 13. 4. I Cor. ,2
377
vanité. Cette comparaison nous inspirera de lhorreur pour ces frivolités; cette horreur excitera notre douleur à légard de ce quont fait nos frères, nous fera prier; notre prière sera exaucée, et dès lors que nous serons exaucés, nous les gagnerons à Dieu.
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