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QUINZIÈME TRAITÉ.DEPUIS CET ENDROIT DE LÉVANGILE : « JÉSUS DONC, AYANT SU QUE LES PHARISIENS AVAIENT APPRIS QUIL FAISAIT UN PLUS GRAND NOMBRE DE DISCIPLES », JUSQUÀ CET AUTRE : « ET NOUS SAVONS QUIL EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU MONDE ». (Chap. IV, 1-42.)LA SAMARITAINE.
Jésus, baptisant par lui-même ou part ses disciples plus que Jean, et sachant que les Pharisiens prendraient de là occasion de le persécuter, sen alla en Galilée et passa par Samarie. A six heures, il se trouva près dun puits, et la fatigue du voyage ly fit asseoir. Ce voyage figurait son Incarnation ; sa fatigue, la faiblesse où il sest réduit pour nous rendre forts; lheure indiquait le sixième âge du monde, et te puits marquait la profondeur de nos misères. Une femme, image de lEglise des Gentils, vint puiser de leau et le rencontra. Après lui avoir demandé un peu deau pour se rafraîchir, le Sauveur offrit à cette femme une eau qui étancherait sa soif pour toujours ; mais, avec des idées toutes charnelles, elle ne pensait quà un breuvage ordinaire, signe trop fidèle des voluptés mondaines, et non à cette boisson spirituelle qui est la vérité. Alors le Christ lui dit dappeler son mari, cest-à-dire demployer toute son intelligence à lécouter. Je nen ai point. Cest vrai, car tu en as cinq, et celui que tu as nest pas le tien ; en dautres termes, tu as eu pour guides tes sens corporels, et rien, sinon lerreur, nest venu les remplacer. Appelle donc ton intelligence à ton aide. Et elle lappela, et elle comprit quà la venue du Messie tonte séparation cesserait entre es Juifs et les Samaritains ou Gentils, et elle reconnut le Messie dans celui qui lui parlait, et elle crut en lui, et elle devint lapôtre des Samaritains dont plusieurs crurent à ses paroles.
1. Ce nest point chose nouvelle pour vous dentendre dire que, pareil à laigle, Jean prend son vol dans les hauteurs, quil sélance au-dessus des ténèbres de la terre, et fixe sur la lumière de la vérité des regards pleins dassurance. Déjà, avec laide de Dieu, nous vous avons expliqué plusieurs passages de son Evangile; en suivant lordre de nos lectures, nous avons été amenés au passage que nous venons dentendre. Plusieurs dentre vous y reconnaîtront ce quils savaient déjà et napprendront rien de nouveau. Cependant, bien quil sagisse de rafraîchir une connaissance, et non pas den acquérir une nouvelle, votre attention nen doit pas être affaiblie. On vous a lu, et cest ce que nous avons entre les mains pour en faire la matière de notre instruction, on vous a lu lentretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine auprès du puits de Jacob. En cet entretien se trouvent résumés de grands mystères ; le Sauveur y fait allusion à de grandes choses, bien propres à nourrir les âmes affamées et à ranimer celles qui languissent. 2. Notre-Seigneur « ayant donc su que les Pharisiens avaient appris quil faisait un plus grand nombre de disciples et baptisait plus de personnes que Jean (bien que Jésus ne baptisât point par lui-même, mais par ses disciples), il quitta la Judée et alla de nouveau en Gaulée ». Ici pas nest besoin de longs développements. Car, en nous arrêtant à ce qui est clair, nous nous trouverions enfermés dans un espace de temps trop étroit, lorsquil sagirait dexprimer et dexpliquer les passages obscurs. Si le Seigneur avait prévu [433] que les Pharisiens, apprenant quil avait plus de disciples, et quil baptisait plus de personnes que Jean, en profiteraient pour leur salut et se rangeraient à sa suite pour devenir ses disciples et se faire baptiser par lui, certainement il naurait pas quitté la Judée, il y serait plutôt resté à cause deux. Toutefois, et ce nétait pas pour lui un mystère, ils savaient ce quil en était de lui; mais ils étaient animés à son égard dun grand mauvais vouloir; ils avaient appris à le connaître, mais pour le poursuivre, au lieu de le suivre. Il quitta donc le pays: non pas que, même en y demeurant, il neût pu éviter dêtre pris et tué par eux contre son bon vouloir; car il pouvait ne pas naître sil lavait voulu, mais parce quen total ce quil faisait comme homme, il avait dessein de servir dexemple aux hommes qui devaient croire en lui. En effet, aucun serviteur de Dieu ne pèche en passant dun lieu dans un autre, lorsquil voit que certaines gens le persécutent avec fureur, ou cherchent à lentraîner au mal. Il craindrait néanmoins doffenser Dieu en agissant de la sorte, sil navait pour sy autoriser lexemple du Seigneur. Car cette conduite, le bon Maître la tenue dans lintention de nous instruire, et non par un motif de crainte personnelle. 3. Peut-être quelquun sétonnera-t-il de ce que lEvangéliste ait dit: «Jésus baptisait plus de personnes que Jean », et quaprès ces paroles: « Jean baptisait », il ait ajouté: « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ? » Quoi donc ? Etait-ce dabord une assertion fausse, redressée ensuite par cette addition : « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ?» Ou plutôt, est-il également vrai que Jésus baptisait, et ne baptisait pas ? Il baptisait parce quil purifiait les âmes, et il ne baptisait point parce quil ne répandait pas leau sur les corps. Les disciples prêtaient le concours de leur ministère corporel; pour lui, il les aidait de sa puissance. Comment, en effet, peut cesser de baptiser Celui qui ne cesse pas de purifier, et dont lEvangéliste nous dit en répétant les paroles rapportées de Jean-Baptiste : « Cest celui-là qui baptise (1)? » Donc Jésus baptise encore, et tant quil y aura des hommes pour recevoir le baptême, cest Jésus qui le leur donnera. Approchons-nous donc avec confiance du serviteur malgré son
1. Jean, I, 33.
infériorité, parce quil a le Maître au-dessus de lui. 4. Mais, dira quelquun, à la vérité , le Christ confère le baptême en esprit, mais il ne le donne pas extérieurement : par là, quiconque reçoit visiblement et corporellement le sacrement de baptême, semble le tenir dun autre que de lui. Veux-tu une preuve quil baptise non-seulement en esprit, mais encore avec leau ? Ecoute lApôtre: « Comme Jésus-Christ », dit-il, « a aimé lEglise et sest livré à la mort pour elle, afin de la sanctifier en la .purifiant dans le baptême de leau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, nayant ni tache, ni ride, ni rien qui y ressemble ». En la purifiant de quelle manière? « Dans le baptême de leau par la parole de vie ». Quest-ce que le baptême du Christ? Un baptême deau uni à la parole. Ote leau, il ny a plus de baptême ; ôte la parole, le baptême nexiste plus. 5. Après ces préliminaires qui conduisent lEvangéliste à lentretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine, voyons, le reste : il est rempli de vérités cachées et de gros mystères. « Il fallait », dit lEcrivain sacré, « quil passât par Samarie. Il vint donc en une ville du pays de Samarie, nommée Sichar, près de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph. Là était la fontaine de Jacob». Cétait un puits: tout puits est une fontaine ; mais toute fontaine nest pas un puits. Car dès quune eau sort de terre et quon la puise pour en faire usage, on lappelle une fontaine; toutefois, sil est facile de la voir et quelle se trouve â la surface de la terre, elle sappelle simplement une fontaine. Si, au contraire, elle se voit dans les profondeurs de la terre, on lappelle un puits, bien qualors le nom de fontaine puisse encore lui convenir. 6. « Jésus donc, fatigué du chemin, sassit sur la fontaine. Cétait vers la sixième heure ». Déjà commencent les mystères. Ce nest pas sans raison que Jésus se fatigue : ce nest pas sans raison que nous voyons accablée de lassitude la vertu même de Dieu, celui qui calme nos fatigues, celui dont labsence est pour nous une cause dépuisement et dont la présence restaure nos forces. Cependant Jésus est fatigué, il est fatigué sur le chemin et il sassied, il sassied au bord dun
1. Ephés. V, 25-27.
434
puits, et cest à la sixième heure du jour. Autant de circonstances significatives, qui nous donnent à penser et nous indiquent quelque chose : elles nous rendent attentifs et nous engagent à frapper. Quil ouvre donc a vous et à moi, celui qui a daigné nous encourager à frapper, en nous disant: « Frappez, et il vous sera ouvert (1)». Cest pour toi, mon frère, que Jésus est fatigué du chemin. Nous voyons en Jésus, et la force et la faiblesse : il nous apparaît tout à la fois puissant et anéanti. Il est puissant, car « au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; au commencement était en Dieu ». Veux-tu savoir quelle est la puissance de ce Fils de Dieu? «Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien na été fait » Y a-t-il rien de plus fort que celui qui a fait toutes choses sans éprouver de lassitude? Veux-tu tassurer quil a été faible? « Et le Verbe sest fait chair, et il a habité parmi nous (2) ». Par sa puissance, le Christ ta créé ; il ta donné une nouvelle vie, en sanéantissant ; par sa puissance, il a fait ce qui nétait pas ; en devenant faible, il a empêché ce qui était de périr. Cest en sa force quil nous donne lêtre; cest en son infirmité quil nous a attirés à lui. 7. Jésus-Christ sest fait infirme pour nourrir des infirmes, pareil en cela à la poule qui nourrit ses poussins; cest la comparaison quemploie le Sauveur lui-même. « Combien de fois », dit-il à Jérusalem, « jai voulu rassembler tes enfants, comme une poule ramasse ses petits sous ses ailes, et tu ne las pas voulu (3) ! » Vous savez, mes frères, comme une poule se fait petite par amour pour ses petits; de tous les oiseaux, elle est la seule qui se montre véritablement mère. Nous voyons les passereaux faire leur nid sous nos yeux; il en est de même des hirondelles, des cigognes, des pigeons; mais nous ne nous apercevons quils ont des petits quau moment où nous les voyons dans leurs nids. Pour la poule, elle se fait si petite pour ses petits que, même lorsquils en sont éloignés et même sans quon les voie, on reconnaît. quelle est mère. En preuve, ses ailes pendantes, ses plumes hérissées, la rudesse de sa voix, le laisser-aller et labattement de son corps, tout en elle, comme jen ai fait la remarque, dénote une mère, lors même quon
1. Matth. VII, 7. 2. Jean, I, 1, 3, 14, 3. Matth. XXIII, 37.
ne la verrait point suivie de sa petite famille. Voilà limage de linfirmité de Jésus fatigué par le chemin. Son chemin, cest la chair quil a prise pour notre amour. En effet, quel chemin pouvait suivre celui qui se trouve partout et ne manque nulle part? Où pouvait-il aller? Doù pouvait-il venir? Evidemment il venait vers nous, et il ny venait quen se revêtant de la forme visible de notre corps. Puisquil a daigné venir parmi nous en prenant un corps, en se montrant dans la forme de serviteur, son incarnation est donc son chemin. Cest pourquoi « la fatigue quil a ressentie du chemin » nest autre chose que la fatigue résultant pour lui de son Incarnation. Linfirmité de Jésus-Christ vient donc de son humanité; mais ne taffaiblis pas toi-même. Que linfirmité de Jésus-Christ soit ta force; car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que tous les hommes (1). 8. Sous ce point de vue Adam, image de lhomme futur (2), nous a donné un remarquable indice de ce mystère, ou plutôt Dieu nous la donné en sa personne. Car ce fut en dormant quil dut recevoir son épouse, formée dune de ses côtes pour lui être donnée (3). En effet, de Jésus-Christ endormi sur la croix devait sortir lEglise, elle devait sortir de son côté pendant son sommeil : car cest de Jésus-Christ attaché à la croix et de son côté ouvert par la lance (4) que sont sortis les sacrements de lEglise. Mais, mes frères, pourquoi me suis-je exprimé ainsi? Cest que linfirmité de Jésus-Christ fait notre force. Cette figure ainsi montrée en Adam nous annonçait donc à lavance un grand mystère. Sans doute, pour en former la femme, il aurait pu retirer de lhomme une portion de sa chair, et il semble même que cette façon dagir aurait été plus convenable; car il sagissait de former le sexe le plus faible; or, il est évident que la faiblesse serait provenue plutôt de la chair que des os, car les os sont ce quil y a de plus ferme en notre corps. Cependant il na pas retiré de la chair pour en former la femme; mais il a retiré un os, et de cet os la femme a été formée, et à la place de cet os il a fait croître de la chair. Dieu pouvait y remettre un autre os; il pouvait, pour former la lemme, employer, non pas un os, mais de la chair. Qua-t-il donc voulu nous apprendre? Parce que la femme a été formée dune côte,
1. I Cor. I, 25. 2. Rom. V, 14. 3. Gen. II, 21. 3. Jean, XIX, 34.
elle semble forte, et la chair créée en Adam indique sa faiblesse. Le Christ est aussi lEglise : sa faiblesse est le principe de notre force. 9. Mais pourquoi la sixième heure? Parce que cétait le sixième âge du monde. Dans le langage de lEvangile, on doit regarder tourne une heure le premier âge qui va dAdam à Noé, le second qui va de Noé à Abraham, le troisième qui va dAbraham à David, le quatrième qui va de David à la capitale de Babylone, le cinquième qui va de la captivité de Babylone au baptême de Jean; le sixième enfin, qui a cours maintenant. Y a-t-il en cela de quoi tétonner? Jésus est venu, il est venu près dun puits, cest-à-dire quil sest humilié; il sest fatigué à venir, parce quil sest chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce tue cétait le sixième âge du monde. Il est venu près dun puits, parce quil est descendu jusque dans labîme qui faisait notre demeure. Cest pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de labîme, Seigneur, jai crié vers vous (1) ». Enfin il sest assis près dun puits, car je lai dit déjà, il sest humilié. 10. « Vint une femme ». Figure de lEglise non encore justifiée, mais déjà sur le point laie devenir, car cette justification est loeuvre de la parole. Elle vient dans lignorance de ce quétait Jésus; elle le trouve, il entre en conversation avec elle. Voyons ce quelle est venue faire; voyons ce quelle est venue chercher: « Une femme de Samarie vint pour puiser de leau ». Les Samaritains nappartenaient pas à la nation juive, et bien quhabitant un pays voisin, ils étaient regardés comme étrangers. Il serait trop long de vous expliquer lorigine des Samaritains; de telles digressions nous arrêteraient et nous ôteraient le temps pour le nécessaire. Quil nous suffise donc de mettre les Samaritains au nombre des étrangers. Ne me soupçonnez pas davoir mis à vous faire cette assertion plus de hardiesse que de vérité; écoutez Notre-Seigneur lui-même ; remarquez ce quil dit de ce Samaritain, le seul des lépreux guéris par lui, qui fût revenu lui rendre grâces. « Tous les dix nont-ils pas été guéris? Où sont les neuf autres? Il ne sen est pas trouvé qui soit revenu rendre gloire à Dieu, sinon cet étranger (2)». Les convenances
1. Ps. CXXIX, 1. 2. Luc, XVII, 17, 18.
du mystère figuré demandaient que cette femme, qui représentait lEglise, vînt dun peuple étranger. LEglise, en effet, devait venir des Gentils et dun peuple étranger aux Juifs. Dans ses paroles écoutons les nôtres, reconnaissons-nous dans sa personne et rendons grâces à Dieu de ce quil fait en elle pour nous. Elle était une figure, et non la réalité; mais pour avoir été dabord une figure, elle est devenue ensuite la réalité; car elle a cru en celui qui nous la proposait comme une figure. « Elle vint donc puiser de leau ». Elle était venue en toute simplicité puiser de leau, comme le font dhabitude les hommes et les femmes. 11. « Jésus lui dit: Donnez-moi à boire ; car ses disciples sen étaient allés en ville pour acheter de quoi se nourrir. Or, cette femme Samaritaine lui dit : Comment se fait-il quétant Juif vous me demandiez à boire, à moi qui suis Samaritaine? car les Juifs ne communiquent pas avec les Samaritains » . Vous le voyez, cétaient des étrangers pour les Juifs : ceux-ci ne voulaient pas même se servir des vases qui étaient à leur usage. Et comme cette femme portait avec elle un vase pour puiser de leau, elle sétonne quun Juif lui demande à boire. Car les Juifs navaient pas coutume de le faire. Mais si Jésus lui demandait à boire, cétait en réalité de sa foi quil avait soif. 12. Enfin quel est celui qui lui demande à boire? Ecoute, lEvangéliste va le dire: « Jésus lui répondit: Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te dit: Donne-moi à boire, peut-être lui en aurais-tu demandé, et il taurait donné de leau vive ». Il demande et il promet à boire. Il a besoin en tant quil demande; et chez lui il y a surabondance, puisquil doit satisfaire tous les désirs. « Si tu connaissais le don de Dieu ». Le don de Dieu, cest le Saint-Esprit. Mais il parle à cette femme à mots couverts, et peu à peu il entre en son coeur : peut-être même linstruit-il déjà. Où trouver une exhortation plus douce et plus engageante? « Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te dit : « Donne-moi à boire, peut-être lui en aurais tu demandé, et il taurait donné de leau vive ». Jusquici il tient en suspens lesprit de cette femme. Dans le langage ordinaire on appelle eau vive celle qui sort de la source. Quant à la pluie quon recueille dans des bassins [436] ou des citernes, on ne lui donne point le nom deau vive. Leau vive est celle qui coule de source et quon puise dans son lit. Telle était leau de la fontaine de Jacob. Que lui promettait donc celui qui lui en demandait? 13. Cependant cette femme ainsi tenue en suspens lui dit: « Seigneur, vous navez pas de vase pour puiser, et le puits est profond ». Reconnaissez à cela ce quelle entendait par eau vive. Elle entendait leau de la fontaine de Jacob. Vous voulez me donner de leau vive, mais le vase pour la puiser je lai entre mes mains, et il vous manque. Cette eau vive, elle est ici, comment pouvez-vous men donner? Elle ne comprend pas les choses dans le vrai sens: elle en juge encore dune manière charnelle; et, toutefois, elle frappe dune certaine manière pour que le maître lui ouvre la porte encore fermée. Elle frappe par son ignorance, non par ses désirs, elle était digne de la pitié du Sauveur, mais pas encore de ses instructions. 14. Le Seigneur lui parle de cette eau vive en termes plus clairs. Cette femme lui avait dit: « Etes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits; et lui-même en a bu, et ses enfants, et ses troupeaux? » En dautres termes: vous ne pouvez me donner de cette eau vive, car vous navez pas de vase pour en puiser; sans doute celle que vous me promettez a sa source ailleurs. Pensez-vous donc valoir mieux que notre père, qui a creusé ce puits pour son usage et celui des siens? Cest le moment que le Seigneur lui explique ce quil entend par eau vive. « Jésus lui répondit : Quiconque boira de cette eau aura encore soif; mais celui qui boira de leau que je lui donnerai naura jamais soif, et leau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante jusquà la vie éternelle ». Ici le langage de Notre-Seigneur est plus clair: « Cette eau deviendra en lui une source jusquà la vie éternelle. Celui qui boira de cette eau naura jamais soif ». Etait-il possible de marquer plus clairement que sil promettait de leau, cétait une eau invisible, et non pas une eau visible; quil parlait selon lesprit et non selon la chair? 15. Néanmoins cette femme comprend encore les choses dans un sens charnel; heureuse de penser quelle naurait plus soif, elle supposait que le Sauveur lui avait fait une pareille promesse dans le sens matériel : sans doute cette promesse se réalisera un jour, mais au jour de la résurrection des morts. La Samaritaine voulait la voir saccomplir immédiatement. Aussi bien Dieu avait autrefois donné à son serviteur Elie de demeurer quarante jours sans éprouver ni faim, ni soif (1). Celui qui a pu accorder une pareille grâce pendant quarante jours, ne peut-il pas laccorder toujours? Elle soupirait donc, ne voulant ni manquer deau, ni sen procurer avec tant de fatigue. Venir continuellement à cette fontaine, sen retourner chargée de la provision nécessaire pour subvenir à ses besoins; puis, cette provision épuisée, se voir de nouveau contrainte à revenir, cétait là son travail de tous les jours, parce que cette eau qui soulageait la soif -ne léteignait pas. Joyeuse de la promesse que lui fait le Christ de cette eau vive, elle demande au Seigneur de la lui donner. 16. Toutefois, noublions pas que le Sauveur lui promettait un don spirituel. Quest. ce à dire : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif? » Parole véritable, si on lapplique à cette eau véritable encore, si un lapplique à ce dont elle était la figure. Leau, au fond de ce puits, cest la volupté du siècle dans sa ténébreuse profondeur. La cupidité des hommes, voilà le vase qui leur sert à y puiser. Leur cupidité les fait pencher vers ces profondeurs jusquà ce quils en touchent le fond et y puisent le plaisir; mais toujours la cupidité marche et précède. Car celui qui ne fait pas dabord marcher la cupidité ne peut arriver au plaisir. Supposez donc que la cupidité est le vase avec lequel on puise, et que leau que lon doit tirer du puits cest le plaisir lui-même, et le plaisir mondain que lon goûte, cest le boire, le manger, le bain, les spectacles, limpureté; celui qui sy adonne nen sera-t-il plus désormais altéré? Donc Jésus dit avec raison : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif »; mais si je lui donne de mon eau, « il naura jamais soif ». Nous serons rassasiés, a dit le Prophète, « de labondance des biens de votre maison (2) ». De quelle eau donnera donc le Sauveur, sinon de celle dont il est écrit: « En vous est la source de vie? » Comment, en effet, auront soif « ceux qui seront enivrés de labondance de votre maison (3)?»
1. III Rois, XIX, 8. 2. Ps. CXIV, 5. 3. Id. XXXV, 10, 9.
437
17. Ce que promettait donc Notre-Seigneur, cétait la plénitude et la satiété dont le Saint-Esprit est lauteur. La Samaritaine ne le comprenait pas encore, et dans son intelligence que répondait-elle? « Cette femme lui dit . «Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je naie plus soif et que je ne vienne plus ici pour en tirer ». Travail pénible auquel la contraignaient ses besoins et qui rebutait sa faiblesse. Si seulement elle entendait ces paroles: « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai (1) ! » Car ce que lui promettait Jésus, cétait la délivrance de sa peine; mais elle ne le comprenait pas encore. 18. Aussi, pour lui donner lintelligence, «Jésus lui dit: Va, appelle ton mari, viens ici ». Quest-ce à dire: « Appelle ton mari ? » Voulait-il lui donner de cette eau par lentremise de son mari? Ou bien voulait-il, par lintermédiaire de celui-ci, lui enseigner ce quelle ne comprenait pas encore? Peut-être parlait-il dans le même sens que lApôtre, lorsquil dit des femmes: « Si elles veulent apprendre quelque chose, quelles interrogent leurs maris dans leurs maisons ? » Mais Paul fait aux femmes cette recommandation: «Quelles interrogent leurs maris dans leurs maisons», pour le cas où Jésus nest pas là afin de les instruire lui-même; dailleurs lApôtre sadressait aux femmes à qui il défendait de parler dans lÉglise (2). Mais le Seigneur était là, et il parlait directement à la Samaritaine : y avait-il dès lors nécessité de se servir de son mari pour linstruire? Etait-ce par lintermédiaire de son mari quil parlait à Madeleine, au moment où celle-ci, assise à ses pieds, lécoutait attentivement, et où Marthe, tout entière à la multitude des soins de son ministère hospitalier, murmurait cependant de la félicité de sa soeur (3)? Donc, mes frères, prêtons loreille et tâchons de comprendre ce que Notre-Seigneur dit à cette femme : « Appelle ton mari ». Ce mari de notre âme, cherchons à le connaître. Pourquoi Jésus ne serait-il pas le véritable époux de notre âme? Puissiez-vous me bien comprendre ! car ce que jai à dire ne peut être compris, même par les personnes attentives, que dans une faible mesure. Puissiez-vous me comprendre et lintelligence de mes paroles sera peut-être lépoux de vos âmes.
1. Matth. XI, 28. 2. I Cor. XIV, 35, 34. 3. Luc, X, 39, 40.
19. Voyant que cette femme ne le comprenait pas, et voulant lui faire saisir sa pensée, Jésus lui dit: « Appelle ton mari ». Tu ne comprends pas encore ce que je dis, parce que ton intelligence nest pas encore ouverte; je parle selon lesprit et tu mentends selon la chair. Ce que je dis ne flatte ni les oreilles, ni les yeux, ni lodorat, ni le goût, ni le sens du toucher; lesprit seul le saisit, lentendement seul peut en faire sa propriété. Or, cet entendement tu ne las pas encore; comment donc pourrais-tu comprendre mes paroles? « Appelle ton mari » ; amène ici ton entendement. Car à quoi te servirait davoir seulement une âme? Il ny aurait là rien de merveilleux, car les bêtes en ont aussi une. Doù vient ta prééminence sur elles? De lentendement que tu as et quelles nont pas. Quel est donc le sens de ces paroles: « Appelle ton mari? » Tu ne mentends pas, tu ne me comprends pas; je te parle du don de Dieu, tu penses à ton corps; tu ne veux plus que ton corps ait soif, je madresse à lesprit: ton entendement ny est pas, « appelle ton mari ». Ne sois pas comme le cheval et le mulet, qui nont point dintelligence (1). Donc, mes frères, avoir une âme et navoir point dentendement, ou en dautres termes lavoir inutilement et nen pas faire la règle de notre vie, cest mener une vie de bête. Car il y a en nous quelque chose qui tient de la bête, et fait vivre notre corps; ce quelque chose, lentendement doit le régir. Ainsi lesprit doit imprimer une direction plus noble aux mouvements de lâme quand elle se laisse influencer par le corps et quelle désire se précipiter sans mesure dans les plaisirs de la chair. Qui est-ce qui doit être appelé le mari? Celui qui se laisse conduire ou celui qui dirige? Evidemment, dans toute vie bien réglée, le guide de lâme, cest lentendement qui fait partie de lâme. Car il nest pas différent delle-même, il en est une partie; comme loeil nest pas chose différente du corps, mais en est une portion. Cependant, bien quil soit une portion du corps, loeil seul jouit de la lumière; les autres membres peuvent en recevoir les rayons. mais ils sont incapables de les percevoir, loeil seul en est pénétré et en jouit. Ainsi dans notre âme il est une faculté qui sappelle entendement, Cette faculté appelée esprit, intelligence, reçoit les rayons dune
1. Ps. XXI, 9.
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lumière supérieure. Or, cette lumière supérieure dont lintelligence humaine se trouve éclairée, cest Dieu. En effet, « il était la lumière véritable qui éclairé tout homme venant en ce monde (1) ». Cette lumière, cétait le Christ, cette lumière sentretenait avec la Samaritaine, mais cette femme était absente par son entendement; son intelligence ne pouvait être éclairée par cette lumière ; elle était incapable, non pas den recevoir les rayons, mais de les percevoir. Aussi, comme pour lui dire : je veux éclairer quelquun, mais ce quelquun me manque, il lui adresse ces paroles: « Appelle ton mari », appelle ton entendement afin quil tinstruise et te gouverne. Représente-toi donc lâme séparée de lentendement sous lemblème dune femme, et lentendement sous lemblème de son mari. Toutefois le mari ne dirige bien sa femme quautant quil obéit lui-même à une direction venant de plus haut, Car le chef de la femme, cest lhomme; et le chef de lhomme, cest le Christ (2). Le chef de lhomme parlait avec la femme, et lhomme ny était pas, et, comme si le Sauveur disait à la femme : Fais venir ton chef afin quil se soumette au sien, il prononce ces mots; « Appelle donc ton mari et viens ici avec lui », ou en dautres termes: viens ici ; mets-toi devant moi; tu es comme absente aussi longtemps que tu nentends pas la voix de la vérité qui se trouve devant toi. Mets-toi devant moi, mais ny viens pas seule; que ton mari sy présente avec toi. 20. Mais comme cette femme na pas encore appelé son mari, elle nentend pas, ses pensées demeurent charnelles. En effet, son mari est absent. « Je nai pas », dit-elle, « de mari ». Cependant le Seigneur continue à lui parler en mystère. Véritablement cette femme navait pas alors de mari; mais, ainsi que tu le devines, elle vivait dans je ne sais quel commerce honteux et illégitime, dans le commerce non pas dun mari, mais dun adultère. Aussi le Seigneur lui répondit-il : « Tu as bien parlé, tu nas pas de mari ». Pourquoi donc me disiez-vous: « Appelle ton mari? » Remarque-le bien, Notre-Seigneur savait parfaitement quelle navait pas de mari. En voici la preuve: « Et il lui dit, etc. » Aussi, pour ne vas laisser à cette femme la pensée quil lui avait répondu: « Tu as bien parlé, tu nas pas
1. Jean, I, 9. 2. I Cor. XI, 3.
de mari », uniquement parce quelle venait de len instruire, et non parce que la lumière de sa divinité le lui avait fait découvrir, il lui réplique: Voici ce que tu ne mas pas dit: « En effet, tu as eu cinq maris et celui que tu as nest point ton mari ; ce que tu as dit est vrai ». 21. Par là Notre-Seigneur nous contraint de chercher avec plus dattention quelque sens caché touchant ces cinq maris. Plusieurs ont cru, non sans fondement et même avec une certaine probabilité, voir dans les cinq maris de cette femme les cinq livres de Moïse. En effet, ils étaient reçus des Samaritains et formaient leur loi comme celle des Juifs : voilà sans doute pourquoi la circoncision était en usage chez ces deux peuples ; mais à cause de la difficulté que présentent les paroles sui. vantes « Et celui que tu as maintenant nest pas ton mari », nous pouvons plus aisément comprendre, ce me semble, que, sous lemblème des cinq premiers maris, les cinq sens du corps sont désignés comme les époux de lâme. Car à sa naissance, et avant davoir lusage de son esprit et de sa raison, chaque homme na pour le régir que ses sens corporels. Ce qui tombe sous le sens de louïe, de la vue, de lodorat, du goût, du toucher, voilà chez le petit enfant tout lobjet de ses répugnances ou de ses désirs. Ce qui flatte ses sens, il le recherche, il repousse ce qui les blesse; car ce qui les flatte est plaisir,ce qui les blesse est douleur. Cest donc sous linfluence de ces cinq sens comme dautant de maris que lâme vit dabord, parce que cest par eux quelle est régie. Pourquoi leur donne-t-on le nom de maris? Parce quils sont légitimes. Cest Dieu qui les a formés, cest Dieu qui les a donnés à lâme. Elle est infirme tant quelle demeure sous la loi des sens et quelle agit sous lautorité de ces cinq maris ; mais aussitôt que le temps est venu de délivrer la raison de leur influence, si lâme se laisse diriger par une règle de conduite supérieure, et par les leçons de la sagesse, alors succèdent à lempire et à linfluence des sens lempire et linfluence dun seul véritable et légitime mari, meilleur que les autres; et ce mari la gouverne mieux, la dirige, la cultive, la prépare dans le sens de léternité. Loin de nous imprimer une direction qui aboutisse à léternité, les sens ne nous portent que vers les choses du temps, soit pour nous les faire désirer, soit pour nous [439] en inspirer le dégoût. Mais dès que lentendement pénétré par la sagesse a pris le gouvernement de lâme, il ne lui apprend plus uniquement à éviter les fossés et à suivre le chemin droit que les yeux indiquent à son âme débile, ou à écouter avec plaisir les sons mélodieux et à fermer les oreilles aux sons discordants, à se complaire aux odeurs agréables et à repousser les odeurs nauséabondes, à aimer le miel et à détester le vinaigre, à toucher avec plaisir ce qui est poli et à éprouver une sensation désagréable au contact des aspérités. Toutes ces connaissances, lâme infirme en avait besoin. Dans quel sens lentendement y ajoute-t-il sa direction ? Il vient discerner, non plus le blanc du noir, mais le juste de linjuste, le bien du mal, lutile de linutile, la chasteté de limpudicité, lune pour laimer, lautre pour la fuir; la charité de la haine, la première pour y demeurer, la seconde pour sen garantir. 22. Chez cette femme, les cinq premiers maris navaient pas encore cette sorte de successeur; car, où lentendement ne succède pas aux sens, là règne lerreur, elle domine en maître. En effet, dès quelle commence à devenir capable de raisonner, lâme se laisse conduire par la sagesse ou par lerreur. Or, lerreur ne gouverne pas, elle conduit aux abîmes. Après avoir subi lempire de ses sens, cette femme était donc encore en butte à lerreur, et lerreur la ballottait comme aurait fait un vent violent. Cette erreur nétait pas un mari légitime, mais un adultère; cest pourquoi le Seigneur lui répond : « Tu as dit avec justesse : Je nai pas de mari, car tu as eu cinq maris ». Les cinq sens de ton corps ont été tes maîtres; tu es parvenue à lâge de raison, mais non à la sagesse; tu es tombée dans lerreur : aussi, « après ces cinq maris, celui que tu as maintenant nest pas ton mari ». Mais sil nétait pas le mari, quétait-il donc, sinon un adultère? « Appelle-le », non « ladultère,», mais « ton mari », afin de mentendre selon lEsprit, et non selon lerreur qui te donnerait de moi de fausses idées. En effet, cétait de la part de cette femme une erreur de penser à leau du puits de Jacob, quand cétait du Saint-Esprit que lui parlait le Seigneur. Pourquoi se trompait-elle, sinon parce quelle vivait avec un adultère, au lieu de vivre avec son mari légitime? Débarrasse-toi donc de cet adultère qui te corrompt: « va, et appelle ton mari ». Appelle-le et reviens, et tu me comprendras. 23. « Cette femme lui dit : « Seigneur, je vois que vous êtes un prophète ». Voici que le mari commence à venir, mais il nest pas encore tout à fait venu. Elle jugeait que le Seigneur était un prophète. Sans doute, il en était un; car il a dit de lui-même « Nul Prophète nest bien reçu dans son pays (1). Dieu avait encore dit de lui à Moïse: « Je leur susciterai dentre leurs frères un Prophète semblable à toi (2) ». Semblable par la forme du corps, mais bien différent sous le rapport de la grandeur. Nous voyons donc que Notre-Seigneur a été appelé Prophète dans les temps anciens; la Samaritaine ne se trompe donc pas beaucoup lorsquelle dit: « Je vois que vous êtes un Prophète ». Par cette réponse, elle commence à appeler son mari et à chasser ladultère: « Je vois que vous êtes un Prophète ». Elle commence ainsi à rechercher ce qui avait coutume de lémouvoir; car lobjet de la dispute entre les Samaritains et les Juifs, cétait que les Juifs adoraient Dieu dans le temple construit par Salomon, tandis que les Samaritains, éloignés de ce temple, adoraient Dieu ailleurs. En conséquence, les Juifs se vantaient de leur être supérieurs, parce quils adoraient Dieu dans le temple. « Les Juifs nont donc aucun commerce avec les Samaritains ». Et ceux-ci, de leur part, répliquaient par cette réponse : Pourquoi vous vanter et vous dire supérieurs à nous? Parce que vous avez un temple que nous navons pas? Nos pères ont été aimés de Dieu, et pourtant lont-ils adoré dans ce temple? Nétait-ce pas sur cette montagne où nous nous trouvons? Adressées à Dieu du haut de cette montagne, nos prières sont donc préférables aux vôtres, puisque cest là que nos pères ont eux-mêmes prié. Les uns et les autres trouvaient dans leur ignorance ample motif à dispute, parce quils nétaient pas avec le mari. Ceux-ci étaient fiers de posséder leur montagne; ceux-là davoir leur temple; de là leur mutuel antagonisme. 24. Comme si cette femme commençait à avoir son mari auprès delle, le Sauveur se met à linstruire; et que lui dit-il? « Elle lui dit : Seigneur, je vois que vous êtes un Prophète. Nos pères ont adoré Dieu sur cette montagne, et vous autres vous dites que le
1. Luc, IV, 24. 2. Deut. XVIII, 18.
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lieu où il le faut adorer est Jérusalem. Jésus lui dit : Femme, crois-moi. » Voici venir lEglise, comme il est écrit au Cantique des Cantiques. « Elle viendra, et elle savancera du commencement de la foi (1) ». Elle viendra pour savancer, et elle ne le peut que « par le commencement de la foi ». Maintenant que le mari est présent, cest avec justice quil lui dit : « Femme, crois-moi ». A cette heure il y a en toi ce qui peut croire, puisque ton mari est présent. Ton intelligence a commencé à manifester sa présence, lorsque tu mas donné le nom de Prophète. « Femme, « crois-moi »; car si vous ne croyez pas, vous serez incapables de comprendre (2). Donc, « Femme, crois-moi, parce que viendra lheure où vous nadorerez le Père, ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Vous adorerez ce que vous ne comprenez point; pour nous, nous adorons ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs; mais viendra lheure ». Quand? « Et la voici maintenant ». Quelle est cette heure? « Cette heure où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » non pas sur cette montagne, non pas dans le temple, mais en esprit et en vérité; « car le Père demande de semblables adorateurs ». Pourquoi le Père demande-t-il de pareils adorateurs, non sur cette montagne ou dans le temple, mais en esprit et en vérité? « Dieu est Esprit ». Si Dieu était corps, il faudrait adorer Dieu sur cette montagne qui est matérielle, ou dans le temple qui est un être corporel. « Dieu est Esprit, et ceux qui ladorent, cest en esprit et en vérité quils le doivent adorer ». 25. Nous lavons entendu, et rien nest plus manifeste; nous étions allés au dehors, et nous avons été renvoyés à lintérieur. Oh, se dira quelquun, si je trouvais quelque montagne élavée et solitaire! car je crois que Dieu habite les endroits élevés, et quil mentend mieux du faîte de ces hauteurs. Pour être sur une montagne, tu te crois proche de Dieu; tu te considères comme plus à portée dêtre entendu de lui, vu que tu tadresses à lui de plus près. A la vérité, il habite les hauteurs, « mais il regarde les humbles. Dieu est proche ». De qui? Peut-être de ceux qui sont élevés? « De ceux qui ont brisé leur cur (3)».
1. Cant. IV, 8, selon les Septante. 2. Isa. VII, 9, selon Les Septante. 3. Ps. XXXIII, 19.
Chose merveilleuse ! Il habite les hauteurs, et il est proche des humbles. « Ce qui est humble, il le regarde; ce qui est élevé, il ne le connaît que de loin (1) ». Les orgueilleux, il les voit de loin, et ils lui sont dautant moins proches quils se jugent plus élevés. Tu cherchais donc une montagne? Descends pour y parvenir. Mais veux-tu monter? Monte, mais sans chercher une montagne. « Il a placé dans son coeur les degrés par lesquels il sélève » (ainsi sexprime le Psalmiste) « au travers de cette vallée de larmes (2) ». Toute vallée est basse, cest dans ton coeur que tout doit se passer. Que sil te faut quelque lieu élevé, quelque lieu saint, fais de toi-même et intérieurement un temple au Seigneur. Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (3). Veux-tu prier dans un temple? Prie en toi-même; mais auparavant, sois le temple de Dieu; car cest dans son temple quil écoute ceux qui le prient. 26. « Vient donc lheure, et elle est déjà venue, où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons ; vous autres, vous adorez ce que vous ignorez; car le salut vient des Juifs ». Ces paroles donnent beaucoup aux Juifs; mais garde-toi de considérer ces Juifs comme réprouvés; considère-les, au contraire, comme étant ce mur auquel est venu, sen réunir un autre, afin que tous deux fussent fortifiés et réunis par la pierre angulaire qui est le Christ. Le premier mur est formé des Juifs; le second des Gentils ; et tous deux sont éloignés lun de lautre jusquà lendroit où ils se réunissent ensemble par le moyen de la pierre de langle. Les Gentils étaient hors de lalliance et étrangers aux promesses de Dieu (4). Cest pourquoi il est dit : « Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons » ,ce quil faut entendre des Juifs, non pas de tous les Juifs, non pas des Juifs réprouvés, mais des Juifs tels que furent les Apôtres, les Prophètes et tous les saints qui vendirent tous leurs biens et en déposèrent le prix aux pieds des Apôtres (5). Car Dieu na pas repoussé le peuple quil sest prédestiné (6). 27. Cette femme lentend, et elle ajoute. Faites attention à sa réponse. Déjà elle lavait appelé Prophète; mais voyant que celui avec
1. Ps. CXXXVII, 6. 2. Id. LXXXIII, 6, 7. 3. I Cor. III, 17. 4. Ephés. II, 12-22. 5. Act. IV, 31, 35. 6. Rom. XI, 2.
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qui elle parlait disait des choses plus grandes que celles qui pouvaient convenir à un prophète: « Je sais», lui dit-elle, « que le Messie, qui se nomme le Christ viendra, et que quand il viendra il nous apprendra toutes choses ». Quest-ce à dire? En ce moment,. les Juifs disputent pour leur temple, et nous pour notre montagne; mais lorsque le Messie viendra, il méprisera la montagne et renversera le temple; il nous apprendra toutes choses en nous apprenant à ladorer en esprit et en vérité. Déjà elle savait qui pouvait linstruire; mais elle ne savait pas que ce docteur lui parlait déjà. Aussi était-elle déjà digne de le reconnaître. Le Messie a été oint; le mot oint signifie Christ, en grec, Messie, en hébreu; delà vient que, dans la langue punique, Messie signifie : oignez. La raison de cette ressemblance vient de la parenté et du voisinage des trois langues hébraïque, punique et syrienne. 28. « Cette femme lui dit donc: Je sais que de Messie, qui se nomme le Christ, viendra, et que quand il sera venu il nous annoncera toutes choses. Jésus lui dit : Moi qui te parle, je suis le Christ ». Elle a appelé son mari, le mari est devenu le chef de la femme, le Christ est devenu le chef de lhomme (1). Déjà elle se met daccord avec la foi, elle suit la règle qui la fera bien vivre. Après avoir entendu ces paroles « Moi qui te parle, je suis le Christ», que pouvait ajouter cette femme à qui Notre-Seigneur avait voulu se manifester en lui disant : « Crois-moi? » 29. « En même temps arrivèrent ses disciples, et ils sétonnèrent de ce quil parlait à une femme ». Jésus cherchait celle qui était perdue, car il était venu chercher ce qui périssait; et ils sen étonnaient. Ils admiraient le bien, ils ne soupçonnaient pas le mal. Aucun pourtant ne lui dit : « Que cherchez-vous, ou pourquoi parlez-vous avec elle? » 30. « Cette femme donc laissa là sa cruche». Après avoir entendu ces paroles : « Moi qui te parle, je suis le Christ », et reçu dans son coeur le Christ Notre-Seigneur, quavait-elle de plus à faire quà laisser là sa cruche et à courir annoncer quil était venu? Elle se débarrasse au plus vite de sa cupidité, elle se hâte daller annoncer la vérité : grande leçon pour ceux qui veulent annoncer lEvangile ! Quils laissent là leur cruche. Rappelez-vous
1. I Cor. XI, 3.
ce que je vous ai précédemment dit sur cet objet. Cétait un vase destiné à puiser leau; il tire son nom du grec hydria, parce que dans cette langue le mot udor signifie eau; cest donc comme si lon disait : réservoir deau. Elle laisse là sa cruche qui, loin de lui être utile, devient pour elle un fardeau; car elle na plus quun désir, celui de boire à longs traits leau dont lui a parlé le Christ. Pour annoncer le Christ, elle se débarrasse donc de son fardeau; « elle court à la ville et dit aux habitants: Venez et voyez un homme qui ma dit tout ce que jai fait ». Elle ne parle quavec mesure, de peur dexciter leur colère et leur indignation et dêtre persécutée: « Venez et voyez un homme qui ma dit tout ce que jai fait. Nest-il point le Christ? Ils sortirent de la ville et vinrent vers lui ». 31. « Cependant ses disciples le priaient, disant : Maître, mangez ». Car ils étaient allés acheter des vivres, et ils étaient revenus. « Mais il leur dit: Jai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas. Les disciples se disaient donc les uns aux autres: Quelquun lui a-t-il apporté à manger? » Y a-t-il rien détonnant à ce que cette femme nait pas compris de quelle eau il sagissait, quand les disciples eux-mêmes ne comprenaient pas de quelle nourriture le Sauveur leur parlait? Pour lui, il a connu leurs pensées et il les instruit comme leur maître, non par une voie détournée, ainsi quil avait fait avec cette femme dont il voulait entretenir le mari, mais directement. « Ma nourriture », leur dit-il, « est de faire la. volonté de Celui qui ma envoyé ». Il lui disait donc: « Jai soif, donnez-moi à boire », pour établir la foi en elle et sen faire un breuvage, et par la foi faire delle un membre de son corps. Car le corps de Jésus-Christ, cest lEglise. Aussi dit-il: « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui ma envoyé ». 32. « Vous autres, ne dites-vous pas quil y a encore quatre mois et la moisson viendra? » Il séchauffait à son oeuvre et se disposait à envoyer des ouvriers à la moisson, Vous autres, vous comptez quatre mois jusquà la moisson, moi je vous en montre une qui a déjà blanchi et qui est toute prête. « Et moi, je vous, dis : Levez les yeux et voyez, les campagnes sont déjà blanches pour la moisson ». Donc il enverra des moissonneurs, [442] « Car il y a du vrai dans cette parole: Autre est celui qui moissonne, autre est celui qui sème, afin que celui qui sème se réjouisse et avec lui celui qui moissonne. Je vous ai envoyés moissonner où vous navez pas travaillé; dautres ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux ». Quoi donc? A-t-il envoyé ceux qui moissonnent, et nous pas ceux qui sèment? Où a-t-il envoyé ceux qui moissonnent? Là où les autres ont déjà travaillé; car où lon avait travaillé on avait certainement semé, et ce qui avait été semé était déjà mûr et nattendait plus que la faux et le fléau. Où devaient donc être envoyés les moissonneurs? Là où les Prophètes, véritables semeurs, avaient prêché; car sils nont -pas été des semeurs, comment cette femme a-t-elle pu dire: « Je sais que le Messie viendra? » Déjà elle était elle-même un fruit mûr: cétait une moisson qui avait déjà blanchi et qui réclamait la faux du moissonneur. « Je vous ai donc envoyés ». En quel endroit? « Moissonner ce que vous navez pas semé; dautres ont travaillé et vous, vous êtes entrés dans leurs travaux ». Qui sont ceux qui ont travaillé? Abraham, Isaac, Jacob. Lisez le détail de leurs travaux; dans tous leurs travaux ils prophétisaient Jésus-Christ; ils étaient par conséquent des semeurs. Moïse elles autres Patriarches, et les Prophètes, que nont-ils pas souffert dans cette froide saison où ils semaient? Donc en .Judée la moisson était déjà prête. Il est sûr que la récolte était parvenue à maturité au moment où tant de milliers dhommes apportaient le prix de leurs biens, les mettaient aux pieds des Apôtres, se débarrassant ainsi du fardeau des possessions temporelles, et se mettaient à la suite de Notre-Seigneur. Véritablement la moisson était mûre. Quest-il résulté de cela? Quelques grains récoltés alors ont servi à ensemencer lunivers entier, et cette femme a produit une autre moisson destinée à être recueillie à la fin des siècles. Cest de cette moisson quil est dit: « Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans la joie (1)»; moisson pour laquelle seront envoyés non plus les Apôtres, mais les anges. « Les moissonneurs », dit Jésus-Christ , « sont les
1. Ps. CXXV, 5.
Anges (1)». Cest là cette moisson qui croît au milieu de livraie et qui attend le moment où elle en sera séparée à la fin des siècles, Quant à celle à laquelle les disciples ont dabord été envoyés et quavaient préparée les Prophètes, elle était déjà mûre, Cependant, mes frères, considérez ce qui est dit: « Afin que se réjouissent ensemble et celui qui sème et celui qui moissonne ». Lépoque de leur travail a été différente, mais ils entreront en possession de la même joie; la même récompense, cest-à-dire la vie éternelle, deviendra leur partage. 33. « Or, plusieurs des Samaritains de cette ville crurent en lui sur la parole de la femme qui avait rendu ce témoignage: Il ma dit tout ce que jai fait. Les Samaritains étant donc venus à lui, ils le prièrent de demeurer parmi eux, et il y demeura deux jours. Et un bien plus grand nombre crurent en lui à cause de ses discours, et ils disaient à la femme: « Ce nest plus sur ta parole que nous croyons; car nous lavons entendu nous-mêmes et nous savons quil est véritablement le Sauveur du monde». Il importe de sappliquer un peu à ces paroles qui terminent la lecture de ce jour. La femme a dabord annoncé Notre-Seigneur; ensuite les Samaritains ont cru à son témoignage, puis ils ont prié Jésus-Christ de demeurer avec eux, et il y est demeuré deux jours et plusieurs crurent en lui, et après avoir cru, ils dirent à la femme : « Ce nest plus daprès ton récit que nous croyons, mais nous-mêmes nous lavons connu et nous savons quil est le Sauveur du monde ». Leur conversion commencée par la réputation de Jésus-Christ, sest achevée par sa présence. Ainsi en arrive-t-il de nos jours avec ceux du dehors qui ne sont pas encore chrétiens, Jésus-Christ leur est annoncé par des amis chrétiens. Par leffet de la prédication de lEglise, dont cette femme est limage, ils viennent au Christ, ils croient en lui, décidés par tout ce quon leur en raconte; il reste avec eux deux jours, cest-à-dire il leur donne les deux préceptes de la charité. Ainsi saugmente le nombre et saffermit la force de ceux qui croient en lui et reconnaissent quil est véritablement le Sauveur du monde.
1. Matth. XIII, 39.
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