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QUINZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT DE L’ÉVANGILE : « JÉSUS DONC, AYANT SU QUE LES PHARISIENS AVAIENT APPRIS QU’IL FAISAIT UN PLUS GRAND NOMBRE DE DISCIPLES », JUSQU’À CET AUTRE : « ET NOUS SAVONS QU’IL EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU MONDE ». (Chap. IV, 1-42.)

LA SAMARITAINE.

 

Jésus, baptisant par lui-même ou part ses disciples plus que Jean, et sachant que les Pharisiens prendraient de là occasion de le persécuter, s’en alla en Galilée et passa par Samarie. A six heures, il se trouva près d’un puits, et la fatigue du voyage l’y fit asseoir. Ce voyage figurait son Incarnation ; sa fatigue, la faiblesse où il s’est réduit pour nous rendre forts; l’heure indiquait le sixième âge du monde, et te puits marquait la profondeur de nos misères. Une femme, image de l’Eglise des Gentils, vint puiser de l’eau et le rencontra. Après lui avoir demandé un peu d’eau pour se rafraîchir, le Sauveur offrit à cette femme une eau qui étancherait sa soif pour toujours ; mais, avec des idées toutes charnelles, elle ne pensait qu’à un breuvage ordinaire, signe trop fidèle des voluptés mondaines, et non à cette boisson spirituelle qui est la vérité. Alors le Christ lui dit d’appeler son mari, c’est-à-dire d’employer toute son intelligence à l’écouter. Je n’en ai point. C’est vrai, car tu en as cinq, et celui que tu as n’est pas le tien ; en d’autres termes, tu as eu pour guides tes sens corporels, et rien, sinon l’erreur, n’est venu les remplacer. Appelle donc ton intelligence à ton aide. Et elle l‘appela, et elle comprit qu’à la venue du Messie tonte séparation cesserait entre es Juifs et les Samaritains ou Gentils, et elle reconnut le Messie dans celui qui lui parlait, et elle crut en lui, et elle devint l’apôtre des Samaritains dont plusieurs crurent à ses paroles.

 

1. Ce n’est point chose nouvelle pour vous d’entendre dire que, pareil à l’aigle, Jean prend son vol dans les hauteurs, qu’il s’élance au-dessus des ténèbres de la terre, et fixe sur la lumière de la vérité des regards pleins d’assurance. Déjà, avec l’aide de Dieu, nous vous avons expliqué plusieurs passages de son Evangile; en suivant l’ordre de nos lectures, nous avons été amenés au passage que nous venons d’entendre. Plusieurs d’entre vous y reconnaîtront ce qu’ils savaient déjà et n’apprendront rien de nouveau. Cependant, bien qu’il s’agisse de rafraîchir une connaissance, et non pas d’en acquérir une nouvelle, votre attention n’en doit pas être affaiblie. On vous a lu, et c’est ce que nous avons entre les mains pour en faire la matière de notre instruction, on vous a lu l’entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine auprès du puits de Jacob. En cet entretien se trouvent résumés de grands mystères ; le Sauveur y fait allusion à de grandes choses, bien propres à nourrir les âmes affamées et à ranimer celles qui languissent.

2. Notre-Seigneur « ayant donc su que les Pharisiens avaient appris qu’il faisait un plus grand nombre de disciples et baptisait plus de personnes que Jean (bien que Jésus ne baptisât point par lui-même, mais par ses disciples), il quitta la Judée et alla de nouveau en Gaulée ». Ici pas n’est besoin de longs développements. Car, en nous arrêtant à ce qui est clair, nous nous trouverions enfermés dans un espace de temps trop étroit, lorsqu’il s’agirait d’exprimer et d’expliquer les passages obscurs. Si le Seigneur avait prévu [433] que les Pharisiens, apprenant qu’il avait plus de disciples, et qu’il baptisait plus de personnes que Jean, en profiteraient pour leur salut et se rangeraient à sa suite pour devenir ses disciples et se faire baptiser par lui, certainement il n’aurait pas quitté la Judée, il y serait plutôt resté à cause d’eux. Toutefois, et ce n’était pas pour lui un mystère, ils savaient ce qu’il en était de lui; mais ils étaient animés à son égard d’un grand mauvais vouloir; ils avaient appris à le connaître, mais pour le poursuivre, au lieu de le suivre. Il quitta donc le pays: non pas que, même en y demeurant, il n’eût pu éviter d’être pris et tué par eux contre son bon vouloir; car il pouvait ne pas naître s’il l’avait voulu, mais parce qu’en total ce qu’il faisait comme homme, il avait dessein de servir d’exemple aux hommes qui devaient croire en lui. En effet, aucun serviteur de Dieu ne pèche en passant d’un lieu dans un autre, lorsqu’il voit que certaines gens le persécutent avec fureur, ou cherchent à l’entraîner au mal. Il craindrait néanmoins d’offenser Dieu en agissant de la sorte, s’il n’avait pour s’y autoriser l’exemple du Seigneur. Car cette conduite, le bon Maître l’a tenue dans l’intention de nous instruire, et non par un motif de crainte personnelle.

3. Peut-être quelqu’un s’étonnera-t-il de ce que l’Evangéliste ait dit: «Jésus baptisait plus de personnes que Jean », et qu’après ces paroles: « Jean baptisait », il ait ajouté: « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ? » Quoi donc ? Etait-ce d’abord une assertion fausse, redressée ensuite par cette addition : « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ?» Ou plutôt, est-il également vrai que Jésus baptisait, et ne baptisait pas ? Il baptisait parce qu’il purifiait les âmes, et il ne baptisait point parce qu’il ne répandait pas l’eau sur les corps. Les disciples prêtaient le concours de leur ministère corporel; pour lui, il les aidait de sa puissance. Comment, en effet, peut cesser de baptiser Celui qui ne cesse pas de purifier, et dont l’Evangéliste nous dit en répétant les paroles rapportées de Jean-Baptiste : « C’est celui-là qui baptise (1)? » Donc Jésus baptise encore, et tant qu’il y aura des hommes pour recevoir le baptême, c’est Jésus qui le leur donnera. Approchons-nous donc avec confiance du serviteur malgré son

 

1. Jean, I, 33.

 

infériorité, parce qu’il a le Maître au-dessus de lui.

4. Mais, dira quelqu’un, à la vérité , le Christ confère le baptême en esprit, mais il ne le donne pas extérieurement : par là, quiconque reçoit visiblement et corporellement le sacrement de baptême, semble le tenir d’un autre que de lui. Veux-tu une preuve qu’il baptise non-seulement en esprit, mais encore avec l’eau ? Ecoute l’Apôtre: « Comme Jésus-Christ », dit-il, « a aimé l’Eglise et s’est livré à la mort pour elle, afin de la sanctifier en la .purifiant dans le baptême de l’eau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien qui y ressemble ». En la purifiant de quelle manière? « Dans le baptême de l’eau par la parole de vie ». Qu’est-ce que le baptême du Christ? Un baptême d’eau uni à la parole. Ote l’eau, il n’y a plus de baptême ; ôte la parole, le baptême n’existe plus.

5. Après ces préliminaires qui conduisent l’Evangéliste à l’entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine, voyons, le reste : il est rempli de vérités cachées et de gros mystères. « Il  fallait », dit l’Ecrivain sacré, « qu’il passât par Samarie. Il vint donc en une ville du pays de Samarie, nommée Sichar, près de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph. Là était la fontaine de Jacob». C’était un puits: tout puits est une fontaine ; mais toute fontaine n’est pas un puits. Car dès qu’une eau sort de terre et qu’on la puise pour en faire usage, on l’appelle une fontaine; toutefois, s’il est facile de la voir et qu’elle se trouve â la surface de la terre, elle s’appelle simplement une fontaine. Si, au contraire, elle se voit dans les profondeurs de la terre, on l’appelle un puits, bien qu’alors le nom de fontaine puisse encore lui convenir.

6. « Jésus donc, fatigué du chemin, s’assit sur la fontaine. C’était vers la sixième heure ». Déjà commencent les mystères. Ce n’est pas sans raison que Jésus se fatigue : ce n’est pas sans raison que nous voyons accablée de lassitude la vertu même de Dieu, celui qui calme nos fatigues, celui dont l’absence est pour nous une cause d’épuisement et dont la présence restaure nos forces. Cependant Jésus est fatigué, il est fatigué sur le chemin et il s’assied, il s’assied au bord d’un

 

1. Ephés. V, 25-27.

 

434

 

puits, et c’est à la sixième heure du jour. Autant de circonstances significatives, qui nous donnent à penser et nous indiquent quelque chose : elles nous rendent attentifs et nous engagent à frapper. Qu’il ouvre donc a vous et à moi, celui qui a daigné nous encourager à frapper, en nous disant: « Frappez, et il vous sera ouvert (1)». C’est pour toi, mon frère, que Jésus est fatigué du chemin. Nous voyons en Jésus, et la force et la faiblesse : il nous apparaît tout à la fois puissant et anéanti. Il est puissant, car « au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; au commencement  était en Dieu ». Veux-tu savoir quelle est la puissance de ce Fils de Dieu? «Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait » Y a-t-il rien de plus fort que celui qui a fait toutes choses sans éprouver de lassitude? Veux-tu t’assurer qu’il a été faible? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (2) ». Par sa puissance, le Christ t’a créé ; il t’a donné une nouvelle vie, en s’anéantissant ; par sa puissance, il a fait ce qui n’était pas ; en devenant faible, il a empêché ce qui était de périr. C’est en sa force qu’il nous donne l’être; c’est en son infirmité qu’il nous a attirés à lui.

7. Jésus-Christ s’est fait infirme pour nourrir des infirmes, pareil en cela à la poule qui nourrit ses poussins; c’est la comparaison qu’emploie le Sauveur lui-même. « Combien de fois », dit-il à Jérusalem, « j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule ramasse ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu (3) ! » Vous savez, mes frères, comme une poule se fait petite par amour pour ses petits; de tous les oiseaux, elle est la seule qui se montre véritablement mère. Nous voyons les passereaux faire leur nid sous nos yeux; il en est de même des hirondelles, des cigognes, des pigeons; mais nous ne nous apercevons qu’ils ont des petits qu’au moment où nous les voyons dans leurs nids. Pour la poule, elle se fait si petite pour ses petits que, même lorsqu’ils en sont éloignés et même sans qu’on les voie, on reconnaît. qu’elle est mère. En preuve, ses ailes pendantes, ses plumes hérissées, la rudesse de sa voix, le laisser-aller et l’abattement de son corps, tout en elle, comme j’en ai fait la remarque, dénote une mère, lors même qu’on

 

1. Matth. VII, 7. — 2. Jean, I, 1, 3, 14, — 3. Matth. XXIII, 37.

 

ne la verrait point suivie de sa petite famille. Voilà l’image de l’infirmité de Jésus fatigué par le chemin. Son chemin, c’est la chair qu’il a prise pour notre amour. En effet, quel chemin pouvait suivre celui qui se trouve partout et ne manque nulle part? Où pouvait-il aller? D’où pouvait-il venir? Evidemment il venait vers nous, et il n’y venait qu’en se revêtant de la forme visible de notre corps. Puisqu’il a daigné venir parmi nous en prenant un corps, en se montrant dans la forme de serviteur, son incarnation est donc son chemin. C’est pourquoi « la fatigue qu’il a ressentie du chemin » n’est autre chose que la fatigue résultant pour lui de son Incarnation. L’infirmité de Jésus-Christ vient donc de son humanité; mais ne t’affaiblis pas toi-même. Que l’infirmité de Jésus-Christ soit ta force; car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que tous les hommes (1).

8. Sous ce point de vue Adam, image de l’homme futur (2), nous a donné un remarquable indice de ce mystère, ou plutôt Dieu nous l’a donné en sa personne. Car ce fut en dormant qu’il dut recevoir son épouse, formée d’une de ses côtes pour lui être donnée (3). En effet, de Jésus-Christ endormi sur la croix devait sortir l’Eglise, elle devait sortir de son côté pendant son sommeil : car c’est de Jésus-Christ attaché à la croix et de son côté ouvert par la lance (4) que sont sortis les sacrements de l’Eglise. Mais, mes frères, pourquoi me suis-je exprimé ainsi? C’est que l’infirmité de Jésus-Christ fait notre force. Cette figure ainsi montrée en Adam nous annonçait donc à l’avance un grand mystère. Sans doute, pour en former la femme, il aurait pu retirer de l’homme une portion de sa chair, et il semble même que cette façon d’agir aurait été plus convenable; car il s’agissait de former le sexe le plus faible; or, il est évident que la faiblesse serait provenue plutôt de la chair que des os, car les os sont ce qu’il y a de plus ferme en notre corps. Cependant il n’a pas retiré de la chair pour en former la femme; mais il a retiré un os, et de cet os la femme a été formée, et à la place de cet os il a fait croître de la chair. Dieu pouvait y remettre un autre os; il pouvait, pour former la lemme, employer, non pas un os, mais de la chair. Qu’a-t-il donc voulu nous apprendre? Parce que la femme a été formée d’une côte,

 

1. I Cor. I, 25. — 2. Rom. V, 14. — 3. Gen. II, 21. — 3. Jean, XIX, 34.

 

elle semble forte, et la chair créée en Adam indique sa faiblesse. Le Christ est aussi l’Eglise : sa faiblesse est le principe de notre force.

9. Mais pourquoi la sixième heure? Parce que c’était le sixième âge du monde. Dans le langage de l’Evangile, on doit regarder tourne une heure le premier âge qui va d’Adam à Noé, le second qui va de Noé à Abraham, le troisième qui va d’Abraham à David, le quatrième qui va de David à la capitale de Babylone, le cinquième qui va de la captivité de Babylone au baptême de Jean; le sixième enfin, qui a cours maintenant. Y a-t-il en cela de quoi t’étonner? Jésus est venu, il est venu près d’un puits, c’est-à-dire qu’il s’est humilié; il s’est fatigué à venir, parce qu’il s’est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce tue c’était le sixième âge du monde. Il est venu près d’un puits, parce qu’il est descendu jusque dans l’abîme qui faisait notre demeure. C’est pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de l’abîme, Seigneur, j’ai crié vers vous (1) ». Enfin il s’est assis près d’un puits, car je l’ai dit déjà, il s’est humilié.

10. « Vint une femme ». Figure de l’Eglise non encore justifiée, mais déjà sur le point laie devenir, car cette justification est l’oeuvre de la parole. Elle vient dans l’ignorance de ce qu’était Jésus; elle le trouve, il entre en conversation avec elle. Voyons ce qu’elle est venue faire; voyons ce qu’elle est venue chercher: « Une femme de Samarie vint pour puiser de l’eau ». Les Samaritains n’appartenaient pas à la nation juive, et bien qu’habitant un pays voisin, ils étaient regardés comme étrangers. Il serait trop long de vous expliquer l’origine des Samaritains; de telles digressions nous arrêteraient et nous ôteraient le temps pour le nécessaire. Qu’il nous suffise donc de mettre les Samaritains au nombre des étrangers. Ne me soupçonnez pas d’avoir mis à vous faire cette assertion plus de hardiesse que de vérité; écoutez Notre-Seigneur lui-même ; remarquez ce qu’il dit de ce Samaritain, le seul des lépreux guéris par lui, qui fût revenu lui rendre grâces. « Tous les dix n’ont-ils pas été guéris? Où sont les neuf autres? Il ne s’en est pas trouvé qui soit revenu rendre gloire à Dieu, sinon cet étranger (2)». Les convenances

 

1. Ps. CXXIX, 1. — 2. Luc, XVII, 17, 18.

 

du mystère figuré demandaient que cette femme, qui représentait l’Eglise, vînt d’un peuple étranger. L’Eglise, en effet, devait venir des Gentils et d’un peuple étranger aux Juifs. Dans ses paroles écoutons les nôtres, reconnaissons-nous dans sa personne et rendons grâces à Dieu de ce qu’il fait en elle pour nous. Elle était une figure, et non la réalité; mais pour avoir été d’abord une figure, elle est devenue ensuite la réalité; car elle a cru en celui qui nous la proposait comme une figure. « Elle vint donc puiser de l’eau ». Elle était venue en toute simplicité puiser de l’eau, comme le font d’habitude les hommes et les femmes.

11. « Jésus lui dit: Donnez-moi à boire ; car ses disciples s’en étaient allés en ville pour acheter de quoi se nourrir. Or, cette femme Samaritaine lui dit : Comment se fait-il qu’étant Juif vous me demandiez à boire, à moi qui suis Samaritaine? car les Juifs ne communiquent pas avec les Samaritains » . Vous le voyez, c’étaient des étrangers pour les Juifs : ceux-ci ne voulaient pas même se servir des vases qui étaient à leur usage. Et comme cette femme portait avec elle un vase pour puiser de l’eau, elle s’étonne qu’un Juif lui demande à boire. Car les Juifs n’avaient pas coutume de le faire. Mais si Jésus lui demandait à boire, c’était en réalité de sa foi qu’il avait soif.

12. Enfin quel est celui qui lui demande à boire? Ecoute, l’Evangéliste va le dire: « Jésus lui répondit: Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te dit: Donne-moi à boire, peut-être lui en aurais-tu demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Il demande et il promet à boire. Il a besoin en tant qu’il demande; et chez lui il y a surabondance, puisqu’il doit satisfaire tous les désirs. « Si tu connaissais le don de Dieu ». Le don de Dieu, c’est le Saint-Esprit. Mais il parle à cette femme à mots couverts, et peu à peu il entre en son coeur : peut-être même l’instruit-il déjà. Où trouver une exhortation plus douce et plus engageante? « Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te dit : « Donne-moi à boire, peut-être lui en aurais tu demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Jusqu’ici il tient en suspens l’esprit de cette femme. Dans le langage ordinaire on appelle eau vive celle qui sort de la source. Quant à la pluie qu’on recueille dans des bassins [436] ou des citernes, on ne lui donne point le nom d’eau vive. L’eau vive est celle qui coule de source et qu’on puise dans son lit. Telle était l’eau de la fontaine de Jacob. Que lui promettait donc celui qui lui en demandait?

13. Cependant cette femme ainsi tenue en suspens lui dit: « Seigneur, vous n’avez pas de vase pour puiser, et le puits est profond ». Reconnaissez à cela ce qu’elle entendait par eau vive. Elle entendait l’eau de la fontaine de Jacob. Vous voulez me donner de l’eau vive, mais le vase pour la puiser je l’ai entre mes mains, et il vous manque. Cette eau vive, elle est ici, comment pouvez-vous m’en donner? Elle ne comprend pas les choses dans le vrai sens: elle en juge encore d’une manière charnelle; et, toutefois, elle frappe d’une certaine manière pour que le maître lui ouvre la porte encore fermée. Elle frappe par son ignorance, non par ses désirs, elle était digne de la pitié du Sauveur, mais pas encore de ses instructions.

14. Le Seigneur lui parle de cette eau vive en termes plus clairs. Cette femme lui avait dit: « Etes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits; et lui-même en a bu, et ses enfants, et ses troupeaux? » En d’autres termes: vous ne pouvez me donner de cette eau vive, car vous n’avez pas de vase pour en puiser; sans doute celle que vous me promettez a sa source ailleurs. Pensez-vous donc valoir mieux que notre père, qui a creusé ce puits pour son usage et celui des siens? C’est le moment que le Seigneur lui explique ce qu’il entend par eau vive. « Jésus lui répondit : Quiconque boira de cette eau aura encore soif; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante jusqu’à la vie éternelle ». Ici le langage de Notre-Seigneur est plus clair: « Cette eau deviendra en lui une source jusqu’à la vie éternelle. Celui qui boira de cette eau n’aura jamais soif ». Etait-il possible de marquer plus clairement que s’il promettait de l’eau, c’était une eau invisible, et non pas une eau visible; qu’il parlait selon l’esprit et non selon la chair?

15. Néanmoins cette femme comprend encore les choses dans un sens charnel; heureuse de penser qu’elle n’aurait plus soif, elle supposait que le Sauveur lui avait fait une pareille promesse dans le sens matériel : sans doute cette promesse se réalisera un jour, mais au jour de la résurrection des morts. La Samaritaine voulait la voir s’accomplir immédiatement. Aussi bien Dieu avait autrefois donné à son serviteur Elie de demeurer quarante jours sans éprouver ni faim, ni soif (1). Celui qui a pu accorder une pareille grâce pendant quarante jours, ne peut-il pas l’accorder toujours? Elle soupirait donc, ne voulant ni manquer d’eau, ni s’en procurer avec tant de fatigue. Venir continuellement à cette fontaine, s’en retourner chargée de la provision nécessaire pour subvenir à ses besoins; puis, cette provision épuisée, se voir de nouveau contrainte à revenir, c’était là son travail de tous les jours, parce que cette eau qui soulageait la soif -ne l’éteignait pas. Joyeuse de la promesse que lui fait le Christ de cette eau vive, elle demande au Seigneur de la lui donner.

16. Toutefois, n’oublions pas que le Sauveur lui promettait un don spirituel. Qu’est. ce à dire : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif? » Parole véritable, si on l’applique à cette eau véritable encore, si un l’applique à ce dont elle était la figure. L’eau, au fond de ce puits, c’est la volupté du siècle dans sa ténébreuse profondeur. La cupidité des hommes, voilà le vase qui leur sert à y puiser. Leur cupidité les fait pencher vers ces profondeurs jusqu’à ce qu’ils en touchent le fond et y puisent le plaisir; mais toujours la cupidité marche et précède. Car celui qui ne fait pas d’abord marcher la cupidité ne peut arriver au plaisir. Supposez donc que la cupidité est le vase avec lequel on puise, et que l’eau que l’on doit tirer du puits c’est le plaisir lui-même, et le plaisir mondain que l’on goûte, c’est le boire, le manger, le bain, les spectacles, l’impureté; celui qui s’y adonne n’en sera-t-il plus désormais altéré? Donc Jésus dit avec raison : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif »; mais si je lui donne de mon eau, « il n’aura jamais soif ». Nous serons rassasiés, a dit le Prophète, « de l’abondance des biens de votre maison (2) ». De quelle eau donnera donc le Sauveur, sinon de celle dont il est écrit: « En vous est la source de vie? » Comment, en effet, auront soif « ceux qui seront enivrés de l’abondance de votre maison (3)?»

 

1. III Rois, XIX, 8. — 2. Ps. CXIV, 5. — 3. Id. XXXV, 10, 9.

 

437

 

17. Ce que promettait donc Notre-Seigneur, c’était la plénitude et la satiété dont le Saint-Esprit est l’auteur. La Samaritaine ne le comprenait pas encore, et dans son intelligence que répondait-elle? « Cette femme lui dit . «Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour en tirer ». Travail pénible auquel la contraignaient ses besoins et qui rebutait sa faiblesse. Si seulement elle entendait ces paroles: « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai (1) ! » Car ce que lui promettait Jésus, c’était la délivrance de sa peine; mais elle ne le comprenait pas encore.

18. Aussi, pour lui donner l’intelligence, «Jésus lui dit: Va, appelle ton mari, viens ici ». Qu’est-ce à dire: « Appelle ton mari ? » Voulait-il lui donner de cette eau par l’entremise de son mari? Ou bien voulait-il, par l’intermédiaire de celui-ci, lui enseigner ce qu’elle ne comprenait pas encore? Peut-être parlait-il dans le même sens que l’Apôtre, lorsqu’il dit des femmes: « Si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris dans leurs maisons ? » Mais Paul fait aux femmes cette recommandation: «Qu’elles interrogent leurs maris dans leurs maisons», pour le cas où Jésus n’est pas là afin de les instruire lui-même; d’ailleurs l’Apôtre s’adressait aux femmes à qui il défendait de parler dans l’Église (2). Mais le Seigneur était là, et il parlait directement à la Samaritaine : y avait-il dès lors nécessité de se servir de son mari pour l’instruire? Etait-ce par l’intermédiaire de son mari qu’il parlait à Madeleine, au moment où celle-ci, assise à ses pieds, l’écoutait attentivement, et où Marthe, tout entière à la multitude des soins de son ministère hospitalier, murmurait cependant de la félicité de sa soeur (3)? Donc, mes frères, prêtons l’oreille et tâchons de comprendre ce que Notre-Seigneur dit à cette femme : « Appelle ton mari ». Ce mari de notre âme, cherchons à le connaître. Pourquoi Jésus ne serait-il pas le véritable époux de notre âme? Puissiez-vous me bien comprendre ! car ce que j’ai à dire ne peut être compris, même par les personnes attentives, que dans une faible mesure. Puissiez-vous me comprendre et l’intelligence de mes paroles sera peut-être l’époux de vos âmes.

 

1. Matth. XI, 28. — 2. I Cor. XIV, 35, 34. — 3. Luc, X, 39, 40.

 

19. Voyant que cette femme ne le comprenait pas, et voulant lui faire saisir sa pensée, Jésus lui dit: « Appelle ton mari ». Tu ne comprends pas encore ce que je dis, parce que ton intelligence n’est pas encore ouverte; je parle selon l’esprit et tu m’entends selon la chair. Ce que je dis ne flatte ni les oreilles, ni les yeux, ni l’odorat, ni le goût, ni le sens du toucher; l’esprit seul le saisit, l’entendement seul peut en faire sa propriété. Or, cet entendement tu ne l’as pas encore; comment donc pourrais-tu comprendre mes paroles? « Appelle ton mari » ; amène ici ton entendement. Car à quoi te servirait d’avoir seulement une âme? Il n’y aurait là rien de merveilleux, car les bêtes en ont aussi une. D’où vient ta prééminence sur elles? De l’entendement que tu as et qu’elles n’ont pas. Quel est donc le sens de ces paroles: « Appelle ton mari? » Tu ne m’entends pas, tu ne me comprends pas; je te parle du don de Dieu, tu penses à ton corps; tu ne veux plus que ton corps ait soif, je m’adresse à l’esprit: ton entendement n’y est pas, « appelle ton mari ». Ne sois pas comme le cheval et le mulet, qui n’ont point d’intelligence (1). Donc, mes frères, avoir une âme et n’avoir point d’entendement, ou en d’autres termes l’avoir inutilement et n’en pas faire la règle de notre vie, c’est mener une vie de bête. Car il y a en nous quelque chose qui tient de la bête, et fait vivre notre corps; ce quelque chose, l’entendement doit le régir. Ainsi l’esprit doit imprimer une direction plus noble aux mouvements de l’âme quand elle se laisse influencer par le corps et qu’elle désire se précipiter sans mesure dans les plaisirs de la chair. Qui est-ce qui doit être appelé le mari? Celui qui se laisse conduire ou celui qui dirige? Evidemment, dans toute vie bien réglée, le guide de l’âme, c’est l’entendement qui fait partie de l’âme. Car il n’est pas différent d’elle-même, il en est une partie; comme l’oeil n’est pas chose différente du corps, mais en est une portion. Cependant, bien qu’il soit une portion du corps, l’oeil seul jouit de la lumière; les autres membres peuvent en recevoir les rayons. mais ils sont incapables de les percevoir, l’oeil seul en est pénétré et en jouit. Ainsi dans notre âme il est une faculté qui s’appelle entendement, Cette faculté appelée esprit, intelligence, reçoit les rayons d’une

 

1. Ps. XXI, 9.

 

438

 

lumière supérieure. Or, cette lumière supérieure dont l’intelligence humaine se trouve éclairée, c’est Dieu. En effet, « il était la  lumière véritable qui éclairé tout homme venant en ce monde (1) ». Cette lumière, c’était le Christ, cette lumière s’entretenait avec la Samaritaine, mais cette femme était absente par son entendement; son intelligence ne pouvait être éclairée par cette lumière ; elle était incapable, non pas d’en recevoir les rayons, mais de les percevoir. Aussi, comme pour lui dire : je veux éclairer quelqu’un, mais ce quelqu’un me manque, il lui adresse ces paroles: « Appelle ton mari », appelle ton entendement afin qu’il t’instruise et te gouverne. Représente-toi donc l’âme séparée de l’entendement sous l’emblème d’une femme, et l’entendement sous l’emblème de son mari. Toutefois le mari ne dirige bien sa femme qu’autant qu’il obéit lui-même à une direction venant de plus haut, Car le chef de la femme, c’est l’homme; et le chef de l’homme, c’est le Christ (2). Le chef de l’homme parlait avec la femme, et l’homme n’y était pas, et, comme si le Sauveur disait à la femme : Fais venir ton chef afin qu’il se soumette au sien, il prononce ces mots; « Appelle donc ton mari et viens ici avec lui », ou en d’autres termes: viens ici ; mets-toi devant moi; tu es comme absente aussi longtemps que tu n’entends pas la voix de la vérité qui se trouve devant toi. Mets-toi devant moi, mais n’y viens pas seule; que ton mari s’y présente avec toi.

20. Mais comme cette femme n’a pas encore appelé son mari, elle n’entend pas, ses pensées demeurent charnelles. En effet, son mari est absent. « Je n’ai pas », dit-elle, « de mari ». Cependant le Seigneur continue à lui parler en mystère. Véritablement cette femme n’avait pas alors de mari; mais, ainsi que tu le devines, elle vivait dans je ne sais quel commerce honteux et illégitime, dans le commerce non pas d’un mari, mais d’un adultère. Aussi le Seigneur lui répondit-il : « Tu as bien parlé, tu n’as pas de mari ». Pourquoi donc me disiez-vous: « Appelle ton mari? » Remarque-le bien, Notre-Seigneur savait parfaitement qu’elle n’avait pas de mari. En voici la preuve: « Et il lui dit, etc. » Aussi, pour ne vas laisser à cette femme la pensée qu’il lui avait répondu: « Tu as bien parlé, tu n’as pas

 

1. Jean, I, 9. — 2. I Cor. XI, 3.

 

de mari », uniquement parce qu’elle venait de l’en instruire, et non parce que la lumière de sa divinité le lui avait fait découvrir, il lui réplique: Voici ce que tu ne m’as pas dit: « En effet, tu as eu cinq maris et celui que tu as n’est point ton mari ; ce que tu as dit est vrai ».

21. Par là Notre-Seigneur nous contraint de chercher avec plus d’attention quelque sens caché touchant ces cinq maris. Plusieurs ont cru, non sans fondement et même avec une certaine probabilité, voir dans les cinq maris de cette femme les cinq livres de Moïse. En effet, ils étaient reçus des Samaritains et formaient leur loi comme celle des Juifs : voilà sans doute pourquoi la circoncision était en usage chez ces deux peuples ; mais à cause de la difficulté que présentent les paroles sui. vantes « Et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari », nous pouvons plus aisément comprendre, ce me semble, que, sous l’emblème des cinq premiers maris, les cinq sens du corps sont désignés comme les époux de l’âme. Car à sa naissance, et avant d’avoir l’usage de son esprit et de sa raison, chaque homme n’a pour le régir que ses sens corporels. Ce qui tombe sous le sens de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher, voilà chez le petit enfant tout l’objet de ses répugnances ou de ses désirs. Ce qui flatte ses sens, il le recherche, il repousse ce qui les blesse; car ce qui les flatte est plaisir,ce qui les blesse est douleur. C’est donc sous l’influence de ces cinq sens comme d’autant de maris que l’âme vit d’abord, parce que c’est par eux qu’elle est régie. Pourquoi leur donne-t-on le nom de maris? Parce qu’ils sont légitimes. C’est Dieu qui les a formés, c’est Dieu qui les a donnés à l’âme. Elle est infirme tant qu’elle demeure sous la loi des sens et qu’elle agit sous l’autorité de ces cinq maris ; mais aussitôt que le temps est venu de délivrer la raison de leur influence, si l’âme se laisse diriger par une règle de conduite supérieure, et par les leçons de la sagesse, alors succèdent à l’empire et à l’influence des sens l’empire et l’influence d’un seul véritable et légitime mari, meilleur que les autres; et ce mari la gouverne mieux, la dirige, la cultive, la prépare dans le sens de l’éternité. Loin de nous imprimer une direction qui aboutisse à l’éternité, les sens ne nous portent que vers les choses du temps, soit pour nous les faire désirer, soit pour nous [439] en inspirer le dégoût. Mais dès que l’entendement pénétré par la sagesse a pris le gouvernement de l’âme, il ne lui apprend plus uniquement à éviter les fossés et à suivre le chemin droit que les yeux indiquent à son âme débile, ou à écouter avec plaisir les sons mélodieux et à fermer les oreilles aux sons discordants, à se complaire aux odeurs agréables et à repousser les odeurs nauséabondes, à aimer le miel et à détester le vinaigre, à toucher avec plaisir ce qui est poli et à éprouver une sensation désagréable au contact des aspérités. Toutes ces connaissances, l’âme infirme en avait besoin. Dans quel sens l’entendement y ajoute-t-il sa direction ? Il vient discerner, non plus le blanc du noir, mais le juste de l’injuste, le bien du mal, l’utile de l’inutile, la chasteté de l’impudicité, l’une pour l’aimer, l’autre pour la fuir; la charité de la haine, la première pour y demeurer, la seconde pour s’en garantir.

22. Chez cette femme, les cinq premiers maris n’avaient pas encore cette sorte de successeur; car, où l’entendement ne succède pas aux sens, là règne l’erreur, elle domine en maître. En effet, dès qu’elle commence à devenir capable de raisonner, l’âme se laisse conduire par la sagesse ou par l’erreur. Or, l’erreur ne gouverne pas, elle conduit aux abîmes. Après avoir subi l’empire de ses sens, cette femme était donc encore en butte à l’erreur, et l’erreur la ballottait comme aurait fait un vent violent. Cette erreur n’était pas un mari légitime, mais un adultère; c’est pourquoi le Seigneur lui répond : « Tu as dit avec justesse : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris ». Les cinq sens de ton corps ont été tes maîtres; tu es parvenue à l’âge de raison, mais non à la sagesse; tu es tombée dans l’erreur : aussi, « après ces cinq maris, celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ». Mais s’il n’était pas le mari, qu’était-il donc, sinon un adultère? « Appelle-le », non « l’adultère,», mais « ton mari », afin de m’entendre selon l’Esprit, et non selon l’erreur qui te donnerait de moi de fausses idées. En effet, c’était de la part de cette femme une erreur de penser à l’eau du puits de Jacob, quand c’était du Saint-Esprit que lui parlait le Seigneur. Pourquoi se trompait-elle, sinon parce qu’elle vivait avec un adultère, au lieu de vivre avec son mari légitime? Débarrasse-toi donc de cet adultère qui te corrompt: « va, et appelle ton mari ». Appelle-le et reviens, et tu me comprendras.

23. « Cette femme lui dit : « Seigneur, je vois que vous êtes un prophète ». Voici que le mari commence à venir, mais il n’est pas encore tout à fait venu. Elle jugeait que le Seigneur était un prophète. Sans doute, il en était un; car il a dit de lui-même « Nul Prophète n’est bien reçu dans son pays (1). Dieu avait encore dit de lui à Moïse: « Je leur susciterai d’entre leurs frères un Prophète semblable à toi (2) ». Semblable par la forme du corps, mais bien différent sous le rapport de la grandeur. Nous voyons donc que Notre-Seigneur a été appelé Prophète dans les temps anciens; la Samaritaine ne se trompe donc pas beaucoup lorsqu’elle dit: « Je vois que vous êtes un Prophète ». Par cette réponse, elle commence à appeler son mari et à chasser l’adultère: « Je vois que vous êtes un Prophète ». Elle commence ainsi à rechercher ce qui avait coutume de l’émouvoir; car l’objet de la dispute entre les Samaritains et les Juifs, c’était que les Juifs adoraient Dieu dans le temple construit par Salomon, tandis que les Samaritains, éloignés de ce temple, adoraient Dieu ailleurs. En conséquence, les Juifs se vantaient de leur être supérieurs, parce qu’ils adoraient Dieu dans le temple. « Les Juifs n’ont donc aucun commerce avec les Samaritains ». Et ceux-ci, de leur part, répliquaient par cette réponse : Pourquoi vous vanter et vous dire supérieurs à nous? Parce que vous avez un temple que nous n’avons pas? Nos pères ont été aimés de Dieu, et pourtant l’ont-ils adoré dans ce temple? N’était-ce pas sur cette montagne où nous nous trouvons? Adressées à Dieu du haut de cette montagne, nos prières sont donc préférables aux vôtres, puisque c’est là que nos pères ont eux-mêmes prié. Les uns et les autres trouvaient dans leur ignorance ample motif à dispute, parce qu’ils n’étaient pas avec le mari. Ceux-ci étaient fiers de posséder leur montagne; ceux-là d’avoir leur temple; de là leur mutuel antagonisme.

24. Comme si cette femme commençait à avoir son mari auprès d’elle, le Sauveur se met à l’instruire; et que lui dit-il? « Elle lui dit : Seigneur, je vois que vous êtes un Prophète. Nos pères ont adoré Dieu sur cette montagne, et vous autres vous dites que le

 

1. Luc, IV, 24. — 2. Deut. XVIII, 18.

 

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lieu où il le faut adorer est Jérusalem. Jésus lui dit : Femme, crois-moi. » Voici venir l’Eglise, comme il est écrit au Cantique des Cantiques. « Elle viendra, et elle s’avancera du commencement de la foi (1) ». Elle viendra pour s’avancer, et elle ne le peut que « par le commencement de la foi ». Maintenant que le mari est présent, c’est avec justice qu’il lui dit : « Femme, crois-moi ». A cette heure il y a en toi ce qui peut croire, puisque ton mari est présent. Ton intelligence a commencé à manifester sa présence, lorsque tu m’as donné le nom de Prophète. « Femme, « crois-moi »; car si vous ne croyez pas, vous serez incapables de comprendre (2). Donc, « Femme, crois-moi, parce que viendra l’heure où vous n’adorerez le Père, ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Vous adorerez ce que vous ne comprenez point; pour nous, nous adorons ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs; mais viendra l’heure ». Quand? « Et la voici maintenant ». Quelle est cette heure? « Cette heure où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » non pas sur cette montagne, non pas dans le temple, mais en esprit et en vérité; « car le Père demande de semblables adorateurs ». Pourquoi le Père demande-t-il de pareils adorateurs, non sur cette montagne ou dans le temple, mais en esprit et en vérité? « Dieu est Esprit ». Si Dieu était corps, il faudrait adorer Dieu sur cette montagne qui est matérielle, ou dans le temple qui est un être corporel. « Dieu est Esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils le doivent adorer ».

25. Nous l’avons entendu, et rien n’est plus manifeste; nous étions allés au dehors, et nous avons été renvoyés à l’intérieur. Oh, se dira quelqu’un, si je trouvais quelque montagne élavée et solitaire! car je crois que Dieu habite les endroits élevés, et qu’il m’entend mieux du faîte de ces hauteurs. Pour être sur une montagne, tu te crois proche de Dieu; tu te considères comme plus à portée d’être entendu de lui, vu que tu t’adresses à lui de plus près. A la vérité, il habite les hauteurs, « mais il regarde les humbles. Dieu est proche ». De qui? Peut-être de ceux qui sont élevés? « De ceux qui ont brisé leur cœur (3)».

 

1. Cant. IV, 8, selon les Septante. — 2. Isa. VII, 9, selon Les Septante. — 3. Ps. XXXIII, 19.

 

Chose merveilleuse ! Il habite les hauteurs, et il est proche des humbles. « Ce qui est humble, il le regarde; ce qui est élevé, il ne le connaît que de loin (1) ». Les orgueilleux, il les voit de loin, et ils lui sont d’autant moins proches qu’ils se jugent plus élevés. Tu cherchais donc une montagne? Descends pour y parvenir. Mais veux-tu monter? Monte, mais sans chercher une montagne. « Il a placé dans son coeur les degrés par lesquels il s’élève » (ainsi s’exprime le Psalmiste) « au travers de cette vallée de larmes (2) ». Toute vallée est basse, c’est dans ton coeur que tout doit se passer. Que s’il te faut quelque lieu élevé, quelque lieu saint, fais de toi-même et intérieurement un temple au Seigneur. Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (3). Veux-tu prier dans un temple? Prie en toi-même; mais auparavant, sois le temple de Dieu; car c’est dans son temple qu’il écoute ceux qui le prient.

26. « Vient donc l’heure, et elle est déjà venue, où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons ; vous autres, vous adorez ce que vous ignorez; car le salut vient des Juifs ». Ces paroles donnent beaucoup aux Juifs; mais  garde-toi de considérer ces Juifs comme réprouvés; considère-les, au contraire, comme étant ce mur auquel est venu, s’en réunir un autre, afin que tous deux fussent fortifiés et réunis par la pierre angulaire qui est le Christ. Le premier mur est formé des Juifs; le second des Gentils ; et tous deux sont éloignés l’un de l’autre jusqu’à l’endroit où ils se réunissent ensemble par le moyen de la pierre de l’angle. Les Gentils étaient hors de l’alliance et étrangers aux promesses de Dieu (4). C’est pourquoi il est dit : « Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons » ,ce qu’il faut entendre des Juifs, non pas de tous les Juifs, non pas des Juifs réprouvés, mais des Juifs tels que furent les Apôtres, les Prophètes et tous les saints qui vendirent tous leurs biens et en déposèrent le prix aux pieds des Apôtres (5). Car Dieu n’a pas repoussé le peuple qu’il s’est prédestiné (6).

27. Cette femme l’entend, et elle ajoute. Faites attention à sa réponse. Déjà elle l’avait appelé Prophète; mais voyant que celui avec

 

1. Ps. CXXXVII, 6. — 2. Id. LXXXIII, 6, 7. — 3. I Cor. III, 17.— 4. Ephés. II, 12-22. — 5. Act. IV, 31, 35. — 6. Rom. XI, 2.

 

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qui elle parlait disait des choses plus grandes  que celles qui pouvaient convenir à un prophète: « Je sais», lui dit-elle, « que le Messie, qui se nomme le Christ viendra, et que quand il viendra il nous apprendra toutes choses ». Qu’est-ce à dire? En ce moment,. les Juifs disputent pour leur temple, et nous pour notre montagne; mais lorsque le Messie viendra, il méprisera la montagne et renversera le temple; il nous apprendra toutes choses en nous apprenant à l’adorer en esprit et en vérité. Déjà elle savait qui pouvait l’instruire; mais elle ne savait pas que ce docteur lui parlait déjà. Aussi était-elle déjà digne de le reconnaître. Le Messie a été oint; le mot oint signifie Christ, en grec, Messie, en hébreu; delà vient que, dans la langue punique, Messie signifie : oignez. La raison de cette ressemblance vient de la parenté et du voisinage des trois langues hébraïque, punique et syrienne.

28. « Cette femme lui dit donc: Je sais que de Messie, qui se nomme le Christ, viendra, et que quand il sera venu il nous annoncera toutes choses. Jésus lui dit : Moi qui te parle, je suis le Christ ». Elle a appelé son mari, le mari est devenu le chef de la femme, le Christ est devenu le chef de l’homme (1). Déjà elle se met d’accord avec la foi, elle suit la règle qui la fera bien vivre. Après avoir entendu ces paroles « Moi qui te parle, je suis le Christ», que pouvait ajouter cette femme à qui Notre-Seigneur avait voulu se manifester en lui disant : « Crois-moi? »

29. « En même temps arrivèrent ses disciples, et ils s’étonnèrent de ce qu’il parlait à une femme ». Jésus cherchait celle qui était perdue, car il était venu chercher ce qui périssait; et ils s’en étonnaient. Ils admiraient le bien, ils ne soupçonnaient pas le mal. Aucun pourtant ne lui dit : « Que cherchez-vous, ou pourquoi parlez-vous avec elle? »

30. « Cette femme donc laissa là sa cruche». Après avoir entendu ces paroles : « Moi qui te parle, je suis le Christ », et reçu dans son coeur le Christ Notre-Seigneur, qu’avait-elle de plus à faire qu’à laisser là sa cruche et à courir annoncer qu’il était venu? Elle se débarrasse au plus vite de sa cupidité, elle se hâte d’aller annoncer la vérité : grande leçon pour ceux qui veulent annoncer l’Evangile ! Qu’ils laissent là leur cruche. Rappelez-vous

 

1. I Cor. XI, 3.

 

ce que je vous ai précédemment dit sur cet objet. C’était un vase destiné à puiser l’eau; il tire son nom du grec hydria, parce que dans cette langue le mot udor signifie eau; c’est donc comme si l’on disait : réservoir d’eau. Elle laisse là sa cruche qui, loin de lui être utile, devient pour elle un fardeau; car elle n’a plus qu’un désir, celui de boire à longs traits l’eau dont lui a parlé le Christ. Pour annoncer le Christ, elle se débarrasse donc de son fardeau; « elle court à la ville et dit aux habitants: Venez et voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ». Elle ne parle qu’avec mesure, de peur d’exciter leur colère et leur indignation et d’être persécutée: « Venez et voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. N’est-il point le Christ? Ils sortirent de la ville et vinrent vers lui ».

31. « Cependant ses disciples le priaient, disant : Maître, mangez ». Car ils étaient allés acheter des vivres, et ils étaient revenus. « Mais il leur dit: J’ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas. Les disciples se disaient donc les uns aux autres: Quelqu’un lui a-t-il apporté à manger? » Y a-t-il rien d’étonnant à ce que cette femme n’ait pas compris de quelle eau il s’agissait, quand les disciples eux-mêmes ne comprenaient pas de quelle nourriture le Sauveur leur parlait? Pour lui, il a connu leurs pensées et il les instruit comme leur maître, non par une voie détournée, ainsi qu’il avait fait avec cette femme dont il voulait entretenir le mari, mais directement. « Ma nourriture », leur dit-il, « est de faire la. volonté de Celui qui m’a envoyé ». Il lui disait donc: « J’ai soif, donnez-moi à boire », pour établir la foi en elle et s’en faire un breuvage, et par la foi faire d’elle un membre de son corps. Car le  corps de Jésus-Christ, c’est l’Eglise. Aussi dit-il: « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ».

32. « Vous autres, ne dites-vous pas qu’il y a encore quatre mois et la moisson viendra? » Il s’échauffait à son oeuvre et se disposait à envoyer des ouvriers à la moisson, Vous autres, vous comptez quatre mois jusqu’à la moisson, moi je vous en montre une qui a déjà blanchi et qui est toute prête. « Et moi, je vous, dis : Levez les yeux et voyez, les campagnes sont déjà blanches pour la moisson ». Donc il enverra des moissonneurs, [442] « Car il y a du vrai dans cette parole: Autre est celui qui moissonne, autre est celui qui sème, afin que celui qui sème se réjouisse et avec lui celui qui moissonne. Je vous ai envoyés moissonner où vous n’avez pas travaillé; d’autres ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux ». Quoi donc? A-t-il envoyé ceux qui moissonnent, et nous pas ceux qui sèment? Où a-t-il envoyé ceux qui moissonnent? Là où les autres ont déjà travaillé; car où l’on avait travaillé on avait certainement semé, et ce qui avait été semé était déjà mûr et n’attendait plus que la faux et le fléau. Où devaient donc être envoyés les moissonneurs? Là où les Prophètes, véritables semeurs, avaient prêché; car s’ils n’ont -pas été des semeurs, comment cette femme a-t-elle pu dire: « Je sais que le Messie viendra? » Déjà elle était elle-même un fruit mûr: c’était une moisson qui avait déjà blanchi et qui réclamait la faux du moissonneur. « Je vous ai donc envoyés ». En quel endroit? « Moissonner ce que vous n’avez pas semé; d’autres ont travaillé et vous, vous êtes entrés dans leurs travaux ». Qui sont ceux qui ont travaillé? Abraham, Isaac, Jacob. Lisez le détail de leurs travaux; dans tous leurs travaux ils prophétisaient Jésus-Christ; ils étaient par conséquent des semeurs. Moïse elles autres Patriarches, et les Prophètes, que n’ont-ils pas souffert dans cette froide saison où ils semaient? Donc en .Judée la moisson était déjà prête. Il est sûr que la récolte était parvenue à maturité au moment où tant de milliers d’hommes apportaient le prix de leurs biens, les mettaient aux pieds des Apôtres, se débarrassant ainsi du fardeau des possessions temporelles, et se mettaient à la suite de Notre-Seigneur. Véritablement la moisson était mûre. Qu’est-il résulté de cela? Quelques grains récoltés alors ont servi à ensemencer l’univers entier, et cette femme a produit une autre moisson destinée à être recueillie à la fin des siècles. C’est de cette moisson qu’il est dit: « Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans la joie (1)»; moisson pour laquelle seront envoyés non plus les Apôtres, mais les anges. « Les moissonneurs », dit Jésus-Christ , « sont les

 

1. Ps. CXXV, 5.

 

Anges (1)». C’est là cette moisson qui croît au milieu de l’ivraie et qui attend le moment où elle en sera séparée à la fin des siècles, Quant à celle à laquelle les disciples ont d’abord été envoyés et qu’avaient préparée les Prophètes, elle était déjà mûre, Cependant, mes frères, considérez ce qui est dit: « Afin que se réjouissent ensemble et celui qui sème et celui qui moissonne ». L’époque de leur travail a été différente, mais ils entreront en possession de la même joie; la même récompense, c’est-à-dire la vie éternelle, deviendra leur partage.

33. « Or, plusieurs des Samaritains de cette ville crurent en lui sur la parole de la femme qui avait rendu ce témoignage: Il m’a dit tout ce que j’ai fait. Les Samaritains étant  donc venus à lui, ils le prièrent de demeurer parmi eux, et il y demeura deux jours. Et un bien plus grand nombre crurent en lui à cause de ses discours, et ils disaient à la femme: « Ce n’est plus sur ta parole que nous croyons; car nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est véritablement le Sauveur du monde». Il importe de s’appliquer un peu à ces paroles qui terminent la lecture de ce jour. La femme a d’abord annoncé Notre-Seigneur; ensuite les Samaritains ont cru à son témoignage, puis ils ont prié Jésus-Christ de demeurer avec eux, et il y est demeuré deux jours et plusieurs crurent en lui, et après avoir cru, ils dirent à la femme : « Ce n’est plus d’après ton récit que nous croyons, mais nous-mêmes nous l’avons connu et nous savons qu’il est le Sauveur du monde ».  Leur conversion commencée par la réputation de Jésus-Christ, s’est achevée par sa présence. Ainsi en arrive-t-il de nos jours avec ceux du dehors qui ne sont pas encore chrétiens, Jésus-Christ leur est annoncé par des amis chrétiens. Par l’effet de la prédication de l’Eglise, dont cette femme est l’image, ils viennent au Christ, ils croient en lui, décidés par tout ce qu’on leur en raconte; il reste avec eux deux jours, c’est-à-dire il leur donne les deux préceptes de la charité. Ainsi s’augmente le nombre et s’affermit la force de ceux qui croient en lui et reconnaissent qu’il est véritablement le Sauveur du monde.

 

1. Matth. XIII, 39.

 

 

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