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DOUZIÈME TRAITÉ.DEPUIS CET ENDROIT : " CE QUI EST NÉ DE LA CHAIR EST CHAIR », JUSQUÀ : « MAIS CELUI QUI A FAIT LA VÉRITÉ VIENT A LA LUMIÈRE, AFIN QUE SES OEUVRES SOIENT MANIFESTÉES, PARCE QUE CEST EN DIEU QUELLES ONT ÉTÉ FAITES ». (Chap. III, 6-21.)LA NAISSANCE SPIRITUELLE.
Lhomme ne peut naître spirituellement quune seule, fois, comme il ne peut quune seule fois naître corporellement, Quil reçoive le baptême dans lEglise catholique, dans lhérésie ou le schisme, peu importe pourvu quil soit soumis à Jésus-Christ. La naissance spirituelle est indispensable au salut, mais elle na lieu quautant quon se rapproche du Sauveur par lhumilité. Pour comprendre ce mystère, il faut croire à celui de lIncarnation du Verbe. Le Verbe sest humilié jusquà la mort, afin de nous élever jusquà la vie éternelle; mais tous ne participent point à sa rédemption, car il en est que leurs péchés empêchent de croire. Reconnaissons et confessons nos fautes, et nous arriverons à la foi et à la justification.
1. Lattention avec laquelle vous avez écouté le sujet que nous avons traité hier, me fait comprendre comment il se fait que vous soyez aujourdhui si empressés et si nombreux. Cependant, si vous le trouvez bon, nous suivrons lordre accoutumé de ces lectures de lEvangile, et nous vous en donnerons lexplication; après quoi votre charité apprendra ce que nous avons déjà fait, ce que nous espérons faire encore pour la paix de lEglise. Pour ce moment, que toute votre attention se porte sur le saint Evangile, que personne ne laisse divaguer ses pensées. En effet, si celui qui sapplique à le comprendre peut à peine y parvenir, celui qui se partage en une foule de pensées diverses, ne laissera-t-il pas échapper ce quil aura saisi? Votre charité se souvient que dimanche, dernier, dans la mesure du secours quil a plu à Dieu de nous donner, nous avons traité de la régénération spirituelle (1); nous vous avons fait donner encore une fois lecture du même passage, afin que ce qui na pas été dit alors, nous puissions, au nom de Jésus-Christ et avec laide de vos prières, vous le dire aujourdhui. 2. On ne peut être régénéré spirituellement quune seule fois, comme on ne peut quune seule fois naître corporellement. Nicodème sexprimait avec justesse, quand il disait à Notre-Seigneur, que lhomme devenu vieux ne peut rentrer dans le sein de sa mère et en sortir de nouveau. A la vérité, il ne parle que de lhomme devenu vieux, paraissant supposer que sil était encore enfant, il serait
1. Voir le traité précédent.
à même de le faire. Or, il nen est capable à aucune époque de sa vie, ni au temps de la plus tendre enfance, ni à lâge le plus avancé, il ne peut rentrer dans le sein de sa mère, pour en sortir une seconde fois. Et comme les entrailles de la femme ne peuvent enfanter le même homme quune fois, ainsi pour la naissance spirituelle, le sein de lEglise ne peut la donner au même homme quune fois; aussi chacun ne peut recevoir quune fois le baptême. Que personne, cependant, ne dise: un tel est né dans lhérésie, un tel dans le schisme; car, sil vous en souvient, toute difficulté a été tranchée à cet égard par ce que nous vous avons dit au sujet des trois patriarches; le Seigneur a voulu sappeler leur Dieu, non quil ny ait eu dautres patriarches, mais parce que eux seuls ont suffi à figurer parfaitement le peuple futur. Nous avons vu que le fils de la servante a été privé de lhéritage, et que le fils de la femme libre a été appelé à en jouir. Nous avons vu aussi quun fils de la femme libre a été déshérité, tandis quun fils de la servante a été constitué héritier. Né de la servante, Ismaël (1) est déshérité; né de la femme libre, Isaac (2) devient héritier; né de la femme libre, Esaü (3) est dépouillé de la succession paternelle; et les enfants de Jacob (4) nés de ses servantes lui succèdent dans ses biens. Ainsi, en ces trois patriarches apparaît en son entier limage du peuple futur, et cest avec justice que Dieu a dit: « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac et le Dieu de Jacob; cest là mon
1. Gen. XXI, 10. 2. Id. XXV, 5. 3. Id. XXVII, 35. 4. Id. XLIX.
nom pour léternité (1) ». Pour le mieux comprendre, rappelons-nous la promesse faite à Abraham, cette promesse a été renouvelée à Isaac et à Jacob. Quelle a été cette promesse? « En votre race seront bénies toutes les nations (2) ». Abraham crut alors ce quil ne voyait pas encore, les hommes le voient et ils ferment les yeux. Ce quia été promis à un seul homme a reçu son accomplissement parmi les nations, et ceux-là se séparent de leur communion, qui refusent de voir ce qui sest accompli. Mais à quoi leur sert de vouloir fermer les yeux sur ce fait éclatant? Bon gré, mal gré, ils le voient; il leur est impossible den nier lévidence, elle frapperait les yeux même quand on ne voudrait pas les ouvrir. 3. Ce Nicodème, auquel répond le Sauveur, était du nombre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et auxquels cependant il ne se fiait pas. Il y en avait, en effet, plusieurs auxquels Jésus Christ ne se fiait pas, bien que déjà ils crussent en lui. Voici le texte évangélique: « Plusieurs crurent en son nom, à la vue des miracles quil opérait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux; et il navait pas besoin que personne lui rendît témoignage daucun homme; car il savait ce qui était dans lhomme (3)». Voilà donc des hommes qui déjà croyaient en Jésus-Christ, et à qui il ne se fiait pas. Pourquoi? Parce quils nétaient pas encore régénérés dans leau et le Saint-Esprit. Cest le motif qui nous a portés déjà et qui nous porte encore à exhorter nos fières les catéchumènes à ne pas différer leur baptême. Car, si tu les interroges, tu verras quils croient déjà en Jésus-Christ ; mais comme ils nont pas encore reçu la chair et le sang de Jésus-Christ, il ne se fiait pas encore à eux. Quont-ils à faire pour que Jésus-Christ se fie à eux? Quils renaissent de leau et du Saint-Esprit. LEglise les a engendrés, quelle les mette au monde. Déjà ils sont conçus, quils apparaissent à la lumière, lEglise a des mamelles qui les nourriront; quils ne craignent pas dêtre étouffés après leur naissance; quils ne séloignent pas du sein maternel. 4. Aucun homme ne peut rentrer dans le sien de sa mère pour en sortir à nouveau; mais quelquun, je ne sais qui, est-il né de la servante? Est-ce que les enfants que les patriarches ont eus autrefois de leurs servantes
1. Exod. III, 6, 15. 2. Gen. XXII, 18. 3. Jean, II, 23-25.
sont rentrés dans le sein des femmes libres, pour naître une seconde fois? Ismaël lui-même est venu dAbraham, et si ce patriarche a eu le pouvoir de se donner un fils par lintermédiaire de la servante , cest lépouse qui le lui donne. Cest lépoux qui engendre Ismaël, sinon de son épouse, du moins daprès son consentement (1). Est-ce pour être né de la servante quIsmaël sest vu déshérité? Mais, sil avait été déshérité en raison de sa naissance, aucun enfant de servante naurait été admis à lhéritage. Les enfants de Jacob ont hérité de leur père; quant à Ismaël, sil a été déshérité, ce nest point parce quil est né de la servante, cest à cause de son orgueil envers sa mère et envers le fils de sa mère. Car Sara était sa mère bien plus quAgar. Lune a prêté son sein , lautre a donné son consentement Abraham neût pas agi sans le consentement de Sara; Ismaël est donc plutôt le fils de Sara, que celui dAgar. Mais parce quil a été orgueilleux envers son frère, et orgueilleux en jouant avec lui, cest-à-dire en se jouant de lui, que dit Sara? « Chasse la servante et son fils; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac (2) ». Ce nest donc pas sa naissance de condition servile, mais son orgueil qui la fait déshériter; eût-il été libre, il lui suffisait dêtre orgueilleux pour devenir esclave, et, qui pis est, pour devenir esclave dune méchante maîtresse, de lorgueil. Cest pourquoi, mes frères, à celui qui vous demanderait si un homme peut naître de nouveau, répondez hardiment: Non. Toute réitération est un jeu, toute réitération est une tromperie. Ismaël joue; chassez-le. Sara les ayant vus jouer ensemble, dit à Abraham: « Chasse la servante et son fils ». Ce jeu des enfants déplut à Sara; sans doute elle aperçut dans ce jeu quelque nouveauté les mères ne désirent-elles pas voir jouer leurs enfants? Celle-ci les vit jouer, et elle désapprouva leur jeu. Jignore ce quelle vit en ce jeu, elle y vit quelque tromperie, elle remarqua lorgueil du fils de la servante, il lui déplut et elle le lit chasser. Les enfants des servantes sont chassés lorsquils sont méchants. Ainsi en est-il encore dEsaü, le fils de la femme libre. Que personne donc ne se rassure en sappuyant sur ce prétexte, quil est né dun homme de bien ou quil a
1. Gen. XVI, 2-4. 2. Id. XXI, 9, 10.
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été baptisé par un saint. Celui qui a été baptisé par un saint doit craindre dêtre, non pas un Jacob, mais un Esaü. Aussi, mes frères, je vous le dis: il vaut mieux recevoir le baptême de la part dhommes esclaves de leurs intérêts et amateurs du monde (ce que signifie le nom de servante), et rechercher en esprit lhéritage de Jésus-Christ, afin de ressembler aux enfants que Jacob a eus de ses servantes, que dêtre baptisé par des saints et mériter par son orgueil dêtre rejeté comme le fut Esaü, bien quil fût né dune femme libre. Mes frères, retenez-le bien, nous ne vous caressons pas. Ne mettez pas en nous votre espérance, nous ne flattons ni vous ni nous; car chacun de nous porte sa besace. Notre devoir est de vous dire la vérité, pour ne point subir un jugement sévère; le vôtre est de nous écouter, et de nous prêter loreille de votre coeur, pour ne pas avoir à rendre compte de ce que nous vous communiquons; ou plutôt, que. ce compte, quand on vous le demandera, se trouve être à votre avantage, au lieu de se trouver à votre détriment. 5. Le Seigneur réplique à Nicodème par une exposition plus développée du mystère : « En vérité, en vérité, je te le dis : si quelquun ne renaît de leau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Cest la naissance charnelle que tu as en vue, quand tu dis: « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir à nouveau? » Pour entrer dans le royaume de Dieu, il faut naître par leau et le Saint-Esprit. Pour quun homme succède à un autre homme, à son père, dans la possession de ses biens temporels, il doit nécessairement naître dune mère charnelle mais celui qui veut posséder lhéritage éternel de Dieu, de son Père céleste, il lui faut puiser la vie dans le, sein de lEglise. Cest par lintermédiaire de son épouse quun père sujet à la mort engendre le fils destiné à lui succéder un jour. Dieu engendre par lEglise des enfants destinés, non pas à lui succéder, mais à demeurer éternellement avec lui. Le Christ ajoute : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui u est né de lEsprit est esprit ». Nous naissons donc selon lEsprit, et cette naissance spirituelle provient de sa parole et du sacrement. Le Saint-Esprit intervient pour nous faire naître, et si le Saint-Esprit intervient dune manière invisible pour te faire naître, la raison en est que ta naissance même est invisible. Cest pourquoi Jésus-Christ continue et dit: « Ne sois pas étonné de ce que jai dit : Il faut que vous naissiez de nouveau ; lEsprit souffle où il veut, et tu entends sa voix; mais tu ne sais ni doù il vient, ni où il va ». Personne ne voit lEsprit, mais comment entendons-nous sa voix? Le Psalmiste nous parle, cest lEsprit qui nous parle ; nous entendons lEvangile, cest la voix de lEsprit qui retentit à nos oreilles. « Tu entends sa voix, mais tu ne sais ni doù il vient, ni où il va ». Si tu nais de lEsprit, il en arrivera de même de toi; et celui qui ne sera pas encore né de lEsprit ne saura ni doù tu viens, ni où tu vas. Voilà bien ce que dit ensuite Notre-Seigneur : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de lEsprit». 6. « Nicodème lui répondit : Comment cela peut-il se faire? » Toujours des idées charnelles ; il ne comprenait pas. En lui se vérifiait ce quavait dit le Seigneur; il entendait la voix de lEsprit, sans savoir ni doù il venait, ni où il allait. « Jésus lui dit : Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses !» Hé quoi ! mes frères, penserons-nous que le Seigneur ait voulu insulter ce docteur des Juifs? Le Seigneur savait ce quil faisait; il voulait le faire naître de lEsprit. Nul, à moins dêtre humble, ne naît de lEsprit. Cest, en effet, lhumilité qui nous fait naître de lEsprit, et le Seigneur est près de ceux qui ont le coeur brisé (1). Nicodème était fier de sa qualité de maître en Israël ; il se croyait un personnage dimportance parce quil était docteur en Israël ; Jésus-Christ abaisse son orgueil afin de le faire naître selon lEsprit; il se moque de lui comme sil nétait quun ignorant, sans vouloir néanmoins paraître supérieur à lui. Quy aurait-il de si étonnant en cela? Dun côté, un Dieu; de lautre, un homme; dun côté, la vérité; de lautre, le mensonge. Doit-on penser, croire et dire que le Christ fut purs que Nicodème? Dire que le Christ soit supérieur aux anges, ne serait-ce pas ridicule? Il est incomparablement au-dessus de toute créature, Celui qui a fait toutes les créatures. Mais Jésus-Christ veut mettre à bout lorgueil de lhomme: « Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses? » Cétait lui dire : Tu vois bien que tu ne sais rien, docteur orgueilleux; mais donc
1. Ps.XXXIII, 19.
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de lEsprit, alors seulement tu marcheras dans la voie de Dieu et tu imiteras lhumilité du Christ. Il est si élevé au-dessus des anges que, « ayant la forme de Dieu, il a pu sans usurpation sestimer son égal, et quil sest néanmoins anéanti en prenant la forme desclave, en se rendant semblable aux hommes; et, reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui, il sest humilié lui-même et il est devenu obéissant jusquà la mort»; et pour que tu nimagines pas un genre de mort digne denvie, il ajoute : « Et jusquà la mort de la croix (1)». Il était attaché à la croix, et on linsultait. Il pouvait descendre de la croix, mais il différait de le faire, afin de sortir glorieux du sépulcre. Comme maître, il a supporté linsolence de ses serviteurs; comme médecin, il a supporté celle de ses malades. Si telle a été sa manière dagir, quelle doit être celle des hommes, pour qui cest une obligation de naître du Saint-Esprit ? Comment doivent-ils se conduire, quand le maître, non-seulement des hommes, mais des anges, leur a donné lin pareil exemple? En effet, ce que savent les anges, ils lont appris du Verbe de Dieu cherchez à savoir qui est-ce qui les a instruits, et lEvangile vous dira: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et de Verbe était Dieu (2) ». Voilà qui ôte à lhomme sa tête, mais sa tête dure et rebelle, pour lui en donner une qui se courbe sous le joug du Christ, joug dont il est dit : « Mon joug est doux et mon fardeau est léger (3) ». 7. Le Sauveur ajoute : « Si lorsque je vous «ai dit des choses de la terre, vous ne mavez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous? » Mes frères, quelles choses terrestres le Sauveur leur a-t-il dites? « Si quelquun ne naît une seconde fois »; est-ce là une chose de la terre? «LEsprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, et personne ne sait ni doù il vient, ni où il va »; est-ce là une chose de la terre? Voulait-il parler du vent, comme quelques-uns lont déclaré lorsquon leur demandait ce que le Sauveur avait pu dire de terrestre daprès ces paroles : « Si lorsque je vous ai dit des choses de la terre vous ne mavez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous? » En effet, quand on a demandé à certains
1. Philipp. II, 6-8. 2. Jean, I, 1. 3. Matth. XI, 30.
hommes ce que le Sauveur a pu dire de terrestre, ils se sont trouvés embarrassés t ils ont prétendu quil avait fait allusion au vent dans ces paroles : « Lesprit souffle où il veut, et tu entends sa voix; mais tu ne sais ni doù il vient, ni où il va ». Dans son entretien avec Nicodème, qua-t-il dit qui ait trait à la terre? Il parlait de la naissance spirituelle; puis il a ajouté : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de lesprit ». En outre, mes frères, lequel dentre nous ne saperçoit point, par exemple, que le vent se dirige du Midi à lAquilon, ou quil va de lOrient à lOccident? Dès lors, comment peut-il se faire que nous ne sachions ni doù il vient, ni où il va? Qua donc dit le Christ en fait de choses terrestres, que les hommes ne voulaient pas croire? Est-ce lallusion quil a faite à son corps, à ce temple quil devait rétablir en trois jours? Ce corps, en effet, il lavait reçu de la terre, et cétait cette terre quil avait prise dans un corps terrestre quil se disposait à ressusciter. Or, cette résurrection de la terre, on ne croyait pas quil lopérerait. « Si, lorsque je vous ai dit des choses de la terre, vous ne mavez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous? » Cest-à-dire, si vous ne croyez pas que je puisse relever le temple de mon corps quand vous laurez détruit, comment croirez-vous que les hommes puissent être régénérés par le Saint-Esprit? 8. Il ajoute : « Et personne nest monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est au ciel ». Ainsi, Jésus-Christ était sur la terre et il était au ciel; sur la terre par son corps, au ciel par sa divinité, ou plutôt en tous lieux par sa divinité. Il était sorti du sein de sa mère, sans quitter celui de son Père. Car il y a deux naissances en Notre-Seigneur, lune divine et lautre humaine, lune qui nous donne la vie, lautre qui nous la rend: naissances également admirables, puisque lune seffectue sans mère, et lautre sans père. Comme il tenait son corps dAdam, vu que Marie venait dAdam; comme, dailleurs, cétait le même corps quil devait ressusciter, il avait dit quelque chose de terrestre en prononçant ces paroles : « Détruisez ce temple, et je le « rétablirai dans lespace de trois jours (1). Mais il avait dit quelque chose de céleste,
1. Jean, II, 19.
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quand il avait dit: « Si lhomme ne renaît de leau et de lEsprit, il ne verra pas le royaume de Dieu (1)». Mes frères, Dieu a voulu devenir le Fils de lHomme et il a voulu que les hommes devinssent les enfants de Dieu. Il est descendu à cause de nous; à notre tour montons à cause de lui. Car nul ne monte ni ne descend, que celui qui a dit: « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel ». Ceux quil fait enfants de Dieu ne monteront-ils pas au ciel? Ils y monteront, nous nen pouvons douter; car voici ce qui nous a été promis : « Ils seront comme les anges de Dieu (2) ». Alors comment se fait-il que personne ny monte, si ce nest celui qui en est descendu? Cest que, comme un seul en est descendu, un seul doit y monter. Que dire des autres? Quen penser? sinon quils lui seront unis comme ses membres , et quen un sens il sera seul pour monter au ciel? Aussi, il ajoute : « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de lHomme qui est au ciel ». Tu es surpris quil ait été en même temps sur la terre et dans le ciel? Il a accordé le même privilège à ses disciples. Ecoute lapôtre Paul; voici comme il sexprime: « Notre conversation est dans le ciel (3) ». Bien quil fût un homme et quil vécût sur la terre dans un corps mortel, lapôtre Paul avait néanmoins sa conversation dans le ciel; et le Dieu du ciel et de la terre ne pourrait être en même temps dans le ciel et sur la terre? 9. Si donc personne que Jésus-Christ nest descendu du ciel et ny remonte, quelle espérance ont les autres? Leur espérance est fondée sur ce fait que le Christ est descendu du ciel pour que tous les hommes ne fissent quun en lui et avec lui, pour être à même dy monter par lui. LApôtre fait cette remarque : « LEcriture ne dit pas : Et ceux qui naîtront, comme si elle avait voulu en marquer plusieurs; mais elle dit, comme en parlant dun seul : Celui qui naîtra de toi, qui est le Christ». Puis il dit aux fidèles: « Vous êtes du Christ; si vous êtes du Christ, donc vous êtes la race dAbraham (4) ». En parlant dun seul, le Sauveur a parlé de nous tous. Cest pourquoi, dans les psaumes, tantôt plusieurs chantent, et en cela nous devons
1. Jean, III, 5 2. Matth. XXII, 30. 3. Philipp. III, 20. 4.Galat. III, 16, 29.
reconnaître la pluralité dans lunité; tantôt un seul chante, pour marquer lunité dans la pluralité. Cest pour la même raison quun seul malade a été guéri à la piscine de Bethsaïda (1), tandis quaucun des autres ny retrouvait la santé. Cette unique personne est le symbole de lunité de lEglise. Malheur aux ennemis de lunité,à ceux qui se forment des partis parmi les hommes! Quils écoutent lApôtre : il veut ne faire quun seul en un seul, et pour un seul; quils lécoutent quand il dit : Gardez-vous de vous faire plusieurs. « Cest moi qui ai planté, Apollo a arrosé; mais cest Dieu qui a donné laccroissement. Celui qui plante nest rien, non plus que celui qui arrose, mais cest Dieu qui donne laccroissement (2) ». Ils disaient : « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas »; et il répondait : «Jésus-Christ est-il divisé (3)? » Soyez en un seul, soyez une seule chose, soyez un seul. « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel ». Mais nous ioulons être à vous, disaient-ils à Paul; et il leur répondait : Je my refuse, ne soyez pas à Paul; mais soyez à celui à qui Paul est avec vous. 10. Car il est descendu et il est mort, et par sa mort il nous a délivrés de la mort. Au moment où la mort le tuait, il la tuait lui-même. Vous le savez, mes frères, cest par lenvie du diable que la mort est entrée dans le monde. « Dieu na pas fait la mort », dit lEcriture, « et», ajoute-t-elle, « il ne se réjouit pas de la perte des vivants ; car il a créé toutes choses afin quelles soient (3) ». Mais quajoute le sage ? « Cest par un effet de lenvie du diable que la mort a fait son entrée dans le monde (4)». Lhomme naurait pu être amené par la force à prendre le breuvage de la mort, que le diable lui avait proposé, car le diable navait pas le pouvoir de le violenter; il navait rien que celui de le persuader par la ruse. Si tu navais pas donné ton consentement à ses suggestions, il ne taurait pas fait de mal, mais parce que tu y as cédé, ô homme, tu as été condamné à mourir. Nous sommes nés mortels dun père mortel; dimmortels que nous étions nous sommes devenus sujets à la mort. Par Adam, tous les hommes sont condamnés à la mort; mais Jésus, Fils de Dieu, Verbe de Dieu, par qui
1. Jean, V, 4. 2. I Cor. III, 6, 7.3. Id. I, 12, 13. 4. Sag. I,13, 14. 5. Id. II, 24.
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toutes choses ont été faites, le Fils unique et légal du Père, sest fait homme mortel, parce que le Verbe sest fait chair et quil a habité parmi nous (1). 11. Jésus-Christ sest donc revêtu de la mort et il la attachée à la croix, et par cette mort, il délivre ceux qui y sont sujets. Ce mystère avait été représenté en figure chez les anciens, et Notre-Seigneur y fait allusion au saint Evangile. «De même», dit-il, «que Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de lhomme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais quil ait la vie éternelle ». Mystérieuse annonce de lavenir; tous ceux qui lont lue la comprennent. Toutefois, écoutez-en le récit, vous tous qui ne lavez pas lue ou qui, après lavoir lue ou entendue, en avez perdu le souvenir. Dans le désert, Israël tout entier gisait, à terre, victime de la morsure de serpents. Une multitude innombrable dhommes tombaient sous les coups de la mort, car Dieu frappait durement son peuple, pour le corriger. Alors se manifesta ladmirable symbole de ce qui devait arriver un jour. Notre-Seigneur lui-même y fait allusion dans la leçon daujourdhui, et personne na le droit de linterpréter autrement que ne le fait la Vérité même, ni, par conséquent, de lappliquer à dautres quà elle. Le Seigneur dit donc à Moïse de faire un serpent dairain, de le placer sur un bois élevé dans le désert et de recommander aux Israélites de porter leurs regards sur ce serpent attaché au bois, sils venaient à être mordus par un serpent vivant. Ses ordres turent accomplis. Dès que les hommes étaient mordus, ils jetaient les yeux sur le serpent dairain, et ils étaient guéris (2). Que représentent les serpents et leurs morsures ? Les péchés enfantés par la corruption de la chair. Que représente le serpent élevé dans le désert? Notre-Seigneur mort sur la croix. Comme la mort venait des serpents, elle a été représentée sous lemblème dun serpent. La morsure dun serpent donnait la mort, la mort de Notre-Seigneur donne la vie. On jetait les yeux sur te serpent, afin que le serpent fût inoffensif. Quest-ce à dire? Pour que la mort nait sur nous aucun pouvoir, il nous faut regarder la mort; la mort de qui? La mort de la vie; oui, la mort de la vie, si lon peut sexprimer ainsi, et précisément parce quon
1. Jean, I, 13, 14. 2. Nomb. XXI, 6-9.
peut sexprimer de la sorte, cest un admirable langage. Mais pourquoi ne pourrait-on pas dire ce qui a pu se faire? Eh quoi! craindrais-je de dire ce que Jésus-Christ a daigné faire pour moi ? Jésus-Christ nétait-il pas la vie ? Et cependant il a été attaché à la croix. Jésus-Christ nétait-il pas la vie? Et cependant il est mort. Mais dans la mort de Jésus-Christ, la mort a trouvé la sienne, parce quen mourant, la vie a tué la mort, la plénitude de la vie la engloutie, elle a été anéantie dans le corps de Jésus-Christ. Cest ce que nous dirons nous-mêmes au moment de notre résurrection, lorsque dans notre triomphe nous nous écrierons : « O mort, où est ta victoire? O mort, où est ton aiguillon ? » Cependant, mes frères, pour être guéri du péché, jetons les yeux vers Jésus-Christ en croix, puisque selon sa parole: « comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi il faut que le Fils de lhomme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne meure pas, mais quil ait la vie éternelle ». De même que la morsure des serpents était de nul effet pour ceux qui regardaient le serpent dairain, ainsi le péché na rien de dangereux pour ceux qui considèrent des yeux de la foi le Christ mourant. Dans le désert, les Juifs nétaient préservés que de la mort du temps, ni ramenés quà une vie fugitive; mais le Christ est mort, pour que les hommes aient la vie éternelle. Telle est, en effet, la différence qui se trouve entre la réalité et la figure, entre la figure qui donnait la vie du temps et la réalité quelle symbolisait et qui procure la vie éternelle. 12. « Car Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde, pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui ». Ainsi le médecin sapproche du malade, pour lui rendre, autant que possible, la santé. Mais le malade se donne à lui-même la mort, sil refuse dobserver les prescriptions du médecin. Le Sauveur est venu en ce monde; pourquoi lappelle-t-on Sauveur du monde, si ce nest quil est venu pour sauver le monde et non four le juger? Tu refuses te salut quil tapporte ? Tu seras jugé daprès ta conduite. Que dis-je, tu seras jugé ? Ecoute ce que dit Jésus : « Qui croit en lui ne sera point jugé; mais qui ny croit pas », à ton avis que va-t-il dire? Il sera jugé? Non; « il est déjà jugé ». Le jugement na pas encore paru,
1. I Cor. XV, 54, 55.
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mais le jugement est déjà rendu. Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, il connaît ceux qui sont destinés à recevoir la couronne et ceux qui doivent être jetés dans les flammes; il sait quel est le froment qui se trouve dans son aire, il sait aussi quelle est la paille, il distingue entre le bon grain et livraie. Celui qui ne croit pas est déjà jugé. Pourquoi? « Parce quil ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu ». 13. « Or, voici le jugement : la lumière est venue en ce monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière; car leurs oeuvres étaient mauvaises». Mes frères, où sont ceux dont le Seigneur trouve les oeuvres bonnes? Nulle part; car il a trouvé mauvaises les oeuvres de tous. Comment donc y en a-t-il eu pour agir selon la vérité et venir à la lumière? Il y en a eu, puisque le Sauveur ajoute : « Mais celui qui accomplit la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées parce quelles sont faites en Dieu ». Comment certains hommes ont-ils opéré le bien, de façon à venir à la lumière, cest-à-dire à Jésus-Christ? Comment dautres ont-il préféré les ténèbres? Car si Jésus-Christ trouve tous les hommes pécheurs, sil les guérit tous de leurs péchés, si le serpent, figure du Sauveur mis en croix, guérissait ceux qui avaient été mordus, si enfin le serpent na été élevé quen raison de ta morsure des serpents, cest-à-dire si le Seigneur est mort pour les hommes trouvés par lui dans le péché et condamnés à mourir, quel sens donner à ces paroles: « Voici leur jugement; la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, car leurs oeuvres étaient mauvaises?» Quest-ce que cela? Quels sont ceux dont les oeuvres étaient bonnes? Nêtes-vous pas venu pour justifier des pécheurs? Mais, ajoute-t-il: « Ils ont préféré les ténèbres à la lumière ». Là se trouve toute la force du raisonnement du Sauveur. Plusieurs, en effet, ont aimé leurs péchés, plusieurs les ont confessés; or, celui qui confesse ses péchés et sen accuse, commence à agir conjointement avec Dieu. Dieu accuse tes péchés; si tu en fais autant, tu te joins à lui. Il y a en nous comme deux choses distinctes : lhomme et le pécheur. Comme homme, nous sommes louvrage de Dieu; comme pécheurs, nous sommes notre propre ouvrage. Détruis ce que tu as fait, afin que Dieu sauve ce quil a créé. Il faut haïr en toi ton oeuvre et y aimer louvrage de Dieu. Or, quand ce que tu as fait commencera à te déplaire, alors tu commenceras à faire le bien, puisque tu accuses tes mauvaises oeuvres. Le commencement du bien nest autre chose que la confession du mal. Dès lors que tu fais la vérité, tu ne te trompes pas toi-même, tu ne te flattes pas, tu ne ten fais pas accroire, lu ne dis pas : Je suis juste, alors que tu es pécheur et que tu commences seulement à faire la vérité. Mais tu viens à la lumière, afin que tes oeuvres soient manifestées, parce quelles sont faites en Dieu. Car ton péché te déplaît; mais il ne te déplairait pas, si la lumière de Dieu ne téclairait, et si la vérité ne te le montrait à découvert. Mais celui qui, même après cet avertissement, aime encore son péché, hait la lumière qui Lavertit; il sen éloigne pour ne point entendre ses reproches an sujet des oeuvres mauvaises quil aime. Pour celui qui fait la vérité, il condamne ce quil y a de mal en lui, il ne sépargne pas, il ne se pardonne pas; car il veut que Dieu lui pardonne. En effet, ce dont il désire le pardon de la part de Dieu, il le reconnaît ; il vient à la lumière et il lui rend grâce de lui avoir montré ce quil devait haïr en lui-même. Il dit à Dieu « Détournez vos yeux de mes péchés », et de quel front pourrait-il parler de la sorte sil najoutait aussitôt: « parce que je connais mon iniquité et que mon péché est toujours devant moi (1)? » Vois ce que tu désires que Dieu ne voie pas. Si tu rejettes derrière toi ton péché, Dieu le remettra devant tes yeux, et il choisira, pour le faire, le moment où il ne te servira plus de rien de ten repentir. 14. Courez donc, mes frères, de peur que les ténèbres vous surprennent (2). Réveillez-vous pour opérer votre salut, réveillez-vous tandis que vous le pouvez ; que nul ne se montre lent à venir au temple de Dieu ; que nul ne se montre lent à faire loeuvre du Seigneur; que nul ne cesse de prier continuellement; que nul ne se relâche de sa dévotion accoutumée. Réveillez-vous, puisquil fait jour, le jour luit; ce jour, cest Jésus-Christ. Il est prêt à excuser, ruais ceux qui saccuseront; comme aussi à punir ceux qui se défendront, qui se vanteront dêtre justes, qui se croiront quelque chose, quand ils ne sont
1. Ps. L, 11, 5. 2. Jean, XII, 35.
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rien. Pour celui qui marche dans sa miséricorde et dans son amour, alors même quil est délivré des péchés graves et mortels, comme les crimes énormes, les homicides, les vols, les adultères, il rend hommage à la vérité en confessant les fautes légères quil a commises dans ses conversations, dans ses pensées, dans l'usage immodéré des choses permises. Aussi vient-il à la lumière par la pratique des bonnes oeuvres; car, en se multipliant, les petits péchés donnent la mort à l'âme, si on ny prend garde. Ce sont de petites gouttes deau qui alimentent le cours du rivières, Les grains de sable sont presque perceptibles; néanmoins, si vous en mettez une grande quantité sur les épaules dun homme, ils le surchargent et lécrasent. Ce que fait la violence des flots, leau qui s'infiltre dans la sentine peut le faire aussi, quand on n'y porte pas remède; elles s'y introduit peut à petit; à force de sy accumuler, sans jamais en sortir, elle finit par entraîner le navire dans labîme. Quest-ce que vicier la sentine, sinon empêcher par les bonnes oeuvres, les gémissements, les jeûnes, les aumônes, le pardon des injures, que nos péchés nous entraînent dans le précipice ? Le chemin de cette vie est difficile, il est hérissé dobstacles. La prospérité peut y donner de lorgueil, le malheur peut nous y abattre. Celui qui ta départi les joies de la vie présente, le fait pour te consoler, et non pour te donner loccasion de te corrompre. Par la même raison, celui qui te châtie en ce monde, le fait pour te corriger, et non pour te punir. Accepte les leçons de Dieu comme celles dun père, afin quun jour il ne te punisse pas comme ton juge. Nous vous disons cela tous les jours, et il faut le dire souvent; car tout cela est bon et utile pour votre salut.
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