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VINGT-CINQUIÈME TRAITÉ.DEPUIS CET ENDROIT : « JÉSUS SACHANT QUILS VOULAIENT LENLEVER, AFIN DE LE FAIRE ROI », JUSQUÀ CET AUTRE : « ET JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR ». (Chap. VI, 15-44. )JÉSUS, SOURCE DE TRANQUILLITÉ ET DE VIE.
Jésus-Christ, comme Dieu, est roi de lunivers; comme homme, il régnera sur les élus dans le ciel : mais, en le voyant multiplier les pains, ses disciples et les Juifs voulaient lui donner une royauté temporelle, ignorant quil dût sélever dabord sur le Calvaire ; il senfuit donc sur la montagne. Pendant son absence, les Apôtres sen retournèrent à Capharnaüm ; en traversant la mer ils furent assaillis dune violente tempête. Leur barque était limage de lEglise ; la tempête, celle des calamités qui doivent la tourmenter ici-bas sans pouvoir la faire périr. Enfin, le Sauveur vint sur les eaux, la nacelle aborda au rivage, et la tranquillité se rétablit. Avec Jésus, le chrétien foule aux pieds le monde et ses traverses, et il arrive sain et sauf à la bienheureuse éternité. Le lendemain, ta foule retrouve le Sauveur à Capharnaüm et sempresse autour de lui Ne me cherchez point pour le pain matériel que je pourrais vous donner, mais pour la vie éternelle dont je suis la source, comme Fils de Dieu : pour avoir la vie, croyez en moi. Quel signe nous donnerez-vous pour nous aider à croire en vous ? Si Moïse vous a donné la manne, Dieu vous donne un aliment bien supérieur, le vrai pain de vie, et ce pain, cest moi, soyez, comme moi, humbles et soumis à la volonté de Dieu, et vous me serez unis, et vous aurez toujours en vous le repos , et la vie.
1. La leçon de ce jour a été prise, dans lEvangile, immédiatement après celle dhier: cest là que commencera notre discours daujourdhui. Lécrivain sacré a donc fait le récit de ce miracle où Jésus nourrit cinq mille hommes avec cinq pains; à la suite de ce prodige, la multitude fut saisie dadmiration, et le reconnut comme un grand Prophète venu en ce monde. Saint Jean continue en ces termes : « Jésus, sachant quils voulaient lenlever pour le faire roi, se retira seul de nouveau sur la montagne ». Ce passage nous donne à penser que le Sauveur, après sêtre assis sur la montagne avec ses disciples, et avoir vu la foule se porter vers lui, était descendu de cette même montagne et avait nourri cette multitude dans la plaine. Comment, en effet, aurait-il pu se retirer à nouveau en cet endroit, sil nen était préalablement descendu? Il y a donc une signification à attacher à cette démarche du Sauveur, qui descend de la montagne afin de pourvoir aux besoins de tout un peuple. Il lui donna la subsistance nécessaire et retourna à lendroit doù il était venu. 2. Mais pourquoi se transporta-t-il de nouveau sur la montagne, lorsquil eut vu quon voulait lenlever et le faire roi? Eh quoi! Lui qui craignait de devenir roi, ne létait-il pas déjà? Oui, il létait, et il navait pas besoin de recevoir de la main des hommes la couronne royale, puisque cest lui qui leur distribue les royautés. Peut-être le Seigneur Jésus a-t-il voulu en cela nous donner une instruction, car il nous parle par toutes ses oeuvres. Par conséquent, de ce fait que la multitude voulut lenlever pour le faire roi, et quil se retira seul sur la montagne afin déviter cet honneur, devons-nous conclure quil ne résulte rien pour nous? que nous devons y voir un événement sans portée, dépourvu de tout enseignement, nayant aucune signification propre? Et de la part de ceux qui voulaient lenlever, nétait-ce point devancer lère de sa royauté? Si, en effet, il avait paru au milieu des hommes, le moment nétait pas encore venu pour lui de régner comme il régnera à lépoque à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons : « Que votre règne arrive ». Il règne déjà éternellement avec son Père, en tant quil est Fils de Dieu, Verbe de Dieu, Verbe par qui toutes choses ont été faites, Les Prophètes ont encore prédit que le Christ régnerait eux tant quil sest fait homme, et que les chrétiens sont devenus ses sujets aujourdhui. Les éléments de ce royaume des chrétiens se préparent et se réunissent : le Sauveur les achète au prix de son sang; son existence simposera à tous les regards, lorsque la
1. Matth. VI, 10.
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gloire des saints apparaîtra dans toute sa splendeur, à la suite du jugement quil prononcera en personne, et qui, selon son expression rapportée plus haut, est spécialement réservé au fils de lhomme (1). En parlant de ce royaume, lApôtre a dit: « Lorsquil aura u remis son royaume à Dieu, son Père (2) ». Et lui-même sen est exprimé en ces termes « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde (3) ». Mais les disciples et la foule qui croyaient en lui, simaginèrent quil était venu en ce monde pour régner immédiatement; lenlever et le taire roi, cétait donc devancer lère de la royauté, dont il tenait caché en lui-même le moment précis, pour la faire paraître au grand jour et la proclamer en temps opportun, cest-à-dire à la fin du monde. 3. Le peuple voulait le faire roi, ou, en dautres termes, il voulait fonder avant le temps et posséder un royaume visible du Christ, quoiquil dût dabord être jugé, puis juger les autres; en voici la preuve : immédiatement après quil eut été attaché à la croix, ceux mêmes qui avaient mis en lui leur confiance, avaient perdu tout espoir de le voir ressusciter; et quand il fut sorti vivant de son tombeau, il rencontra, au sortir de Jérusalem, deux disciples qui sentretenaient ensemble comme des gens découragés, et qui se racontaient en gémissant ce qui venait davoir lieu; il sapprocha deux, et ils ne virent en lui quun étranger, car leurs yeux étaient fermés, et ils ne le reconnaissaient pas; dès quil se fut mêlé à leur conversation, ils lui firent part du sujet de leur entretien et lui racontèrent que ce Prophète puissant en oeuvres et en paroles avait été mis à mort par les princes des prêtres: « Et nous espérions», ajoutèrent-ils, « quil serait le libérateur dIsraël (4)». Vous ne vous trompiez pas, votre espérance était bien fondée; car il est effectivement le Rédempteur dIsraël. Mais pourquoi vous hâter ainsi? Pourquoi vouloir lenlever? Voici encore une autre preuve des idées et des intentions de la multitude, Les disciples du Sauveur linterrogeaient un jour sur ce qui se passerait à la fin des temps : « Seigneur », lui disaient-ils, « est-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume
1. Jean, V, 22. 2. II Cor. XV, 24. 3. Matth. XXV, 34. 4. Luc, XXIV, 13-21.
dIsraël? quand le rétablirez-vous? » Ils désiraient, ils voulaient voir déjà exister ce royaume : en un mot, ils voulaient enlever le Christ et le faire roi. Mais, parce quil devait seul monter bientôt au ciel, il leur dit : « Ce nest pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez témoins pour moi à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusquaux extrémités de la terre (1) ». Vous voulez que je fasse paraître mon royaume; je le montrerai quand les éléments en seront réunis ; vous aimez la grandeur, et vous y parviendrez, mais suivez-moi dans le chemin de lhumilité. Il a encore été dit du Christ: « Lassemblée des peuples vous environnera; à cause delle, remontez sur la hauteur (2) ». Cest-à-dire : pour que lassemblée des peuples vous environne, pour réunir autour de vous un grand nombre de nations, remontez sur la hauteur. Ainsi a-t-il agi : il a gravi de nouveau la montagne, après avoir nourri la multitude. 4. Mais pourquoi lEvangéliste a-t-il employé le mot : « Il senfuit » , puisquen réalité on ne pouvait ni mettre la main sur lui, ni lenlever; ni même le reconnaître contre son gré? La preuve que tout ceci sest passé en mystère, non comme résultat de la nécessité , mais pour nous insinuer un secret dessein de Dieu, vous la verrez bientôt, dans les versets suivants. Il sétait, en effet, trouvé au milieu de cette foule qui le recherchait; il sétait entretenu avec elle, lui avait parlé beaucoup et avait discuté longuement devant elle la question du pain descendu du ciel, Sétait-il alors éloigné delle dans la crainte de la voir semparer de lui? En cette circonstance, ne pouvait-il pas agir, pour sauvegarde sa liberté, comme il agit plus tard, lorsquil engagea cette discussion avec elle? Il a donc voulu nous donner une leçon en prenant la fuite. Alors, que signifie ce mot: « Il senfuit? » On ne put se faire une idée de sa grandeur. Tout ce que tu ne comprends point, nen dis-tu pas: Cela méchappe? Aussi « se retira-t-il seul sur la montagne ». Le premier-né dentre les morts (3) sest élevé au-dessus de tous les cieux, et il intercède pour nous (2).
1. Act. I, 6-8.. 2. Ps. VII, 8. 3. Colos. I, 18. 4. Rom. VIII, 34.
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5. Cependant ce grand prêtre se retira seul au sommet de la montagne: il avait été figuré par le grand prêtre de lancienne loi, qui entrait, une fois lannée, à lintérieur du sanctuaire, laissant la foule du peuple en dehors du voile (1). Pendant que Jésus était sur la hauteur, ses disciples se trouvaient sur une barque; quy souffraient-ils? Dès lors quil était en un lieu élevé, cette barque préfigurait lEglise. Si, en effet, et avant tout, nous ne voyons pas que la tourmente dont cette barque avait à souffrir était la figure de ce qui se passe dans lEglise, tous ces faits étaient sans portée relativement à lavenir; cétaient des événements purement transitoires, incapables de fixer notre attention; mais si nous les regardons comme des figures qui reçoivent dans lEglise leur accomplissement, il est sûr que toutes les actions du Christ nous tiennent une sorte de langage. « Et quand le soir fut venu », dit saint Jean, « ses disciples descendirent vers la mer, et étant montés dans la nacelle, ils vinrent au-delà de la mer, vers Capharnaüm » Dans ce passage, lEvangéliste nous indique , comme ayant déjà eu lieu, ce qui ne sest fait que plus lard, « Ils vinrent au-delà de la mer, vers Capharnaüm »; puis, revenant sur ses pas, il nous apprend comment ils y sont venus il mous dit quils ont traversé la mer en bateau; enfin, il nous raconte en deux mots ce qui est advenu pendant quils se dirigeaient. nec leur nacelle vers cet endroit, où il nous adit par anticipation quils étaient arrivés. « Et les ténèbres se répandaient déjà, et Jésus nétait pas encore revenu près deux ». Il était naturel que les ténèbres se répandissent, puisque la lumière navait pas encore paru. « Les ténèbres se répandaient déjà, et Jésus nétait pas encore revenu près deux ». Plus approche la fin du monde, plus saccroissent, et les erreurs, et les terreurs, et liniquité, et linfidélité, plus aussi saffaiblit éclat de cette lumière, qui nest autre que la charité; lévangéliste Jean lui-même nous a dit à plusieurs reprises et ouvertement, et lue craint pas de sexprimer ainsi « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres (2) ». Ces ténèbres de la haine des frères, les uns envers les autres, saccroissent et sépaississent de jour en jour; et Jésus nest pas encore menu. Comment voyons-nous quelles augmentent
1. Hébr. IX, 12. 2. I Jean, II, 11.
chaque jour davantage? « Parce que liniquité abondera, on verra se refroidir la charité dun grand nombre ». Les ténèbres deviennent plus profondes, et Jésus nest pas encore venu. Lépaississement des ténèbres, le refroidissement de la charité, labondance de liniquité, voilà les vagues qui secouent la nacelle, les vents et les tempêtes qui lassaillent : ce sont les imputations des détracteurs, Dès lors que la charité se refroidit, les vagues se soulèvent et tourmentent le bateau. 6. « Un grand vent venant à souffler, la mer sélevait». Les ténèbres sépaississaient: les intelligences tombaient dans lobscurité, liniquité se multipliait. « Après donc quils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades ». Cependant, ils marchaient, ils avançaient, et ni les vents, ni la tempête, ni les flots, ni les ténèbres nempêchaient la barque de marcher. Détachée du rivage, elle nétait pas non plus engloutie dans les flots par tous ces éléments en fureur, elle avançait toujours en dépit de leurs efforts. En effet, de ce que liniquité surabonde, de ce que la charité dun grand nombre se refroidisse, de ce que les flots sélèvent, de ce que les ténèbres saccroissent, de ce que les vents deviennent impétueux, le bateau, lEglise, nen poursuit pas moins sa course; « car celui qui persévérera jusquà la fin, sera sauvé ». Le nombre même des stades parcourues nest pas à négliger: il est vraiment impossible que ce passage ne renferme pas un sens caché. «Après quils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades, alors Jésus vint à eux». Il suffirait de dire « vingt-cinq», comme de dire « trente » ; car, ici, il ny a pas une évaluation précise de la distance parcourue : ce nen est quune évaluation approximative. Si lEcrivain sacré disait nettement vingt-cinq stades, trente stades, y aurait-il de sa part une atteinte réelle à la vérité? Non, mais il sest servi du chiffre vingt-cinq pour faire celui de trente. Occupons-nous dabord du nombre vingt-cinq. Doù vient-il? Comment se forme-t-il? Du nombre cinq, qui se rapporte à la loi; car, il y a cinq livres de Moïse; il y avait cinq portiques sous lesquels on déposait les paralytiques: cest encore avec cinq pains que le Sauveur a nourri cinq mille hommes : le nombre vingt-cinq représente donc la loi, parce que cinq multiplié par cinq, ou cinq
1. Matth. XXIV, 12,13.
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fois cinq font vingt-cinq, qui est le carré de cinq. Mais avant lapparition de lEvangile, la loi nétait point parvenue à sa perfection la perfection se trouve dans le nombre six aussi est-ce en six jours que Dieu a parfait la création du monde (1). Cinq se multiplie donc par six, et ainsi la loi se trouve amenée à sa perfection par lEvangile, et cinq répété six fois forme le nombre trente. Jésus vint donc à ceux qui accomplissaient la loi ; et comment y vint-il? En marchant sur les flots et foulant sous ses pieds tout lorgueil du monde, toutes les grandeurs de la terre. A mesure que les années sajoutent aux années, et quon approche de la consommation des temps, on voit saccroître en ce monde les tribulations et les maux : le chrétien se voit de plus en plus écrasé par ses ennemis: les épreuves de tous genres samoncèlent incessamment sur lui, et Jésus passe en foulant les flots sous ses pieds. 7. Néanmoins, les tribulations saggravent à tel point, que ceux mêmes qui croient en Jésus-Christ et qui sefforcent de persévérer jusquà la fin, tremblent dans la crainte de défaillir. Le Christ foule les vagues à ses pieds, il écrase toutes les orgueilleuses prétentions des mondains, et néanmoins le chrétien sépouvante. Mais tout cela ne lui a-t-il pas été prédit? Ce ne fut pas sans raison que les Apôtres « furent saisis de crainte », même au moment où Jésus marchait sur les eaux ainsi en est-il des chrétiens en présence du Dieu qui écrase lorgueil de ce monde : ils ont placé leurs espérances dans la vie future, et pourtant ils tombent dans le trouble quand ils voient les choses humaines ainsi foulées aux pieds par le Sauveur. Ils ouvrent lEvangile, ils lisent les Ecritures,et ils y trouvent lannonce de tout cela, et ce livre divin les avertit davance que telle est la manière dagir du Sauveur. Il rabaisse jusque dans la poussière lorgueil des mondains, afin que les humbles le glorifient. Touchant cet orgueil des mondains, voici ce qui a été prédit: « Vous détruirez leurs villes les mieux fortifiées »; et encore: « La puissance de votre ennemi a été anéantie pour toujours, et vous avez détruit ses villes (2) ». Chrétiens! que craignez-vous donc ? Le Christ vous dit : « Cest moi, ne craignez pas s. Pourquoi avoir peur en me voyant agir? Pourquoi
1. Gen I. 2. Ps. IX, 7.
trembler? Ce que je fais, je vous lai annoncé davance, et je dois nécessairement le faire. « Cest moi, ne craignez pas ». Ils le reconnurent, et, tranquilles désormais, transportés de joie, « ils voulurent le recevoir dans la nacelle; et, aussitôt elle aborda la terre où ils allaient ». En abordant ils en finirent avec leurs épreuves: à lélément liquide se substitua pour eux lélément solide; aux vagues agitées, la terre ferme; au voyage, le repos, 8. « Le lendemain, la multitude qui se tenait de lautre côté de la mer », doù Jésus et ses disciples étaient venus, « voyant quil ny avait quune nacelle, et que Jésus ny était point entré avec ses disciples, mais que les disciples sen allaient seuls; dautres barques était venues de Tibériade, près du lieu où ils avaient mangé le pain après que le Seigneur eût rendu grâces; la multitude, voyant que Jésus nétait point là, ni ses disciples non plus, monta dans des barques et vint à Capharnaüm, cherchant Jésus ». Ces hommes devaient bien sapercevoir un peu du merveilleux prodige que le Sauveur venait dopérer, car ils voyaient que les disciples seuls étaient montés dans la barque, et quil ny en avait pas dautre en cet endroit. Des barques vinrent donc du côté opposé jusquà lendroit où ils avaient mangé le pain : la foule monta sur ces barques et vint trouver Jésus, Il nétait pas monté avec ses disciples; il ny avait là aucune autre nacelle : comment le Sauveur avait-il pu se trouver tout à coup transporté de lautre côté de la mer, sinon parce quil avait marché sur les eaux et avait voulu les rendre témoins dun nouveau prodige? 9. « La foule layant trouvé au-delà de la mer ». Le voilà qui se présente devant la foule : et, pourtant dans la crainte dêtre enlevé par elle, il sétait enfui dans la montagne. Il nous laisse à supposer, et même il nous confirme dans lidée que ces paroles renferment un mystère : et il a voulu nous faire trouver un sens caché en ce prodige, quil avait opéré dans le plus grand secret. Celui qui, pour sécarter de la foule, sétait retiré sur la montagne, nentre-t-il pas main. tenant en colloque avec cette même foule? Quelle en profite donc, pour semparer de sa personne. pour le faire roi. « Layant trouvé au-delà de la mer, tous lui dirent : Maître, « quand êtes-vous venu ici? » [519] 10. Après avoir opéré en secret ce miracle, il adresse la parole à cette multitude, afin de nourrir encore autant que possible ceux quil déjà nourris, afin de rassasier par ses discours les âmes de ceux dont il vient de calmer la faim corporelle. Mais encore faut-il quils reçoivent cette nourriture nouvelle, et, sils ne la reçoivent pas, quon la recueille pour nen pas laisser perdre les restes. A lui donc de parler, à nous découter : « Jésus leur répondit en ces termes: En vérité, en vérité, je vous le dis : Vous me, cherchiez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai donnés ». Vous me cherchez donc pour des motifs charnels, et non pour des motifs spirituels. Combien cherchent Jésus seulement en raison du bien quils désirent recevoir de lui suivant les circonstances! Celui-ci se trouve dans une entreprise: il demande aux clercs lappui de leur intercession : celui-là est poursuivi par un plus fort que lui ; il se réfugie à lEglise : cet notre aimerait dêtre protégé auprès dun homme sur lequel il na aucune influence lun éprouve tel besoin, lautre tel autre, nos églises sont incessamment rem plies de pareilles gens. Cest à peine si quelquun cherche Jésus pour lui-même. « Vous me cherchez, non parce que vous voyez des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai donnés. Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». Vous me cherchez pour autre chose : cherchez-moi pour moi-même : il nous laisse, en effet, à penser quil est lui-même cette nourriture cela ressort des paroles qui suivent : « Et que le Fils de lhomme vous donnera». A lentendre, tu croyais, ce me semble, manger encore une fois du pain, te rasseoir sur lherbe, être à nouveau rassasié. Mais il a dit: « Non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». Il avait déjà tenu le même langage à la Samaritaine : « Si tu savais celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu lui en aurais peut-être demandé, et il taurait donné de leau vive ». Comment cela? dit-elle: Vous navez aucun moyen de tirer de leau, le puits est profond. Jésus lui répondit : « Si tu savais celui qui te dit: Donne-moi à boire, tu lui en aurais peut-être demandé, et il taurait donné de leau vive. Celui qui boira de cette eau, naura jamais soif; mais quiconque boira de leau de ce puits, aura encore soif». Cette femme, qui se fatiguait à puiser de leau, fut transportée de joie et demanda à recevoir de cette eau, dans lespoir de ne plus souffrir de la soif du corps. Et ce fut en sentretenant ainsi avec le Sauveur quelle en vint à recevoir un breuvage spirituel (1). Ici, il en est absolument de même. 11. « Cette nourriture, qui ne périt pas, mais qui demeure dans la vie éternelle, et que le Fils de lhomme vous donnera, car Dieu le Père la scellé de son sceau ». Ce fils de lhomme, veuillez ne pas le comparer aux autres enfants des hommes, dont il est écrit : « Les enfants des hommes espèrent à lombre de vos ailes (2) ». Séparé des autres par une grâce spéciale de lEsprit-Saint, mais né dune femme selon la chair, et compté au nombre des autres, il est fils de lhomme ; mais ce fils de lhomme est aussi Fils de Dieu : il est homme et Dieu tout ensemble. En une autre circonstance, il interrogeait ses disciples . « Que dit-on du Fils de lhomme? Ils lui répondirent : Les uns disent : cest Jean-Baptiste; les autres : Elie; dautres : Jérémie ou un autre dentre les Prophètes. Jésus leur dit: Et vous? Qui dites-vous que je suis? Pierre lui répondit : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (3) ». Jésus dit de lui-même quil est le Fils de lhomme, et Pierre reconnaît hautement quil est le Fils de Dieu. Jésus rappelait par là, avec raison, ce quil avait bien voulu paraître par bonté pour nous: Pierre faisait allusion à léternelle lumière au sein de laquelle il demeurait. Le Verbe de Dieu nous parle de ses humiliations, Pierre reconnaît en lui la splendeur de son Dieu. De fait, mes frères, il me parait juste quil en soit ainsi. Jésus sest humilié à cause de nous : glorifions-le donc ce nest pas pour lui-même quil est devenu fils de lhomme : cest pour nous. Cest ainsi quil est devenu le fils de lhomme, puisque « le Verbe sest fait chair et quil a habité parmi nous (4) ». Et voilà pourquoi « Dieu le Père la marqué de son sceau ». Quest-ce quapposer notre marque, sinon appliquer sur un objet quelque chose qui nous soit personnel? Sceller de son sceau nest donc
1. Jean, IV, 5-26. 2. Ps XXXV, 8. 3. Matth. XVI, 13-16. 4. Jean, I, 14.
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autre chose que placer un signe qui ne puisse être pris pour un autre : sceller de son sceau, cest donc imprimer un signe sur un objet. Tu apposes une marque sur un objet quelconque donc, tu fais sur lui une empreinte afin de pouvoir le reconnaître et ne pas le confondre avec dautres. « Le Père la » donc « marqué de son sceau ». Il lui a donc imprimé un signe distinctif qui empêche de le comparer aux autres hommes. Aussi, en parlant de lui,le Prophète a-t-il dit : «Dieu,votre Dieu, vous a sacré dune onction de joie qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager (1) ». Quest-ce donc que marquer de son sceau? Cest mettre dans un rang à part : cest, en dautres termes, établir une préférence entre une personne et ses copartageants. Veuillez donc, nous dit-il, ne pas me mépriser parce que je suis fils de lhomme: demandez-moi, « non 1e pain qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle ». Car je suis de telle manière le fils de lhomme, que vous ne devez point me considérer comme lun dentre vous, et que Dieu le Père ma marqué de son sceau. Il ma marqué de sou sceau, quest-ce à dire? Il a imprimé sur moi un signe particulier, en vertu duquel je dois délivrer tous les hommes au lieu de me confondre avec eux. 12. « Tous lui dirent donc: Que ferons-nous pour accomplir les oeuvres de Dieu? » Car il leur avait dit lui-même : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». « Que ferons-nous? » Par quelles uvres pourrons-nous accomplir ce commandement? « Jésus répondit : Loeuvre de Dieu, cest de croire en Celui quil a envoyé ». Voilà donc ce qui sappelle manger, « non le pain qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle ». Pourquoi tenir prêts tes dents et ton estomac? Crois, et tu auras pris cette nourriture. En effet, la foi se distingue des oeuvres, selon ces paroles de lApôtre : « Lhomme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi (2)». Et il y a des oeuvres qui paraissent bonnes, sans la foi en Jésus-Christ; niais, en réalité, elles ne le sont point, arec quelles ne se rapportent pas à cette fin, qui donne du mérite à nos oeuvres. « Car Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier
1. Ps XLIV, 8. 2. Rom. III, 28.
ceux qui croiront (1) ». II na donc pas voulu séparer la foi des oeuvres, mais il a déclaré que la foi est une oeuvre; car cest la foi qui agit par. la charité (2). Et il na pas dit : Votre oeuvre, mais «loeuvre de Dieu, cest de croire en Celui quil a envoyé » ; il sest exprimé ainsi, afin que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (3). Mais parce quil les excitait à croire en lui, ceux-ci lui demandaient aussi des prodiges qui les porteraient à croire. Vois si vraiment les Juifs ne réclament pas des miracles. Ils lui dirent donc : « Quel signe faites-vous, afin que nous le voyions et que nous croyions en vous? Quelles sont vos oeuvres? » Pour eux, était-ce peu de chose davoir été nourris avec cinq pains? Non, ils le savaient bien; mais à cette nourriture, ils préféraient encore la manne du ciel. Pour le Seigneur Jésus, il parlait de lui. même de telle façon quil se plaçait au-dessus de Moïse; car celui-ci na jamais osé dire de soi quil donnait, non un pain périssable, « mais un pain qui demeure pour la vie éternelle ». Jésus promettait donc plus que Moïse. Les promesses de celui-ci avaient, en effet, pour objet un royaume, une terre où coulaient le lait et le miel, une paix temporelle, un grand nombre denfants, la santé du corps, et tous les autres avantages de cette vie. De pareils biens étaient, sans doute, matériels, mais, en définitive, ils étaient la figure des biens spirituels. Ces promesses sadressaient au vieil homme et sous lempire de lancienne alliance. Les hommes qui suivaient le Sauveur, établissaient donc un parallèle entre les promesses de Moïse et celtes du Christ. De la part du premier, ils avaient en perspective toutes les satisfactions terrestres; mais cétait un aliment périssable : de la part du Sauveur, ils devaient recevoir, « non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle ». Ils remarquaient que ses promesses étaient plus grandes, mais aussi quil opérait de moindres prodiges. Ils se rappelaient ceux de Moïse, et ils étaient disposés à en demander de plus frappants encore à celui qui leur faisait de si belles promesses. Que faites-vous, lui dirent-ils, tour que nous croyions en vous? Veux-tu être certain quils comparaient les miracles de Moïse à celui de la multiplication des pains, et quils regardaient comme les moindres
1. Rom. X, 4, 2. Gal. V, 6. 3. I Cor. I, 31.
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ceux quopérait Jésus? En voici la preuve ils ajoutèrent : « Nos pères ont mangé la manne au désert ». Mais quest-ce que la manne? Vous en avez peut-être une petite idée: « Ainsi quil est écrit, il leur a donné du manne pour nourriture ». Moïse a obtenu pour nos pères un pain venu du ciel, et, pourtant, Moïse ne leur a pas dit : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle » ; et, néanmoins, il a opéré des prodiges bien autres que les vôtres. Il ne nous a pas distribué du pain dorge, il nous a donné une manne venue du ciel. 13. « Jésus donc leur dit: En vérité, en vérité je vous le dis: Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel; mais mon Père vous donne, le véritable pain du ciel ; car le pain qui descend du ciel est le vrai pain, et il donne la vie éternelle ». Le vrai pain, cest donc celui qui descend du ciel (2) cest celui-là même, dont je vous ai parlé tout à lheure: « Travaillez, non pour le pain qui périt, mais pour celui qui demeure dans la vie éternelle». La manne elle-même en était la figure, et tous les prodiges de Moïse préfiguraient les miens. Vous admirez des miracles qui annonçaient tes miens, et à ceux dont ils étaient lannonce et limage, vous ne faites pas attention? Donc, Moïse na point donné un pain venu du ciel: pour Dieu, il donne du pain; mais quel pain? serait-ce de la manne? Non ; cest le pain dont elle était la figure: cest,en dautres termes, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. « Mon Père vous donne le véritable pain, car le pain de Dieu, cest celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde. Ils lui dirent donc: « Seigneur , donnez-nous toujours de ce pain ». En une autre circonstance le Sauveur avait déjà dit, dans le même sens, à la Samaritaine: « Quiconque boira de cette eau naura jamais soif». Elle avait donné à ces paroles une signification toute matérielle, et cependant elle ne voulait point souffrir du manque deau; elle lui répondit donc aussitôt: « Seigneur, donnez-moi de cette eau ». Ainsi firent les Juifs: «Seigneur, donnez-nous de ce pain », qui répare nos forces et ne nous fasse jamais défaut. 14. « Et Jésus leur dit: Je suis le pain de vie: celui qui vient à moi naura pas faim, et celui qui croit en moi naura jamais soif ». Ces paroles: « Celui qui vient à moi», sont les mêmes que ces autres: « Celui qui croit en moi » ; et celles-ci: « naura pas faim », sont corrélatives à celles-là: « naura jamais soif». Car toutes deux indiquent une satiété sans fin, qui ne fera jamais place à aucun besoin. Vous désirez un pain venu du ciel: il est devant vous, et vous nen profitez pas. « Mais je vous lai dit: Vous mavez vu, et vous navez pas cru en moi». Néanmoins, je ne me trouve pas pour cela sans peuple, car votre infidélité serait-elle capable danéantir toute croyance en Dieu (1)? Ecoute, en effet, ce qui suit: « Tout ce que mon Père me donne viendra à moi,et celui qui viendra à moi, je ne le repousserai point dehors ». Quel est donc cet intérieur, au dehors duquel on nest point jeté? Cest un sanctuaire inviolable, cest une douce retraite. O retraite à labri de tout ennui, où lon néprouve lamertume daucune mauvaise pensée, où ne viennent nous tourmenter ni les tentations, ni la douleur! Nest-ce point dans cette retraite bénie que sera admis le bon serviteur, à qui le Seigneur dira: « Entre dans la joie de ton Maître (2) ». 15. « Et celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors. Car je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de Celui qui ma envoyé». Si vous ne chassez pas au dehors celui qui vient à vous, cest donc parce que vous êtes descendu pour faire, non votre volonté, mais la volonté de celui qui vous a envoyé. Ineffable mystère ! Je vous en conjure: frappons tous ensemble à la porte de ce sanctuaire, afin quil en sorte de quoi nous sustenter comme il en est sorti de quoi nous charmer. « Celui qui viendra à moi »: quelle douce, quelle admirable retraite ! Attention! Attention ! Pèse bien ces paroles : « Celui qui viendra à moi , je ne le mettrai pas dehors ». Il dit donc: « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi cela? «Parce que je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé ». Vous êtes descendu du ciel pour faire, non votre volonté, mais la volonté de Celui qui vous a envoyé: est-ce bien là le motif pour lequel vous ne mettez pas dehors celui qui vient à vous? Oui, cest lui. Pourquoi le lui 1. Rom. III, 3. Matth. XXV, 23.
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demander, puisquil nous le dit lui-même? Il ne nous est pas permis den supposer un autre que celui quil nous indique. « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors »; et comme si tu cherchais à en connaître la cause, il ajoute: « Parce que je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé ». Je crains bien que certaines âmes ne se soient vues rejetées de Dieu pour avoir été orgueilleuses : le doute à cet égard ne mest pas même permis. De fait, il est écrit: « Le principe de tout péché, cest lorgueil », et « le principe de lorgueil dans lhomme, cest léloignement de Dieu ». Cela est écrit, cela est positif, cela est certain. Et à propos du mortel orgueilleux, au sujet de cet être qui nest couvert que de lambeaux de chair, qui plie sous le poids dun corps destiné à pourrir, et qui pourtant sélève à ses propres yeux parce quil oublie de quelle nature est son vêtement de peau, lEcriture sexprime ainsi : « De quoi la terre et la cendre peuvent-elles senorgueillir ? De quoi sont-elles si fières ? » Quelles disent : « Pourquoi lhomme sélève. Parce quil a, durant sa vie; jeté toutes ses entrailles (1)». Que veut dire ce mot : « il a jeté », sinon il a jeté? Cest sen aller au dehors. Entrer en soi-même, veut dire : rechercher ce qui est à lintérieur; jeter ses entrailles, signifie : se jeter dehors. Lorgueilleux jette hors de lui ses entrailles, lhomme humble sy attache; si lorgueil nous fait sortir de nous-mêmes, lhumilité nous y fait rentrer. 16. La source de toutes les maladies de lâme, cest lorgueil, parce quil est la source de toutes les iniquités. Lorsquun médecin entreprend une cure, sil ne senquiert que des effets produits par une cause quelconque, sans chercher à découvrir cette cause elle-même, il peut bien pour un temps remédier au mal, mais tôt ou tard la maladie reparaît, parce que la cause en est toujours subsistante. Je me sers dun exemple pour mieux expliquer ma pensée. Les humeurs produisent, dans le corps où elles se trouvent, la gale ou des ulcères; de là une fièvre violente, des douleurs insupportables: on sempresse dapporter des remèdes pour faire disparaître la gale et calmer les ardeurs occasionnées par la formation des ulcères; on les applique, ils
1. Eccli. X, 15, 14, 9, 10.
produisent leur effet; on croirait guéri lhomme que lon voyait jadis couvert de gale ou de plaies hideuses; mais parce quil na pas été purgé, les abcès ne tardent pas à reparaître. Le médecin sen aperçoit; il débarrasse le malade de ses humeurs, et cen est fini avec ses ulcères. Doù viennent les iniquités nombreuses? De lorgueil: détruis-le en toi, et tu ny verras plus le péché. Afin de détruire la cause de toutes les maladies de notre âme, cest-à-dire notre orgueil, le Fils de Dieu est descendu sur la terre et sest fait humble. O homme, pourquoi tenorgueillir? Cest à cause de toi que Dieu sest fait humble. Il te répugnerait sans doute de suivre un homme dans la voie de lhumilité, imite du moins thumilité dun Dieu. Le Fils de Dieu sest incarné, il sest fait humble: il te commande dêtre humble, mais pour accomplir ses ordres, il nest pas nécessaire pour toi de cesser dêtre un homme et de tabaisser au niveau de la brute. Tout Dieu quil était, le Verbe sest fait homme; pour toi, ô homme, reconnais que tu es un homme: toute ton humilité consiste à savoir qui tu es. Parce quil te recommande lhumilité, le Sauveur a dit : « Je suis venu pour dire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé ». Voilà bien une vraie leçon dhumilité. En effet, lorgueilleux fait sa propre volonté: Lhomme humble fait celle de Dieu. Cest pourquoi « celui qui viendra à moi , je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi? Parce que « je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé ». Jai apparu humble, je suis venu enseigner à devenir humble, je suis le docteur de lhumilité. Celui qui vient à moi, sincorpore à moi; celui qui vient à moi, devient humble; celui qui sattache à moi, pratique lhumilité ; car il fait, non point sa propre volonté, mais celle de Dieu; aussi ne le mettrai-je pas dehors, bien que je laie rejeté loin de moi, lorsquil était orgueilleux. 17. Le Psalmiste appelle notre attention sur ces choses intérieures: « Les enfants des hommes espéreront à lombre de vos ailes ». Vois ce que cest que pénétrer à lintérieur de Dieu, se mettre sous sa protection, courir même au-devant des coups de ce bon Père. Car il châtie tous ceux quil reçoit au nombre de ses enfants. « Les enfants des hommes [523] espéreront à lombre de vos ailes». Et que trouveront-ils dans lintérieur de Dieu? « Ils seront enivrés de labondance de votre maison ». Dès que vous les aurez fait entrer, et quils auront goûté la joie de leur Seigneur, « ils seront enivrés de labondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices, parce quen vous se trouve la source de la vie ». Ce nest point à lextérieur, en dehors de vous que se trouve la source de la vie, cest au dedans de vous, à lintérieur. « Et, dans votre lumière, nous verrons la lumière. Etendez votre miséricorde sur ceux qui vous connaissent, et votre justice sur ceux qui ont le coeur droit ». Ceux qui suivent la volonté de leur Dieu, ceux qui recherchent, non leurs intérêts, mais les intérêts de Notre-Seigneur Jésus-Christ, voilà les hommes qui ont le coeur droit, voilà les hommes dont les pas ne chancellent point; car « le Dieu dIsraël est bon pour ceux qui ont le coeur droit». Mes pas, ajoute le Psalmiste, « ont presque chancelé ». Pourquoi? « Parce que je me suis indigné contre linsensé, en voyant la paix des impies (1)». Pour qui donc Dieu serait-il bon, sinon pour ceux qui ont le coeur droit? Pour moi, qui ai le coeur tordu, li conduite de Dieu ma déplu. Pour quel motif? Parce quil a accordé le bonheur aux méchants: et mes pieds ont chancelé, comme si javais inutilement servi Dieu. Mes pieds se sont presque dérobés sous moi : cétait donc parce que je navais pas le coeur droit. Mais quest-ce quun coeur droit? Cest celui qui suit la volonté divine. Celui-ci est heureux, celui-là souffre ; celui-ci mène une mauvaise conduite, et rien ne manque à son bonheur celui-là subit toutes sortes dépreuves, et pourtant sa vie est exemplaire. Que lhomme dont la vie se passe dans la pratique du bien ne semporte point parce quil se voit en butte à linfortune; il a une retraite intérieure que ne possède pas le pécheur heureux: quil ne se laisse donc aller ni à la tristesse, ni au découragement, ni à la défaillance. Lun possède de lor dans ses coffres, lautre possède Dieu en sa conscience: établis maintenant une comparaison entre lor et Dieu, entre ces coffres et cette conscience. Le premier possède un or périssable, quil lui faudra quitter plus tard; le second
1. Ps. LXXII, 1-3.
est en possession de Dieu, qui vivra toujours, et dont rien ne pourra le séparer; mais pour cela faut-il quil ait le coeur droit; car alors il entre et ne sort pas. Voilà pourquoi le Prophète disait: « Parce quen vous, non pas en nous, se trouve la source de la vie ». Cherchons donc à entrer, afin de trouver la vie, et ne cherchons, ni à nous suffire à nous-mêmes, car nous trouverions la mort; ni en quelque sorte à nous contenter de laliment de notre seule volonté, car nous dépéririons; mais appliquons nos lèvres à cette fontaine qui ne tarit jamais. Parce que Adam na voulu clans sa conduite écouter que ses propres inspirations, il est tombé sous les efforts de lange que lorgueil avait déjà arraché du ciel, et qui la fait boire lui-même à la coupe de lorgueil. Il est écrit: « En vous se trouve la source de la vie; et dans votre lumière nous verrons la lumière ». Abreuvons-nous donc en Dieu, portons sur lui nos regards. Pourquoi sort-on de lui? écoute, le voici: « Que je naie point un pied orgueilleux ». Il sort donc de Dieu, celui qui a un pied orgueilleux. Donnes-en la preuve. « Et que la main des impies ne mébranle pas », à cause de mon pied orgueilleux. Pourquoi texprimer ainsi : « Voilà lécueil des ouvriers diniquité? » Quel est cet écueil? Nul autre que lorgueil. « Ils y sont tombés et ne pourront sen relever (1) ». Si lorgueil précipite au dehors des hommes qui ne pourront plus se tenir debout, lhumilité en fait entrer qui se tiendront éternellement debout. Voilà pourquoi avant de dire: « Mes os humiliés tressailliront», le Prophète sétait exprimé ainsi: « Vous ferez retentir à mon oreille la joie et lallégresse (2)». Que veut dire: « à mon oreille? » En vous écoutant, je suis heureux : les accents de votre voix me comblent de bonheur. Je mabreuve en vous, et jy puise la félicité. Cest pourquoi je ne tombe pas; cest pourquoi mes « os humiliés tressailliront » ; cest pourquoi encore « lami de lépoux se tient debout et « lécoute (3) ». Il se tient debout, parce quil écoute. Il sabreuve à la source intérieure de Dieu : aussi se tient-il debout. Pour ceux qui nont pas voulu puiser à cette source deaux vives, « voilà leur écueil: ils y sont tombés et ne sen relèveront pas ». 18. Le Maître de lhumilité nest donc parvenu pour faire sa volonté, mais pour faire
1. Ps. XXXV, 8-13. 2. Id. L, 10. 3. Jean, III, 29.
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la volonté de Celui qui la envoyé. Allons donc à lui, pénétrons en lui, incorporons-nous à lui, afin de faire, non pas notre volonté propre, mais celle de Dieu. De la sorte, il ne nous mettra pas dehors, parce que nous serons ses membres, et quen nous enseignant lhumilité, il a voulu être notre chef. Enfin, écoutez cette autre leçon du Sauveur: « Venez à moi , vous tous qui souffrez et qui êtes accablés : prenez mon joug sur vos épaules et apprenez de moi que je suis doux et humble de cur »; et quand vous laurez appris, « vous trouverez le repos de vos âmes (1) ». Apprenez aussi que ce qui vous empêchera dêtre rejetés loin de Dieu, cest « que je suis descendu pour faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé ». Je vous enseigne lhumilité: personne, à moins dêtre humble, ne peut venir à moi. Dieu ne repousse loin de lui que les orgueilleux ; pourrait-il en éloigner de même celui qui conserve lhumilité et ne sen écarte pas? Mes frères, jai dit tout ce quil métait possible de dire sur le sens caché de ce passage; car il renferme un sens profondément mystérieux. Je ne sais, à vrai dire, si je me suis convenablement exprimé pour le bien exposer et faire ressortir, si jai expliqué suffisamment quil ne rejette pas lhomme qui vient à lui, par cette raison quil est venu faire, non pas sa propre volonté, mais la volonté de Celui qui la envoyé. 19. « Et telle est », dit-il, la volonté de « mon Père, qui ma envoyé, cest que je ne
1. Matth, XI, 28, 29.
perde aucun de ceux quil ma donnés ». Celui qui garde lhumilité, lui a été donné: le Sauveur le reçoit ; mais celui qui nest pas humble, est bien loin du maître de lhumilité : « Cest que je ne perde aucun de ceux quil ma donnés. La volonté de votre Père est quaucun de ces petits ne périsse ». Parmi les orgueilleux, il en est qui peuvent périr; parmi les humbles, on nen voit périr aucun. « Si vous ne devenez pareils à ce petit enfant, vous nentrerez point dans le royaume des cieux (1). Je ne perdrai aucun de ceux que mon Père ma donnés, mais je les ressusciterai au dernier jour ». Voyez comme il distingue ici cette double résurrection. « Celui qui vient à moi », celui de mes membres qui devient humble, ressuscite déjà maintenant; de plus, « je le ressusciterai au dernier jour », selon la chair. « Car cest la volonté de mon Père, qui ma envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ». Il avait dit plus haut: « Celui qui écoute ma parole, et croit à Celui qui ma envoyé ». Il dit ici : « Celui qui voit le Fils et croit en lui ». Il ne dit pas: Celui qui voit le Fils et croit au Père; car, croire au Fils, cest croire au Père, parce que « comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils davoir en soi la vie (2). Afin que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle »; en croyant, et en passant à la vie, par une première résurrection. Mais, parce quelle nest pas la seule, il ajoute: « Je le ressusciterai au dernier jour».
1. Matth. XVIII, 14, 4. 2. Jean, V, 24, 26.
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