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CENT SIXIÈME TRAITÉDEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « J'AI MANIFESTÉ VOTRE NOM AUX HOMMES », JUSQU'A CES AUTRES : « ET ILS ONT CRU QUE VOUS M'AVEZ ENVOYÉ ». (Chap. XVII, 6.8.)
LA MANIFESTATION DU PÈRE.
Qu'il s'agisse des seuls disciples du Sauveur ou de tous les fidèles, toujours est-il que, en qualité d'homme, Jésus les avait reçus de Dieu et qu'il devait leur communiquer la connaissance de la sainte Trinité, et la foi en ce que le Père avait dit au Fils en l'engendrant.
1. Nous parlerons dans ce discours, selon que le Seigneur nous en fera la grâce, sur ces paroles qu'ajouta Notre-Seigneur : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde ». Si ces paroles s'adressaient seulement aux disciples avec lesquels il avait fait la cène, et auxquels il avait dit tant de choses avant de commencer sa prière, elles ne se rapporteraient pas à cette illustration, ou, comme tant d'autres traduisent, à cette glorification dont il parlait tout à lheure, et par laquelle le Fils célèbre ou glorifie le Père. Quelle gloire, quelle grande gloire y aurait-il eu, pour le Père, d'être connu de douze ou plutôt de onze hommes mortels? Mais si, par ces paroles : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde », le Christ a voulu désigner tous ceux qui, croyant en lui, devaient appartenir à sa grande Eglise, composée de toutes les nations et dont il est dit au Psaume : « Dans une grande église (1) je vous confesserai », assurément, voilà bien la glorification dont le Fils glorifie le Père, lorsqu'il fait connaître son nom à toutes les nations et à tant de générations d'hommes. Et ce qu'il dit ici : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde », signifie la même chose que ce qu'il avait dit un peu auparavant: « Je vous ai glorifié sur la terre (2) ». Il a mis ici et là le passé pour le futur, car il savait bien qu'il était décidé d'avance que cela se ferait, et par conséquent il dirait avoir fait ce qu'il devait faire très-certainement. 2. Cependant, que ce soit de ceux qui étaient déjà ses disciples, et non de tous ceux qui
1. Ps. XXXIV, 18. 2. Jean, XVII, 4.
devaient croire en lui, que Notre-Seigneur ait dit : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde », c'est ce que rendent plus croyable les paroles qui suivent. En effet, après avoir dit ces mots, il ajoute : « Ils étaient vôtres, et vous me les avez donnés, et ils ont gardé votre parole. « Maintenant ils ont connu que tout ce que « vous m'avez donné, vient de vous ; car les paroles que vous m'avez données, je les leur ai données; et ils les ont reçues, et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que vous m'avez envoyé ». Sans doute il aurait pu dire toutes ces choses de tous les fidèles futurs ; car elles étaient déjà accomplies en espérance, quoiqu'elles ne dussent réellement s'accomplir que plus tard; mais ce qui prouve davantage qu'il ne voulait point faire par là allusion seulement à ses disciples d'alors, c'est ce qu'il dit peu après : « Lorsque j'étais avec eux, je les gardais en votre nom ; ceux que vous m'avez donnés, je les ai gardés et aucun d'eux n'a péri, sinon le fils de perdition, afin que l'Ecriture s'accomplit ». Il indiquait ainsi le traître Judas, car, des douze, Apôtres, il a été le seul qui ait péri. Ensuite il ajoute : « Mais maintenant je viens à vous ! » De là, il ressort évidemment qu'il faisait allusion à sa présence corporelle, quand il disait : « Lors« que j'étais avec eux, je les gardais u. On croirait, à l'entendre, que déjà il avait cessé de se trouver corporellement présent parmi eux. Ainsi a-t-il voulu indiquer son ascension qui devait avoir lieu prochainement, et de laquelle il dit : « Mais maintenant je viens à vous ». Il devait, en effet, aller s'asseoir à la droite du Père, d'où, selon la règle de la foi (98) et la saine doctrine, il doit venir avec le même corps juger les vivants et les morts. Par sa présence spirituelle, il devait rester avec eux, même après son ascension, et doit rester avec toute son Eglise en ce monde jusqu'à la consommation des siècles (1). On ne comprendrait pas bien de qui il a dit : « Lorsque j'étais avec eux, je les gardais »,. si on n'appliquait ces paroles qu'à ses disciples d'alors; comme ils croyaient en lui, il avait commencé à les garder corporellement, et il devait les abandonner corporellement, afin de les garder avec le Père d'une manière spirituelle. Il parle ensuite des autres qui sent aussi à lui, lorsqu'il dit : « Or, je prie non pas pour ceux-là seulement, mais aussi pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole ». Ceci montre bien clairement qu'il ne parlait pas de tous ses disciples lorsqu'il disait : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés », mais seulement de ceux qui l'écoutaient lorsqu'il prononçait ces mots. 3. Au commencement même de son discours, il avait élevé les yeux au ciel et dit : « Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils afin que votre Fils vous glorifie». Depuis ce moment jusqu'à celui où il prononça ces mots : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi de la gloire que j'ai eue en vous, avant que le monde existât », Notre-Seigneur a voulu parler de tous ceux à qui il ferait connaître le Père, pour le glorifier. En effet, après avoir dit : « Afin que votre Fils vous glorifie », il montra comment la chose devait se faire ; car il s'exprima en ces termes : « Comme vous lui avez donné pouvoir sur toute chair, afin qu'à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle. Or, la vie éternelle, c'est de vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (2) ». Le Père, en effet, ne peut être glorifié par la connaissance des hommes, s'ils ne connaissent aussi celui par qui il est glorifié, c'est-à-dire par qui les peuples le connaissent. Cette glorification du Père ne se borne pas aux seuls Apôtres, elle s'étend à tous les hommes, qui sont les membres dont Jésus-Christ est le chef. On ne peut entendre des seuls Apôtres ces paroles : « Comme vous lui avez donné pouvoir sur toute chair, afin qu'à tous ceux que
1. Matth. XXVIII, 20. 2. Jean, XVII, 1-20.
vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle », il faut évidemment les entendre, de tous ceux qui, croyant en lui, obtiennent la vie éternelle. 4. Voyons donc maintenant ce qu'il dit de ses disciples qui l'entendaient. « Alors j'ai manifesté »,dit-il, «votre nom aux hommes que vous m'avez donnés ». Ils ne connaissaient donc pas le nom de Dieu, pendant qu'ils étaient Juifs? Que devient alors ce que nous lisons : « Dieu est connu dans la Judée ; son nom est grand dans Israël (1) ? » Donc « j'ai manifesté votre nom à ces hommes que vous m'avez donnés au milieu du monde », et qui m'entendent prononcer ces paroles; je leur ai manifesté, non pas ce nom par lequel on vous appelle Dieu, mais celui par lequel on vous appelle mon Père; et ce nom ne pouvait être manifesté sans que le Fils fût manifesté lui-même, car le nom par lequel il est appelé le Dieu de toute créature, n'a pu rester tout à fait inconnu à toutes les nations, même avant qu'elles crussent en Jésus-Christ. Telle est la force de la vraie divinité, qu'elle ne peut être ni absolument ni entièrement cachée à toute créature raisonnable qui a l'usage de sa raison. Excepté, en effet, un petit nombre d'hommes en qui la nature s'est trouvée trop dépravée, le genre humain tout entier confesse que Dieu est l'auteur de ce monde. En tant donc qu'il a fait ce monde composé du ciel et de la terre, Dieu était connu de toutes les nations, même avant qu'elles fussent imbues de la foi de Jésus-Christ. En tant qu'il ne doit pas être adoré avec les faux dieux d'un culte insultant pour lui, Dieu est connu dans la Judée. Mais en tant qu'il est le Père de ce Jésus-Christ, par qui il enlève les péchés du monde, ce nom précédemment caché à tous, Jésus-Christ l'a maintenant manifesté à ceux que le Père lui. même lui a donnés au milieu du monde. Pourtant, comment l'a-t-il manifesté, si elle n'est pas encore venue, cette heure dont il disait « qu'il viendra une heure, où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père (2)? » Faut-il regarder comme ouvertement annoncé ce qui se dit en paraboles? Mais pourquoi dire : Je vous parlerai ouvertement, sinon parce que ce n'est point parler ouvertement que parler en paraboles ? Ne pas cacher
1. Ps. LXXV, 2. 2. Jean, XVI, 25.
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ce qu'on dit sous des paraboles, mais le manifester par ses paroles, c'est ce qui s'appelle parler ouvertement. Comment donc Notre-Seigneur a-t-il manifesté ce qu'il n'a pas encore dit ouvertement ? Il faut reconnaître qu'en cet endroit il emploie le temps passé pour le futur, comme il avait déjà fait en cet autre: « Tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître (1) »n. En réalité, il ne l'avait pas encore fait, mais il parlait comme s'il l'avait fait, parce qu'il savait que, d'après la prédestination, il le ferait certainement. 5. Mais que signifient ces mots : « Que vous m'avez donnés au milieu du monde? » Il a dit des Apôtres qu'ils n'étaient pas du monde: c'est là un effet de leur régénération, et non pas de leur naissance. Que signifie aussi ce qui suit : « Ils étaient à vous et vous me les avez donnés? » Y a-t-il eu un temps où ils appartenaient au Père, sans appartenir aussi à son Fils unique, et le Père a-t-il jamais eu quelque chose, sans que le Fils l'eût aussi ? Loin de nous cette pensée. Néanmoins, pendant une certaine époque, le Fils a eu, comme Dieu, ce qu'il n'avait pas comme homme ; car, avant de recevoir d'une mère la vie humaine, il possédait déjà toutes choses avec le Père. Aussi, quand il dit : « Ils étaient à vous », il n'a pas voulu se mettre de côté, puisqu'il était le Fils de Dieu et que le Père n'a jamais rien possédé sans lui; mais bien qu'il puisse tout, il attribue d'habitude tout ce qu'il petit à Celui qui l'a engendré ; car il tient son pouvoir de Celui dont il a reçu l'être, et il a toujours possédé en même temps l'être et le pouvoir, car il a toujours existé et toujours le pouvoir a été inhérent à son être. Donc, tout ce que le Père a pu, le Fils l'a toujours pu avec lui; parce que le Fils, qui a toujours existé et n'a jamais été privé du pouvoir, n'a jamais non plus été sans le Père, comme aussi le Père n'a jamais été sans lui. Et ainsi, de même que le Père éternel est tout-puissant, de même le Fils qui lui est coéternel est tout-puissant; et s'il est tout-puissant, comme le Père, il tient tout dans sa main. Ainsi devons-nous traduire, si nous voulons rendre exactement le mot grec pantokratwr : ce mot veut dire qui contient tout; or, les nôtres ne l'auraient pas traduit par tout-puissant, si ces deux mots ne signifiaient pas la même chose. Mais si l'Eternel contient
1. Jean, XV, 15.
tout, Celui qui lui est coéternel et qui contient aussi tout, peut-il posséder quelque chose de moins que lui ? Quand Jésus dit: « Et vous me les avez donnés », il montre donc que c'est en qualité d'homme qu'il a reçu la puissance de les posséder, parce que Celui qui a toujours été tout-puissant n'a pas toujours été homme. Il semble glorifier plus particulièrement le Père de ce qu'il les lui a donnés, parce que tout ce qu'il est,il le tient de Celui de qui il est. Cependant, il se les est donnés à lui-même ; c'est-à-dire, Jésus-Christ Dieu a, conjointement avec le Père, donné les hommes à Jésus-Christ homme , mais homme sans le Père. Enfin, celui qui dit en cet endroit: « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés », avait déjà dit plus haut aux mêmes disciples : « C'est moi qui vous ai choisis du monde (1) ». Que toute pensée charnelle soit ici anéantie et disparaisse. Le Fils dit que le Père lui a donné du monde des hommes auxquels il dit ailleurs : « C'est moi qui vous ai choisis du monde ». Ceux que le Fils a, comme Dieu, choisis du monde conjointement avec le Père, le même Fils les a, comme homme, reçus du monde ; car le Père les lui a donnés. Le Père ne les aurait pas donnés au Fils, s'il ne les avait pas choisis; et comme le Fils n'a pas voulu se séparer du Père quand il a dit : « C'est moi qui vous ai choisis du monde », parce que le Père les a choisis en même temps; de même encore il n'a pas voulu se séparer du Père lorsqu'il a dit : « Ils étaient à vous », parce qu'ils étaient également au Fils. Il faut donc dire que le même Fils a, comme homme, reçu ceux qui n'étaient pas à lui, parce que, comme Dieu, il a reçu la forme d'esclave qui n'était pas à lui. 6. Notre-Seigneur continue et dit : « Et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils ont appris que toutes les choses que vous m'avez données viennent de vous », c'est-à-dire, ils ont appris que je viens de vous. En même temps qu'il engendrait celui qui devait avoir toutes choses, le Père lui a donc donné toutes choses. « Parce que », continue-t-il, « les paroles que vous m'avez données, je les leur ai données, et ils les ont reçues »; c'est-à-dire, ils les ont comprises et retenues. On reçoit, en effet, une parole, quand on la perçoit par l'esprit. « Et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que
1. Jean, XV, 19.
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vous m'avez envoyé ». Ici il faut sous-entendre « vraiment ». Après avoir dit : « Ils ont connu vraiment », il a voulu l'expliquer, en ajoutant : « Et ils ont cru ». Ils ont donc cru « vraiment » ce qu'ils ont connu « vraiment »; car ces mots : « Je suis sorti de vous », ont le même sens que ceux-ci : « Vous m'avez envoyé ». Il avait donc dit « Ils ont connu vraiment »; mais afin de ne point laisser supposer que cette connaissance était le résultat d'une vue claire et non celui de la foi, il ajoute comme explication : « Et ils ont cru », de telle sorte que nous devons sous-entendre « vraiment », et comprendre que ces mots : « Ils ont connu vraiment », signifient : « Ils ont cru vraiment » ; en d'autres termes, ils n'ont pas cru de la manière à laquelle il faisait allusion lorsque, peu auparavant, il leur disait: « Maintenant croyez-vous? L'heure vient, et elle est déjà venue, « où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez seul ». Mais « ils ont cru vraiment (1) », comme il faut croire d'une foi inébranlable, ferme, stable et courageuse; ils ne devaient plus retourner chez eux et abandonner Jésus-Christ. Ses disciples n'étaient pas encore tels qu'il les disait, en se servant du temps passé, comme si déjà ils l'étaient devenus; mais il annonçait ce qu'ils deviendraient après avoir reçu le Saint-Esprit, qui devait, selon sa promesse, leur enseigner toutes choses. Avant d'avoir reçu cet Esprit, comment gardèrent-ils sa parole ? Notre-Seigneur le leur dit, comme s'ils l'avaient déjà fait; le premier d'entre eux ne l'a-t-il pas, en effet, renié trois fois (2), quoi
1. Jean, XVI, 31, 32. 2. Matth. XXVI, 63-74.
qu'il eût entendu de sa bouche même ce qui devait arriver à l'homme qui le renierait devant les hommes (1) ? Suivant son expression même, il leur donna donc les paroles que lui avait données le Père; mais quand ils les reçurent spirituellement dans leurs curs, et non pas seulement extérieurement dans leurs oreilles, c'est alors qu'ils les reçurent véritablement, parce qu'alors ils les connurent véritablement; et ils les connurent véritablement, parce qu'ils les crurent véritablement. 7. Mais comment le Père a-t-il donné ces paroles au Fils lui-même ? Par quelles paroles l'homme pourra-t-il l'expliquer ? Sans doute, la question est plus facile, si l'on croit qu'il a reçu ces paroles du Père en tant que Fils de l'homme ; et toutefois, qui racontera quand et comment celui qui est né d'une vierge a appris ces paroles ? car , même sa génération dans le sein d'une Vierge, qui la racontera? Mais si l'on croit qu'il a reçu du Père ces paroles, en tant qu'il est son Fils et qu'il lui est coéternel, on doit faire abstraction du temps; par conséquent, on ne peut supposer qu'il ai} existé un seul instant sans les avoir, ou qu'il les ait reçues de manière à avoir ce qu'il n'avait pas auparavant. En effet, tout ce que Dieu le Père a donné à Dieu le Fils, il le lui a donné en l'engendrant. Car le Père a donné au Fils ce sans quoi il ne pourrait être le Fils, comme il lui a donné d'être. Comment pourrait-il donner autrement quelques paroles à son Verbe, puisque c'est en lui qu'il a dit toutes choses d'une manière ineffable? Pour ce qui suit, il faut attendre à un autre discours.
1. Matth. X, 33.
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