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CINQUANTE-HUITIÈME TRAITÉ.DEPUIS LE PASSAGE OU NOTRE-SEIGNEUR DIT : « ET VOUS, VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS TOUS », JUSQUÀ CET AUTRE : « JE VOUS AI DONNÉ LEXEMPLE, AFIN QUE, COMME JAI FAIT POUR VOUS, VOUS FASSIEZ VOUS AUSSI ». (Chap. XIII, 10-15.)JÉSUS NOTRE MAÎTRE ET NOTRE MODÈLE.
Quand le Sauveur eut lavé les pieds de ses Apôtres, il leur dit quil était leur Maître et quils devaient limiter. Il pouvait, sans péché, leur tenir ce langage, puisquil était réellement leur Maître et quils avaient besoin de le savoir. Si nous parlons de nos qualités, que ce soit dans la vérité et le Seigneur : et notre Maître nayant pas dédaigné dexercer la charité à légard de ses disciples, en leur lavant les pieds, pardonnons au prochain ses fautes et prions pour lui.
1. Déjà nous avons, selon que Dieu nous a donné la grâce de le faire, expliqué à votre charité ces paroles de lEvangile prononcées par Notre-Seigneur au moment où il lavait les pieds de ses disciples : « Celui qui a été lavé une fois na besoin que de laver ses pieds, car il est pur tout entier (1 ) ». Examinons maintenant ce qui suit : « Et vous », dit-il, « vous êtes purs, mais non pas tous ». Et pour que nous ne nous mettions pas en peine de chercher ce que cela signifie, lEvangéliste nous lexplique lui-même et ajoute: « Car il savait bien qui devait le trahir ; cest pourquoi il dit :Vous nêtes pas tous purs ». Rien nest plus clair. Aussi passons à ce qui suit. 2. « Leur ayant donc lavé les pieds, il reprit ses vêtements ; sétant remis à table, il leur dit : Vous savez ce que je viens de vous faire ». Voici le moment où saccomplira la promesse faite à Pierre. Jésus lavait renvoyé à plus tard, quand, tout effrayé, il disait : « Vous ne me laverez pas les pieds à jamais » , et que le Sauveur lui avait répondu : « Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu le sauras plus tard (2) ». Ce plus tard est arrivé, et le moment est venu de dire ce qui avait été différé. Notre-Seigneur se souvint alors quil avait promis de donner lexplication de laction si inattendue, si étonnante, si effrayante même, que Pierre naurait jamais tolérée, sans la menace terrible du Christ, je veux parler de laction par laquelle non-seulement leur Maître, mais le Maître des anges, non-seulement leur Seigneur, mais le
1. Jean, XIII, 10. 2. Id. 8, 7.
Maître de toutes choses, lava les pieds de ses disciples et de ses serviteurs. Comme il leur avait promis lexplication de cette action si grande, en leur disant : « Vous le saurez plus tard », il commença ainsi à leur expliquer ce quelle signifiait. 3. « Vous mappelez Maître et Seigneur », leur dit-il, « et vous dites bien, car je le suis. Vous dites bien », parce que vous dites vrai; car je suis ce que vous dites. Lhomme a reçu ce commandement : « Que ta bouche ne te loue pas ; mais que ce soit la bouche du prochain (1) ». Car pour quiconque doit se garder de lorgueil, il y a danger à se plaire à soi-même. Mais celui qui est au-dessus de tout, quelles que soient les louanges quil se donne, il ne peut trop sélever, puisquil est le Très-Haut, et jamais Dieu ne pourra dans la rigueur des termes passer pour superbe. Il est avantageux pour nous, et non pour lui, que nous le connaissions, et personne ne le connaît sil ne se fait connaître, lui qui se connaît lui-même. Si donc, sous prétexte de ne point passer pour arrogant, il ne se fût point loué lui-même, il nous aurait privés de la sagesse. Et personne ne peut le blâmer de sêtre appelé Maître, quand même on ne verrait en lui quun homme; car il ne dit que ce que, dans tous les arts, les hommes disent tous les jours sans orgueil, sils veulent être appelés professeurs. Mais il sest appelé Seigneur de ses disciples, bien quils fussent, selon le monde, de condition libre ; sa parole ne serait pas acceptable sil nétait quun homme, mais cest Dieu qui parle : il ne peut
1 Prov. XXVII, 2.
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donc y avoir dorgueil dans une telle grandeur, ni de mensonge dans la vérité ; cest à nous quil est utile de nous anéantir devant cette grandeur, cest à nous quil est utile dobéir à la vérité. Quil se dise Seigneur, ce nest pas une faute pour Jésus, et cest pour nous un grand bienfait. On loue beaucoup un auteur profane parce quil a dit: Toute arrogance a un caractère odieux. Mais celle qui naît de lesprit et de léloquence est de beaucoup la plus insupportable (1). Et cependant le même auteur, parlant de sa propre éloquence, a dit : Je dirais quelle est parfaite, si elle me paraissait telle, sans craindre quon maccusât darrogance, parce que je ne dirais que la vérité (2). Si donc cet homme éloquent ne craignait pas dêtre accusé darrogance en disant la vérité, comment la vérité elle-même craindrait-elle den être accusée ? Quil se dise Seigneur, celui qui est réellement Seigneur; quil dise vrai, celui qui est la vérité; de peur quen ne nous disant pas ce quil est il nous laisse ignorer ce quil nous est si utile de savoir. Le bienheureux Paul. qui- nétait pas le Fils unique de Dieu, mais seulement le serviteur et lApôtre du Fils unique de Dieu ; qui nétait point la vérité, mais qui participait seulement à la vérité, dit librement et avec confiance : « Et si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé ; car je dis la vérité (3) ». En effet, ce ne serait pas en lui-même, mais dans la vérité même qui lui est supérieure, quil se glorifierait en toute humilité et justice ; car Dieu lui-même nous donne ce précepte : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (4) ». Eh quoi ! celui qui aime la sagesse ne redouterait pas dêtre impudent sil voulait se glorifier; et la sagesse elle-même en serait empêchée par cette crainte ? Il na pas craint de passer pour arrogant celui qui a dit : « Mon âme sera louée dans le Seigneur (5 ) » ; et en se louant elle-même, la puissance du Seigneur, en qui lâme du serviteur trouve sa louange, craindrait de paraître orgueilleuse ? « Vous », dit-il, « vous mappelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, je le suis en effet ». Vous dites bien, parce que je le suis ; car si je nétais pas ce que vous dites, vous diriez mal, quand même vous me loueriez. Comment donc la vérité nierait-elle ce que disent ses disciples? Quand
1. Cicéron contre Q. Cécilius. 2. Cicéron, de lOrateur. 3. II Cor. XII, 6. 4. I Cor. 1, 31. 5. Ps. XXXIII, 3.
ils disent ce quils ont appris, comment celui de qui ils lont appris le nierait-il ? Comment la Vérité nierait-elle ce quon prêche après avoir puisé en elle-même ? Comment la lumière cacherait-elle ce quon montre après lavoir vu à laide de ses rayons ? 4. « Si donc », dit Jésus, « je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné lexemple afin que comme je vous ai fait, vous aussi vous fassiez de même ». Voilà , bienheureux Pierre, ce que vous ne saviez pas, quand vous vous opposiez à ce que votre Maître voulait faire. Voilà ce quil promit de vous apprendre plus tard, lorsque, effrayé de sa menace, vous consentîtes à ce quil vous lavât les pieds, quoiquil fût votre Maître et votre Seigneur. Nous avons, mes frères, reçu du Très-Haut une leçon dhumilité ; nous qui sommes si bas, faisons donc les uns pour les autres ce que le Très-Haut a fait avec tant dhumilité. Cest là une grande recommandation de lhumilité, et nos frères exercent cet acte dhumilité les uns envers les autres, dune manière sensible, lorsquils exercent lhospitalité. Cest une coutume établie chez plusieurs de pratiquer ainsi lhumilité de manière à la montrer aux yeux de tous. Cest pourquoi lApôtre, énumérant les qualités dune sainte veuve, a dit: « Si elle a exercé lhospitalité, si elle a lavé les pieds des saints (1) ». Pour les chrétiens parmi lesquels cette coutume nexiste pas, ce quils ne font pas de la main, ils le font du coeur, si du moins parmi eux il sen trouve à qui sapplique ce qui est dit dans lhymne des trois jeunes hommes : « Vous qui êtes saints « et humbles de coeur, bénissez le Seigneur (2)». Mais ce qui est bien meilleur et sans contredit beaucoup plus daccord avec lexemple du Christ, cest de le faire de ses propres mains; et un chrétien ne doit pas dédaigner de faire ce qua fait Jésus: En effet, quand nous nous courbons corporellement jusquaux pieds de notre frère, le sentiment de lhumilité séveille dans notre coeur, et sil y était déjà, il sy fortifie. 5. Mais outre ce sens moral, je me souviens quen vous expliquant cette démarche si étonnante du Sauveur, je vous en ai indiqué un autre ; le voici : Par le lavement des pieds de ses disciples qui étaient déjà lavés et purs,
1. I Tim. V, 10. 2. Dan. III, 87.
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Notre-Seigneur nous apprenait que par suite des affections humaines au milieu desquelles nous vivons sur la terre, et quelques progrès que nous fassions dans lamour de la justice, nous ne pouvions pas être sans péchés. Cest de ces péchés quil nous purifie tous les jours, en intercédant pour nous, lorsque nous prions notre Père qui est dans les cieux, de nous pardonner nos offenses comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (1). Mais comment pourrons-nous accorder avec ce sens ce que Jésus dit ensuite lorsquil expose le motif de sa conduite : « Si donc jai lavé vos pieds, moi votre Seigneur et Maître, vous devez vous aussi laver les pieds les uns des autres; car je vous ai donné lexemple afin que, comme je vous ai fait, vous aussi vous fassiez de même ». Pourrons-nous dire aussi que le frère purifiera son frère de la souillure du péché ? Au contraire, par cette action si étonnante du Sauveur, nous sommes avertis quaprès avoir confessé nos péchés les uns aux autres, nous devons prier les uns pour les autres, comme Jésus-Christ intercède pour nous (2). Ecoutons lapôtre Jacques : il nous en donne le précepte formel en ces termes : « Confessez lun à lautre vos péchés, et priez lun pour lautre (3) ». Cest aussi parce que Notre-Seigneur nous en a donné
1. Matth. VI, 12. 2. Rom. VIII, 34. 3. Jacques, V, 16.
lexemple. Car si celui qui navait, qui na eu, et naura jamais aucun péché, prie pour nos péchés, combien plus devons-nous prier mutuellement pour les nôtres ? Et si celui à qui nous navons rien à pardonner nous pardonne, combien plus devons-nous nous pardonner mutuellement, nous qui ne pouvons vivre ici-bas sans péché ? En effet, dans cette mystérieuse et solennelle circonstance, quest-ce que Notre-Seigneur semble vouloir nous dire par ces paroles : « Je vous ai donné lexemple afin que, comme jai fait, vous aussi vous fassiez de même (1) ? » Rien autre chose que ce que lApôtre dit très-clairement en ces termes : « Vous pardonnant les uns aux autres, si vous avez quelque chose à vous reprocher, et comme le Seigneur vous a pardonné, pardonnez-vous aussi ». Pardonnons-nous donc mutuellement nos offenses, et prions réciproquement pour nos fautes: ainsi nous laverons-nous en quelque manière et mutuellement les pieds. A nous, avec la grâce de Dieu, dexercer ce ministère de charité et dhumilité; à Dieu de nous exaucer et de nous purifier de la souillure de tout péché par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, afin que ce que nous pardonnons aux autres, cest-à-dire ce que nous délions sur la terre, soit aussi délié dans le ciel.
1. Coloss. III, 13.
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