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QUARANTE-TROISIÈME TRAITÉ.DEPUIS CE PASSAGE : « LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT DONC ET LUI DIRENT », JUSQUÀ CET AUTRE : « ILS PRIRENT DONC DES PIERRES POUR LES LUI JETER, MAIS JÉSUS SE CACHA ET SORTIT DU TEMPLE ». (Chap. VIII, 48-59.)JÉSUS, FILS DE DIEU.
Ne sachant que répondre au Sauveur, les Juifs lui dirent : « Tu es un démon » . Non, je nen suis pas un, car si je me rends témoignage à moi-même, ce nest point par orgueil ; jai pour moi le témoignage non équivoque de mon Père, et si vous croyiez en moi vous ne mourriez pas, car celui qui garde ma parole vivra toujours. Voilà bien une preuve sans réplique, que tu es possédé du démon ! Non, je dis la vérité. Si vous devez vivre toujours en gardant ma parole, cest que je vous communiquerai la vie, car « Je suis ». Telle a été la cause des tressaillements de joie qua ressentis Abraham. A ces paroles on voulut le lapider, mais il sen alla.
l. Parla lecture du saint Evangile quon vient de faire devant nous, la puissance du Sauveur nous a fait apprécier sa patience. Que sommes-nous, en effet, si nous nous comparons à lui ? Que sont des serviteurs en face du souverain Maître, des pécheurs en présence du juste, des créatures vis-à-vis du Créateur? Néanmoins, lhomme ne désire rien tant que la puissance; il possède en Notre-Seigneur Jésus-Christ la suprême puissance; mais pour y parvenir, il lui faut dabord imiter la patience du Maître. Lequel dentre nous supporterait patiemment quon lui dise: « Tu es possédé du démon ? » Voilà pourtant ce qui a été dit à Celui qui, non-seulement sauvait les hommes, mais commandait aux démons. 2. Les Juifs lui dirent donc : « Navons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain, et que tu es possédé du démon ? » De ces deux imputations, le Sauveur repoussa lune et ne repoussa pas lautre. En effet, il répondit en disant : « Je ne suis point possédé du démon » ; mais il ne dit pas : Je ne suis pas un Samaritain. On lui avait fait deux reproches. Sans rendre malédiction pour malédiction, injure pour injure, il lui convint de repousser lun, et de ne pas repousser lautre. Il avait pour cela des motifs. De fait, mes frères, Samaritain veut dire gardien, et Jésus savait quil est notre gardien. « Il ne dormira point, il ne sassoupira pas, celui qui garde Israël (1)», et, « si Dieu ne défend la cité, inutilement veillent ses gardiens (2) ». Celui qui nous a créés, nous garde donc; puisquil a dépendu de lui de nous racheter, ne lui appartiendrait-il pas de nous
1. Ps. CXX, 4. 2. Ps. CXXVI, 1.
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garder ? Mais, afin de mieux comprendre la cause mystérieuse pour laquelle il na pas nié quil fût Samaritain, rappelez-vous cette parabole si connue : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba entre les mains des voleurs qui le couvrirent de blessures et le laissèrent à demi mort. Un prêtre passa sans sinquiéter de lui ; un lévite passa aussi, et rie sen occupa point davantage; survint un Samaritain : cest notre gardien ; il sapprocha du malade, en prit compassion, et lui montra quil était son prochain, puisquil ne le traita pas comme un étranger (1). Le Sauveur se contenta donc de répondre aux Juifs quil nétait point possédé du démon, sans leur dire quil nétait pas un Samaritain. 3. Après avoir reçu deux une pareille injure, il se borna à leur dire ceci, sur le respect auquel il avait droit : « Mais jhonore mon Père, et vous, vous minsultez». Cest-à-dire: Je ne me rends pas gloire moi-même, afin de ne pas vous sembler orgueilleux, jai quelquun à honorer, et, si vous me connaissiez, vous mhonoreriez comme jhonore mon Père. Je fais ce que je dois ; et vous, vous ne faites pas ce que vous devez. 4. « Je ne cherche pas ma gloire ; il y a quelquun pour la chercher et juger ». De qui veut-il nous parler, sinon de son Père ? Comment donc dit-il ailleurs : « Le Père ne juge personne, mais il adonné tout le jugement au Fils (2) », puisquil dit ici : « Je ne cherche pas ma gloire; il y a quelquun pour la chercher et juger ? » Si le Père juge, comment ne jugera-t-il personne, et a-t-il donné le jugement au Fils? 5. Pour résoudre cette difficulté, remarquez-le, on peut se servir dun passage analogue ; car il est écrit : « Dieu ne tente personne (3) ». Et nous trouvons encore ces autres paroles : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, pour savoir si vous laimez (4) ». Vous le voyez, cest bien la même difficulté. Comment « Dieu ne tente-t-il personne », et comment a le Seigneur votre Dieu vous « tente-t-il, afin de savoir si vous laimez ? » Nous lisons encore dans lÉcriture : « La crainte nest pas avec lautour, mais lamour parfait chasse la crainte (5) » ; et ailleurs : « La crainte du Seigneur est sainte, elle subsiste dans léternité (6)». Voilà bien,
1. Luc, X, 30-37. 2. Jean, V, 22. 3. Jacques, II, 13. 4. Deut. XIII, 3. 5. I Jean, IV, 18. 6. I Ps. XVIII, 10.
en dautres termes, la difficulté qui nous occupe. Comment « la charité parfaite chasse- t-elle la crainte », si « la crainte du Seigneur est sainte, » et « quelle subsiste dans léternité? » 6. Il y a deux sortes de tentations, lune qui induit en erreur, et lautre qui éprouve : quand la tentation est de nature à tromper, « Dieu ne tente personne » ; dès quelle est une épreuve, «le Seigneur votre Dieu vous «fente, afin de savoir si vous laimez ». Ici encore sélève une autre difficulté : comment « peut-il tenter, afin de savoir », puisquavant de tenter il connaît nécessairement tout ? Dieu nignore rien, et si lÉcriture dit : «Afin de savoir », cest comme si elle vous disait: Afin de vous faire savoir. Dans nos conversations ordinaires, et chez les orateurs, dans lart de bien dire, on trouve à chaque instant des manières de parler tout à fait pareilles. Je vais en prendre un exemple dans notre langage habituel. On dit dune fosse quelle est aveugle, non quelle ait perdu la vue, mais parce quen se dérobant à nos regards, elle nous empêche de la voir. En, voici un autre, tiré des auteurs anciens. Parlant de certaines plantes, un poète (1) dit quelles sont tristes, pour dire quelles sont amères, parce que, quand on les goûte, on ressent une certaine tristesse, on devient triste pour en avoir mangé. On rencontre donc, dans lÉcriture, des locutions semblables. Ceux qui singénient à trouver de pareilles difficultés, ont toute facilité de les résoudre. Par conséquent, « le Seigneur votre Dieu vous tente pour savoir » ; quest-ce à dire: « Pour savoir ? » pour vous apprendre, « si vous laimez». Job signorait lui-même; mais Dieu le connaissait ; il permit donc que Job fût tenté, et ainsi lui apprit-il à se connaître. 7. Que dire des deux sortes de crainte? Il y a une crainte servile, et une crainte pure: lu crains dêtre puni ou tu redoutes de perdre la justice. La crainte de se voir puni est servile. Y a-t-il grand mérite à appréhender une punition ? Cest le propre. du pire esclave, du plus cruel brigand. Craindre un châtiment nest pas de la grandeur, mais il est grand daimer la justice. Celui qui aime la justice ne redoute-t-il rien ? Pardon, il a peur ; il a peur, non pas de subir une peine, mais de
1. Virgil. Géorg. I, I, V.75.
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cesser dêtre juste. Croyez-moi, mes frères, et que lobjet de vos affections devienne pour cous un moyen de me comprendre. Lun dentre vous aime largent. Est-il possible de trouver un homme qui ne laime pas ? Par cela même quil aime largent, il peut saisir la portée de mes paroles. Il craint de perdre. Pourquoi craint-il de perdre? Parce que largent possède ses affections. Plus il aime largent, plus il a peur den perdre. On trouve donc des amateurs de la justice dont le coeur est plus troublé par la crainte de perdre le trésor de la justice, que le tien ne peut lêtre par la peur de perdre ton argent. Voilà une crainte pure, une crainte qui subsiste pendant léternité. Lamour ne la chasse pas, ne sen débarrasse pas, loin de là : il sy attache, au contraire, très-étroitement ; il sen fait une inséparable compagne. Nous nous sommes approchés de Dieu pour le voir face à face : la crainte pure nous maintient à côté de lui, car au lieu dapporter en nous le trouble, elle nous affermit. La femme adultère craint de voir revenir son mari : la femme chaste éprouve aussi une crainte, mais cest la crainte de voir partir son époux. 8. Si vous considérez la tentation sous un point de vue, vous pouvez dire que «Dieu ne tente personne », et si vous la considérez sous un autre aspect, vous pouvez encore dire que « le Seigneur votre Dieu vous tente ». Il en est de même de la crainte: dans un sens, « la crainte nest pas avec lamour, mais, lamour parfait chasse la crainte ». Dans un autre sens, « la crainte du Seigneur est chaste, aussi demeure-t-elle dans les siècles des siècles ». Ainsi, encore, y a-t-il jugement et jugement : sous un rapport, « le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils ». Sous un autre, le Sauveur dit : Je ne cherche pas ma gloire : il y a quelquun pour la chercher et juger ». 9. Il nous faut maintenant résoudre la difficulté relative au jugement. Tu trouves mentionné dans lEvangile le jugement pénal : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé (1) » ; et ailleurs encore : « Lheure vient, où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie; mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement (2)». Vous le voyez
1. Jean, III, 18. 2. Id. V, 28, 29.
le Sauveur a parlé ici du jugement dans le sens de la condamnation et du châtiment. Néanmoins, si ce mot devait être toujours pris dans ce sens, le Psalmiste aurait-il dit : « Jugez-moi, Seigneur? » Evidemment, jugement signifie, tantôt la condamnation à la peine, tantôt le discernement. Comment signifie-t-il le discernement ? Comme lexplique celui qui a dit : « Seigneur, jugez-moi ». Car, continue à lire et vois ce qui suit. Quest-ce à dire : « O Dieu , jugez-moi ? et discernez ma cause de celle dun peuple impie (1) ». Ce que dit le Prophète : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle dun peuple impie », a le même sens que ce que dit ici le Seigneur Christ : « Je ne cherche pas ma gloire . il y a quelquun pour la chercher et juger ». Comment « y a-t-il quelquun qui a la cherche et qui juge ? » Jai un Père qui discerne et sépare ma gloire de la vôtre. Vous vous glorifiez dune manière mondaine; moi, je ne me glorifie point par rapport à ce monde, puisque je dis à mon Père : « Père, glorifiez-moi de cette gloire que jai eue en vous, avant que le monde fût (2) ». Quest-ce à dire, « de cette gloire ? » de la gloire opposée à lorgueil humain. Cest en ce sens que le Père juge. Comment juge-t-il? Il discerne. Que discerne-t-il ? La gloire de son Fils de celle des hommes : voilà pourquoi il est écrit : «Dieu, votre Dieu, vous a sacré dune onction de joie qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager (3) ». De ce quil sest fait homme, il ne suit pas quil doive nous être comparé. Nous sommes pécheurs, et il est sans péché ; nous avons reçu dAdam, comme un héritage, la mort et le péché ; une vierge lui a donné son corps mortel, mais ne lui a transmis aucune iniquité. Enfin, nous ne sommes pas venus en ce monde pour lavoir voulu ; ce nest pas nous qui donnons des limites à notre existence nous ne mourons pas au gré de nos désirs. Avant de naître, le Christ a choisi sa mère après sa naissance, il sest fait adorer par les Mages : enfant, il a grandi, et tandis quon napercevait en lui quun homme, il prouvait, par des miracles, quil était Dieu. Enfin, il a choisi le genre de sa mort ; ou, en dautres termes, il a décidé quil serait attaché à une croix, et quil imprimerait le signe de cette croix sur le front de ses disciples, en sorte
1. Ps. XLII, 1. 2. Jean, XVII, 5. 3. Ps. XLIV, 8.
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que le chrétien pourrait. dire : « A Dieu ne a plaise que je me glorifie en autre chose « quen la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ». Au moment où il la voulu, il a laissé son corps sur la croix, et il sen est éloigné : à lheure désignée par lui, il a été déposé dans le sépulcre, et il en est sorti comme de son lit, quand ça été son bon plaisir. Ainsi, mes frères, quant à sa forme desclave (car y a-t-il un homme capable de répéter, comme elles le mériteraient, ces paroles: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu; et le Verbe était Dieu?) », quant à sa forme desclave, il y a une grande différence entre la gloire du Christ et celle des autres hommes. Cétait de cette gloire quil parlait, quand les Juifs prétendaient, devant lui, quil était possédé du démon. «Je ne cherche pas ma gloire : il y a quelquun pour la chercher et juger ». 10. Mais, Seigneur, que dites-vous de vous-même ? « En vérité, en vérité, je vous le dis si quelquun garde ma parole, il ne verra point la mort ». Vous dites: «Tu es possédé du démon ». Moi, je vous appelle à la vie gardez ma parole, et vous ne mourrez pas « Il ne verra jamais la mort; celui qui garde mes commandements ». Et ils sirritaient, parce quils étaient déjà devenus les victimes de cette mort quil fallait éviter. « Les Juifs lui dirent donc : Maintenant, nous connaissons que tu es possédé du démon: Abraham est mort, et les Prophètes aussi sont morts; et tu dis : Si quelquun garde ma parole, jamais il ne goûtera la mort ». Remarquez lexpression de lEcriture : « Il ne verra pas », cest-à-dire, « il ne goûtera pas la mort. Il verra la mort, il goûtera la mort ». Qui est-ce qui,la voit ? Qui est-ce qui la goûte ? Quels yeux, a lhomme pour voir quand il meurt? Lorsque, par sa venue, la mort nous ferme les yeux pour nous empêcher de voir, comment le Sauveur peut-il dire : « Il ne verra, pas ? » Et encore. de quel palais, de quelle gorge. se servir pour goûter. la mort, pour en connaître la saveur ? Quand elle ôte tout:sentiment du goût, par quel moyen ressentir ses impressions ? Les mots : « Il verra, il goûtera », sont donc employés ici pour cet autre : « Il expérimentera ». 11. Le Sauveur, qui devait mourir, car suivant lexpression du Psalmiste. « Au Seigneur
1. Galat. VI, 14.
lui-même la mort était réservée (1) ». le Sauveur parlait ainsi à des hommes que je dirais destinés à la mort, si je ne craignais de nen pas dire assez : il devait mourir, et il adressait ces paroles à des gens qui devaient aussi mourir ; mais pourquoi sexprimait-il de la sorte : « Celui qui gardera ma parole, ne verra jamais la mort ? » Il avait certainement en vue un autre genre de mort, dont il était venu nous délivrer : cétait une seconde mort, la mort éternelle, la mort de la géhenne, la mort par laquelle on est condamné à aller avec le démon et avec ses anges. Voilà la véritable mort : lautre nest quun changement de place. Quest-ce, en effet, que la mort temporelle ? Cest abandonner le corps, cest se débarrasser dun lourd fardeau: pourvu quun autre ne pèse point sur nous, et ne nous entraîne pas dans les flammes éternelles ! Le Sauveur avait en vue la seconde mort, quand il disait : « Celui qui gardera mes commandements, ne verra jamais la mort ». 12. Ne nous étonnons point quil y ait une pareille mort, redoutons-la plutôt. Ce quil la de pire, cest que plusieurs en ont été frappés, pour avoir eu, de la mort du temps, une crainte coupable. On a dit à un certain nombre : Adorez les idoles ; si vous ne le faites pas, on vous fera mourir ; ou bien, on sest exprimé comme autrefois Nabuchodonosor: Si vous ne le faites pas, on vous précipitera dans la fournaise ardente. Beaucoup se sont laissé intimider et se sont prosternés devant les faux dieux ; ils sont morts pour navoir pas voulu mourir ; ils ont redouté la mort quon ne peut éviter, et par là ils ont subi la mort dont ils auraient pu se garantir. Tu es né homme, tu mourras. Quel chemin suivrais-tu pour ne pas mourir ? Que faire pour ne pas tomber sous les coups de la mort? Pour te consoler de la nécessité où tu es de mourir, ton Sauveur a daigné mourir volontairement. Et quand tu vois le Christ frappé de mort, tu neveux tas mourir ? Tu mourras : inutile de chercher les moyens déchapper à la mort : il ny en a pas. Aujourdhui ou demain, il te faudra y passer : cest une dette, tu la paieras. A quoi peut réussir un homme qui tremble, qui prend la fuite et se, cache pour ne point tomber aux mains dun ennemi ? Réussit-il à ne pas mourir ? Non seulement, il retarde un peu lheure de sa
1. Ps. LLXVII, 21.
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mort. On ne lui remet point sa dette ; on ne fait que reculer lépoque du paiement; mais vous aurez beau en différer le terme, le terme viendra toujours. Craignons ce genre de mort que redoutaient les trois israélites, et dont la pensée les portait à dire au roi : « Dieu peut nous délivrer, même de cette fournaise ; mais, quand il ne le voudrait pas (1) » . Cette mort, dont le Sauveur menace ici les Juifs, les trois israélites la craignaient, puisquils ont dit: « Quand même le Seigneur ne voudrait pas nous délivrer ostensiblement, il peut secrètement nous couronner ». Aussi, le Christ qui devait former des martyrs, et devenir martyr lui-même, leur a-t-il adressé cet avertissement : « Nayez aucune crainte de ceux qui peuvent tuer le corps, mais qui sont incapables den faire davantage ». Comment « nen peuvent-ils faire davantage ? » Lorsquon a tué un homme, ne peut-on pas donner son corps à dévorer aux bêtes, ou à déchirer aux oiseaux ? Il semble que la méchanceté est à même daller plus loin encore. Contre qui ? Contre celui qui est sorti de cette vie; son corps est là, mais il est privé de sentiment ; la demeure reste, mais lhabitant est parti. « Ils ne peuvent donc rien faire de plus », désormais ; comment, en effet, faire souffrir celui qui ne sent plus rien ? « Craignez plutôt celui qui a le pouvoir de précipiter le corps et lâme dans la géhenne du feu (2) ». Cétait de cette mort que parlait le Christ, quand il disait : « Celui qui gardera mes commandements ne verra jamais la mort ». Mes frères, il nous faut donc garder sa parole dans la foi : nous arriverons à la réalité, quand nous aurons reçu la plénitude de la liberté. 13. Quant à ces hommes, déjà morts et destinés à la mort éternelle, ils sindignaient, et répondant par des injures , ils disaient : « Nous connaissons maintenant que tu es possédé du démon. Abraham est mort, et les Prophètes aussi sont morts ». Mais ni Abraham ni les Prophètes nont succombé à ce genre de mort auquel le Sauveur fait allusion. Ils sont morts et ils vivent : les interlocuteurs de Jésus vivaient, et ils étaient morts. Car voici ce quil dit quelque part, en répondant à une difficulté soulevée par les Sadducéens au sujet de la résurrection : « Pour ce qui concerne la résurrection des
1. Dan. III, 15, 17, 18. 2. Matth. X, 28; Luc, XII, 4, 5.
morts, navez-vous pas lu » ces paroles que le Seigneur a adressées à Moïse du milieu du buisson : « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac, et le Dieu de Jacob ; Dieu nest pas le Dieu des morts, mais des vivants (1) ? » Puisquils vivent, travaillons donc à vivre de telle sorte, ici-bas, que nous méritions de vivre avec eux après notre mort. « Qui prétends-tu être ? » Tu sais quAbraham est mort et les Prophètes aussi, et tu oses dire : « Celui qui gardera ma parole, ne verra jamais la mort ! ». 14. « Jésus répondit: Si je me glorifie moi-même, ma gloire nest rien ; cest mon Père qui me glorifie ». Voilà sa réponse à cette parole des Juifs : « Qui prétends-tu être ? » Il rapporte sa gloire au Père, de qui il tient sa divinité. Les Ariens se sont parfois servis même de cette parole pour attaquer notre foi, et nous dire : Puisque le Père glorifie le Fils, il est évident quil lui est supérieur. Hérétique, nas-tu pas lu aussi les paroles par lesquelles le Fils atteste quil glorifie lui-même le Père (2) ? Puisque le Père glorifie le Fils, et que le Fils glorifie le Père, ne sois donc plus opiniâtre, reconnais leur égalité parfaite, corrige-toi de ta méchanceté. 15. « Cest donc mon Père qui me glorifie ; cest celui de qui vous dites : Il est notre Dieu, et que vous ne connaissez pas ». Voyez, mes frères, comment le Sauveur démontre que le Dieu prêché aux Juifs eux-mêmes est le Père du, Christ. Je dis ceci , parce quil sest aussi rencontré des hérétiques dont lopinion est que le Dieu mentionné dans lAncien Testament nest pas le Père du Christ : suivant eux, son Père était je ne sais quel chef des mauvais anges. Cette erreur est soutenue par les Manichéens et les Marcionites : avec eux se trouvent sans doute encore dautres hérétiques ; il est inutile de les nommer : jaurais, dailleurs, trop à faire pour les énumérer tous dans ce discours quoi quil en soit, lerreur dont nous parlons a été soutenue par un assez grand nombre. Prêtez-moi donc votre attention, afin dapprendre à leur répondre. Le Seigneur Christ déclare que celui quils reconnaissent pour leur Dieu est son Père : ils le reconnaissent pour leur Dieu, et pourtant ils ne le connaissent pas : sils lavaient connu, ils auraient
1. Matth. XXII, 31, 32; Exod. III, 6. 2. Jean, XVII, 4.
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reçu son Fils. « Moi, je le connais ». Pour des hommes qui jugeaient de tout avec des idées charnelles, le Sauveur pouvait leur sembler singulièrement orgueilleux, en leur disant : « Moi, je le connais ». Mais voyez ce qui suit : « Si je disais que je ne le connais pas, je serais semblable à vous, je serais menteur ». On ne doit donc pas éviter les apparences de lorgueil, au point de taire la vérité. « Mais je le connais, et je garde sa parole ». En tant que Fils de Dieu, il parlait le langage de son Père : il était le Verbe du Père, qui parlait aux hommes. 16. « Abraham, votre Père, a tressailli de joie dans lespérance de voir mon jour : il la vu et sen est réjoui ». Magnifique témoignage rendu à Abraham par son descendant, par son Créateur ! « Abraham », dit le Christ, « a tressailli de joie dans lespérance de voir mon jour » : il na pas eu peur de le voir, « il a tressailli de joie dans lespérance de le contempler », car en lui se trouvait lamour qui chasse la crainte (1). Le Sauveur ne dit point : Il sest réjoui de lavoir vu; mais : « Il sest réjoui dans lespérance de le voir ». Il croyait, et il a tressailli dans lespérance de le voir par les yeux de lesprit. « Il la vu ». Que pouvait, que devait dire de plus Notre-Seigneur Jésus-Christ ? « Il la vu et il sest réjoui ». Mes frères, où est lhomme capable de nous dépeindre cette joie ? Si les aveugles, auxquels le Sauveur a rendu la vue, ont ressenti une vive joie, combien plus vive a dû être la joie dAbraham, quand, avec les yeux de lesprit, il a contemplé la lumière ineffable de Dieu, le Verbe éternel, la splendeur qui brille aux regards des âmes pieuses, lindéfectible sagesse, le Dieu qui demeure dans le Père, le Dieu destiné à venir un jour ici-bas revêtu de notre chair, sans quitter le sein du Père ? Abraham a vu tout cela. Car ces paroles, « mon jour », on ne sait si le Sauveur les a prononcées pour indiquer le temps de sa venue en cette vie mortelle, ou pour désigner ce jour éternel qui na ni commencement ni fin. Pour moi, je ne saurais douter que le patriarche Abraham a tout vu. Où en trouver la preuve ? Le témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ doit-il nous suffire? Supposons quen raison de la difficulté de le faire, il nous est impossible de trouver une preuve manifeste de lallégresse quAbraham a ressentie
1. I Jean, IV, 18. sentie dans lespérance de voir le jour du Christ, de la vue et de la joie quil en a eues. Mais de ce que nous ne trouvons pas cette preuve, sensuit-il que la Vérité puisse mentir? Croyons à la vérité, et ne doutons en rien des mérites dAbraham. Néanmoins, voici un fait qui me revient en mémoire; écoutez-le Quand Abraham envoya son serviteur chercher une épouse à son fils Isaac, il lui fit faire le serment daccomplir fidèlement sa mission, et de sinstruire parfaitement de ce quil ferait ; cétait, en effet, chose extrême. ment importante que procurer une femme au descendant dAbraham : il voulut donc faire connaître à son serviteur sa pensée intime : ce nétait point dans des vues charnelles quil désirait des petits enfants: il nattendait de sa race future rien de mondain; il adressa donc ces paroles à son envoyé: « Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel (1) ». Quel rapport y avait-il entre le Dieu du ciel et la cuisse dAbraham ? Vous saisissez déjà le mystère : la cuisse dAbraham représentait sa race. Alors, le jurement ne signifiait rien autre chose que la venue en ce monde du Dieu du ciel, et sa descendance dAbraham selon la chair. Plusieurs font à Abraham un reproche davoir dit : « Place ta main sous ma cuisse ». Ceux qui ne peuvent supporter lidée dun Dieu fait homme condamnent la conduite dAbraham. Quant à nous, mes frères, si nous reconnaissons le corps du Christ comme digne de notre respect, ne blâmons pas Abraham davoir parlé de sa cuisse, et voyons dans ses paroles une véritable prophétie : car Abraham était un prophète. Et qui annonçait-il ? Son descendant et son Seigneur. Il a annoncé son descendant par ces mots : « Place ta main sous ma cuisse », et son Seigneur par ces autres : « Et jure par le Dieu,du ciel ». 17. Transportés de colère, les Juifs répondirent : « Tu nas pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? Et le Sauveur leur dit: « Avant quAbraham fût fait, je suis ». Pèse ces paroles ; apprends le mystère quelles renferment : « Avant quAbraham fût fait ». Remarque-le : « Fût fait » se rapporte à une créature humaine ; « je suis », à la substance divine. « Fût fait », parce quAbraham était une créature. Le Sauveur na pas dit : Avant quAbraham fût, jétais ; mais, « avant quAbraham
1. Gen. XXIV, 2-4.
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qui naurait pas existé sans moi, fût fait, je suis ». Il na pas dit non plus : Avant quAbraham fût fait, jai été fait ; car, « dans le Principe, Dieu a fait le ciel et la terre (1) » . Dailleurs, « au commencement était le Verbe (2) ». « Avant quAbraham fût fait, je suis ». Reconnaissez le créateur; distinguez-en la créature. Celui qui parlait filait devenu le descendant dAbraham ; et il était avant ce patriarche pour le créer. 18. Les Juifs furent encore plus profondément blessés de ces paroles ; cétait pour eux comme un reproche sanglant venu dAbraham lui-même. Il leur sembla donc que le Seigneur Christ avait blasphémé, puisquil leur avait dit : « Avant quAbraham fût fait, je suis. Aussi prirent-ils des pierres pour les lui jeter ». A quoi pourrait avoir recours
1. Gen. I, 1. 2. Jean, I, 1.
une telle dureté, sinon à la dureté de la pierre? « Mais Jésus », cest-à-dire, Jésus en tant quhomme, en tant que revêtu de la forme desclave, humble, réservé à souffrir, à mourir, et à nous racheter au prix de son sang ; et non pas Jésus, en tant quil était celui qui est Verbe dans le principe et Verbe chez Dieu. En effet, lorsque ses interlocuteurs prirent des pierres pour les lui jeter, y avait-il grande difficulté à ce que la terre sentrouvrît pour les engloutir, et quau lieu de pierres, ils rencontrassent les enfers ? Cétait chose facile pour Dieu ; mais il aimait mieux nous donner un exemple de patience quune preuve de sa puissance. « Il se cacha » donc, pour ne pas être lapidé. Comme homme, il se déroba à leurs pierres; mais malheur à ceux dont Dieu sécarte parce que leurs coeurs sont de pierre !
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