|
|
CINQUANTIÈME TRAITÉ.DEPUIS CET ENDROIT : « LA PAQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE », JUSQUÀ CET AUTRE : « BEAUCOUP SEN ALLAIENT À CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS ». (Chap. XI, 55, 56 et XII, 1-11.)LE VASE DE PARFUMS.
On se trouvait à la fête de Pâques, figure de la vraie Pâque, et les Pharisiens incrédules voulaient se saisir de Jésus pour le perdre et se perdre du même coup. Puissent leurs descendants mériter par leur foi de le saisir pour se sauver ! Sur ces entrefaites, Jésus vint souper à Béthanie, et Marie versa sur ses pieds un vase de parfums. Ces parfums étaient lemblème des bonnes oeuvres du chrétien, qui portent la vie ou la mort dans lâme de ceux qui en sont témoins, suivant les intentions quils apportent à les voir : témoin Judas, qui prit scandale de laction méritoire de Marie. A ses réflexions déplacées, Jésus fit une réponse qui dut lui donner occasion de rentrer en lui-même.
1. Sur ce qui nous a été lu hier du saint Evangile, je vous ai dit ce que le Seigneur ma inspiré : sur la leçon daujourdhui, qui suit celle dhier, je vous dirai ce que le Seigneur me donnera. Il se trouve dans les Ecritures des choses si claires, quil suffit de [670] les entendre pour les comprendre. Nous ne nous appesantirons point sur ces passages, afin davoir le temps de nous arrêter sur ceux qui le demanderont. 2. « Or, la Pâque des Juifs était proche». Ce jour de fête, les Juifs voulaient lensanglanter du sang du Seigneur. En ce jour de fête fut mis à mort lAgneau qui pour nous a consacré par son sang ce même jour de fête. Les Juifs tenaient conseil entre eux sur la mise à mort de Jésus. Et lui, qui nétait venu du ciel que pour souffrir, voulut se rapprocher du lieu de sa passion, parce que lheure de sa passion approchait. « Et plusieurs de cette contrée-là montèrent à Jérusalem avant Pâques, pour se purifier». Les Juifs agissaient ainsi pour obéir au commandement du Seigneur, qui leur avait été donné par Moïse dans la loi. Ce commandement leur prescrivait de se réunir de toutes parts en cette fête de Pâques, et de se purifier pour la célébration de ce grand jour. Mais cette célébration nétait que lombre de ce qui devait venir. Quest-ce à dire, lombre de ce qui devait venir? Cétait une prophétie de la venue de Jésus-Christ, une annonce des souffrances quil devait endurer en ce jour-là pour nous, afin que lombre cessât et que la lumière vînt; pour que la figure passât et nous mît en possession de la vérité. La Pâque que célébraient les Juifs était donc lombre, et la nôtre est la lumière. Car à quoi bon leur ordonner dimmoler un agneau en ce jour de fête, sinon parce que le Sauveur est celui dont un Prophète a dit : « Il a été conduit à la mort comme un agneau (1) ? » Du sang de lagneau immolé, les Juifs marquèrent les portes de leur maison : nos fronts sont marqués du sang de Jésus-Christ. Et comme cette marque était un signe, nous lisons quelle éloigna lange exterminateur des maisons sur lesquelles elle était empreinte (2). De même en est-il du signe de Jésus-Christ : il éloigne de nous lexterminateur, si cependant notre coeur reçoit le Sauveur. Pourquoi cette condition? Parce quil en est plusieurs qui ont leur porte marquée, tandis que personne ne réside dans leur âme : il leur est facile de recevoir sur le front le signe de Jésus-Christ, mais dans leur coeur ils ne reçoivent pas la parole de Jésus-Christ. Cest pourquoi, mes frères, jai dit et je répète que le signe de Jésus-Christ
1. Isa. LIII, 7. 2. Exod. XII, 22, 23.
chasse loin de nous lexterminateur, si notre coeur a pour habitant Jésus-Christ. Et jai dit cela, afin que personne ne se mit en peine de. rechercher ce que signifiait cette fête des Juifs. Le Seigneur est donc venu comme une victime, pour que nous ayons une vraie pâque, en célébrant sa passion à limage de limmolation de lAgneau. 3. « Ils cherchaient donc Jésus », mais ils le cherchaient dans de mauvaises intentions. Heureux ceux qui le cherchent, mais qui le cherchent bien ! Ils cherchaient Jésus, mais pour ne pas lavoir, et pour nous en priver nous-mêmes; mais parce quil a été forcé par eux de séloigner de leurs personnes, nous lavons nous-mêmes reçu. On blâme parfois ceux qui cherchent Jésus, et parfois on les loue. Cest en effet lesprit avec lequel on cherche qui attire la louange ou le blâme. De fait, tu lis dans un psaume ces paroles : « Quils soient couverts de honte et dignominie, ceux qui cherchent ma vie (1) » ; voilà ceux qui cherchaient mal. Mais, dans un autre endroit, il est dit : «Toute fuite méchappe, et il nest personne qui cherche ma vie (2) ». Blâmés sont ceux qui cherchaient, blâmés sont encore ceux qui ne cherchaient pas. Cherchons donc Jésus, mais pour le posséder; cherchons-le pour le garder, et non pour le tuer : les Juifs le cherchaient pour sen emparer, et pour le perdre aussitôt : « Ils le cherchaient donc, et ils disaient entre eux : « Que vous semble-t-il quil ne soit pas venu à ce jour de fête ?» 4. « Or, les Pontifes et les Pharisiens avaient donné ordre que si quelquun savait où il était, il le déclarât, afin de le saisir ». Cest maintenant à nous de dire aux Juifs où est le Christ. Puissent-ils vouloir nous entendre et se saisir du Christ, tous les descendants de ceux qui avaient donné lordre ,de leur indiquer où il était ! Quils viennent à lEglise, ils apprendront où est le Christ, et ils le saisiront quils lapprennent de nous, quils lapprennent de lEvangile : il a été mis à mort par leurs pères ; il a été enseveli, il est ressuscité, il sest fait reconnaître de ses disciples; en leur présence il est monté au ciel, où il est assis à la droite du Père; il a été jugé et il viendra comme juge : quils écoutent donc et quils le prennent ; ils répondront peut-être : Mais comment saisir celui qui est
1. Ps. XXXIX, 15. 2. Id. CXLI, 5.
671
absent? Comment pénétrer jusque dans le ciel où il est assis, pour semparer de lui? Que ta foi sélève jusquau ciel, et tu le saisiras. Tes pères lont saisi avec les mains de leur corps; pour toi, saisis-le avec ton coeur; car, bien quabsent, Jésus-Christ est toujours présent : sil ne létait point, nous serions nous-mêmes dans limpossibilité de le saisir: mais comme ce quil nous dit est vrai, « voici que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles (1) » ; sil sen est allé, il est encore ici; sil est retourné à son Père, il ne nous a pas abandonnés. Son corps sest élevé dans les cieux, mais sa divinité ne sest pas éloignée du monde. 5. « Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare, quil avait ressuscité. On lui donna à souper, Marthe le servait et Lazare était un de ceux qui étaient à table avec lui ». De peur que les hommes ne simaginassent que sa résurrection dentre les morts nétait quun vain fantôme, Lazare était du nombre de ceux qui étaient à table avec lui ; il était vivant; il parlait, il prenait part au festin : la vérité se manifestait ainsi au grand jour, et lincrédulité des Juifs se trouait confondue. Le Seigneur était donc à table avec Lazare et les autres, et Marthe, une des soeurs de Lazare, les servait. 6. Or « Marie », lautre soeur de Lazare, « prit une livre de vrai nard, parfum précieux, et le répandit sur les pieds de Jésus, et elle les essuya avec ses cheveux, et toute la maison fut remplie de lodeur du parfum ». Vous avez entendu le fait, cherchons le mystère quil renferme. O âme, qui que tu sois, si tu veux être fidèle, avec Marie verse sur les pieds du Sauveur un parfum précieux. Ce parfum nétait autre que la justice, cest pourquoi il y en avait une livre. Cétait un parfum « de nard » précieux et éprouvé. Le nom donné à ce parfum indique, à ce que je crois, la contrée doù il venait ; mais ce mot nest pas exempt de mystère, et il convient bien à celui que nous voulons découvrir. En grec, pistis signifie la foi. Tu voulais savoir comment pratiquer la justice? « Le juste vit de la foi (2) ». Oins les pieds de Jésus par une vie sainte, suis les traces du Seigneur. Essuie ses pieds avec tes cheveux ; si tu as du superflu, donne-le aux pauvres, et tu auras essuyé les
1. Matth. XXVIII, 20. 2. Rom. I, 17.
pieds du Seigneur, car les cheveux sont pour le corps comme quelque chose de superflu. Tu vois ce quil faut faire de ton superflu ; il est superflu pour toi, mais il est nécessaire aux pieds du Seigneur. Peut-être que, sur la terre, les pieds du Seigneur se trouvent dans le besoin. De qui donc, sinon de ses membres, doit-il dire à la fin du monde: « Ce que vous avez fait au moindre des miens, cest à moi que vous lavez fait (1)? » Vous avez donné des choses qui né vous étaient pas nécessaires, mais vous avez soulagé mes pieds. 7. « Et toute la maison fut remplie de lodeur ». Le monde se remplit de la bonne renommée; car la bonne odeur, cest la bonne renommée. Ceux qui vivent mal et qui portent le nom de chrétiens font injure à Jésus-Christ ; cest deux quil est dit : « A cause deux le nom du Seigneur est blasphémé (2) »; mais si à cause deux le nom de Dieu est blasphémé, à cause des bons le nom du Seigneur est comblé de louanges. Ecoutez lApôtre : « Nous sommes», dit-il, « la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu ». Il est dit aussi au Cantique des cantiques : « Ton nom est un parfum répandu (3) » ; mais revenons à lApôtre : « Nous sommes», dit-il, « la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent et pour ceux qui périssent; aux uns une odeur de vie pour la vie, et aux autres une odeur de mort pour la mort. Et qui est propre à ce ministère (4)? » La lecture de ce passage du saint Evangile nous fournit loccasion de parler de cette bonne odeur, de telle sorte que nos paroles soient suffisantes, et que vous lécoutiez avec attention ; car lApôtre lui-même nous dit : « Qui est propre à ce ministère ? » Donc, par cela seul que nous nous efforcerons de parler, serons-nous propres à le faire; et vous, serez-vous aptes à entendre ces choses ? Pour moi, en vérité, je nen suis pas capable; mais il en est capable, celui qui par moi daignera vous dire des choses quil vous sera avantageux dentendre. LApôtre « est une bonne odeur », comme il le dit lui-même ; mais bien quil soit une bonne odeur, et sil est «aux uns une odeur de vie pour la vie, il « nen est pas moins pour les autres une odeur de mort pour la mort ». Et cependant il est une bonne odeur, car il ne dit
1. Matth. XXV, 40. 2. Rom. II, 24. 3. Cant. I, 2. 4.II Cor. II, 14-16.
672
point aux uns : Je suis une bonne odeur pour la vie; aux autres: une mauvaise odeur pour la mort; il dit quil est une bonne odeur et non une mauvaise, et cette même bonne odeur donne, selon lui, la vie aux uns et aux autres elle donne la mort. Heureux ceux que la bonne odeur fait vivre ; mais y a-t-il rien de plus malheureux que de trouver dans la bonne odeur un principe de mort? 8. Mais, dira quelquun, quel est celui que la bonne odeur fait mourir ? Cest là que sapplique ce que dit lApôtre : « Et qui est capable dun tel ministère? » Par quel incompréhensible secret Dieu agit-il de manière à ce que la même bonne odeur fasse vivre les bons et mourir les méchants? Comment cela se fait-il ? Je vais tâcher de vous lindiquer, autant, du moins, que Dieu daignera me le découvrir (peut-être y a-t-il sous ces paroles un sens plus profond que je ne saurais dévoiler); néanmoins je ne dois pas vous cacher ce que jai pu y voir. Lapôtre Paul était connu partout comme un homme de bien,, vivant saintement, soutenant par sa bonne vie la justice quil annonçait par ses paroles, comme un docteur admirable et un fidèle dispensateur. Pour ce motif, les uns laimaient, dautres lui portaient envie ; car en un certain endroit il dit lui-même de quelques-uns quils annonçaient Jésus-Christ non avec pureté dintention, mais par jalousie, «croyant», dit-il, « ajouter des peines à mes liens »; mais quajoute-t-il ? « Peu importe que Jésus-Christ soit annoncé par occasion ou par un vrai zèle, pourvu quil soit annoncé (1) ». Ceux qui maiment lannoncent, ceux qui me portent envie lannoncent aussi - les uns vivent de la bonne odeur, les autres en meurent; cependant, que par les uns et par les autres le nom de Jésus-Christ soit annoncé, et que le monde soit rempli de son odeur si précieuse. Aimes-tu celui qui fait le bien? la bonne odeur te fait vivre ; portes-tu envie à celui qui fait le bien? la bonne odeur te fait mourir. Mais parce que tu as voulu mourir, as-tu pour cela rendu mauvaise cette odeur? Ne porte envie à personne, et la bonne odeur ne te fera pas mourir. 9. Enfin, écoutez encore comment ce parfum fut pour les uns une bonne odeur pour la vie, et pour les autres une bonne odeur pour la mort. Lorsque Marie, dans sa piété,
1. Philipp. I, 17, 18.
eut fait cela pour marquer son respect à légard du Seigneur, aussitôt « un de ses disciples, Judas Iscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi ce parfum na-t-il pas été vendu trois cents deniers, et ne les a-t-on pas donnés aux pauvres ? » Malheur à toi, misérable, la bonne odeur ta tué ! Pourquoi a-t-il tenu ce langage? cest ce que le saint Evangéliste nous découvre. Si lÉvangile ne nous avait fait connaître son intention, nous nous serions imaginé quil avait ainsi parlé par amour pour les pauvres; mais non: quoi donc? Écoute ce que dit un témoin véridique : « Il dit cela, non quil eût souci des pauvres mais parce quil était larron; il portait la bourse et gardait ce quon y mettait ». Le portait-il ou bien lemportait-il? Il le portait comme économe, il lemportait comme larron. 10. Vous apprenez par là que ce Judas ne commença pas à se pervertir au moment où, gagné par les Juifs, il leur livra le Seigneur. Plusieurs, nétudiant pas lÉvangile, croient que Judas se perdit alors seulement quil reçut des Juifs de largent pour leur livrer le Seigneur. Non, ce nest pas alors quil se perdit,: il était déjà voleur, et bien quil marchât à la suite du Sauveur, il était déjà perdu; cest quil le suivait, non de coeur, mais de corps. Il complétait le nombre douze qui était celui des Apôtres; mais il navait pas la grâce des Apôtres, il nétait le douzième quen apparence. A sa mort, un autre lui succéda, et le nombre apostolique fut complété, et il demeura, intact (1). Quest-ce donc, mes frères, que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu apprendre à son Eglise, en permettant quun homme ainsi pervers se trouvât parmi les douze Apôtres? na-t-il pas voulu nous apprendre à supporter les méchants et à ne pas diviser son corps ? Voilà Judas au milieu des saints, et Judas est un voleur ; fais-y attention, ce nest pas un voleur ordinaire, il est voleur et sacrilège ; voleur dargent, mais de largent du Seigneur; voleur dargent, mais dargent sacré. En justice, on distingue entre le vol ordinaire et le péculat : le péculat est le vol de ce qui appartient au public, et le vol dune chose privée nest pas jugé aussi grave que celui dune chose appartenant à lÉtat : avec quelle sévérité ne sera donc pas jugé le voleur sacrilège, qui ose enlever non
1. Act. I, 26.
673
ce qui appartient à un particulier, mais ce qui appartient à lÉglise? Celui qui vole lÉglise doit être comparé au traître Judas. Tel était ce Judas, et cependant il entrait dans lassemblée des onze autres disciples qui étaient des saints, et il en sortait. Comme eux il prit part à la cène du Seigneur; il pouvait vivre avec eux, mais il ne pouvait les souiller. Pierre et Judas reçurent du même pain, et cependant quy a-t-il de commun entre le fidèle et linfidèle ? Pierre a reçu ce pain pour la vie, Judas pour la mort. Cette bonne nourriture, en effet, est comme la bonne odeur dont nous parlions. Et comme la bonne odeur, cette bonne nourriture donne la vie aux bons et la mort aux méchants. « Car celui qui la mange indignement, mange et boit sa propre condamnation (1) ». « Sa condamnation », et non pas la tienne, puisque cest sa propre condamnation et non la tienne. Toi qui es bon, supporte les méchants pour arriver à la récompense des bons, et ne pas tomber dans le supplice des méchants. 11. Faites attention aux exemples que le Seigneur nous a donnés pendant quil était sur la terre. Pourquoi avait-il une bourse, celui que les anges servaient, sinon parce que son Eglise devait, elle aussi, en avoir une? Pourquoi a-t-il admis un voleur, si ce nest pour que son Eglise supportât patiemment les voleurs? Mais lhomme habitué à voler largent de la bourse quil porte, nhésite pas, pour recevoir de largent, à vendre le Seigneur lui-même. Voyons ce que le Seigneur lui répond. Remarquez-le, mes frères, il ne lui dit pas : Cest afin de pouvoir voler que tu parles ainsi; il le savait voleur, mais il ne le fit point connaître pour tel, il le supporta, nous donnant ainsi un exemple de patience et nous apprenant à supporter les méchants qui se trouvent dans lÉglise. « Jésus donc lui dit : Laisse-la faire, afin quelle conserve ce parfum pour le jour de ma sépulture ». Il leur prédit ainsi quil allait bientôt mourir. 12. Or, que signifie ce qui suit : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne maurez pas toujours avec vous? » Je comprends bien : « Vous aurez toujours des pauvres ». Ce quil dit est bien vrai. Quand lÉglise a-t-elle été dépourvue de pauvres? Mais que veut dire : « Pour moi, vous
1. I Cor. XI, 29.
ne maurez pas toujours »; comment comprendre ces mots : « Vous ne maurez pas toujours? » Cependant, ne vous en effrayez pas, cest à Judas que Jésus sadressait. Alors pourquoi na-t-il pas dit : « Tu auras » ; mais bien : « Vous aurez? » Cest quil ny a pas quun seul Judas. Un seul méchant représente le corps des méchants, comme Pierre représente le corps des bons, et même le corps de lÉglise, mais dans les bons. Car si en la personne de Pierre ne se fut pas trouvée la figure mystique de lÉglise, le Seigneur ne lui aurait pas dit : « Je te donnerai la clef du royaume des cieux; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel (1) ». Si ces paroles navaient été adressées quà Pierre, lÉglise ne pourrait exercer ce pouvoir. Néanmoins, ce pouvoir sexerce dans lÉglise, de sorte que ce qui est lié sur la terre est lié dans le ciel, et que ce qui est délié sur la terre est délié dans le ciel; en effet, quand lÉglise excommunie, lexcommunié est lié dans le ciel; lorsque lÉglise le réconcilié, il est délié dans le ciel. Si donc cela se fait ainsi dans lÉglise au moment où Pierre reçut les clefs, il représentait la sainte Eglise. De même que, dans la personne de Pierre, se trouvaient représentés les bons qui font partie de lÉglise; ainsi, les méchants qui sont dans lÉglise, se trouvaient représentés par la personne de Judas. Cest à eux quil a été dit : « Vous ne maurez pas toujours ». Que veut dire : « Pas toujours? » Et que signifie ce mot : « Toujours? » Si tu es bon, si tu appartiens au corps que Pierre représente, tu auras Jésus-Christ et dans le présent et dans lavenir; dans le présent par la foi, dans le présent par son signe, dans le présent par le sacrement du baptême, dans le présent par laliment et le breuvage de lautel. Tu as Jésus-Christ dans le présent, mais tu lauras aussi toujours, parce que, quand tu sortiras de ce monde, tu iras vers celui qui dit au bon larron : « Aujourdhui tu seras avec moi dans le paradis (2)». Mais si tu vis mal, il semblera que tu possèdes Jésus-Christ dans le présent, parce que tu entreras dans lÉglise, tu te marqueras du signe de Jésus-Christ, tu seras baptisé du baptême de Jésus-Christ, tu te mêleras à ses membres, tu tapprocheras de son autel, tu auras Jésus
1. Matth. XVI, 19. 2. Luc, XXIII, 43.
674
Christ dans le présent; mais si tu vis mal, tu ne lauras pas toujours. 13. On peut donner encore un autre sens à ces paroles : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais moi, vous ne maurez pas toujours ». Et les bons peuvent le comprendre ainsi, mais sans aucune inquiétude pour eux-mêmes. Jésus-Christ ne voulait parler que de la présence de son corps. En effet, relativement à sa majesté, à sa providence, à sa grâce invisible et ineffable, saccomplit ce quil a dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles (1) ». Mais quant à la chair que le Verbe a prise, selon laquelle il est né de la Vierge, selon laquelle il a été saisi parles Juifs, attaché au bois de la croix, descendu de linstrument de son supplice, enveloppé dun linceul, enfermé dans le tombeau, manifesté à sa résurrection, « vous ne laurez pas toujours avec vous » . Pourquoi? parce que corporellement il ne conversa que quarante jours avec ses disciples, et il monta au ciel où ils le conduisirent sinon du corps, du moins des yeux. Par conséquent, il nest plus ici, car il est au ciel (2); il y est assis à la droite du Père; il est ici en même temps, car sa majesté na pas cessé de se trouver présente. En dautres termes, par rapport à sa divinité, nous ».vous toujours Jésus-Christ avec nous; mais quant à sa présence corporelle, cest avec raison quil a dit à ses disciples : « Vous ne maurez pas toujours ». LEglise na joui de sa présence charnelle que lespace de peu de jours;
1 Matth. XXVIII, 20. 2. Act. I, 3, 9, 10.
maintenant elle le possède par la foi, sans le voir des yeux du corps. Donc, que ces paroles : « Vous ne maurez pas toujours », doivent sentendre dans ce sens ou dans un autre, la question ne me semble plus difficile à résoudre, puisquon peut la faire de deux manières. 14. Ecoutons le peu qui nous reste. « Une grande multitude de Juifs apprit donc quil était là, et ils y vinrent, non pas seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir Lazare quil avait ressuscité ». Ce fut la curiosité qui les amena, et non la charité; ils vinrent et ils virent. Mais admirez la résolution que leur inspira leur vanité: Ils virent Lazare ressuscité, et comme ce grand miracle du Seigneur avait été publié avec une évidence manifeste, comme le bruit sen était répandu partout; comme dailleurs ils ne pouvaient ni le cacher ni le nier, voici ce quils imaginèrent. « Cependant les Princes des Prêtres pensèrent à faire mourir aussi Lazare, parce que beaucoup séloignaient des Juifs à cause de lui et croyaient en Jésus ». O folle imagination, ô aveugle cruauté ! Le Seigneur Jésus-Christ, qui avait pu ressusciter cet homme mort de maladie, ne pouvait-il pas le ressusciter quand ils lauraient tué? En donnant la mort à Lazare, enleviez-vous au Seigneur sa puissance ? Si, pour vous, autre chose est un homme mort, autre chose un homme tué, le Seigneur a ressuscité lun et lautre; il a ressuscité Lazare qui était mort, il sest ressuscité lui-même après avoir été tué par les Juifs.
|