|
|
TRENTE ET UNIÈME TRAITÉ.DEPUIS CE PASSAGE « QUELQUES-UNS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC : NEST-IL PAS CELUI QU'ILS CHERCHAIENT A FAIRE MOURIR? » JUSQUÀ CET AUTRE : « VOUS ME CHERCHEREZ ET NE ME TROUVEREZ POINT, ET OU JE SERAI VOUS NE POUVEZ VENIR ». (Chap. VII, 25-36.)LE CHRIST-DIEU MÉCONNU DES JUIFS.
Le Christ était homme; cest pourquoi ses ennemis connaissaient à peu près tout ce qui le concernait comme tel, et voulaient lemparer de lui : il était aussi Dieu, mais ils ignoraient quil le fût voilà néanmoins le motif qui les empêcha de semparer de lui avant lheure quil avait librement fixée. Aujourdhui, ils le méconnaissent malgré ses miracles; plus tard, après sa résurrection, ils devront le chercher sans le reconnaître davantage : cette grâce est dabord réservée aux Gentils lui devaient croire en lui, quoiquils neussent pas été les témoins de ses oeuvres merveilleuses.
1. Votre charité sen souvient : les jours précédents, on vous a lu dans lEvangile, et nous vous avons expliqué autant quil nous a été possible, le passage où il est dit que Notre-Seigneur Jésus-Christ était monté, marne en secret, au jour de fête; il ne craignait pas, avons-nous dit, de tomber aux mains des Juifs, puisquil avait tout pouvoir pour les empêcher de semparer de lui : son intention en cela était de montrer quil choisissait précisément pour se cacher le jour de fête célébré par les Juifs, et quil avait des motifs particuliers dagir ainsi. La leçon daujourdhui nous a fait voir la preuve de sa puissance là où nous napercevions en lui que de la timidité; car, en ce jour de fête, il se mit à parler en public de façon à étonner la multitude et à lui faire dire ce que nous tenons dentendre lire : « Nest-ce pas celui quils cherchaient à faire mourir ? Et voilà quil parle ouvertement, et ils ne lui disent rien: les chefs auraient-ils connu que celui-ci est véritablement le Christ? » On savait avec quelle rage ils le poursuivaient, et lon sétonnait de voir quil pouvait échapper à leurs poursuites; et comme la foule ne connaissait pas encore sa puissance divine, elle attribuait le fait de sa liberté aux lumières des princes du peuple, supposant quils avaient reconnu en lui le Christ, et quen conséquence ils lavaient épargné, après avoir si vivement cherché les moyens de le faire mourir. 2. Puis, après avoir dit : « Les chefs auraient-ils connu que celui-ci est véritablement le Christ? » ces hommes rentrèrent en eux-mêmes et se demandèrent si vraiment Jésus était le Christ. La réponse leur semblait négative, puisque aussitôt ils ajoutèrent : « Nous savons bien doù vient celui-ci; mais quand le Christ viendra, nul ne saura doù il est ». Doù était venue aux juifs cette opinion, qui, certes, nétait pas à dédaigner, et selon laquelle « personne ne devait savoir doù était le Christ quand il viendrait? » Si nous examinons attentivement lEcriture, [554] nous y trouvons, mes frères, ce passage relatif au Christ : « Il sera appelé Nazaréen u. Elle a donc fait connaître, par avance, lendroit doù il sortirait. Si, maintenant, nous cherchons à savoir où il est né, parce que le lieu de sa naissance doit apprendre doù il est, nous devons reconnaître que les Juifs nen étaient pas ignorants; car les saints livres lavaient aussi annoncé davance, En effet, lorsquaprès lapparition de létoile, les Mages voulurent le trouver, ils se présentèrent devant le roi Hérode et lui dirent ce quils voulaient et demandaient; celui-ci fit alors convoquer les docteurs de la loi, et les questionna sur lendroit où le Christ devait naître; ils lui répondirent: « Cest à Bethléem de Juda »; ainsi lui rendirent-ils un témoignage prophétique (2). Si donc les Prophètes ont prédit, et le lieu où il sest fait homme, et celui où sa mère la mis au monde, doù est venue aux Juifs cette opinion, dont nous parlait tout à lheure 1Evangile: « Lorsque le Christ viendra, personne ne saura doù il est ? » Il est évident que lEcriture a clairement annoncé et fait connaître lun et lautre; elle a prédit le lieu de la naissance de Jésus-Christ en tant quhomme; en tant que Dieu, il était inconnu des impies, et il cherchait à se révéler aux hommes vertueux. Cest dans ce dernier sens que la foule disait: « Quand le Christ viendra, nul ne saura doù il est ». Et cette opinion leur avait été inspirée par ce passage dIsaïe: « Qui est-ce qui racontera sa génération (3) ? » Enfin, le Sauveur lui-même répondit à lune et à lautre de ces questions; il dit que les Juifs savaient doù il était, et, aussi, quils ne le savaient pas; par là, il rendit témoignage à la prophétie sacrée qui avait été faite à son sujet, et relativement à linfirmité de sa nature humaine, et par rapport à la grandeur de sa nature divine. 3. Ecoutez donc, mes frères, le Verbe de Dieu; voyez comme il confirme devant les Juifs ce quils lui ont dit; et : « Nous savons doù est celui-ci », et, « quand le Christ viendra, nul ne saura doù il est ». Jésus enseignait dans le temple, et il disait à haute voix: « Et vous me connaissez, et vous savez doù je suis, et je ne suis point venu de moi-même, mais Celui qui ma envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas ». Cétait dire : Vous me connaissez, et vous ne
1. Matth II, 23. 2. Id. II, 1-6. 3. Isa. LIII, 8.
me connaissez pas; vous savez doù je suis, et vous ne le savez pas; vous savez doù je suis: je suis Jésus de Nazareth; vous connaissez mes parents. Une seule chose leur échappait dans cette affaire : cétait en Marie lunion de la virginité avec la maternité, union dont Joseph était témoin; il pouvait lattester avec dautant plus dassurance quil avait pu sen convaincre, puisquil était son mari. A lexception donc de son virginal enfantement, Jésus leur était parfaitement connu en tout ce qui concernait son humanité; les traits de son visage, son pays, sa famille, le lieu de sa naissance, ils ne les ignoraient point. Cest donc avec raison quil leur disait : « Et vous me connaissez, et vous savez doù je suis», en faisant allusion à son corps, à la forme humaine sous laquelle il leur apparaissait. Et il ajoutait, avec non moins de raison, par rapport à sa divinité : « Et je ne suis point venu de moi-même, mais Celui qui ma envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas ». Voulez-vous le connaître? Croyez en celui quil a envoyé, et vous le connaîtrez. « Jamais », en effet, « personne na vu Dieu, si ce nest son Fils unique; celui qui est dans le sein du Père a raconté ce quil y a vu (1) »; et encore: «Nul ne connaît le Père, si ce nest le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler (2)». 4. Après avoir dit: « Mais Celui qui ma envoyé est véridique, et vous ne le connaissez point », le Sauveur voulut indiquer aux Juifs le moyen dapprendre ce quils ignoraient, et il ajouta : Mais « moi, je le connais ». Pour le connaître, apprenez donc à me connaître moi-même. Mais doù vient que je le connais ? « De ce que je suis par lui, et quil ma envoyé ». Magnifique démonstration de deux vérités ! « Je suis par lui », puisque le Fils est engendré du Père, et que tout ce quil est, il le tient de celui dont il est le Fils. Voilà pourquoi nous disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu de Dieu, tandis que nous appelons le Père, non pas Dieu de Dieu, mais simplement Dieu : telle est aussi la raison pour laquelle nous disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Lumière de Lumière, tandis que nous appelons le Père, non pas Lumière de Lumière, mais simplement Lumière. A cela reviennent ces paroles: « Je suis par lui ». Si, maintenant, vous me
1. Jean, I, 18. 2. Matth. XI, 27.
555
voyez pareil à un autre homme, cest « quil ma envoyé ». Mais de ce que le Sauveur dit : « Il ma envoyé », garde-toi de conclure que le Père est dune nature différente de celle du Fils; par ces paroles, il ne fait allusion quà lautorité de Celui qui la engendré. 5. « Ils cherchaient donc à le saisir, mais nul nétendit la main sur lui, parce que son heure nétait pas encore venue »; cest-à-dire, parce quil ne le voulait pas. Quel est, en effet, le sens de ce passage: « Son heure métait pas encore venue? » Le Sauveur nétait point né sous lempire de la fatalité : tu ne dois pas le croire de toi-même; à plus forte raison, de ton Créateur. Si ton heure nest que sa volonté, son heure à lui peut-elle être autre chose que sa propre volonté ? En parlant de son heure, il na donc point voulu désigner un moment où il serait forcé de mourir, mais il a indiqué celui où il permettrait à ses ennemis de lui ôter la vie. Il attendait le moment de se livrer à la mort, parce quil avait attendu le jour où il viendrait à la vie. Ce moment, lApôtre en parle quand il dit: « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils (1) ». Voilà pourquoi beaucoup disent : Pourquoi le Christ nest-il pas venu plus tôt ? Il faut leur répondre: Parce que Celui qui dispose de tous les moments navait pas encore jugé que tous les temps étaient accomplis. De fait, il savait quand il devait venir. Dabord, sa venue dû être annoncée pendant une longue suite de siècles et dannées, car cétait un événement dune suprême importance; il avait dû être prédit longtemps davance, parce quil devait toujours être un bienfait pour le monde. Il devait venir en ce monde comme le juge de lunivers; son avènement devait donc être annoncé par une suite de hérauts proportionnée à ses sublimes fonctions. Enfin, lorsque les temps ont été accomplis, il est tenu lui-même pour nous délivrer des vicissitudes des temps. Sortis du temps comme dun état desclavage, nous arriverons à léternité, où le temps na plus de place, et où lon se dit plus : Quand viendra notre heure, parce que ce jour dure sans cesse; il nest ni précédé dune veille, ni terminé par un lendemain. Dans le cours de cette vie, les jours sécoulent les uns après les autres; ceux-ci
1. Galat. IV, 4.
viennent, ceux-là sen vont; aucun deux na de durée permanente; le moment où nous parlons fait place à un autre, et, pour proférer une syllabe, il faut que nous en ayons fini avec la précédente. Nous vieillissons à mesure que les mots séchappent de notre bouche, et il est sûr que jai vieilli depuis ce matin. Ainsi, dans le temps, rien de stable, rien de fixe. Cest donc pour nous un devoir daimer Celui qui a créé tous les temps, afin quil nous délivre des vicissitudes du temps, et nous fixe dans léternité, où lon néprouve aucune de ces vicissitudes. Quelle infinie miséricorde de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dêtre né dans le temps à cause de nous, après avoir créé le temps; dêtre apparu au milieu de tous les êtres, après les avoir fait sortir du néant; dêtre devenu une de ses créatures ! Il est effectivement devenu tel, car lui, qui avait fait lhomme, sest fait homme afin de sauver les hommes, Dans ce but, il était venu ici-bas, il était né à lheure désignée pour son entrée en ce monde; mais lheure de sa passion navait pas encore sonné; aussi ne devait-il pas encore souffrir. 6. Remarquez bien, je vous prie, que la mort du Sauveur a été non pas un effet de la nécessité, mais le résultat de sa volonté. En entendant ces paroles : « Son heure nest pas encore venue », il en est quelques-uns parmi vous, et cest à eux que je madresse en ce moment, pour sautoriser à croire à la fatalité; ainsi, leurs coeurs sabandonnent à lextravagance. Remarquez bien, dis-je, que la mort du Sauveur a été le résultat de sa volonté; pour cela, reportez-vous à la considération de sa passion, mettez-vous en face de la croix. Attaché à linstrument de son supplice, Jésus sécria : « Jai soif ». Les soldats layant entendu, sapprochèrent de sa croix et lui présentèrent une éponge pleine de vinaigre, quils avaient attachée à un roseau; le Sauveur en prit, et dit : « Tout est consommé », et, ayant incliné la tête, il rendit lesprit. Vous voyez, par cette circonstance, que, sil mourait, il en avait la volonté; car il attendait laccomplissement de ce qui devait, selon les prophéties, avoir lieu avant sa mort; le Prophète avait dit en effet : « Ils mont donné du fiel pour ma nourriture; ils mont présenté du vinaigre pour étancher ma soif (1)». Il attendait que toutes ces choses
1. Ps. LXVIII, 22.
556
fussent accomplies, et, quand elles le furent, il dit « Cest fini », et il quitta volontairement la vie, parce quil nétait pas venu forcément en ce monde. Aussi, ce pouvoir de mourir quand il la voulu a-t-il étonné certaines personnes, plus que le pouvoir dopérer des miracles. De fait, on sapprocha des crucifiés pour détacher leurs corps de linstrument de leur supplice, parce que la lumière du sabbat commençait à briller, et lon saperçut que les larrons vivaient encore. Le supplice de la croix était dautant plus cruel, quon le subissait plus longtemps, et tous ceux quon y condamnait mouraient dune mort très-lente. Pour ne pas laisser les brigands sur la croix, on les força à mourir, en leur brisant les jambes, et, ainsi, fut-on à même de les en détacher plus vite. On vit que le Sauveur était mort (1), et lon sen étonna, et des hommes qui lavaient méprisé pendant sa vie, furent à son égard saisis dune si vive admiration après sa mort, quils sécrièrent « Vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu (2)» .Voici, mes frères, une autre preuve de cette puissance de Jésus : lorsque les Juifs le cherchaient, il leur dit : « Me voilà; et ils reculèrent, et ils tombèrent par terre (3) ». La puissance suprême lui appartenait donc. Et quand il mourut, il ny était nullement forcé par lheure; il avait, au contraire, attendu le moment favorable daccomplir sa volonté, et non celui où, malgré lui, il perdrait nécessairement la vie. 7. « Et plusieurs, dans cette multitude, crurent en lui ». Le Sauveur guérissait les humbles et les pauvres. Pour les chefs, ils se laissaient emporter par une folie furieuse aussi ne reconnaissaient-ils pas le médecin, et, de plus, cherchaient-ils à le faire mourir. Beaucoup de personnes saperçurent bientôt de leur maladie propre, et reconnurent aussitôt lefficacité du remède que Jésus leur proposait. Voyez ce que se dirent à elles-mêmes ces personnes ébranlées par les miracles du Sauveur : « Lorsque le Christ sera venu, fera-t-il plus de prodiges que celui-ci ? » Evidemment, sil ne doit pas y avoir deux Christs, celui-ci est le Christ. Comme conséquence de ce raisonnement, elles crurent en lui. 8. En présence des témoignages que cette multitude donnait de sa foi, en entendant le
1. Jean, XIX, 28-33. 2. Matth. XXVII, 51. 3. Jean, XVIII, 6.
bruit confus de ces voix qui glorifiaient Jésus, les chefs « envoyèrent des soldats pour le saisir ». Pour le saisir? Malgré lui? Mais parce quils ne pouvaient semparer de lui contre son gré, les émissaires furent envoyés pour écouter ses instructions. Quenseignait- il? « Jésus leur dit : Je suis encore pour un peu de temps avec vous ». Ce que vous voulez faire maintenant, vous le ferez, mais plus tard ; aujourdhui, je ne le veux pas. Pourquoi est-ce que je ny consens pas pour le moment? « Parce que je suis encore avec vous pour un peu de temps, et que je vais vers Celui qui ma envoyé ». Je dois accomplir toute ma mission et arriver, par là, à ma passion. 9. « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et, là où je suis, vous ne pouvez venir ». Cétait là prédire déjà sa résurrection : ils nont pas voulu le reconnaître quand il était au milieu deux, et plus tard, lorsquils virent que la multitude croyait en lui, ils le cherchèrent. De grands prodiges eurent lieu, même au moment de la résurrection du Sauveur et de son ascension: alors ses disciples opérèrent des miracles éclatants, mais ils nétaient que les instruments de Celui qui en avait tant fait lui-même, car il leur avait dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi (1) ». Lorsque le boiteux qui se tenait à la porte du temple, se leva à la voix de Pierre, et marcha sur ses pieds, tous furent dans ladmiration : alors, le prince des Apôtres leur adressa la parole, et leur déclara que sil avait guéri cet homme, ce nétait point en vertu de son propre pouvoir, mais que cétait par la puissance de Celui quils avaient fait mourir (2). Saisis de douleur, plusieurs lui répondirent : « Que ferons-nous (3) ». Ils se voyaient souillés dun crime énorme dimpiété, car ils avaient mis à mort celui quils auraient dû respecter et adorer: et leur crime leur semblait impossible à expier. Cétait là une grande faute : à la considérer dans sa laideur, il y avait de quoi tomber dans le désespoir ; mais le désespoir leur était défendu, puisque, sur la croix, le Seigneur Jésus a bien voulu prier pour eux, et quil avait dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font (4).» Parmi un grand nombre dhommes qui devaient le méconnaître toujours, il en apercevait
1. Jean, XV, 5. 2. Act. III, 2-16. 3. Id. II, 37. 4. Luc, XXIII, 31.
557
quelques-uns, destinés à lui appartenir; il demandait leur pardon au moment même où ils linsultaient : et ce quil considérait alors, ce nétait pas la mort quils lui donnaient, cétait la mort quil endurait pour eux. Ce fut pour eux un grand bienfait que cette mort donnée par eux, et endurée pour leur salut; aussi, quand on voit que les bourreaux du Sauveur ont obtenu le pardon de leur déicide, on na plus le droit de désespérer du pardon de ses propres fautes. Le Christ est mort pour nous, mais avons-nous trempé nos mains dans son sang? Il est mort, victime de leur scélératesse; ils lui ont vu rendre le dernier soupir, et ils ont cru en lui, très quil leur eut pardonné leur crime. Pendant quils sabreuvaient du sang divin quils avaient répandu, ils désespéraient de leur salut; voilà pourquoi il leur dit: « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et là, où je suis, vous ne pouvez venir », car ils devaient le chercher après sa résurrection, dans les sentiments du plus profond repentir. Il ne dit pas : Où je serai; mais « Où je suis », parce que le Christ était toujours là où il devait retourner; il en était venu, sans pour cela sen éloigner. A cet égard, il dit en un autre endroit: « Personne nest monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme, qui est au ciel (1) ». Il ne dit pas, remarquez-le bien: Qui a été au ciel. Il parlait ici-bas, et il disait quil était dans le ciel. Il en est descendu sans en sortir; il y est remonté sans nous délaisser. Pourquoi vous en étonner? Il sagit de Dieu. Par son corps, lhomme se trouve en un endroit, et il en sort; et quand il a pénétré dans un autre, il nest plus dans celui où il se trouvait auparavant. Pour Dieu, il remplit tous les lieux; il est tout entier partout; il nest renfermé nulle part, dans un espace quelconque. En tant quhomme, Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait sur la terre; par son infinie et invisible majesté, il était sur la terre et dans le ciel ; aussi dit-il : « Là où je suis, vous ne pouvez venir ». Il ne dit pas Vous ne pourrez venir; mais : « Vous ne pouvez venir », car alors ses interlocuteurs nétaient pas en position de pouvoir le suivre. Et nallez pas croire quil sétait primé de la sorte pour les décourager, car il avait tenu aussi à ses disciples un discours
1. Jean, III, 13.
semblable : « Là où je vais, vous ne pouvez venir (1) ». Il avait encore adressé pour eux à son Père cette prière : « Père, je désire que là où je suis, ceux-ci y soient aussi (2) ». Il avait fait entendre à Pierre la même vérité, en ces termes : « Tu ne peux maintenant me suivre où je vais, mais tu me suivras un jour (3) ». 10. « Les Juifs dirent», non pas en sadressant à lui, mais en sadressant à eux-mêmes : « Où doit aller celui-ci, puisque nous ne le trouverons point? Doit-il aller vers ceux qui sont dispersés parmi les nations, et enseigner les Gentils? » Ils ne savaient ce quils disaient, mais ils prophétisaient, parce que telle était la volonté du Christ. Il devait, en effet, aller parmi les nations, non pas personnellement, sans doute, mais par lintermédiaire de ses pieds. Quels étaient ses pieds?Ceux que Saul persécutait et voulait écraser, au moment où le chef lui cria: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Quel est le sens de ces paroles du Sauveur: « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez point, et là où je suis, vous ne pouvez venir? » Comment a-t-il pu dire quils étaient ignorants, quand, malgré leur ignorance, ils ont prédit davance ce qui devait arriver? Jésus sest exprimé de la sorte, parce queffectivement ils ne connaissaient point le lieu (si toutefois on peut désigner sous ce nom le sein du Père), que na jamais quitté le Fils unique de Dieu : ils nétaient pas même capables dimaginer en quel endroit était le Christ, de quel endroit il ne sétait jamais éloigné, en quel lieu il devait retourner, ni où il avait sa demeure permanente. Comment lesprit humain serait-il à même de sen faire une idée? Il est encore bien plus impossible à une langue humaine de lexpliquer. Les Juifs ne comprenaient donc rien à ce mystère, et cependant, à cette occasion, ils annoncèrent davance notre salut, puisquils prédirent que le Sauveur irait vers ceux qui étaient dispersés parmi les nations, et quil accomplirait à la lettre ce quils lisaient dans lEcriture sans te comprendre: « Le peuple que je ne connaissais pas, ma servi : il a prêté une oreille attentive à ma voix (5) ». Les hommes, qui ont vu de leurs yeux laccomplissement de cette prophétie, ne lont point comprise, et
1. Jean, XIII, 33. 2. Id XVIII 24. 3. Id. XIII, 36. 4. Act. IX, 4. 5. Ps. XVII, 45.
558
ceux qui nont fait que lentendre, en ont eu lintelligence. 11. Nous trouvons, dans la femme affligée dun flux de sang, le type de cette Eglise qui devait se former de nations païennes : elle touchait le Sauveur sans être aperçue. Sans la connaître, il lui rendait la santé. Cétait en figure que le Christ adressait à ses disciples cette question : « Qui est-ce qui ma touché?» Il guérit, comme il ne sen doutait pas même, cette femme quil semblait ne pas connaître. Ainsi agit-il à légard des Gentils. Nous ne lavons pas connu au moment où il était revêtu de notre humanité, et, toutefois, nous avons mérité de nous nourrir de sa chair et de devenir les membres de son corps. Pourquoi? Parce quil nous a envoyé des émissaires. Quels émissaires? Ses hérauts, ses disciples, ses serviteurs, ceux quil sétait rachetés après les avoir créés, mais quil avait rachetés pour en faire ses frères ; mais je dis encore trop peu :i1 nous a envoyé ses membres, lui-même; et, en nous envoyant ses membres, il a aussi fait de nous ses membres. Remarquez-le, néanmoins; lorsque les Juifs le voyaient au milieu deux et le méprisaient, son corps avait une tout autre apparence que celle sous laquelle il sest montré au milieu de nous: cela avait été aussi dit de lui, suivant lexpression de lApôtre : « Car je vous déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères». Il a dû venir vers eux; car leurs pères en avaient reçu la promesse, et ils la leur avaient transmise : cest pourquoi le Sauveur sexprime lui-même ainsi : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison dIsraël (2) ». Mais quest-ce quajoute lApôtre ? « Les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde quil leur a faite ». Et le Seigneur? « Jai dautres brebis qui ne sont pas de ce bercail ». Le Christ avait dit : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison dIsraël» : comment peut-il y avoir
1. Matth. XV, 21. 2. Rom. XV, 8,9.
dautres brebis, vers lesquelles il nait pas été envoyé? En sexprimant de la sorte, il a donc voulu faire comprendre quil ne devait se manifester sous la forme humaine quaux Juifs, qui lont vu et mis à mort. Néanmoins, avant et après , il sen est trouvé beaucoup parmi les Gentils pour croire en lui. Du haut de la croix, il a secoué et criblé le grain de la première récolte, pour en tirer la semence nécessaire à la seconde. Aujourdhui, la prédication de lEvangile et la bonne odeur de Jésus-Christ, ayant amené à la foi les disciples que devaient lui donner toutes les nations du monde, les peuples attendront que vienne de nouveau celui qui est déjà venu (1). Alors sera vu par tous celui qui a été vu par les uns, et que les autres nont pas contemplé : alors viendra juger les hommes celui qui est venu subir le jugement des hommes : alors enfin apparaîtra pour discerner les bons des méchants, celui qui na pas été reconnu à sa première apparition en ce monde. On na pas, en effet, discerné le Christ davec les impies; on la confondu et condamné avec eux, car il a été dit de lui « Il a été compté parmi les pécheurs (2)». Un brigand a été mis en liberté, et le Sauveur condamné à mort (3). Un scélérat a trouvé grâce malgré ses crimes; on a prononcé une sentence de mort contre celui qui a pardonné à tous les coupables, repentants de leurs fautes. Et pourtant, si tu y fais bien attention, la croix elle-même a été, pour le Christ, un vrai tribunal : placé comme un juge, entre les deux larrons, il a délivré celui des deux qui a cru en lui (4), et condamné celui qui la insulté. Par là, il nous a déjà fait entendre ce quil fera à légard des vivants et des morts, plaçant les uns à la droite, et les autres à la gauche, et désignant, par avance, ceux-ci dans la personne du mauvais larron, et ceux-là dans la personne du bon larron. Au moment même où il subissait le jugement des hommes, il les menaçait de celui quil leur ferait subir à son tour.
1. Gen. XLIX, 10. 2. Isa. LIII, 12 3. Marc, XV, 15; Jean, XVIII, 40. 4. Luc, XXIII, 43.
|