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SOIXANTIÈME TRAITÉ.SUR CES PAROLES : « JÉSUS AYANT DIT CES CHOSES, FUT TROUBLÉ EN SON ESPRIT ». (Chap. XIII, 21.)LE TROUBLE DE JÉSUS.
Au moment où Judas allait sortir pour consommer son crime, le Sauveur tomba dans le trouble ; cétait, chez lui, un effet, non de la faiblesse, mais de la volonté ; et ce trouble, il léprouva soit par compassion pour le traître, soit afin de nous venir en aide dans les circonstances où notre âme subit le contre-coup des épreuves de la vie.
1. Ce nest pas une petite difficulté, mes frères, que celle qui se présente dans lEvangile de Jean, à ces paroles : « Jésus ayant dit ces a choses, fut troublé en son esprit et leur parlant ouvertement, il dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, lun de vous me trahira ». Ce trouble de Jésus non dans sa chair, mais bien dans son esprit, lui vint-il de ce quil allait dire à ses disciples : «Lun de vous me trahira? » Est-ce que cette pensée se présentait pour la première fois à son esprit, ou bien la chose lui fut-elle seulement alors révélée tout à coup pour la première fois, et fut-il troublé par la nouveauté et la grandeur de ce crime? Mais nen parlait-il pas tout à lheure, lorsquil disait : « Celui qui mange du pain avec moi lèvera contre moi son talon? » Navait-il pas dit encore: « Et vous êtes purs, mais non pas tous? » et lEvangéliste najoutait-il pas: « Car il savait quel était celui qui devait le trahir (1)? » Il lavait déjà lui-même indiqué en disant : « Nest-ce pas moi qui vous ai choisis tous les douze, et lun de vous est un démon (2) » . Doù vient donc « quil fut troublé en son esprit», quand il dit ouvertement: En vérité, en vérité, je vous déclare que lun de vous me trahira? » Nest-ce pas parce quil était sur le point de le faire connaître, pour ne pas le laisser inconnu, mais pour le distinguer des autres, « quil fut troublé en son esprit? » ou bien, comme le traître était sur le point de sortir pour aller quérir les Juifs auxquels il devait livrer le Seigneur, fut-il troublé par la mort qui le menaçait, par le
1. Jean, XIV. 18, 10, 11. 2. Id. VI, 71.
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péril si instant quil courait et ; par la proximité de la trahison de Judas, dont il avait pénétré le dessein? Ce qui est dit ici que « Jésus fut troublé dans son esprit », est-ce la même chose que ce quil dit ailleurs : « Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je? Père, délivrez-moi de cette heure, mais je suis venu précisément pour cette heure (1) »; de la sorte, comme son âme fut troublée à lapproche de lheure de sa passion, de même, à lapproche de la sortie de Judas, de son retour et de laccomplissement de son crime si énorme, « Jésus fut troublé en son « esprit ? » 2. Il fut donc troublé, celui qui a le pouvoir de donner sa vie et le pouvoir de la reprendre (2). Une si grande puissance peut-elle tomber dans le trouble ?peut-elle être ébranlée cette pierre inébranlable ? ou plutôt nest-ce pas notre infirmité qui éprouve en lui de lémotion ? Evidemment oui : que les serviteurs ne simaginent rien dindigne de leur Seigneur ; mais quils se reconnaissent dans le chef dont ils sont les membres. Celui qui est mort pour nous, sest troublé lui-même pour nous. Celui qui est mort par un effet de son propre pouvoir, a été troublé par un effet de ce même pouvoir. Celui qui a transfiguré notre corps, tout abject quil était, en le rendant conforme à son corps glorieux (3), a aussi transfiguré en lui-même les sentiments de notre faiblesse; car son âme était remplie de compassion pour nous. Cest pourquoi, lorsque nous voyons se troubler le grand, le fort, linébranlable et linvincible, ne craignons pas quil faiblisse: il ne court pas à sa perte, il nous cherche. Cest nous, dis-je, cest nous seuls quil cherche ainsi. Reconnaissons-nous nous-mêmes dans son trouble, afin que quand nous sommes troublés, nous ne nous laissions pas aller au désespoir. Rien ne console mieux celui qui est troublé malgré lui, que de voir dans le trouble celui qui nest troublé que parce quil le veut. 3. Périssent les raisonnements des philosophes qui assurent que le trouble ne peut tomber dans lâme du sage. Dieu a rendu insensée la sagesse de ce monde (4). Le Seigneur a connu que les pensées des hommes sont vaines (5). Que lâme chrétienne se trouble, non sous leffort du malheur, mais sous
1. Jean, XII, 27. 2. Id. X, 18. 3. Philipp. III, 21. 4. I Cor. 1, 20. 5. Ps. XCIII, 11.
limpression de la charité. Quelle craigne de voir les hommes perdus pour Jésus-Christ ; quelle sattriste lorsque quelquun est perdu pour Jésus-Christ; quelle désire gagner des hommes à Jésus-Christ; quelle se réjouisse lorsque des hommes sont gagnés à Jésus-Christ. Quelle craigne pour elle-même de périr à Jésus-Christ; quelle sattriste dêtre éloignée de Jésus-Christ: quelle désire régner avec Jésus-Christ; quelle se réjouisse dans lespérance de régner avec Jésus-Christ. La crainte et la tristesse, lamour et la joie, voilà assurément les quatre sources de nos troubles. Que les âmes chrétiennes ne craignent pas de sy livrer pour de justes raisons, quelles nembrassent pas les erreurs des Stoïciens et autres philosophes semblables. Comme ils prennent pour la vérité leurs vaines imaginations, de même ils prennent linsensibilité pour la santé de lâme; ignorant quil en est delle comme du corps: la maladie dun membre nest jamais plus désespérée que lorsquil a perdu le sentiment de la douleur. 4: Mais quelquun me dira: Lâme chrétienne doit-elle être troublée, même par lapproche de la mort? Que devient ce que dit lApôtre, à savoir quil a un grand désir dêtre dégagé de son corps et de se trouver avec Jésus-Christ (1), si ce quil désire peut le troubler par son approche ? Il est facile de répondre à ceux qui regardent la joie comme une cause de trouble ; car alors on se trouble à lapproche de la mort, uniquement parce quon se réjouit de la voir venir. Mais, diront-ils, cest là une satisfaction et non une joie. Parler ainsi, nest-ce pas changer le nom de la chose, sans rien changer à la chose elle-même ? Mais ne détournons point les saintes Ecritures à notre propre sens: préférons plutôt, Dieu aidant, résoudre cette question daprès ce quelles nous disent, et parce quil est écrit: « Jésus ayant dit ces choses fut troublé dans son esprit », ne disons pas que cest la joie qui la troublé ; car il nous convaincrait lui-même derreur, par ces paroles: « Mon âme a est triste jusquà la mort (2) ». Nous devons comprendre quil en fut de même au moment où Judas, étant sur le point de sortir seul pour revenir bientôt après avec ses compagnons de crime, « Jésus fut troublé en son esprit » , 5. Sil y a des chrétiens pour ne pas se
1. Philipp. 1, 23. 2. Matth. XXVI, 38.
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troubler aux approches de la mort, on peut dire quils sont singulièrement fermes; mais sont-ils plus fermes que Jésus-Christ? qui est-ce qui serait assez insensé pour le dire? Pourquoi donc a-t-il été troublé lui-même, sinon parce quil a voulu, en imitant volontairement leur faiblesse, consoler les faibles qui se trouvent dans son corps, cest-à-dire dans son Eglise ? Si quelquun des siens se sent encore troublé dans son esprit à lapproche de la mort, il doit donc jeter les yeux sur son Sauveur, ne pas se croire réprouvé en raison de ce trouble, ni se précipiter dans la mort bien plus terrible du désespoir. Quel grand bien ne devons-nous pas attendre et espérer de la participation à sa divinité, puisque son trouble fait notre calme, et sa faiblesse notre force? Entendons, si nous le voulons, ce passage de notre Evangile en ce sens que Jésus se soit troublé par compassion pour la perte de Judas, ou par la crainte des approches de la mort; mais, sachons-le, il est certain et indubitable quil na pas été troublé par une défaillance dâme, mais par un effet de sa puissance; il a été troublé pour nous empêcher de tomber dans le désespoir, quand nous sommes troublés, non en raison de notre puissance, mais par suite de notre faiblesse. Il portait en lui les faiblesses de la chair, qui ont été détruites par sa résurrection. Mais celui qui était tout à la fois homme et Dieu, se trouvait infiniment au-dessus de tous les autres hommes par sa force dâme. Rien ne la donc forcé à se troubler, mais il sest troublé lui-même. Ceci est marqué expressément pour la circonstance où il ressuscita Lazare; car il est écrit, en cet endroit, quil se troubla lui-même (1). Par là nous devons comprendre quil en est ainsi, même quand lÉcriture nen dit rien, quoiquelle nous rapporte quil a été troublé. Selon quil le jugeait convenable, et par un effet de sa puissance, il produisait en lui-même tous les sentiments de lhomme, puisque, par un acte de cette même puissance, il sétait revêtu de lhomme tout entier.
1. Jean, XI, 33.
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