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GILLEBERT DE HOLANDIE ABBÉ DE L'ORDRE DE CITEAUX.
SERMONS SUR LE CANTIQUE DE SALOMON A partir de l'endroit OU SAINT BERNARD S'ARRÊTA, PRÉVENU PAR LA MORT.
SERMON PREMIER. Durant les nuits, j'ai cherché dans mon petit lit celui que j'aime. (Cant. III, 4).
1. Diverses sont les affections de ceux qui aiment, parce que diverses sont les circonstances. Aussi les paroles de l'épouse paraissent parfois interrompues, selon quelle jouit, « de son bien-aimé suivant ses désirs, » ou que, contre son gré, elle est privée de sa présence. Tantôt elle l'invite à revenir sur les montagnes; tantôt, lorsqu'il a pris la fuite, elle le cherche dans son petit lit. Quelle suite de raisonnements trouverez-vous en ce lieu? Quel enchaînement y découvrir? Il n'y a pas là de suite d'évolution naturelle, c'est une interruption sensible. Les vaux de l'amour ne sont pas uniformes; aussi son langage n'est pas lié. L'âme qui en est blessée parle et s'interrompt, parce qu'elle ne reste pas dans le même état. L'époux, lui aussi, est justement comparé au faon, fuyant l'épouse comme cet animal agile, et la trompant par ses bonds. Cette variété ne manque ni de liaison ni de raison. Ces paroles, si brusquement changées, ont de l'enchaînement, car elles expriment l'ordre qui règne dans les sentiments. Voyez quel est le fil continu que l'on retrouve en cette variété. L'époux fuyant sur les montagnes s'était dérobé aux embrassements de sa bien-aimée, semblable à un faon errant et rapide, et l'épouse était retombée sur elle-même des cimes de ces montagnes sur lesquelles elle se trouvait merveilleusement illuminée et délicieusement éclairée par la vision de celui qu'elle chérissait; de ces monts lumineux, dis-je, elle était retombée dans la vallée des larmes, sur le lit de la douleur, sur ce lit et au milieu de la nuit. Pourquoi donc chiite-t-elle ainsi quand son bien-aimé se retire de cette sorte? C'est qu'il est le, salut et la lumière de son épouse. Quand il se retire, elle s'affaisse derechef sur le lit de son infirmité et elle retombe dans la nuit de son ignorance. La voilà sur la couche de sa faiblesse. Elle y a cependant souvenir de l'époux, et ce n'est plus au matin, mais au milieu de la nuit qu'elle pense à lui et qu'elle cherche celui que son âme chérit. Elle n'est nullement paresseuse dans ce lit où elle est retombée. Elle ne folâtre pas, elle ne se délecte pas dans le lit de la concupiscence, mais plutôt elle lutte, ne se souvenant que de son bien-aimé : blessée non par la faiblesse mais par la charité. Qu'ainsi l'entende qui le verra de la sorte. Pourtant, je n'entends point parler ici d'un lit de douleur, à moins qu'il ne s'agisse de cette douleur que l'amour produit à cause de l'absence de l'époux: elle paraît vouloir goûter des délices plutôt qu'être guérie, et avoir cherché son ami de préférence au médecin. Vous pouvez continuer en poursuivant cette interprétation. Des montagnes, l'époux s'était rapidement transporté au lit, où, fatiguée et cédant à l'excès de ses jouissances, l'épouse s'est endormie, épuisée entre les embrassements de son bien-aimé. Transportée, elle a dormi son doux sommeil; mais à son réveil, cette femme de délices ne l'a plus trouvé sous ses mains. Passant donc sous silence ces joies ineffables, elle éclate enfin en ces mots : « Durant les nuits j'ai cherché dans mon lit celui qu'aime mon âme. » (Cant. III.) Que ceci suffise pour permettre de continuer facilement. 2. Considérons chaque. parole en particulier. « Dans mon lit pendant les nuits j'ai cherché celui qu'aime mon âme. » O tendre Jésus, il est bon de vous chercher, mais il est bien plus doux de vous trouver et de vous tenir. L'un est un pieux travail, l'autre une joie parfaite. Vous saisir est chose douce, car on ne vous touche pas sans en retirer du fruit. La femme dont parle l'évangile, (Matth. IX, 20.) par une heureuse fraude, porta la main sur la frange du vêtement de Jésus, et aussitôt fut suspendu en elle le flux de sang, le flux de la délectation charnelle, de la jouissance et de la préoccupation de la chair; ce qui était fluide fut arrêté et desséché, et tout cet heureux effet fut produit parce que son doigt atteignit une frange. Que fût-il donc advenu si elle avait eu le bonheur d'embrasser la tète du Sauveur? Non-seulement le flux de sang eût cessé et se fût desséché, mais encore eût coulé en elle ce fleuve impétueux et rapide dont les ondes réjouissent la cité de Dieu. Il est bon de toucher, mais saisir est préférable. Jésus se touche avec peine dans la foule et en [public. Aussi l'épouse qui désire non-seulement toucher, mais encore embrasser et étreindre le verbe de vie, évitant le publie, choisit le secret, le secret de son petit lit et de la nuit. C'est chose bonne de chercher ou de tenir Jésus, mais pour y bien réussir, il faut prendre et le lieu et le temps opportuns. Et quand il s'agit d'amour, quoi de meilleur que les facilités qu'offrent le lit et la nuit? La délectation de la sagesse ne peut-être recherchée que lorsque l'esprit est tranquille ; le regard troublé n'arrive pas jusqu'à elle. Rien de souillé ne l'atteint ni rien d'agité. La sagesse d'ordinaire court d'elle-même vers l'âme calme et pure et lui fait sentir gratuitement ses influences. Son séjour en effet est dans la paix et sa demeure dans Sion, c'est-à-dire, dans la contemplation. La paix est mise avant et au-dessus de tout, comme une préparation à la contemplation. L'oeil troublé par la colère ou agité par les soucis, comment verra-t-il cette lumière inaccessible que les esprits calmes seuls aperçoivent, et encore non toutes les fois qu'ils le voudraient. Quel rapport, direz-vous, entre la paix et le lit? Un très-grand, car ainsi que dans un lit, on dort et on se repose dans la paix. « Dans la paix, c'est-à-dire en lui « je dormirai et me reposerai. (Psalm. IV, 9.) Pourquoi l'âme sainte ne se reposerait-elle pas dans le lieu où se rencontre son bien-aimé? Sa place est dans la paix (Psalm. LXXV. 3.) C'est pourquoi mettez-vous d'abord en possession de cette place, dans laquelle, ou bien vous saisirez revenu, ou vous chercherez échappé, celui qu'aime votre âme. Dans le lit, en effet, et dans le secret repos de l'âme, on peut le poursuivre plus librement, le trouver plus promptement et le tenir plus sûrement peut-être aussi et plus longuement, si pourtant on peut s'arrêter longtemps en ces délices, qui, le plus souvent, ont coutume d'être arrêtées dès leur commencement. Car l'épouse, comme s'échappant au milieu des étreintes, et poursuivant des plaisirs qui s'enfuient, cherche de nouveau son bien-aimé avec plus d'anxiété, et le cherche dans son petit lit. Vous êtes bien placé dans le lit, si par une sorte de repos votre âme est librement délivrée des occupations. La liberté et le loisir, qu'y a-t-il de plus convenable à l'amour? La liberté produit le plaisir. Dans le repos l'affection se développe et on se livre à elle sans réserve. Il en est ainsi, plus l'esprit sera dégagé, plus il se portera vers ce qu'il aime. L'usage montre que lorsque nous rentrons dans le calme, nous sentons plus vivement la blessure de l'amour divin. Au contraire, les soucis fréquents du monde rendent cette affection presqu'insensible et étendent sur l'âme comme une peau ou enveloppe pesante. Le souci replie l'âme sur elle-même, le repos la développe. Les désirs excités, à quelles limites, pensez-vous, peuvent-ils atteindre ? 3. Voilà combien de jouissances renferme le lit : le repos, la liberté, le plaisir. C'est dans le lit que s'enflamment davantage les désirs développés par le repos et le loisir. Un lieu propre aux jouissances de la charité excite davantage l'épouse à chercher le bien-aimé. Elle le trouve plus à dire là où elle pouvait plus largement jouir de lui. « Dans mon lit, » dit-elle, et « pendant les nuits. » Qui cherche dans la nuit, me parait ne pas tant vouloir les regards que les embrassements. Elle désire plus d'être étreinte que de voir. Bonne est la vue, meilleure l'union. Car qui s'attache au Seigneur devient un même esprit avec lui. (II Cor. VI. 17.) Il est bon pourtant que les deux ne soient pas séparées. Réunies elles se comblent réciproquement d'un surcroît de grâces. Si vous ne pensez pas les obtenir à la fois, recherchez ce que l'épouse poursuit, courez après les embrassements de l'époux. La nuit de votre ignorance, disons mieux, les nuits de vos ignorances vous enlèvent la vision sereine des secrets du ciel. Cherchez ces réalités suaves. Tâchez de les sentir, si vous ne pouvez les comprendre. La nuit n'est pas l'ennemie des délices, car plus d'une fois elle en est illuminée. « La nuit, dit le Psalmiste, est ma lumière dans mes délices. » (Psalm. CXXXVIII, 11.) Dans mes délices, dit-il, et non dans mes sciences. Aussi, si vous ne pouvez éclairer la nuit de science, efforcez-vous de l'illuminer de délices. Tout ce que nous voyons ici-bas dans un miroir et par énigme est entièrement dans la nuit, et dans cette nuit, mon Jésus peut être mieux suavement senti par une douce tendresse qu'être vu dans une claire vision. C'est pourquoi si l'âme n'est pas admise à le considérer, elle s'efforce de le toucher, cherchant son bien-aimé dans son lit et durant les nuits. 4. Mais quoi donc, la nuit aide-t-elle à trouver le bien-aimé? Oui, elle y aide et d'une manière assez favorable. De même que par lit vous entendez le loisir d'un saint repos, de même par nuit comprenez une espèce d'oubli. L'un et l'autre offrent une grande facilité pour vaquer à la sagesse et à la contemplation. Salomon veut que vous écriviez sur la sagesse dans le moment de la tranquillité. (Eccl. XXXVIII. 25) Saint Paul ne s'élance vers ce qui est devant lui qu'après avoir oublié tout ce qu'il laisse en arrière. (Phil. II, 13.) Vous êtes surpris que la nuit soit bonne et le jour mauvais? « Seigneur, » dit le Prophète, « je n'ai pas désiré le jour de l'homme. » (Jerem. XVII. 16.) Je ne sais comment luttent entr'eux et s'obscurcissent l'un l'autre le jour du Seigneur et le jour de l'homme, mais quand fun s'élève, l'autre disparaît. « Je n'ai point désiré le jour de l'homme, » c'est-à-dire, la faveur humaine, la gloire des hommes et je n'ai pas éprouvé l'ambition d'être remarqué parmi les autres et de m'élever au-dessus d'eux. C'est avec raison que le prophète déteste ce jour qui produit le trouble. Cette nuit est donc préférable au jour; la nuit éloigne du bruit, le jour y expose. Enfin, nos premiers parents, (Gen. in, 8) aussitôt que leurs yeux furent ouverts à cette lumière, étaient couverts de confusion et de honte. Avec quel plus grand bonheur ils tinrent d'abord les yeux fermés et enveloppés d'une meilleure nuit, ne connaissant point les attraits brûlants du péché! C'est de là que tira son origine ce jour détestable, qui dévoila les sentiers du péché, découvrit les apparences enchanteresses, et montra à l'il de la concupiscence cette triste matière, qui l'excite et l'enflamme. Malheureux que je suis! comment ce jour m'entoure-t-il, comment a-t-il ravi à lui mon affection! dans quelle claire lumière devant les yeux de mon esprit, brillent avec tant d'importunité ces objets, sources de trouble et pleins d'impureté! On ne peut fuir nulle part, nulle part se cacher, pas de retraites assez sûres. Partout s'élèvent ainsi dans la pensée toutes ces idées qui troublent ou souillent l'esprit, soit qu'on s'y arrête avec attention, soit qu'on les effleure légèrement. Car encore que l'esprit les repousse par une résolution énergique, il est néanmoins souillé par le contact seul de ces pensées qui se précipitaient en lui. » Qui touchera la poix, en restera taché, » (Eccl. XIII, 1.) Enfin, selon que l'apprend la loi, toucher même légèrement certaines choses suffit pour rendre impur. Ces pensées ne sont pas imputées quand elles entrent comme par force, elles ne produisent pas de péché; elles ne laissent pas néanmoins que de porter une certaine atteinte à la pureté que l'âme désire. Mais que dire lorsque ce sont des images corporelles qui s'offrent à l'esprit en contemplation? Elles ne provoquent peut-être pas l'appétit charnel, mais elles empêchent le regard spirituel de lame. Les uns troublent, les autres souillent, les autres font obstacle, c'est-à-dire, déchirent, allèchent et illusionnent. Ne vaudrait-il pas mieux que tous ces maux fussent dans l'obscurité, plutôt qu'en lumière, couverts d'un épais nuage d'oubli, plutôt que rappelés dans la mémoire? 5. Bonne est donc la nuit, elle cache dans un prudent oubli toutes les choses du temps, elle donne du loisir pour chercher celui qui est éternel et en multiplie les occasions, elle ensevelit la concupiscence, les soucis et les pensées du monde. C'est là ce qu'on peut appeler, voir le monde enseveli ou bien être caché au monde. Ainsi, Seigneur, nous pouvons être plongés dans le secret de votre face : je ne dis pas par une pleine connaissance, mais avec une dévotion entière, avec une recherche que rien ne gêne, et même avec quelque bonheur de cous rencontrer. Cette disparition, ce secret, cette retraite qui nous permettent de fuir ou l'amour ou la pensée du jour mondain, qui font que nous ne cherchons pas le jour de l'homme quand il nous est enlevé, ou qui nous le font dédaigner s'il se présente à nous, c'est, à mon sentiment, ce que l'épouse désigne par le nom de nuit. Enfin un peu plus haut elle dit : « Je me suis assise à l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à mon gosier. » (Cant. II, 3.) Ce fruit est une nourriture suave, si d'abord l'ombre a donné sa protection. Cette ombre est bonne, qui obscurcit la prudence de la chair et refroidit la concupiscence. Comprenez-vous quelle est cette ombre? Ce sera pour vous une occasion de saisir ce qu'il faut entendre ici par nuit, avec cette différence que par le mot de nuit plutôt que par celui d'ombre, on désigne des obscurités plus grandes, plus épaisses et plus favorables à la recherche et à la contemplation. Dans l'ombre, voyez un certain oubli des objets visibles; dans la nuit voyez le même oubli, en tant que total et complet. Qui me donnera d'entrer ainsi dans le soir? Qui me donnera que la pensée des biens temporels décline vers la soirée de cet oubli ? La nuit est bonne quand les vaines imaginations ne tourmentent pas l'esprit, et ne roulent pas en son imagination; quand elles sont cachées à la pensée de celui qui cherche le bien-aimé. L'amour amène cette nuit; soupirant uniquement après celui qu'elle chérit, l'épouse, ne regarde, ne connaît aucun des autres objets qui existent. 6. « Pendant les nuits, dit-elle. Elle compte plusieurs nuits, elle n'en connaît pas de continuelles et de prolongées. Souvent elles sont interrompues par la présence de l'époux. Quand il est présent, c'est la lumière : quand il disparaît, c'est la nuit. Voilà pourquoi l'épouse a plusieurs nuits : car plusieurs fois l'époux s'échappe, et plusieurs fois il se cache. Bienheureuse est-elle, elle s'attache à lui tout le jour et le cherche toutes les nuits. Que ce langage excite votre zèle, et formé par l'exemple de l'épouse : « levez-vous » vous aussi « dans la nuit, au commencement de vos veilles et répandez votre coeur. » (Thr. II, 19.) Afin qu'il se liquéfie, qu'il déborde et qu'il coule jusqu'en la présence de votre Dieu. Offrez-lui le début de vos veilles; que las soucis du dehors ne prennent rien de vous. Cherchez chaque nuit votre bien-aimé, que dis-je, chaque nuit? Continuez cette recherche tout le long de toutes vos nuits, ne cessez pas, ne vous reposez pas, jusqu'à ce que votre bien-aimé s'élève comme une splendeur et s'enflamme pour vous comme une lampe ardente. Alors vous pouvez redire ce mot de Paul «La nuit est passée, le jour est venu (Rom. XIII, 12.) Celui qui suit « Rejetons les oeuvres des ténèbres, » ne peut-être appliqué à cette nuit. Elle ignore les oeuvres de ténèbres, mais bien plutôt elle éclaire ceux qui persévèrent dans le labeur pénible, comme une sorte de combat, de chercher le bien-aimé. La nuit est bonne quand vous êtes à l'abri du trouble et de l'attaque des imaginations. Et quoique vous ne soyez pas encore caché dans le secret de la face du bien-aimé, il vous est bon que l'aspect et l'éclat des pensées vaines et charnelles vous soient dérobés. C'est la nuit qui se fait afin que vous ne les remarquiez pas, pour que vous ne les voyiez point; néanmoins votre flambeau ne s'éteindra pas dans ces ténèbres, il continuera de briller pour que vous cherchiez le bien-aimé. 7. Puissé-je avoir moi aussi beaucoup de semblables nuits, à la fois si obscures -et si brillantes ! Qui de nous se glorifiera et dira que toutes les siennes sont de ce genre? Quel qu'il soit, il est heureux celui qui les voit toutes prendre ce cours et qui ne fait rien en secret qui doive rester caché. Que chacun pénètre sa conscience. Que me fait à moi de frapper la conscience faible des autres ! Je ne la frappe ni ne la discute : si elle est faible, que du moins elle ne soit pas souillée. Que dans l'obscurité, elle ne fasse pas, elle ne pense même pas ce qu'il est honteux de dire. Jésus n'a pas coutume de s'approcher d'une telle couche. Une conscience confuse et brouillée l'offense et le chasse. Cette confusion de la conscience ne l'invite pas, mais plutôt l'évite et le fait fuir. Ce qui le cherche et l'appelle, c'est la charité venant « d'un coeur pur et d'une bonne conscience. » (I. Tim. I, 5.) C'est ce que vous lisez : « J'ai cherché celui que mon coeur aime. » Rien de plus sûr que la bonne conscience. La bonne conscience est hardie, et la charité brûlante. L'une ne craint pas, l'autre enflamme. L'une n'est jamais confondue quand il s'agit du bien-aimé, l'autre se confie en lui. Grande est la force de l'amour. Content de ses propres mérites, il ne s'appuie pas sur le suffrage d'autrui. Il se croit toujours aimé parce qu'il sent qu'il aime. Enfin, sans prêter attention aux autres noms d'éclat, l'épouse ne pense qu'à l'époux, pour lui seul elle éprouve au-dedans les feux de l'amour. 8. Ce qu'il faut remarquer, c'est le nombre de fois que l'épouse parle de son bien-aimé, à propos de chaque mystère. « Mon bien-aimé est blanc et rouge; tel est mon bien-aimé. (Cant. V, 10 et 16.) » Et, en ce lieu : « Celui que mon âme aime. » Cette manière de parler est certainement pleine de grâce. Ne nous étonnons pas si sa bouche exprime souvent ce qui bouillonne dans le cur. Voilà pourquoi elle parle de son coeur. Elle n'aime pas seulement de bouche, mais en réalité, non-seulement en effet, mais encore plus eu affection. Pourquoi dit-elle son âme et non son esprit? Peut-être parce qu'elle n'était pas encore unie au bien-aimé qu'elle cherchait. « Qui adhère au Seigneur, devient avec lui un seul esprit. (I Cor. VI, 17.) » Nulle part dans tout ce cantique, elle ne parle de son esprit, mais elle dit. « Mon âme s'est liquéfiée. (Cant. V, 6); » et : « Mon âme m'a troublée; » et souvent : « Celui qu'aime mon âme. » Et ces paroles, elle ne les profère guère que lorsqu'elle chante l'époux disparu, ou se plaint de son absence. Ces dénominations désignent, d'ordinaire, les degrés de perfection des âmes. L'apôtre dit : « l'homme animal ne comprend pas ce qui est de l'esprit de Dieu. (I Cor, 11, 14). » Cette âme aimante, brûlante, fervente et cherchant son époux, jamais je ne dirai qu'elle n'est pas spirituelle. Encore qu'elle n'eût pas atteint à la pleine vision par de plus violents désirs, elle adhérait à celui qu'elle aimait vivement. Nous pouvons aussi sans difficulté par esprit entendre l'intellect subtil et pénétrant, et semblablement, par âme, l'affection tendre et suave. Le Seigneur, par la bouche du prophète, dit dans sa promesse: « Je vous donnerai un coeur de chair. (Ez. XI, 19.) » Si le mot de « chair » se prend quelquefois en bien, pourquoi pas à meilleur titre le mot « âme? » Cette bienheureuse âme, (pour tenir un langage permis), je ne la croirai pas de pierre, mais plutôt de chair, n'ayant rien de rude ni de dur, mais douce, tendre, noble et sensible à chacun des traits du verbe divin. Ame qui s'écrie : Ma chair n'est point d'airain; âme que transperce le glaive spirituel et qui se réjouit de se sentir blessée par la charité. Avec raison elle dit qu'elle aime son âme, voulant exprimer l'affection vive, intime et brûlante qu'elle éprouve pour son bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. «Amen! »
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