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SERMON XL. Que mon bien-aimé vienne dans son jardin pour y manger du fruit de ses arbres. Venez dans mon jardin, ô soeur mon épouse. J'ai récolté la myrrhe, etc. (Cant. V, 1.)
1. O mes frères, que les paroles exprimant ces désirs sont loin de ce qu'il y a à dire de ma conduite. Le Seigneur connaît mon avidité, mais je n'ose point. Comment en serait-il autrement? Je n'ai point de jardin pareil à celui que Jésus-Christ a dépeint dans nos discours précédents : je n'ai point ces fruits dont il se nourrit avec tant de plaisir; je n'ai pas, de plantes aromatiques; pas de fontaine fertilisante; pas de puits profond d'eaux vives : mais, au contraire, la face de ce jardin est attristée par la vue des ronces et des épines qui le couvrent. Je n'ose pas, ô bon Jésus, vous appeler dans un tel jardin, si ce n'est pour que d'abord vous arrachiez, vous détruisiez, vous enleviez afin de planter ensuite : en sorte qu'au temps opportun vous mangiez du fruit de l'arbre planté par votre droite. Heureuse l'âme qui est digne de vous inviter à vous nourrir de, ses fruits déjà murs, déjà arrivés à leur point, et plût au ciel qu'on n'eût à blâmer dans nos fruits que leur âpreté plût à Dieu que leur seul défaut fût de n'être pas mûrs, pourvu qu'ils ne se trouvassent pas mauvais. Souvent des fruits, dont l'espèce est bonne, ne sont pas bons parce que le temps de leur maturité n'est pas encore arrivé; il n'y a que cela qui déplaise en eux. Heureux le jardin dont tous les fruits sont d'une bonne tige et sont parvenus à leur point parfait. En conviant son époux à manger des fruits de son jardin, l'épouse sait qu'ils réunissait tous ces deux qualités. « Que mon bien-aimé,vienne dans son jardin, pour y manger du fruit de ses arbres. » Remarquez avec quelle modestie et quel peu d'emphase se fait cette invitation après de si grands éloges. Elle n'a pas la présomption d'inviter son époux ; elle n'a pas soif de délices, jusqu'à ce qu'elle a connu qu'elle était décrite avec beaucoup de soin. Quoi donc? Pensez vous que Jésus accorde le désirable avènement de sa présence, à ceux que ne recommandent point les qualités qu'il a indiquées plus haut, et qui ne sont pas digues de louanges? Regardez comme une marque de présomption téméraire d'inviter le Seigneur avant d'être apte à l'exercice de la contemplation. Vous le sollicitez à venir goûter des délices avec vous et peut-être vous êtes encore couvert des ordures du péché? Votre jardin est stérile et hérissé de ronces, et vous y appelez le Seigneur? Invitez-le, non pour y jouir, mais pour y détruire l'uvre de vos mains. Invitez-le à le purger d'abord et ensuite à y planter des arbres. Il y a travail de part et d'autre, mais plus tard il viendra avec plaisir cueillir les fruits mûrs. 2. « Que mon bien-aimé vienne, » dit-elle. Non-seulement elle caresse et vante son époux présent : mais, même quand il est absent, ses voeux s'enflamment pour lui. L'amour faux et simulé oublie l'ami absent et lui fait des caresses s'il est présent. Il n'en est pas de même de l'épouse à l'endroit de celui qu'elle chérit : absent, elle le désire, présent, elle se réjouit de le voir. « Que mon bien-aimé, » dit-elle, « vienne à son jardin. » Pourquoi invite-t-il l'Auster à venir à moi ? Qu'il vienne lui, et il me suint. C'est lui qui est mon souffle du midi, lui qui est mon parfum. Lui mon Auster, lui mon amour. Dieu vient du midi et l'Auster vient avec lui. Il est plein de grâce et de vérité. Il est vraiment bien mon souffle du midi, lui qui éclaire avec tant de pureté et qui entre dans l'âme avec tant de suavité. Mon Auster est mon Jésus, c'est lui qui règne sur mon jardin, c'est lui qui en mange les fruits. « Que mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu'il mange du fruit de ses arbres. » Le temps de. la taille est déjà passé : Les fleurs ont produit les fruits qu'elles avaient annoncés; l'hiver a disparu; le printemps s'est enfui, et l'automne qui apporte la maturité, chasse l'été parvenu à son terme. « Que maintenant mon bien-aimé vienne à son jardin, et qu'il mange du fruit de ses arbres. » Voici la plénitude du temps : qu'il « vienne » donc, « mon bien-aimé à son jardin. » Les fruits sont mûrs avant le temps : qu'il mange donc les productions de ses arbres. Il désire les premières figues que dorme le figuier. Lorsque le temps des figues n'était pas encore venu, il s'approcha d'un figuier qui était au bord du chemin, il détourna les feuilles de cet arbre et ne trouva aucun fruit. (Marc. XI, 13.) Avant le 1 temps oq en mange et avant la saison de ses fruits, le matin il vint au figuier ayant faim. J'ai connu un figuier qui portait des fruits précoces de la première enfance, fruits des prémices, fruits de grâce virginale. Cet arbre n'était point planté au bord de la route; mais dans un jardin, et dans un jardin bien fermé, dans un jardin qu'entourait le mûr de la discipline et la haie d'une étroite vigilance. Figuier bien fécond et remarquable entre tous les autres par sa belle apparence. Souvent Jésus alla vers lui, disant peut-être ces paroles : «Je me suis assis à l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à mon gosier. » 3. Plût à Dieu qu'il eût conservé les fruits qu'il avait portés. Plût au ciel que la main ennemie du voleur ne lui eût pas fait sentir ses ravages? Jusques-là il a donné des fruits exquis, de ceux qui ne peuvent renaître. D'autres sont venus à leur place, c'est-à-dire, au lieu de la continence virginale, une rude pénitence. Quoi de plus doux que ce fruit primitif, que celui qui. lui a succédé et dont vous vous nourrissez, vous et votre bien-aimé? Malheur à vous, misérable, quand viendra ce bien-aimé; quelle sera votre pensée, votre visage,votre contenance? De quel côté vous tournerez-vous dans votre honte, vous qui avez perdu les fruits de la pudeur? Où irez-vous? Quand il arrivera, quand il agitera vos feuilles, et ne trouvera pas les fruits ordinaires, il rougira de votre confusion. Rappelez-vous la formule de votre voeu de virginité, souvenez-vous des termes de votre acte de consécration. Faites attention que sous ces feuilles, ne se trouve plus le fruit spécial, le fruit de lintégrité, le fruit de la virginité. De tels fruits ont été consacrés, mais bientôt ils ont été enlevés. La consécration et la corruption ne vont pas bien ensemble. On pardonne d'ordinaire la perte de la virginité, maison ne la redonne pas. On a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de Dieu, mais il s'est passé en vous bien des ignominies. Du reste, dans ma double confusion, dans ma double honte, reconnaissez la part qui vous revient de mes plaintes. Qui donnera une source à ma tête, qui placera dans mes yeux une fontaine de larmes, et je pleurerai la chute non d'une personne vile dans la foule mais presque d'une des premières d'entre les vierges? Qui, dis-je, me donnera une fontaine de larmes? Car celle qui est tombée s'échappe toute en torrents de larmes, et ses pleurs coulent en baignant son visage. Les soupirs profonds et les gémissements inquiets révèlent ce que cache la confusion toujours voisine de 1a faute. J'ai vu sur un visage malheureux une face décomposée et des joues qui semblaient brisées. Les sanglots entrecoupaient les paroles : on n'avait pas voulu se retenir au bord de l'abîme et on ne pouvait s'empêcher de verser des larmes. Achevez ce que vous faites, produisez de dignes fruits de pénitence. Que la douleur vous renouvelle, soyez consumée de chagrin, dites avec le prophète : « ne cherchez pas à me consoler, je pleurerai amèrement. » (Is. XXII, 4.) de pleurerai avec vous. Peut-être que votre bien-aimé pleurera avec vous, lui qui versa des larmes sur Lazare. (Joan. XI, 35.) Peut-être pleure-t-il davantage. Plus on chérit, plus on souffre. Ses compassions sont grandes : « c'est pour cela, » dit le prophète, « que nous n'avons pas été consumés : » (Lam. III, 22.) Ni vous non plus, vous ne serez pas consumée, parce qu'il est votre conseiller et votre consolation, convertissant votre âme. Comment (pour dire ce qui peut à peine se comprendre), comment l'extérieur malheureux que présente votre tristesse ne le toucherait-il pas, d'une autre manière cependant; lorsqu'en retraçant la suite de vos chagrins, je suis moi-même saisi au fond du coeur d'une grande douleur? Si vous faites de dignes fruits de pénitence, votre bien-aimé retournera dans son jardin, car volontiers il accepte les produits de cette vertu. Plus heureux cependant serait-on, si l'on conservait intacts les fruits de la pureté primitive. Il est bon de commencer sa vie dans la maturité et d'y persévérer jusqu'à la fin. 4. Aussi l'épouse prévient le bien-aimé au temps de la maturité et dit : « que mon bien-aimé vienne dans mon jardin, qu'il mange le fruit de ses arbres. « Venez dans votre jardin, ô mon épouse, ma soeur. » Le Seigneur Jésus aime excessivement : au premier mot qui l'invite, il accourt avec plaisir dans le jardin de l'épouse. C'est comme s'il volait d'avance et s'il prévenait au temps de la maturité, disant : «venez, » qu'on prenne ce verbe à l'impératif et ce qu'il exprime cadrera parfaitement, « venez. » Il n'est pas lent, il n'est pas avare pour reconnaître ce qu'on a fait pour lui, mais de suite il rend son invitation à l'épouse « venez dans mon jardin, ô sueur ô mon épouse; j'ai moissonné ma myrrhe avec mes aromates. » Dur est le coeur que n'émeuvent pas des invitations et des réinvitations si douces. Qu'y a-t-il de plus agréable que cette réciprocité, quoi de plus surprenant que cet échange? O admirables relations! Le bien-aimé de Dieu le Père, la gloire du ciel, les délices des anges, permet qu'on l'invite à venir dans nos jardins, et il n'oublie pas de nous engager ensuite à entrer dans les siens. Ce qui est notre jardin est appelé avec plus de vérité le sien propre. L'épouse en effet ne dit point : « que mon bien-aimé vienne dans mon jardin, » mais bien : « dans son jardin.» C'est juste, dans « son jardin, » parce que c'est lui qui l'a donné, il lui est dû, et il lui a été consacré. « Que le bien-aimé vienne. Venez, ô ma sueur, ô mon épouse. » Grande douceur et distinction juste. L'une désire, et l'autre commande. L'épouse dit : « qu'il vienne; » l'épouse dit : « viens, je suis à la porte, » dit-il, et je frappe. » Si quelqu'un m'ouvre, je rentrerai et je souperai avec lui, et lui, avec moi. » (Ap. III, 20.) Il n'est pas nécessaire, ô bon Jésus, que vous éprouviez du retard à la porte de votre épouse : car elle vous appelle elle-même de tous ses voeux. Rendez-lui la pareille, rendez-lui son invitation. Vous vous êtes assis à sa table, voyez combien de mets on vous a apportés, sachez qu'il vous faut en préparer autant. Autant, dis-je, et c'est assez pour elle. Voici ce que je dis : elle se dépense tout entière, donnez-vous tout entier. Comment le tout se trouvera-t-il ici, si de son côté elle se donne entièrement, et si, du vôtre, vous vous donnez à moitié seulement? Une partie de vous, est plus que toute sa plénitude. Tout ce qui la constitue est un fragment de votre grâce ; c'est pourquoi son jardin est vôtre, et le vôtre est sien. 5. « Venez dans mon jardin. » Pour moi, mes frères, en ce jardin de l'époux, je vois avec plaisir ce paradis abondant, fleuri et glorieusement garni des vertus que Jésus-Christ, selon sa double nature, posséda de toute éternité ou reçut dans le temps. Partant, à ce point de vue, considérez dans le jardin de l'épouse, l'état de l'âme ou la situation de l'Eglise, et les qualités de vertus et d'affections dont son bien-aimé l'enrichit. Dans l'un dé ces sentiments, on contemple les biens du corps; dans l'autre, les biens de celui qui est la tête. Dans l'un aussi bien que dans l'autre, nous trouvons belle matière à méditation. Mais qu'est le premier envisagé par rapport au second? Autant la gloire du Christ l'emporte sur les vertus de l'âme ou sur les qualités de l'Eglise, autant l'entrée dans son jardin est préférable, à celle qui introduit dans le verger de l'épouse. Dans l'un, on voit plus de travail, la contemplation se trouve seule dans l'autre. Bien que l'épouse se réjouisse dans celui qui est à elle, bien qu'elle y travaille et qu'elle en mange les fruits à la sueur de son front, quand elle aura pénétré dans le jardin de l'époux, il ne lui restera plus que des délices à savourer. Elle garde le sien, elle regarde celui-ci. Elle ne passe en ce dernier qu'en traversant le sien; cela veut dire, qu'elle ne parvient à la contemplation, que par le travail; ou si nous admettons de la contemplation dans ce jardin de l'épouse, cette contemplation a tous les caractères de la vie active. Aussi de ces détails multipliés, un ordre facile conduit à cette myrrhe. Ce n'est en effet que par l'abondance des vertus, que l'on entre dans le jardin du bien-aimé. «Vous pénétrerez dans le sépulcre, » dit Job, « avec l'abondance. » (Job, V, 26.) Il vaut mieux dire en ce lieu, vous pénétrerez dans le jardin. Le sépulcre exprime le repos et la retraite loin des soucis : dans le jardin, on voit le regard qui se promène, et le banquet qui réjouit. Dans le tombeau, nous nous reposons; dans le jardin, nous jouissons. De même donc que nous ne pénétrons pas dans le tombeau sans l'abondance, ainsi qu'il a été écrit, beaucoup moins entrons-nous, sans elle, dans le jardin. Aussi, de son jardin, l'époux invite l'épouse à venir dans ce même jardin : «venez dans mon jardin, ô ma sueur, ô mon épouse. » Entrez, entrez, ô épouse, dans la contemplation des vertus de votre bien-aimé, plongez-vous dans ses délices, souvenez-vous de la justice que lui seul possède. Là, ce Dieu, qui est votre Seigneur, vous instruira dans le tressaillement de la joie, et sa main droite vous conduira merveilleusement. Il vous nourrira des fruits de vie et d'intelligence. Il a récolté pour vous la myrrhe et les plantes aromatiques. 6. « J'ai recueilli, » dit-il, « ma myrrhe avec mes aromates. » Après sa mort, en effet, il recueillit l'immortalité et l'incorruptibilité. Grâce à cette plante, les cadavres des morts demeurent sans altération. « Ma myrrhe, » dit-il. C'est bien dit, « la sienne,» car le premier, il la reçut et, seul, il la communique. Le Christ forme les prémices, et ensuite viennent ceux qui appartiennent au Christ. La résurrection des morts se fera par celui, qui étant sorti le premier. d'entre les morts, ne meurt plus. Cette myrrhe est bonne, et bien meilleure que la myrrhe ordinaire dont l'effet est d'empêcher la chair morte de se corrompre ; celle-là l'empêche, rendue à la vie, d'être jamais atteinte. Sa myrrhe était cette éminente et singulière chasteté virginale, qui ne sentit, en aucun temps, le moindre commencement de mouvement de la chair, et qui n'eut pas de foyer de concupiscence : divin maître, en qui jamais ni tendances n'eurent à être réprimées, ni pareil foyer à être enlevé, car il avait été prévenu par les onctions de la myrrhe, et de sa propre myrrhe. Dans les autres, cette plante est efficace en ce sens, et la continence obtient cet effet, qu'elle les préserve de la corruption: mais celle-ci maintint la chair du Seigneur à l'abri de la corruptibilité. La myrrhe des autres suit la corruption de l'aiguillon de la chair, celle de Jésus prévient tout aiguillon. Dans les autres, elle exclut; en Jésus, elle ferme rentrée. En Jésus, il n'y a ni corruption ni cause de corruption : dans sa mère, bien qu'il y ait eu la cause, il n'y a pas eu cependant de corruption; dans les autres, il se trouve et cause et corruption. Notre myrrhe réprime les mouvements de la concupiscence charnelle quand ils s'élèvent en nous la myrrhe qui était en Marie ne connut pas de semblables mouvements : celle qui se trouvait en Jésus ne trouva ni cause ni principe qui le pût émouvoir de cette sorte. Nous avons tous, reçu de la plénitude qui était en lui, myrrhe pour myrrhe. La myrrhe de notre chasteté vient de lui par voie de don et d'imitation : aussi, lorsqu'il recueille en nous cette myrrhe, c'est sa propre myrrhe qu'il reprend. Fasse le ciel qu'il trouve à récolter en moi une abondante moisson de myrrhe. « La myrrhe avec les plantes aromatiques : » c'est-à-dire l'abstinence du mal avec les sentiments qui font aimer le bien : la répression de la chair et la dévotion du coeur; ou bien la retenue dans l'usage des choses permises et la patience dans les injures. Les aromates des vertus s'associent fort bien avec cette double myrrhe. C'est pour nous une grâce si, en faisant le bien, nous sommes attaqués; si, nous châtiant nous-mêmes à l'extérieur, nous sommes par là même consolés au-dedans. Le Seigneur recueillit dans le champ du martyr saint Laurent, dont nous célébrons en ce jour la fête, la myrrhe et une grande quantité de plantes aromatiques : la myrrhe et les aromates de sa généreuse confession. Mais sur le feu, il confessa le Christ, il livra son corps aux bourreaux pour qu'ils le fissent brûler: il distribua aux pauvres les trésors de l'église. Sa chair fut dévorée par les flammes pour l'amour du Christ: mais son coeur brûlait de feux encore plus ardents en Jésus-Christ : aussi du gril, ce saint martyr est appelé au jardin. Et quand il gisait sur l'instrument de son supplice, il n'était pas éloigné du jardin de l'époux. Maintenant il n'est que dans ce jardin, mais il n'y est pas tout entier. Sa chair est encore retenue dans la corruption, elle n'a pas encore refleuri : elle refleurira lorsque le corps de notre vie humble et obscure, sera rendu conforme au corps glorifié du Seigneur Jésus. Alors il recueillera la myrrhe de l'immortalité, que le Sauveur a récoltée le premier, avec les aromates d'une gloire qui revêtira des formes diverses. Alors Jésus invitera vraiment et dira : « Venez dans mon jardin, ô soeur ô mon épouse. » Alors il se glorifiera d'avoir récolté cette myrrhe avec ses plantes aromatiques. Alors il jouira de l'effet de sa passion, et du résultat de ses prières, qui sont signifiées par les aromates. Car, offrant ces prières avec un grand cri et des larmes, il fut exaucé à cause du respect qu'il inspirait, devenu, pour tous ceux qui lui obéissent, cause du salut éternel. (Heb. V, 7.) « Je veux, » dit-il, « que là où je suis, mon ministre s'y trouve aussi. » (Joan. XII et XVII, 24.) Où donc, si ce n'est dans son jardin? Cela aura lieu quand se fera la résurrection générale; cependant cela se réalise aussi en lavie actuelle par la contemplation. 7. Car nous entrons pour ainsi dire dans le jardin du Seigneur, lorsque avec sentiment, désir et sympathie, nous considérons dans quel état nous serons placés un jour à cause de lui, et, ce qu'en ressuscitant, il est devenu pour nous, afin qu'à son exemple, nous lui soyons aussi rendus enfin semblables. Que dis-je, en,ressuscitant? Même avant sa résurrection, toute sa conduite présentait la grâce d'un jardin magnifique; mais ce qu'il avait mis en terre auparavant, il le recueillit dans la suite. La résurrection est le temps de la maturité et de la moisson, chacun alors recueillera les fruits de ses travaux. Si donc le Seigneur nous appelle dans son jardin, s'il ajoute qu'il a ramassé la myrrhe et ses aromates, c'est comme s'il nous exhortait à contempler la gloire de la résurrection, qui sera produite en nous par son entremise, ou qui a déjà commencé d'éclater en sa personne. Pour nous, n'est-ce pas une marche agréable et pleine de délices que de pénétrer dans le jardin du Christ, d'entrer dans les plantations que le Seigneur a faites, et de considérer les unes après les autres, toutes ses vertus? Je dis considérer, car je n'ose pas parler de progrès. Qui se flatterait en effet de progresser jusqu'au point d'atteindre à la vérité et à la plénitude de ces vertus? Passage bien agréable et bien avantageux. Nulle part l'orgueil de l'esprit humain n'est plus réprimé par l'humiliation; en aucun lieu la faim plus satisfaite par la contemplation, ni le dégoût mieux chassé par un vif désir. La comparaison humilie, l'imitation exerce, la considération charme et ravit. La première presse; la seconde provoque; la troisième nourrit. L'immensité écrase; la bonté encourage, la vérité sert d'aliment. 8. Ensuite peu à près le bien-aimé lui-même, l'époux lui-même invite ses amis et ses intimes à boite, à manger, à se rassasier, et pour leur faire éprouver une envie plus grande, il leur propose le repas qu'il a goûté et s'en réjouit. « J'ai mangé un rayon avec mon miel. » L'un et l'autre vous appartiennent, ô bon Jésus, et le miel que vous donnez, et le miel que vous êtes. Mais en cet endroit, le miel que vous êtes vous-même, se présente plus vite à notre intelligence. Pourquoi ne dites-vous pas votre rayon, comme vous dites votre miel? Pourquoi user d'une distinction semblable? Le rayon est aussi bien vôtre que le miel bien que vous parliez expressément de celui-ci, sans parler de celui-là. Les deux natures vous appartiennent : mais l'humanité n'est pas vôtre naturellement, elle a été plutôt prise, et par votre bonté, elle vous est devenue naturelle. « J'ai mangé un rayon avec mon miel. » Avant que la Vierge sacrée le conçut, il était comme le miel seul, et la divinité, avant l'incarnation, était sans ce rayon. Après, le miel dans le rayon, fut Dieu dans l'homme; présentement, le rayon dans le miel, c'est l'homme revêtu de la divinité. « Car si nous avons connu le Christ selon la chair, à présent nous ne le connaissons plus de la sorte. (II Cor. V, 16), dit l'Apôtre. De même que Dieu était caché dans la chair, de même maintenant, à son tour, la chair est cachée en Dieu; et cette chair est devenue si glorieuse, qu'aujourd'hui, elle est spirituelle, n'ayant aucun vestige d'infirmité : elle est cependant cachée en quelque sorte, quand nous considérons Jésus-Christ, et quand nous l'adorons principalement en tant qu'il est Dieu. En une certaine manière, le rayon de la chair est caché dans le miel de la Divinité, quand le respect, dû à la majesté qui se découvrait entièrement, a ravi notre admiration et notre foi. Déjà donc, après la gloire de sa résurrection, le Christ a mangé le rayon avec son miel, et sans la marque honteuse de l'infirmité de la chair, en la substance du corps qu'il a pris, il goûte la délectation vraiment divine qui n'est propre qu'à lui en vertu de son adorable origine. « J'ai mangé le rayon avec mon miel, j'ai bu mon vin avec mon lait. » Vous prononcez du lait qu'il est vôtre, aussi bien que vous le dites du vin. Les droits des deux natures sont vos droits , vous possédez tout ce qui leur est propre, vous n'avez pas leurs défauts : et de même que le Seigneur but le vin nouveau, de même il but du lait nouveau. « Avec mon lait, » dit-il, c'est-à-dire, avec le lait de votre vie nouvelle, et non avec celui qui soutient notre faiblesse. 9. Courez, ô épouse, bâtez-vous de vous asseoir à un si doux banquet, où l'on verse à boire le vin de l'époux, où se trouve, avec le lait, un rayon qui n'est pas vide ou sec, mais plein de miel. «Vous avez rencontré du miel, mangez-en ce qui vous suffit. » (Prov. XXV. 16.) Car vous ne pouvez tout le recevoir en vous. Jésus ne le prend point en partie mais il le mange en entier, car il suffit à tout l'absorber. Il vous est dit « Ne scrutez pas la majesté, pour n'être pas opprimé par la gloire. » (Is. XXV.) Pour lui, il scrute tout, même les profondeurs de Dieu. Personne ne connaît le père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler. (Matth. XI, 27.) C'est lui qui mange tout, c'est lui qui donne à qui il lui plaît, et autant qu'il lui plaît : c'est comme s'il vous promettait que vous aurez part à ces aliments, quand il se glorifie d'en être rassasié. Si on vous donne du fiel pour votre nourriture, et du vinaigre pour étancher votre soif, souvenez-vous que Jésus a souffert ce supplice. Il goûta ces amertumes sur la croix, il ne les but pas : (Matth. XXVII, 34.) marquant ainsi que les peines cruelles passent bien vite. Il but le vin avec son lait. II n'est plus troublé au sépulcre pour Lazare, il n'est plus triste jusqu'à la mort, au moment de l'agonie, il né voit plus qu'on lui offre le fiel et le vinaigre. Les choses vieilles ne sont plus, de nouvelles leur ont succédé. Ce trouble, cette tristesse, cet ennui, qu'il avait pris pour un instant comme un sage administrateur, ont été changés en la douceur nouvelle du lait. Vin délicieux quand on l'a bu, on oublie les anciennes angoisses qui ne reviennent plus affliger le coeur; dans la chair ressuscitée, on le boit avec des affections nouvelles, pures et suaves comme le lait : plus d'injures, plus de chagrins qui soient reçus ou supportés dans l'âme ou dans le corps comme autrefois : le vinaigre mêlé de fiel, que ce maître goûta du bout des lèvres sans le boire, s'est changé, et a pris le goût du vin et du miel. Et vous, âme fidèle, qui avez la dignité d'épouse, vous aussi espérez qu'un jour ces jouissances vous seront communiquées. Aussi l'épouse du cantique annonce qu'elle les a éprouvées, afin de vous enseigner à les espérer pareillement : car le bien-aimé veut prendre son repas et boire avec vous. « Je ne boirai pas de ce jus de la vigne, » dit-il, «jusqu'à ce que je le boive nouveau dans mon royaume. » (Matth. XVI, 29.) C'est ce royaume qu'il veut indiquer lorsqu'il vous appelle au jardin; au jardin des délices, au paradis de volupté, aux fruits mûrs, aux fruits qu'il a déjà recueillis et dont il veut vous faire part. Alors vous boirez le vin avec le lait et, oubliant les angoisses passées, vous ressentirez la douceur de la résurrection nouvelle, par la grâce de notre Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.
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