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SERMON III. Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé (Cant. I, 1).
1. Ce n'est pas l'usage de l'époux de répondre toujours, soit pour le temps ou pour l'objet, aux voeux de l'âme qui est à sa poursuite. « Je l'ai cherché, » dit l'épouse, « et ne l'ai point trouvé. » Parole agréable « Je l'ai cherché, » mais parole triste : « Je ne l'ai point trouvé. » Qu'y a-t-il de plus ennuyeux et de plus insupportable, pour une âme qui cherche et qui aime si vivement? Personne en effet n'est privé, sans inquiétude, de ce qu'il cherche avec ardeur, et la peine est d'autant plus grande que le bien qui est perdu était sur. le point d'être atteint. Combien cela est-il plus vrai de cette faim, que provoque la douceur, qu'on a éprouvée au fond du cur et qui est perdue. Il est à croire, que selon l'étendue de la douceur éprouvée dans le cur et ensuite disparue, celui qui aime, est plus fortement excité à chercher. La mesure de l'amour donne la mesure de la peine de celui qui ne trouve pas. Si quelqu'un a jamais éprouvé ce sentiment d'affection ou de désir, il peut soupçonner, par sa propre expérience, avec quelle plainte de cur l'épouse a dit : « Je ne l'ai pas trouvé. » Nulle part la consolation, nulle part le rafraîchissement, mais partout la tribulation et la douleur, tant que je n'ai pas trouvé celui que j'aime avec ardeur et que je cherche avec insistance. Vous m'avez rendue, je ne dis pas comme ennemie (Job VII, 20.) mais comme étrangère pour vous, et je me suis devenue à charge à moi-même. Oui, entièrement à charge, je m'ennuie de la vie; voir la lumière du jour m'est pénible, puisque la lumière de mes yeux n'est pas avec moi. Où trouver la consolation si, vous absent, je porte le trouble au-dedans de moi?« Mon cur s'est troublé, ma force n'a abandonnée, et la lumière de mes yeux et le même bien n'est plus avec moi. » (Ps. XXXVII, 11.) Trois biens sont partis avec vous, la force, la vérité, et l'identité. Comment la force se trouvera-t-elle dans le lit de la douleur, la lumière dans la nuit et le même bien dans la division et la séparation? C'est à moi que s'adresse ce reproche du prophète : « Jusques à quand seras-tu dissipée, fille errante? » (Jer. XXXI, 22.) Caïn, depuis qu'il s'éloigna de la face du Seigneur, fut . errant et vagabond. Pour moi, je ne suis pas ainsi errante et vagabondé ; je vous cherche plutôt que je ne fuis, et (pour parler avec plus de liberté) la fuite vous convient mieux. Ne suis-je pas errante, moi, qui de mon lit étroit passe aux extrémités de la ville, courant à travers les placés, les carrefours et les sentinelles. « Qui s'attache au Seigneur, devient un esprit avec lui. (Cor. VI, 17.) Cette imité est douce, et partant dure est la séparation. 2. Comment a été partagée cette identité, comment a été divisée cette union, et comment suis-je revenue à moi n'étant plus que la moitié de moi-même ? Je né me suis pas retirée de vous tout entière. Par le désir je suis portée vers vous, j'en suis éloignée par l'absence : dans ce désir je trouve quelque consolation, mais le supplice du retard la détruit et l'absorbe entièrement. Comment toute consolation ne m'est-elle pas enlevée, quand vous me cachez votre visage? Enfin, comme parle le prophète : « la consolation a disparu des yeux, parce que la division s'est mise entre les a mis. » (Os. XIII, 13.) Elle est cachée pour moi, parce que cette union m'avait été octroyée. Vous n'avez nul besoin de mes biens, mes biens sont vos dons, c'est pourquoi la désolation est mon partage quand' il m'arrive de nie séparer de vous. Vous êtes ma force, la lumière de mes yeux, l'unité parfaite, mon tout. Enfin ma chair et mon cur défaillent, afin que désormais, ni l'affection charnelle, ni le sentiment de mon coeur ne respire en moi, mais que le bien-aimé soit le Dieu de mon coeur et mon partage à toujours. Si je perds cet héritage, je resterai vide et anéantie comme une terre desséchée, comme un vase perdu. Vous qui êtes la plénitude, inondez celle qui a soif de vous et répandez en ce cur vide une partie de votre abondance. Pourquoi lui ménager le torrent de vos richesses? Hélas! qu'il coule rapidement ce torrent dans nos vallons! Il passe vite, mais les délices qu'il m'a causées m'entraînent dans un désir toujours renaissant. Les délices s'en vont, mais en s'en allant, elles laissent le désir après elles. Elles s'enfuient, et le désir tourmente. Plus on a goûté de douceurs, plus le délai qui retarde leur retour est pénible. Est-ce qu'il vous est agréable, Seigneur, de faire souffrir par dé cruels délais une âme malheureuse, et de vous rire des peines de celle qui vous aime et qui vous cherche? Si votre majesté vous éloigne, que votre miséricorde vous incline. Si vous ne vous donnez pas à celle qui vous chérit, ayez pitié de celle qui souffre. Je suis affligée et humiliée avec excès, et rugissant en moi-même dans les gémissements de mon coeur, je ne l'ai point trouvé. Où est maintenant l'abondance de votre tendresse, où l'étendue de vos miséricordes? Longtemps et trop longtemps elles ont été retenues sur moi. Celle que vous aimez, désirant la fin de votre absence, se répand en douleur, et vous vous contenez ? Joseph, ému à la vue de ses frères si mal méritants, ne pouvait se retenir, ses entrailles furent remuées et il leur découvrit avec douceur qui il était. (Gen. XLV, 3.) La tendresse est plus grande envers une épouse qu'envers un frère. Vous m'êtes plus que Joseph. Vous êtes mon frère, vous êtes mon époux. Qui vous donnera à moi, vous mon frère. Je m'emploie toute à vous chercher, et vous, mon époux et mon frère, vous me tenez en suspens! vous me serez donc inférieur en amour, vous qui m'êtes supérieur en majesté. L'amour et l'humilité se répondent mieux que l'amour et la majesté. Oubliez un peu votre majesté, pour vous rappeler votre miséricorde, tout mon désir est en vous. Pourquoi n'est-il pas devant vos yeux? Vous dissimulez, vous retardez, vous détournez de moi votre visage et je suis troublée. C'est pourquoi je me plains, et je crie : «Je ne l'ai pas trouvé. » 3. Heureuse condition, quand il m'aura été donné de dire : « mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui. n Maintenant je suis à lui, mais il ne s'est pas « encore tourné vers moi. » Changement amer pour l'âme aimante! C'est pour cela que j'emploie une parole différente « Je ne l'ai pas trouvé. Tout à son temps, et revient sous le soleil à son moment. Quand donc viendra-t-il que toutes choses persistent avec le soleil, et, avant les variations de la lune, qu'elles restent dans l'éternité et ne s'écoulent plus avec le temps? Maintenant tout a son temps et peut-être léternité elle-même a-t-elle son temps. On parle en effet de temps éternels. En eux-mêmes ces temps sont éternels, mais par rapport à nous ils sont disposés dans une mesure qui leur est propre. Tout a son temps; il y a le temps d'embrasser et le temps de s'arracher aux baisers. Quel temps sera plus propre aux embrassements que les heures de la nuit? Lequel y sera le plus propre, ou le lit comme lieu, ou la nuit comme temps! votre place est dans la paix, c'est pourquoi je vous ai préparé des moments de repos, et dans mon cur j'ai disposé la couche de la paix. Que mon bien-aimé vienne : que viennent mes délices, et qu'il se repose dans son lit. Vous différez peut-être à dessein votre arrivée, mais l'amour, dans son impatience, ne se console point par ce motif. Je sais que cette joie m'est réservée à son heure, mais l'amour ne s'allègue pas, pour se calmer, la brièveté du temps. Vous différez, mais je n'y tiens plus, je me lèverai et parcourrai la cité. Je méprise ma couche, j'abandonne le commencement de ma conversation pour m'élever à des régions plus parfaites. 4. Car, bien que je sois l'épouse, et parfaite selon qu'il est possible à la nature humaine, je crois n'avoir atteint qu'un faible commencement, début auquel se rapporte cette parole « Je me lèverai, je parcourrai la cité, je chercherai à travers les rues et les places (Cant. III, 2.) O bon Jésus, comment se fait-il qu'on ne vous trouve pas quelque part, vous qu'on croit présent partout? A la vérité, il y a plusieurs demeures dans la maison de votre Père, mais est-ce que vous en quittez quelques-unes pour passer à d'autres, vous qui êtes immense et infini? Dans tous les êtres vous êtes présent, les créant et les contenant. Mais aucune créature ne peut exprimer votre infinité, quoiqu'il ne s'en trouve aucune qui ne puisse, en partie, montrer votre puissance. Par votre, existence vous êtes tout entier en tout lieu, mais par votre influence vous n'êtes pas également en chaque être. Car encore que vous réaliseriez partout l'acte de tout votre être, cependant vous n'opérez point partout, vous n'agissez même jamais selon toute votre puissance. Avec une facilité égale, vous produisez de petites choses dans les êtres petits et de grandes dans les grands. Partant, quand votre vertu opère en tout lieu, selon toute son étendue, jamais pourtant elle ne se développe en toute sa plénitude, parce que lorsque vous le voulez, vous pouvez faire encore davantage; elle n'est pas exprimée dans son infinité, parce que l'image ne peut jamais représenter parfaitement la vérité. Toutes les créatures peuvent me donner votre connaissance, mais toutes ne peuvent pas m'enflammer au-dedans à la dévotion. Je vous rencontre partout, mais partout, je ne sens pas la componction. Partout je vous trouve prêché par l'apparence, l'ordre et l'usage des créatures, mais ce n'est pas là le Verbe sagesse, pas le Verbe salut. Ce Verbe sagesse et salut, ce Christ Jésus, il se trouve seulement dans la cité de notre Dieu et sur sa montagne sainte. C'est pourquoi « je me lèverai, je parcourrai la cité. Levez-vous, s'écrie Saint Paul, levez-vous, vous qui dormez, sortez des ombres de la mort, et le Christ, vous éclairera. » (Eph. V, 14.) Je me lèverai, quittant des oeuvres mortes ou des moeurs mauvaises, et passant des bonnes aux meilleures, des moeurs aux mystères, des secrets mystérieux, aux réalités manifestes, des sentiments sereins aux émotions suaves. « Je me lèverai et parcourrai cette cité » dont il est dit : « Le Seigneur est trop grand et trop digne de louanges, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte (I. Par. XVI, 25, et Ps. XLVIII). Qu'il se lève donc, celui qui veut, avec Marie, gravir les montagnes. Et le fils prodigue s'écrie, rentré en lui-même : « Je me lèverai, et j'irai à mon père. (Luc. XV, 10.) Il dit prudemment : « Je me lèverai, » étant sur le point d'aller vers le père qui est aux cieux. Mais l'espérance qu'il avait conçue dans son coeur était trop faible, trop médiocre, lorsqu'il se proposait de demander à son père de le mettre au rang des mercenaires. Sentiment de modestie si l'on considère ses mérites, mais trop humble et injurieux à l'abondance de la commisération de son père; marque d'un esprit affamé et dévoré de misère. « Je lui dirai, poursuit-il, Père, faites de moi comme l'un de vos mercenaires. » Il ne pouvait élever à de plus hautes prétentions son espérance amaigrie et affaiblie. « Je me lèverai et j'irai à mon père. » Il ne s'inquiète pas de le rechercher; ce qui l'occupe, c'est de le fléchir. L'épouse, certaine des bonnes grâces de l'époux, ne demande que sa présence. « Je me lèverai, » dit elle, « je parcourrai la ville et je chercherai celui que mon coeur aime, » croyant qu'il suffit de le trouver. 5. Voyez si on ne peut établir ici cette distinction : l'indulgence du père est préparée et offerte à tous les hommes; mais les délices qu'elle fait goûter sont passagères et cachées, et se plaisent à demeurer secrètes. C'est pourquoi l'enfant prodigue, dit : « Je me lèverai et j'irai. » L'épouse : « Je me lèverai et je chercherai. » Enfin, le père se porte à la rencontre du fils pénitent, l'époux se cache à l'épouse qui le recherche. La miséricorde se répand davantage, la délectation est plus sobre. Ce n'est pas mal-à-propos que l'un et l'autre disent : « Je me lèverai. » Saint Paul ne vous permet de chercher les choses d'en haut que si vous êtes ressuscité. Vous ne pouvez goûter ces biens supérieurs, si, au préalable, vous ne les avez cherchés. (Cor. III.) Mais qu'est-ce que les trouver si ce n'est les sentir, comme par un goût d'expérience et de douceur? C'est pour cela que l'épouse court partout et scrute tout, pour goûter quelque part ce qu'elle aime. « Je me lèverai, » dit-elle, « je parcourrai la ville, je chercherai dans les carrefours et les places celui que mon coeur aime. » Le saint amour prend beaucoup de confiance. Combien pensez-vous qu'aimait celle qui entreprenait de si grandes courses: «Je me lèverai et je parcourrai la ville. » Nul hypocrite ne sera admis en votre présence, Seigneur. Adam se cacha, depuis qu'il eut perdu l'assurance d'une bonne conscience, et il gémit d'être découvert, lui qui plutôt aurait dû chercher. (Gen. III, 8.) Celui qui feint d'aimer, fuit votre présence : celle qui est épouse, qui est enrichie du don de la charité, poursuit l'époux même lorsqu'il s'échappe. Où irez-vous, ô bon Jésus, en présence de ce violent désir? Si vous montez au ciel, il y est; si vous descendez aux abîmes, il s'y trouve. Cette chercheuse curieuse et empressée, vous suit partout, et parcourant successivement tous les degrés de vos oeuvres, ce qu'elle saisit par la foi, elle s'efforce de le transformer en affection et de répondre par sa dévotion à votre admirable majesté. Elle emploie tous les textes des évangiles à exciter son amour, afin qu'y trouvant la vérité, elle y sente aussi la vertu, cette vertu qui n'est autre que son époux, Seigneur Jésus-Christ. qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Amen.
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