SERMON XXVI
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SERMON XXVI. Votre cou est comme la tour de David, bâtie avec des contre-forts. Mille boucliers y sont suspendus, etc. (Cant. IV, 4.)

 

1. C'est maintenant de la force que va parler le bien-aimé en s'adressant à l'épouse et en s'entretenant d'elle ; il a déjà parlé de choses délicates dans les passages précédents, où il dit : « Votre cou est comme une parure de diamants. » Vous trouvez quelque chose de pareil dans le Psaume . « Le Seigneur a revêtu la beauté, il s'est entouré de force. » (Ps. XCII, 1.) Ce sont là de bons vêtements: le premier orne, le second arme. On a placé en premier lieu celui qui paraît mieux appartenir à l'épouse. Maintenant on tourne les yeux vers ce qui sent la force. La vertu de force est d'autant plus précieuse dans l'épouse, qu'elle est plus rare dans son sexe. Elle est bien rare : « Qui, en effet, trouvera une femme forte ? » (Prov. XXXII, 10.) Et si on peut en trouver, vous, ô bon Jésus, vous n'en rencontrez pas qui soit telle, mais plutôt vous la prévenez afin de la rendre forte. Cette tour ne se bâtit pas elle-même, celui-là l'élève, sans lequel travaillent vainement ceux qui l'édifient. Et remarquez combien il veut qu'on la croie forte, puisqu'il la compare à la tour de David. « Votre cou, dit-il, est comme la tour de David. » Ne croyez pas qu'il y ait dans ce cou de la dureté et de l'inflexibilité. Ce ne serait pas là un sujet de louange, ce serait un défaut qui appellerait la malédiction. « Maudite soit leur fureur, dit l'Écriture, parce qu'elle est entêtée, et leur obstination, parce qu'elle est dure. Votre tête est comme un nerf de fer. » (Is. XLVIII, 4.) Ces paroles ont été proférées, non comme éloge, mais comme condamnation. L'opiniâtreté obstinée prend les dehors menteurs de la liberté; c'est ce que je trouve dans ces paroles : « Votre cou est semblable à la tour de David. » Tête tout-à-fait libre, ignorant complètement la servitude, élevée et fortifiée absolument comme la, tour de David. Je ne pense pas que jamais ce cou soit fléchi sous le poids de quelque servitude abjecte. Un joug pesant est sur les fils d'Adam depuis le jour de leur naissance (Eccl. XL, 1.) ; mais l'épouse ne parait plus être une des filles d'Adam. Elle a échangé sa vieille naissance dans la nouveauté de sa régénération; elle ne tonnait plus l'Adam charnel, depuis qu'elle est venue à Jésus-Christ :depuis qu'elle s'est attachée à lui, elle est devenue un seul esprit avec lui. Aussi, elle est libre, parce que là où est l'esprit du Seigneur, là est la liberté, la liberté par laquelle le Christ nous a affranchis . liberté octroyée, non innée.    Car, depuis leur naissance, les enfants d'Adam portent, sur leurs épaules, un joug très-lourd. Oui, très-lourd; depuis dix-huit ans, il pesait sur cette femme de l'Évangile et ne lui permettait pas de regarder en haut, bien différente de celle-ci qui éleva sa tête vers le ciel, semblable à une tour.

2. Joug très-lourd, que le genre humain tout entier, représenté par cette femme courbée, n'avait jamais pu secouer. Il ne pouvait le déposer, et il entassait iniquité sur iniquité, infirmité sur infirmité, et l'une et l'autre sur l'autre; il était fécond, mais de la plus triste fécondité. Voulez-vous entendre celui qui plaçait joug sur joug? Écoutez comment s'excuse l'un de ceux qui avaient été invités au souper dont parle le texte évangélique : « J'ai acheté cinq jougs de boeufs. (Luc. X. 19.) O âme insensée, à la tête si faible, au cou si brisé ! Vous portez le joug que vous a imposé une naissance corrompue, et vous en achetez plusieurs autres ? Vous n'avez pas besoin d'obtenir, à prix d'argent, ce qui vient gratuitement par la naissance. Vous en achetez d'autres, et ne pouvez tirer votre tête de celui qui vous presse ? « J'ai acheté, dites-vous, cinq jougs de boeufs, » et le seul qui est si pesant et si commun, vous ne pouvez point le secouer. Vous n'avez pas le moyen de vous racheter. Vous ne savez pas combien est lourd ce joug qui vous tient? Il ne peut être enlevé que par le sang de Jésus-Christ. Vous avez des richesses pour en acheter plusieurs, vous n'en avez pas pour vous délivrer de celui-ci. O misérables richesses que les vôtres! Vous êtes assez riche, non pour adoucir, mais pour multiplier les liens de votre cou et aggraver vos chaînes. Contentez-vous de ce joug pesant qui vous écrase. Ce joug, si vous ne le savez pas, c'est une sorte de nécessité de pécher, et une impuissance pour se relever après la chute. C'est la difficulté pour faire le bien et l'avidité pour le mal. C'est l'iniquité qui vous astreint à subir le châtiment, et l'infirmité qui vous entraîne au vice. Ces maux viennent de votre naissance; ils sont originels en vous, et vous ajoutez volontairement à ces charges ? Quand, pressé par la curiosité de vos cinq sens, vous vous portez vers les apparences extérieures, vous excitez la flamme intérieure de la concupiscence, flamme que rien ne peut éteindre que le sang de Jésus-Christ. Quand elle est seule, la concupiscence brûle; mais si elle trouve au dehors une matière, elle devient furieuse. Double désagrément : corruption de la nature, et curiosité qui va chercher au-dehors de quoi alimenter le feu de la concupiscence. Double malheur, son propre entraînement et les attaques de l'ennemi. Double infortune, la flamme de la concupiscence et le souffle de celui qui l'excite.

3. « J'ai acheté, dit-il, cinq jougs de bœufs. » De boeufs, c'est bien dit; car le travail de la curiosité altère les esprits abrutis. Si vous désirez un joug, vous n'avez pas besoin d'en acheter. Prenez sur vous le joug de Jésus-Christ, joug gratuit, joug agréable, qui ne pèse pas. Mon joug, dit-il lui-même, est suave et mon fardeau, léger. (Matth. XI, 29.) Ce n'est pas un joug de boeuf, car il est raisonnable; c'est un joug qui ne cause pas de fatigue : il apporte le repos. Et voyez pourquoi il appelle ce joug léger. Le premier est lourd, celui qui pèse sur les fils d'Adam depuis le jour de leur naissance jusqu'à celui de leur mort. Mais de quelle mort ? Assurément de celle dont vous lisez ce témoignage : « Vous êtes mort, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. (Col. III, 3.) Bonne mort, qui détruit la vieille naissance et apporte la nouvelle. Heureuse mort, qui absorbe la servitude et enfante la liberté. Ceux qui sont issus de cette nativité sont libres. Excellent résultat ! En dépouillant le vieil Adam, nous déposons en même temps un joug pesant. Ce terme, mis à notre vie charnelle, rompt le joug de notre captivité : il ne peut plus nous accabler, mais il se pourrit en présence de l'huile, depuis que nous recevons un autre nom, depuis que sur nous a été invoqué le nom du second Adam, nom semblable à une huile répandue. Voulez-vous apprendre comment ce double joug se rompt et se pourrit? « C'est le Seigneur qui est propice à toutes vos iniquités et qui guérit toutes vos infirmités. (Ps. CII, 3.) L'iniquité est remise entièrement et d'un coup. Le joug est rompu, l'infirmité est aussi guérie, et le joug se pourrit. Ce qui se pourrit se détériore lentement, ne tombe pas en un instant. La résolution prise par la volonté peut être coupée et comme rompue mais une passion invétérée ne cède pas tout de suite; il faut plutôt l'oublier peu à peu. Et quand la grâce enlève l'impossibilité où l'on se trouvait de faire son salut, alors le joug de la captivité est comme rompu. Et lorsque la difficulté, qui subsiste encore pour faire le bien est guérie peu à peu, ce joug paraît se pourrir. Il se pourrira, dit le texte, pour donner à entendre qu'il ne sera pas consumé tout d'un coup, mais que la pourriture, à la longue, en aura enfin raison. Ce qui se pourrit se corrompt certainement. Comment n'est-il pas libre, celui dont le joug est rompu d'un coup, ou se consume peu à peu ? Un joug et un lien pourris sont privés, l'un et l'autre, de leur usage. Ils ne peuvent lourdement peser ni puissamment serrer. Heureux, entièrement heureux celui dont les liens se sont corrompus et ne peuvent plus servir; heureux celui dont l'huile a fait corrompre et consumer les chaînes?

4. Mais vous direz: vous parliez du cou de l'épouse, pourquoi parler si longtemps du joug? Quel rapport entre le joug et le cou? Plût à Dieu qu'il n'y en eût aucun. Maintenant il y a une grande plaie. Pourquoi le joug est-il fait, sinon pour le cou? non pour le cou de l'épouse, car déjà les liens de son cou ont été brisés, et elle ne sait pas être retenue par le joug de la servitude. « Votre cou est comme la tour de David.» Cette parole montre son excessive liberté, sa liberté dégagée de toute pression, non point nue, mais mélangée d'un élément de force. La tour est non seulement un monument élevé, mais aussi un monument fortifié contre l'ennemi. La liberté est rendue, mais la sécurité ne vous est pas encore promise. Le lien de la captivité est rompu. L'ennemi cherche à rentrer d'un autre côté : il a perdu son droit, il n'a pas renoncé à l'espoir de le reprendre, ni surtout à l'audace de le poursuivre. Vous êtes devenu libre, à vous désormais la charge de défendre votre liberté. N'exposez pas à un joug humiliant, ce cou que l'époux a honoré de ses baisers. Quand le prodigue revint, son père se jeta à son cou. (Luc. XV, 20.) Doux fardeau, joug suave, qu'il ne mérita pas de sentir et de soutenir jusqu'à ce que, d'abord rentré en lui-même, il quitta sa condition de mercenaire, et revint ainsi vers l'auteur de ses jours. Votre tête est élevée : soyez fort comme la tour de David, pour que vous puissiez dire : a c'est pour vous que je conserverai ma force. » (Psalm. LVIII, 10) Le vrai David, le vrai Salomon, c'est le Christ, qui est la force de la sagesse de Dieu. Vous êtes sa tour si vous n'avez, de vous-même, des sentiments bas et faibles : mais si la sublimité de la vertu de Dieu s'y fait sentir, elle ne vient pas de vous. Il est une tour, mais il n'est point la tour de David, ou plutôt il est une tour contre David, celui qui, enflé par le sens de la chair, se met en opposition avec la science de Dieu. Voilà le cou superbe : mais la sagesse foule aux pieds le cou des orgueilleux et elle exalte la tête des humbles. C'est l'humilité qui fournit les fonds nécessaires pour édifier la tour évangélique. (Luc. XIV. 28.) Il ne faut pas craindre que les facilités manquent à l'épouse, elle peut puiser abondamment dans les trésors de l'époux. « Apprenez de moi, » dit-il, «que je suis doux et humble de coeur. » (Matth. XI, 29.) Vous ne comprenez pas encore comment l'humilité donne les moyens d'élever la tour? « Qui s'humilie, » dit le Sauveur, « sera exalté. (Luc. XVIII, 14.) Et c'est avec raison que dans le passage précédent, on a fait allusion, à mots couverts, à l'humilité, quand on a parlé de ce qu'il y a de caché dans l'épouse, parce que la belle apparence de l'humilité consiste excellemment à cacher les louanges de ses mérites. Si dans l'un de ces endroits il a été question d'humilité, il est juste que, dans celui-ci, on parle d'élévation. Une tour fondée sur l'humilité ne peut longtemps être cachée.

5. «Votre cou est comme la tour de David. » Voyez le privilège de l'épouse. L'apôtre saint Pierre nous exhorte à nous bâtir « en maisons spirituelles: » (I Petr. II, 5.) l'épouse s'élève, non-seulement en forme de maison, mais encore en forme de tour. Saint Paul désire que nous soyons édifiés comme «une habitation de Dieu. » (Eph. II, 22.) Mais l'épouse, non contente d'être une tour, ajoute encore des contreforts à sa construction, afin que son séjour y soit élevé et plus assuré. C'est peut-être de l'une de ces tours qu'il est dit « que la paix soit dans votre force et que l'abondance règne dans vos tours. » (Psabn. CXXI, 7.) Il convient tout-à-fait que l'abondance ne fasse pas défaut dans la tour. C'est une rude et double nécessité, que d'avoir à soutenir le siège au dehors, et à supporter la famine au-dedans. De quoi sert d'avoir toutes ses avenues fermées et fortifiées, si au-dedans, le cruel ennemi de la faim contriste tous les cœurs? Le dégoût, est une mauvaise faim. Les portes sont fermées, les ouvertures du dehors sont défendues, si la mort n'entre point par les fenêtres de nos sens, si l'expérience de nos organes révoltés ne laisse introduire du dehors aucune matière qui puisse enflammer le mal. Si vous rejetez l'avarice de la calomnie, si vous bouchez les oreilles pour n'entendre point le sang, si vous fermez les yeux pour ne pas voir le mal, dès lors vous êtes fermé, vous habitez sur les hauteurs, et votre élévation présente la force des rochers. Est-ce assez? De quoi sert une élévation fortifiée avec tant de solidité, si la famine, si le cruel dégoût ravagent l'intérieur? A quoi bon la dureté des rochers, et les cimes inaccessibles, s'il n'y a pas de pain et si les eaux ne sont pas fidèles? La protection est bonne, mais là où ne manque point la réfection. La défense que donnent les rochers est utile, pourvu que de leur rudesse on puisse tirer et le miel et l'huile. Car la rudesse des observances régulières, et la pierre de la discipline, donnent souvent de larges ruisseaux d'huile, et la rigueur de l'ordre, semblable à celle de la pierre, fait sentir à l'âme la douceur de la dévotion. Enfin vous lisez : « que la paix se fasse en votre force, et que l'abondance règne dans vos tours,» ô Jérusalem, mais «l'abondance pour ceux qui vous chérissent.» Celui qui ne vous aime point, encore qu'il soit dedans, est en proie à la faim. Comment le besoin se ferait-il sentir dans cette tour spirituelle, dans la tour de David, dans le cou de l'épouse, en lequel par un mouvement incessant s'attire et se refoule l'esprit vital, par le moyen duquel, retentit la parole sacrée, et s'échappe le souffle de la voix? Comment la faim se ferait-elle sentir dans le cou qui livre passage à l'abondance de la suavité, et à la parole excellente qui s'échappe de la liberté du cœur? Le cou semble être un trait-d'union, et comme la glu qui unit le cœur à la bouche, le corps à la tête, et chacun d'eux à l'autre. Le cou est un lien et un canal. Quel sera ce lien, sinon la charité qui unit le corps à la tête, et l’Eglise au Christ? Quel est le chemin de l'esprit, sinon la charité? Elle est la voie plus excellente, bien mieux, elle est cet esprit qui va et qui vient et retourne à son origine; rentrant au point d'où il est sorti. C'est de cette vertu que dépendent la loi et les prophètes.

6. C'est pourquoi « mille boucliers y sont suspendus. » Toute parole du Seigneur est, en effet, un bouclier de fer, et les contreforts eux-mêmes se rapportent à cette parole. Dans la suite du texte l'époux dit « Si c'est un mur, bâtissons sur lui des contreforts d'argent. » Les contreforts d'ordinaire sont de la même matière que la tour et font masse avec elle. Et remarquez comment la charité porte, avec elle, des contreforts qui ont avec elle une même substance et un même corps. Voyez comme elle aune sollicitude innée, une prudence, une précaution vigilante pour éviter ou détruire les machines et les attaques de l'ennemi. Les contreforts ont un côté fermé et un côté ouvert. Par celui-ci on découvre les attaques, par celui-là on résiste aux assauts. L'un surveille, l'autre protège. La charité est bâtie avec des contreforts de ce genre, parce qu'elle porte innée une prudence aussi vigoureuse qu'habile. Elle est à elle-même une puissante défense. La charité est forte comme une tour. Elle sait les occasions d'épreuves, elle sait fuir quand il le faut, et si elle ne peut fuir, elle sait supporter avec courage les attaques; et quoiqu'elle paraisse avoir tant de force, elle ne refuse pourtant pas les secours étrangers. Fortifiée parses contreforts, elle prend aussi les boucliers. Le bon bouclier, c'est l'ordre dans la conduite et la règle qu'ont enseignée les hommes. Bien que celle-ci ne soit pas nécessaire à la charité, elle n'est pas considérée néanmoins comme superflue, ni comme onéreuse. La charité est spirituelle : elle n'a pas besoin de loi, elle ne la dédaigne pourtant pas, mais elle s'en sert selon l'ordre, la regardant comme une protection, et non comme une oppression. C'est encore un bon bouclier que la méditation de la parole sacrée. Car tout discours du Seigneur est un bouclier de feu. (Prov. XXX, 5.)

7. La charité n'est pas contente des méditations spirituelles qu'elle produit : et bien qu'elle soit la loi même du Seigneur, elle réfléchit sur les formules de la loi, elle en prend pour son usage les témoignages, elle s'en couvre et s'en protège comme d'un multiple bouclier. Et encore qu'elle ait au-dedans le grand témoignage de l'esprit, elle tire, de la lettre sacrée, des protections assurées. Bonne protection que l'expérience de la charité suggère ou que donne la science du texte sacré. Saint Paul, dans l'une de ses épîtres, vous dépeint les contreforts de la charité. « La charité, » dit-il, « est patiente, elle est bénigne. » (II Cor. XIII, 4.) Parcourez tout ce chapitre relatif à cette admirable vertu ; est-ce qu'il ne vous semble pas apercevoir autant de contreforts qu'il énumère de grâces distinctes? «Elle n'est pas jalouse, elle n'agit pas à la légère, elle ne s'enfle pas, elle n'est pas ambitieuse; elle ne cherche pas ses intérêts, elle ne se réjouit pas de l'iniquité, elle se réjouit de la vérité, » et le reste, jusqu'à ce mot « elle ne meurt pas. » Voyez-vous de combien de contreforts cette tour est fortifiée? Est-ce que tout cela ne vous semble pas faire corps avec elle, et s'élever comme de son propre fondement? Et cependant, ces sentiments que la charité produit comme naturellement, la doctrine les dirige, la discipline les règle, l'exercice les développe; et le bien, qui a son origine dans la charité, l'ordre établi en cette maison par ceux qui ont de l'expérience, l'entretient pour qu'il ne défaille pas, ou l'excite pour qu'il augmente; voilà pourquoi, non contente de l'inspiration qui vient du dedans, la charité met de toutes parts sous les yeux de la mémoire, comme des boucliers, les prescriptions de l'Ecriture sainte. Considérez l'époux lui-même, qui est comme un médiateur et un arbitre entre les hommes et Dieu, comme un cou placé entre!le corps et la tête, comme une tour de défense en présence de l'ennemi. Regardez cet homme-Dieu qui avait la science propre en si grande abondance, voyez comment il prit les boucliers de l'Ecriture et eut recours à son autorité afin de repousser, par l'arme de la vérité, les embûches de l'interprète malin.

8. Vous aussi, si vous êtes un médiateur et un arbitre entre les hommes et Dieu, les réunissant comme le cou unit le corps et la tête, que mille boucliers pendent chez vous, les boucliers divers de la parole sacrée. Que l'autorité sainte soit toujours à votre disposition, employez-la en toute rencontre, non-seulement suffisamment pour vous, mais encore, et avec abondance, pour les autres. Soyez prêt à rendre raison, à qui vous la demandera, de la foi et de l'espérance qui sont en vous. (I Petr. III, 15.) Il semble vous demander raison de votre foi, celui qui s'efforce d'inculquer des vérités qui lui sont contraires et qui l'attaque ouvertement. A votre cou est donc suspendu un bouclier solide, si vous êtes muni du bouclier de la foi, le bouclier de la vérité, le bouclier de la bonne volonté et le bouclier de la parole divine. Vous trouvez tous ces boucliers dans les Ecritures. Mais si vous êtes élevé en l'air par la charité, comme une tour, dominant comme le cou au dessus du reste du corps par la grâce de la contemplation, approchez-vous de la tête du Seigneur, cachez-vous dans le secret de sa face, dans le cabinet de l'époux, dans le lit nuptial de la vérité : est-ce qu'il ne vous semble pas être alors protégé par un agréable bouclier? Et je ne sais s'il existe de bouclier plus fort pour défendre sûrement, qu'un tel embrassement de l'époux. Il est tout de feu, et aussi il éteint tous les traits enflammés du méchant, et son feu consume le feu. Si le bouclier de la foi éteint ces dards enflammés, combien plus sera mieux protégé par le solide bouclier de la vérité, celui qui est caché dans sa chaleur? Cette chaleur est la fervente méditation de la vérité, elle éteint les suggestions de l'ennemi brûlant d'un mauvais feu, avant qu'elles parviennent à l'esprit. Au sein des embrassements de l'époux, au sein des offices de la charité, l'épouse n'a pas le temps de recevoir les coups du dehors. C'est avec raison qu'un tel bouclier est suspendu au cou de l'épouse, parce que l'amour seul éprouve le charme d'un embrassement si ardent, seul il tonnait des transports si vifs : en faisant adhérer l'âme à Dieu, il fait d'elle, pour un moment, un même esprit avec lui. Heureux le gosier dans lequel réside la parole brûlante du Seigneur, le cou d'où pend gratuitement par ses baisers, comme un bouclier, le Verbe du père, la vérité et la vertu. Est-ce qu'il ne vous semble pas suavement protégé, celui qui est ainsi couronné, celui qui est ainsi entouré de boucliers en avant et en arrière? Fidèle étançon, où sont suspendus des vases de tant d'espèces! Elles se rattachent à juste titre au cou de la charité, parce que cette vertu est une onction qui nous instruit de tout et nous suggère tout, parce qu'en elle les grâces nous sont conférées, parce que toutes se rapportent à elle, et qu'elles sont estimées et prisées à sa mesure. « Mille boucliers y sont suspendus, toute l'armure des forts. » Armure dont saint Paul fait la description complète en son épître aux Ephésiens. (Eph. VI 13.) « Toute l'armure des forts, » c'est-à-dire, de ceux qui aiment. Car « l'amour est fort comme la mort. » (Cant. VIII, 6.) Quoi donc? Il n'y a là que les armes des vaillants, il n'y a pas de mamelles pour les enfants?. Si elle s'élève semblable à une tour, la charité ne condescend pas? Soit que nous soyons ravis en esprit, c'est pour Dieu; soit que nous n'éprouvions pas de transports de ce genre, c'est pour vous. La charité du Christ nous presse. (II. Cor. V, 6).

9. Vous l'avez entendue dans son transport, voulez-vous voir l'épouse tranquille et condescendante? « Vos mamelles » dit l'époux, « sont comme deux petits jumeaux de la chèvre. » Cette épouse est une bonne tour, elle se ferme de tous côtés par la discipline de sa conduite, elle y suspend, en grand nombre, des boucliers tirés de la doctrine des Ecritures et elle s'élève à de grandes hauteurs par les ravissements de la contemplation. Sa continence est forte, sa doctrine fidèle, son extase céleste : cependant son élévation a appris à condescendre, l'abondance de sa doctrine sait se réduire à des proportions restreintes, et sa vigueur se fondre en la douceur d'un lait raisonnable, et l'armure des vaillants se changer en mamelles pour les enfants. Partout la charité du Christ la presse, l'élevant vers le ciel, la tirant par son amour vers la terre, mais ne l'y retenant pas longtemps, car bientôt, de là elle revient avec transport à ses délices ordinaires. C'est pourquoi il est dit «vos mamelles sont comme les jumeaux de la chèvre, » parce que toujours elle considère les montagnes de ses pâturages, parce que sa nourriture, dont elle couvait les douceurs, la fait se tourner et la transporte vers ces lieux fortunés, parce que d'un bond léger elle s'élance vers les lis de son époux, ou suavement rassasiée du suc de ces herbes célestes, elle revient vers ses petits, les mamelles gonflées. Mais ce qu'il y a à dire de ces mamelles, vos oreilles fatiguées peut-être, et l'heure qui s'enfuit, ne permettent pas de le développer présentement. Quand le Seigneur aura accordé à vos prières un repos plus grand, un temps plus libre, alors je ne vous refuserai pas le ministère de ma parole, celui-là nous donnant de chanter ses louanges, qui nous donne de sentir son affection, le Christ Jésus qui, avec le Père et le saint Esprit, vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.

 

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