SERMON IX
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SERMON IX. Je l'ai saisi, je ne le lâcherai pas jusqu'à ce que je l'introduise dans la demeure de ma mère. (Cant. III, 4.)

 

1. « Je l'ai saisi, je ne laisserai pas aller. J'ai voulu rapporter uniquement le sens de ce passage à la félicité future, alors que l'époux se révèlera à sa bien-aimée, dans la plénitude de l'éclat de sa présence, de telle sorte que rien n'en vienne interrompre la perpétuelle vision. Car le mot qui précède : « Quand je les eu dépassés, » peut très-bien s'accorder avec ce texte : « Lorsqu'il aura annulé toute puissance et principauté, afin que Dieu soit toutes choses en tous. » (I Cor. XV, 14.) Car avant ce temps qui peut dire sûrement : « Je ne le laisserai pas aller?» Mais ce sens est contrarié et détruit, et nous sommes contraints d'appliquer cet oracle à la vie présente par les paroles qui suivent : « Jusqu'à ce que je la lasse entrer en la maison de ma mire. » Mettons-nous à considérer avec attention chaque détail. Voyez d'abord combien sont pleines de joie ces expressions : « Je l'ai trouvé, je l'ai saisi, je ne le lâcherai point.» On lit que le grand patriarche Abraham vit le Seigneur. (Gen. XVIII, 1.) On ne lit point qu'il le trouva. Dieu se montra à lui de lui-même à l'entrée de sa tente vers le midi. Sorti de sa demeure, ce saint personnage se porta à sa rencontre, et sous un chêne, il lui rendit empressé, les devoirs de l'hospitalité : mais il ne mérita pas de l'introduire dans sa tente, encore moins dans son lit. Moïse vit aussi le Seigneur qui lui apparaissait en Oreb, mais il ne mérita pas de le saisir, lui qui n'eut pas même la permission de s'en approcher. (Eccl. XIX, et XXXIV.) Jacob le vit pareillement, mais en songe et de loin appuyé sur l'échelle mystérieuse. (Gen. XXVIII. 12.) Car bien qu'il saisit l'Ange, il  ne le retint pas ; dans la lutte , par une sorte de violence, il lui arracha la grâce d'une bénédiction, et il le perdit ensuite de vue. Aussi ne peut-il dire : « Je ne le laisserai pas aller. » Marie Madeleine le trouva, mais il lui fut défendu, je ne dis pas de le tenir, mais même de le toucher, parce qu'elle chercha la vie près d'un tombeau. (Joan. XX, 14.) Il le reçut dans ses bras après l'avoir si longtemps attendu, et si inopinément rencontré, ce saint vieillard Siméon; et joyeux, il chanta son cantique de reconnaissance, mais il n'osa pas dire : « Je ne le laisserai pas aller. »  Il  termine en disant : « Maintenant, Seigneur, vous laisserez voire serviteur s'en aller en paix, selon votre parole. » (Luc. II, 29.) Il est certainement renvoyé en paix celui qui est dégagé et séparé de la chair, au point que désormais le corps ne convoite plus contre l'esprit, et ne regimbe point contre lui. Ce saint vieillard en embrassant le divin nouveau-né, dépose la vieillesse de l'homme ancien, et il demande, ou bien il tressaille, de passer, des souffrances d'un corps corruptible et de la lutte contre la chair, à un état plus tranquille : mais l'épouse a la confiance assurée que l'époux ne sera point séparé d'elle. Et n'est-il pas encore plus agréable de ne pas quitter ce qu'on aime, que d'éviter ce qu'on abhorre?

2. Tous ces bienheureux personnages, bien qu'ils aient vu dans la chair ou dans l'apparence de la chair, marquent les certains degrés de vision ou de compréhension qui se produisent dans les âmes humaines. Ce qui n'a été accordé à aucun d'eux, l'épouse se l'attribue; elle emploie ces paroles que nous essayons d'expliquer. « Je l'ai trouvé, je l'ai saisi, je ne le quitterai pas; je l'ai trouvé, « par mon désir; « je l'ai tenu, » par les efforts de ma mémoire; je ne « le quitterai pas, » car je continuerai sans relâche de penser à lui : « Je l'ai saisi. » Et vous, quand vous aurez trouvé le Christ, la sagesse, la justice, la sainteté, la rédemption, (car Jésus-Christ a été tout cela pour nous,) quand vous aurez rencontré tous ces biens, gardez-les en toute affection, retenez-les en toute application. Ce que votre intelligence a découvert, gardez-le avec soin, retenez (pour ainsi dire) ces vertus qui veulent s'échapper, ces apparences qui fuient, étreignez-les par un effort plus pressé, jusqu'à ce que par un heureux retour, elles s'attachent à vous d'elles-mêmes, vous embrassent spontanément, vous tiennent sans fatigue de votre part et ne vous laissent pas aller loin ou absenter longtemps. Que si parfois vous descendez aux occupations qu'impose la nécessité humaine. qu'elles vous suivent dans ces détails, qu'elles vous rappellent et vous enlèvent vers elles-mêmes, afin que si elles ne peuvent avoir toujours votre application, elles aient du moins votre affection toujours consacrée à elles. Car il me paraît y avoir une certaine différence entre ces deux sentiments, ou si vous tenez le Christ force et sagesse de Dieu, ou si vous êtes tenu par lui. « Aimez la sagesse, » dit l'écriture, « et elle vous embrassera. » (Prov. IV, 6.) Il est écrit de plusieurs que l'orgueil « les a possédés. » (Psalm. XXII. 6.) Qu'est-ce à dire les a possédés, sinon les a enlacés, les a liés, et les a serrés par le lieu indissoluble d'une coutume invétérée? C'est ce qu'indique le reste du passage : « Ils ont été couverts de leur iniquité et de leur impiété, tellement qu'ils ne peuvent s'en délivrer ou s'en débarrasser facilement. Et pour dire quelque chose de plus, ils sont enveloppés et serrés par la mauvaise habitude de leurs vices comme d'une sorte de peau, au point que cesser et perdre cette coutume ne serait pas tant se dépouiller que d'être écorché. C'est pour le donner à entendre, que peut-être la loi ordonnait que la peau de la victime fût enlevée. (Lev. 1, 6.)

3. Car dans l'endroit où il est ordonné que le prêtre soit revêtu d'un étroit vêtement de lin, Dieu veut que vous soyez ceint plus étroitement de l'habit de cette vérité qui est sortie de la terre, afin que, d'elles-mêmes, les vertus de chasteté, de pureté et d'innocence s'attachent et se collent à vous : la loi veut que tous les vêtements du prêtre soient attachés et liés à sa personne par des chaînes, des ceintures ou des bandelettes, afin que lorsque vous revêtirez notre Seigneur Jésus-Christ, alors vous revêtiez aussi les entrailles de la miséricorde, la bonté, la charité et les autres vertus que vous trouvez énumérées dans l'apôtre. (Col. III, 12.) Alors vous vous revêtirez dans la mémoire de la foi du Christ et vous mettrez au fond de vos entrailles l'amour de la contemplation de la vérité, et que tous ces sentiments s'adaptent, s'ajustent et se lient à vous; que rien ne puisse s'éloigner ou flotter et être agité comme une feuille par le vent de la tentation ou de la dissipation. Qui est couvert de ce vêtement de vertu au point qu'il semble être devenu pour lui une seconde nature, je prononce de lui qu'il ne tient pas, mais plutôt c'est lui qui est tenu. « Vous avez tenu ma main droite, dit le Psaume, « et vous m'avez conduit par votre volonté. » (Psalm. LXXII, 24.) « Vous m'avez tenu, » pour que je ne décline pas vers les défauts; « vous m'avez conduit » vers un progrès multiple. « C'est dans votre volonté, que vous m'avez dirigé, » c'est-à-dire, dans la volonté, qui est de vous et qui est selon vous. Dans la volonté qui tire plutôt qu'elle n'est traînée. Car parfois nous nous efforçons avec beaucoup de travail, d'attirer la bonne volonté et nous la poursuivons, fuyant devant nous, bien plutôt que nous ne marchons sous sa conduite. Voici ce qu'on lit : « J'ai désiré de vouloir. » Une telle volonté est bonne, mais-elle ne plait pas encore. Elle est juste, elle n'est point encore agréable. « Vous m'avez conduit dans votre volonté. » Dans celle qui consiste dans le goût délectable du bien lui-même : qui ne se base pas tant (pour employer ce terme), sur un motif de paresse que sur la jouissance du bien lui-même.

4. « Je l'ai saisi, je ne l'abandonnerai point, jusqu'à ce que je l'introduise dans la demeure de ma mère et dans le lit de celle qui m'a donné le jour. » Le sens eût été beaucoup plus facile, si l'épouse s'était exprimée de la sorte : Je ne le quitterai point, lorsque je l'aurai fait entrer en la maison de manière, de ma mère qui est là-haut, la Jérusalem céleste qui est la mère de tous les hommes. Car, avant ce moment, tout est incertain ici-bas, tout flotte entre l'espérance et la crainte, tout dépend d'un point vacillant. Et quelle sera la certitude que l'on aura la grâce, quand la nature est variable? Le Psalmiste s'écrie aussi : « J'ai dit, dans mon abondance, je ne serai jamais ébranlé. Vous avec détourné votre visage de moi, et j'ai été troublé. » (Ps. XXIX, 7.) Ne  vous semble-t-il pas, que le Psalmiste et l'épouse ont éprouvé les mêmes sentiments? Cette parole . « Je ne serai jamais ébranlé,» a-t-elle un autre sens que celui-ci : « Je ne le laisserai pas fuir? » Il y a ici un présomption manifeste, car le châtiment est tout près. « Vous avez détourné votre face de moi, et j'ai été bouleversé. » Comme donc, en cette chair, la chute est facile, la tentation fréquente, l'accident prompt, le travail assuré, comment ne pas trouver de la présomption et une dévotion trop empressée dans ces expressions de l'épouse : « Je ne le laisserai point partir? » Qui, en effet, pourra ici-bas rester, dans le même état, surtout quand il est question, d'une contemplation fort subtile, que peut toucher à peine, un regard très-léger de l'esprit? Peut-être ces paroles indiquent-elles, non la sécurité, mais l'inquiétude. Il ne peut y avoir de certitude, jusqu'à ce que l'épouse aura fait entrer le bien-aimé dans le lieu qu'habite sa mère et dans le séjour de celle qui l'a enfanté. Il n'y aura pas alors de sollicitude pour le retenir, parce qu'on aura l'assurance de rester dans cet état de félicité : sans travail de notre part, sans effort de discipline, nous arriverons spontanément bien plus, du dedans couleront comme d'une source inépuisable des fleuves d'eau vive et de délectation toujours renaissante. Il ne sera pas nécessaire alors de creuser profondément; il n'y aura pas à subir la fatigue ou de curer les puits comblés par les Philistins, ou de les défendre pour qu'ils ne soient pas comblés. Ce travail est prescrit ici-bas, parce que, dans la patrie, il se trouve banni. Donc, quand elle dit : « Je ne le laisserai point partir, » elle semble promettre, de s'appliquer à faire diligence, à être toujours inquiète, jusqu'à ce qu'elle puisse être pleinement rassurée que son bien-aimé ne la quittera pas dans la suite, le Seigneur Jésus qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

 

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