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SERMON XV. Quelle est celle-ci qui s'élève à travers le désert comme une colonne de fumée d'aromates ? (Cant. III, 6.)
1. « Quelle est celle-ci qui s'élève à travers le désert comme une colonne de fumée d'aromates? » Voyez. mes frères, comme vous l'avez sous les yeux, combien la tranquillité de l'esprit est efficace, pour obtenir l'augmentation de la grâce, quels fruits, la bien-aimée du Christ retire du repos intérieur. Voyez, dis-je, dans quel état elle quitte les embrassements de son époux. Ne me demandez pas en quelle situation elle s'avance, demandez-le plutôt aux compagnons de lépoux. Mais, pour eux aussi, ne sort-elle pas d'une façon nouvelle et insolite, du sein de son bien-aimé? Oui, elle en sort d'une manière tout-à-fait nouvelle? Cette nouveauté excite l'admiration. « Quelle est celle-ci qui monte?» Remarquez le progrès. Dans les passages précédents, elle s'adresse aux gardes et leur demande s'ils ont vu le bien-aimé. Ici, elle se présente aux mêmes gardes sous une apparence admirable et toute nouvelle. Comment ne sortirait-elle pas toute renouvelée des bras de son époux? C'est lui qui dit, parlant de lui-même : « Voici que je rends toutes choses nouvelles. (Ap. XXI. 5.) Même celles qui sont nouvelles, il les renouvelle aussi. Il est un creuset : approchez-en l'or, s'il est pur, il le rend plus pur encore, et le métal luisant tire de la fournaise un éclat plus vif. Le Christ n'est-il pas une fournaise? « Votre parole, » dit le Psalmiste,» est grandement brûlante. » (Psalm. CXVIII. 140.) Eprouvée dans ce creuset, la créature n'en peut sortir que nouvelle et changée dans le Christ en un autre être. Pendant qu'il priait, le visage du Seigneur devint tout autre. (Luc. IX, 19.) Pour vous aussi, priez que son extérieur vous soit tout différent. Car restant le même en lui, il renouvelle tout. Le visage corporel du Seigneur parût différent lorsqu'il pria; il voulut par ce prodige, vous faire voir l'effet de la vertu de la prière de votre âme, c'est elle qui vous change dans l'intérieur, c'est la méditation qui renouvelle et fait passer à l'état d'un homme nouveau. « Pour nous, » dit l'apôtre, « à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image. (II. Cor. III.) C'est-à-dire en celle que nous voyons. (II. Cor. III, 18.) 2. Peut-être l'épouse sort du secret de la contemplation revêtue de l'image de l'époux qu'elle considérait. Elle est tout-à-fait renouvelée. L'étonnement de ses compagnons qui éclate autour d'elle indique assez ce changement : « Quelle est celle-ci qui monte? » Comme si on disait, elle n'est pas comme hier et les jours précédents. Elle ne fait plus le tour dans la ville, elle ne rôde pas dans les rues et les places, devant les gardes. Elle n'erre pas, elle monte en ligne droite. D'où vient en elle un changement si récent? « Quelle est celle-ci qui monte et qui monte à travers le désert? » Elle regarde vraiment comme un désert raide et stérile, tout le siècle présent qu'elle franchit. Et comment l'odeur de ce désert est-elle devenue pour nous l'odeur d'un champ plein, comme si le Seigneur l'avait béni? Combien cette odeur attire d'âmes, et combien en retient-elle qui ne peuvent pas être enlevées? Cette odeur, c'est l'odeur de la mort attirant à la mort. Ce que vous croyez abondance, c'est le vide. « La terre, c'est la soif et l'image de la mort, comme parle le prophète Jérémie (Jerem. II. 6.) La « terre » c'est la « soif. » Elle excite en effet plus qu'elle ne rassasie les cupidités mondaines. Ce que vous croyez plénitude est chose infructueuse ; et s'il s'y trouve quelque fruit, ce fruit est caduc et par ses altérations incessantes, il porte l'image de la mort. Là où vous voyez l'image de la mort, comment pouvez-vous croire sentir l'odeur de la vie? Cest la richesse du Christ qui exhale l'odeur de la vie. C'est lui qui est le champ véritablement plein, le champ fertile, le champ que Dieu le Père a béni. .L'épouse ne connaît point d'autre champ que celui-ci, toute autre région lui est désert et terre d'amertume. 3. «Quelle est celle-ci qui s'élève à travers le désert? » Votre cur -sera assurément un bon désert tant qu'il n'aura pas senti la charrue de l'ennemi : tant que ses pluies ne l'auront pas arrosé, et que ses rosées ne l'auront point rafraîchi, tant que l'ivraie, qu'il sème sur le bon grain, n'y croîtra pas et même n'y renaîtra pas comme dans un sol fécond. Que votre cur soit stérile, qu'il ne germe pas de telles plaintes, qu'il ne reçoive pas de telles semences. « Mon âme, » dit le Psalmiste, « est devant vous comme une terre sans. eau. » (Psalm. CCXLII. 6.) C'est un bon désert qu'une âme de ce genre; c'est encore un excellent désert qu'une chair pure, intacte, qu'une chair non sillonnée par les désirs immondes, qu'une chair ignorant les atteintes de la volupté. Car celui qui sème dans la chair recueillera la corruption. (Gal. VI. 8.) C'est un délicieux désert enfin que le sein d'une vierge. Tel était celui de la bienheureuse et incomparable Vierge, que jamais ne ternit nul mouvement impur, que jamais n'altéra une affection moins droite. Sa chair fut comme une terre déserte, et sans passage et sans eaux, c'est là que le Christ apparut. Elle n'est pas entièrement un désert, la chair qui enfanta le Christ . elle est arrosée, mais par les influences des vertus. Aussi on l'appelle comme le puits des eaux vives qui descendent du Liban avec impétuosité, car l'éclat de la virginale pureté fait rejaillir les grâces spirituelles. Son sein est un jardin fermé par la sévérité de la sainteté virginale, parce que l'ardeur. des désirs charnels n'a pas violé la haie qui protégeait nos intégrité. C'est pourquoi, arrosée de telles eaux elle produit son fruit en son temps. Voulez-vous savoir quel fruit cette terre déserte a produit? Osée vous l'apprend quand il dit : « Le Seigneur amènera du désert un vent brûlant qui desséchera les veines de la mort. » (Os. XIII. 15.) Qui a desséché les veines de la mort, sinon Jésus-Christ' que nous a ouvert le désert d'un sein très-pur? Et il est vraiment un vent délicieux, car le Seigneur Jésus est un souffle devant notre face. On l'a aussi appelé le second Adam établi pour répandre l'esprit de vie. (I Cor. XV, 45.) Sous l'influence de cet esprit, les nuages apostoliques volent dans l'air, ce qui jette Isaïe dans l'admiration. Est-il étonnant qu'on nomme vent, celui que l'écriture appelle nuée? Le Seigneur, dit-elle, « montera sur une nuée légère. » (Is. XIX. 1.) Et par légère, n'entendez pas ici errante et instable; par cette légèreté comprenez la disposition spirituelle, parce qu'un corps incorruptible n'a pas occasionné à l'âme la fatigue d'aucune charge, parce qu'une maison terrestre n'a pas alourdi le sentiment roulant en soi plusieurs pensées ou même les ayant toutes. Ne sont-ils pas comme des vents sacrés, tous les saints qui, échappant aux piéges de la terre, dans leur rapidité spirituelle, placent leur séjour dans le ciel? Il est plus particulièrement comparable au vent, celui qui marche sur l'aile des autres vents et s'élève au-dessus des vertus de tous les esprits. L'écriture lui donne donc à juste titre le nom de vent et de vent brûlant, parce qu'à son souffle, le froid du péché est dissipé en nous et notre captivité se change comme un torrent qui coule rapide sous les coups de l'auster. Les disciples se sentirent atteints de cette chaleur lorsqu'ils s'écrièrent « N'est-ce pas que notre coeur était brûlant en nous lorsqu'il nous parlait? (Luc. XXIV. 32.) Et je ne sais si ce vent souffle nulle part avec plus de plaisir que dans le désert et les solitudes d'une intégrité chaste et sans tâche. C'est en ces lieux qu'il promène son haleine, qu'il remplit de la ferveur de la charité l'âme unie à un corps pur, qu'il la résout en vapeurs légères, après l'avoir liquéfiée par des désirs spirituels, et la fait s'élever dans les hauteurs, semblable à une colonne de fumée. 4. « Quelle est celle-ci, » dit le texte, «qui monte à travers le désert semblable à une colonne de fumée? » La chair épuisée par la chasteté et desséchée par la vertu est un bon désert, elle n'exhale aucune vapeur d'impure dilatation, elle n'éteint pas, mais plutôt nourrit la flamme qu'allume le souffle du Seigneur. Ce feu, s'il rencontre une âme aromatisée, il la brûle, il la transforme et lui donne une autre apparence ; il la fait s'élever vers les régions supérieures, semblable à une colonne de fumée. « Comme une colonne, » dit le texte, parce que par la discipline qui règle ses pensées, elle est resserrée du dehors au-dedans et dirigée de bas en haut : comme une colonne, parce qu'elle se recueille elle-même en se repliant sur elle et se dirige au- dessus d'elle-même. Mais que veut dire, qu'on la compare à une colonne de fumée? Peut-être veut-on donner par-là à entendre, que la grâce d'un état si suave n'est ni constante ni solide, et que l'ascension de l'âme se dissipe facilement comme la fumée? Elle est suave et tout-à-fait spirituelle, la vapeur de la fumée en laquelle se résolvent en se mêlant les aromates brûlés ensemble. Pour cette colonne tendre et délicate, je crains les tourbillons, je crains que les coups des vents ne la déchirent, que la tempête des soucis ne la promène de côté et d'autre, que le souffle de la tentation ne la dissipe et qu'elle ne cède à tout vent. Des exemples nous prêchent la crainte. Nous en voyons et nous en pleurons qui ont cédé aussi inopinément qu'ils s'étaient promptement élevés. Il en est qui sont subtils dans leurs méditations, appliqués à l'oraison, riches en grâces, pénétrés d'une dévotion douce, portés aux larmes, et soudain, l'occasion d'une impatience légère arrête et fait cesser le cours de ces délices. Est-ce donc là une gloire qui s'évanouit aussi facilement que la fumée? Elle est semblable à une colonne de fumée, une telle ascension qui tombe par sa propre mobilité ou cède à un dérangement qui survient. Je n'ose cependant pas, quand il s'agit de la personne de l'épouse, entendre par fumée le défaut. Ou si vous résistez à cette interprétation, je vous donne à entendre ce défaut, que le Psalmiste vous recommande : «Mes yeux ont défailli en considérant votre parole, Seigneur. Mon âme a défailli en contemplant votre salut. » (Psalm. CXVIII, 81, 32.) 5. Plaise au ciel, Seigneur, que mes yeux soient allanguis et défaillent de cette défaillance. Que mon âme tombe dans cet épuisement, qu'elle manque, qu'elle se liquéfie et qu'échauffée par votre parole, si grandement enflammée, elle passe librement de toute intelligence grossière, au souffle plus léger d'un état spirituel. Plaise à Dieu que ce qu'il y a en moi d'intelligence épaisse, de désir émoussé, défaille et devienne une grâce plus subtile, et que subissant ainsi une heureuse dépression de sa lourdeur, elle s'allonge par une opération spirituelle et devienne en une colonne de fumée. Que la force de mon âme défaille, et se transforme en une telle fumée, et qu'elle ne disparaisse pas comme la fumée, qu'elle ne dise pas : « Mes journées ont disparu comme la fumée. » (Psalm. CI, 4.) Autre chose est de défaillir entièrement comme la fumée, de sorte qu'on n'existe plus; autre chose est de défaillir de manière que, par l'esprit, vous deveniez subtilisé et spiritualisé comme la fumée. Il avait saintement défailli, le Psalmiste, lorsqu'il avait dit : Mon âme soupire et défaille après les parvis du Seigneur. (Psalm. LXXXIII. 1.) Est-ce qu'il ne défaille point en une certaine manière, celui que le Christ enflamme? Le Seigneur lui-même est un feu, selon qu'il est écrit, « et un feu qui consume. » (Heb. XII. 29.) Qui s'approche de moi, dit-il, s'approche du feu. Qui me donnera de pouvoir lier ce feu dans mon sein? Qu'il enflamme mon coeur, consume mes reins et me réduise au néant? C'est avec raison qu'elle monte comme une colonne de fumée, celle qui sort des ardeurs du lit et des embrassements du verbe enflammé. Votre flamme, ô Christ, exhale d'ordinaire de suaves vapeurs et elle produit la fumée d'une odeur parfumée. « Comme une colonne de fumée d'aromates. » Je trouve la fumée qui sort de la bouche de Léviathan. Je vois encore la fumée qui monte du puits de l'abîme : mais je n'y vois pas la colonne, je n'y trouve point les aromates. Il n'y a rien de droit, rien de doux, mais une souveraine horreur, sans aucun ordre. Il existe une fumée de l'erreur, c'est celle que vomit le puits de l'abîme. C'est d'elle que les impies ont dit : « une fumée a été soufflée dans nos narines et la parole est une étincelle pour ébranler notre coeur. » (Saq. II, 2.) O bon Jésus, que dans mes narines soit soufflée cette fumée, produite par votre feu, et que de votre foyer parte le discours d'étincelle pour ébranler et, mieux encore, pour changer mon coeur. Votre feu est un feu consumant, s'il trouve les vices, il les brûle et fait jaillir la fumée de la confession. Mais cette fumée ne vient pas des aromates. « Il touche les montagnes, » dit le Psalmiste, « et elles fument. » (Psalm. CIII. 32.) C'est un bon feu celui qui réduit les tumeurs des esprits et fait disparaître à son contact, les élévations terrestres par la fumée de la pénitence qu'il produit. Il y a une fumée répandant une autre odeur et produisant une autre grâce, c'est celle que font sentir, en se consumant, les aromates des vertus. Ce feu, celui que le Seigneur porta sur la terre voulant le voir grandement s'enflammer, brûle les vices, non seulement, mais il change les vertus elles-mêmes en affections d'une grâce meilleure encore. Les aromates, dans leur état naturel, exhalent une odeur suave, mais liquéfiés par ce feu, leurs parfums sont bien autrement agréables. 6. Sentant la suavité des parfums qu'exhale l'épouse, les compagnons de l'époux s'étonnent et s'écrient : « Quelle est celle-ci qui monte à travers le désert comme une colonne de fumée d'aromates, de myrrhe, d'encens et de toutes les essences des parfumeurs? » La myrrhe vous représente la vertu de continence ; l'encens, le goût de la prière; la poudre du parfumeur, l'abondance des autres vertus, l'humilité d'un coeur contrit. C'est une bonne myrrhe, celle qui réprime la pétulance de la chair, qui ne permet pas à ses mouvements de se révolter et s'efforce de rendre la chair non charnelle. Mais la myrrhe de notre continence paraît grossière, moins châtiée et trop rapprochée de la chair, si elle n'est pas liquéfiée par le feu céleste, c'est-à-dire par la ferveur de l'amour divin. C'est une bonne myrrhe de continence, celle qui retient l'appétit quand il se précipite vers le mal ; mais elle est plus suave et vient d'une meilleure grâce, celle qui liquéfiée par la charité ne connaît pas d'affection grossière et charnelle. Qu'est-ce que l'encens? N'est-ce pas un corps qui exhale peu d'odeur quand il est dur, et à son état ordinaire: mais qui, soumis au feu, lorsqu'il commence à se fondre , expire tout entier et s'élève en tourbillons de fumée odoriférante. Pareillement, la prière ne vous parait-elle pas lourde et paresseuse, et comme épaisse par la lenteur de son langage intérieur et ardent, devenu traînant, si elle n'est échauffée par la vertu? Dans l'encens, je vois la, matière de la prière, et dans la fumée, j'en trouve la grâce. « Que ma prière se dirige en votre présence comme l'encens, dit le Psalmiste. (Psalm. CXL. 2.) La prière qui n'aura pas été enflammée ne sait pas monter en droite ligne vers le Seigneur. Celle qui part d'un coeur froid retombe bien vite; elle ne peut être continuelle, car elle n'est pas prompte. Elle souffre violence , elle n'est pas maîtresse d'elle-même. Une prière entièrement embrassée n'est pas non plus un pouvoir de ce genre. La première est réprimée contre son effort, celle-ci est enlevée au-dessus. Celle-là, s'épuise et retombe, celle-ci va au-dessus de ses forces. L'une est violemment dirigée, l'autre est portée volontairement. L'une est à peine montrée, l'autre n'est pas retenue.1 L'une est laborieuse, l'autre libre. L'une triste, l'autre joyeuse. L'une bonne, l'autre excellente et parfaite. Il est aussi une oraison tenant le milieu entre la prière froide et la fervente, qui dépasse la première et n'approche pas de l'autre. Et (pour ainsi parler) la première est contrainte, la seconde droite, la troisième ravie. La première (pour employer cette expression) a soif, la seconde est sobre, la troisième est rassasiée. C'est celle-ci qui est ravie en esprit en Dieu : c'est pourquoi « elle monte semblable à une colonne de fumée d'aromates, de myrrhe, d'encens et de toutes les essences des parfumeurs. » 7. Le texte exprime très-bien la vertu d'humilité par la poudre du parfumeur, parce que cette vertu ne sait pas avoir une grande estime des grands mérites, elle ne sait pas avoir de sentiments élevés mais dans une basse estime, elle atténue les mérites des autres vertus et réduit leur solidité à une sorte de poussière. C'est avec raison qu'après avoir recommandé la prière, on a parlé ensuite de l'humilité sous la figure de cette poudre du parfumeur. Car la prière de celui qui s'humilie pénètre les cieux : bien plus, sans la grâce de l'humilité, quelque subtile qu'elle soit, elle est sans force, et la myrrhe d'une chasteté orgueilleuse répand une triste odeur, et elle ne retient pas bien le mouvement des pensées charnelles, celle qui permet à l'esprit de se délecter dans la fumée de l'orgueil. C'est en étant brisés que beaucoup d'onguents sont réduits en poussière. C'est une bonne contrition, car Dieu ne méprise pas un coeur contrit et humilié. (Psalm. L, 19.) C'est une très-bonne contrition, celle qui ne laisse rien sans l'avoir jugé, qui ne laisse rien passer d'exalté, sans l'avoir humilié, même dans les vertus : elle juge les justices même, et les convainc non-seulement relativement au péché, mais encore relativement à la justice et au jugement. Ce qui est repris n'est-il pas comme pulvérisé? La justice qui est jugée elle aussi, n'est-elle pas humiliée? « Vous m'avez humilié dans votre vérité, » dit le Psalmiste. (Psalm. CXVII. 75.) Il n'appartient pas à tous de parler de la sorte. Les infirmes sont humiliés dans leur vanité, ceux qui sont plus avancés le sont dans la vérité de Dieu. La vanité ne peut juger la vérité, mais la vérité juge la vanité, et la vérité prononce sur la vérité. L'esprit juge tout ce qui, au jugement humain, paraissait entier et solide, l'esprit de vérité, en survenant, l'annihile et le brise. C'est par cet esprit puissant que les onguents des vertus sont réduits en poussière et que la justice est jugée. « Il me brisera dans un tourbillon, » dit Job (IX. 17.) Dans le tourbillon de son esprit, d'un esprit puissant, dans le tourbillon d'un esprit qui emporte le mien. Dans « ce tourbillon il me brisera, poursuit le saint Arabe, et il multipliera mes blessures. Avant que soufflât cet esprit violent, ma justice paraissait entière, mais il juge, il brise, il blesse, il broie en plusieurs manières la présomption que causent les mérites, et enseigne que la vertu humaine est languissante et blessée. 8. Que je voudrais qu'il' m'arrivât d'être ainsi brisé, d'être réduit comme en la poussière de toutes les bonnes affections, de toutes les pieuses méditations. Plaise au ciel, ô bon Jésus, que le tourbillon de votre esprit entasse dans mon âme cette précieuse poussière des places de la Jérusalem céleste, afin que je m'y réchauffe, que je m'y associe, que je m'y endorme, mais, bien entendu, dans la poussière du véritable parfumeur. Bienheureux celui qui demeure dans cette poussière, et à qui arrivent spirituellement de toutes parts de suaves pensées, semblables à une douce poussière. « Réveillez-vous et louez Dieu, dit le Prophète, vous qui habitez dans la poussière. (Is. XXVI, 19.) » Et l'épouse, réveillée de son heureux sommeil, s'élève comme une colonne de fumée composée des aromates de toutes les essences du parfumeur. De « toutes » les essences, dit ce passage. Et la vérité elle-même vous apprend à réduire toutes les bonnes rouvres à une sorte de poussière et comme à un état de stérilité. «Quand vous aurez fait toutes choses, dites : nous sommes des serviteurs inutiles; nous avons fait ce que nous devions.(Luc. XVII, 10). » Heureux celui qui ramasse une poussière si riche, qui, accomplissant tout ce qui lui est ordonné, croit n'avoir rien fait; qui broie par l'humilité toutes les bonnes oeuvres qu'il entasse chaque jour. Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, énumère les aromates nombreux de ses actions : « J'ai été dans les routes souvent, périls sur les fleuves, périls de la part des voleurs, périls de tout genre, périls de la part des Gentils, périls sur la mer, périls dans les villes, périls dans la solitude, périls de la part des faux-frères. (II Cor. XI, 26.) » Quoi plus? « Sa sollicitude quotidienne de toutes les Eglises. Qui est infirme, dit-il, sans que je le sois ? Qui est scandalisé, sans que je sois brûlé? » Ne vous semble-t-il pas qu'en parcourant ces travaux et quelques autres, l'apôtre a ramassé une sorte de poussière (le bonnes oeuvres? Voulez-vous entendre encore des espèces plus élevées de ses vertus ? Elevez-vous avec lui aux visions et aux révélations de Dieu, au ravissement dans le paradis, à l'élévation au troisième ciel, à cette bienheureuse ignorance qui lui fait ne savoir point si cette extase a eu lieu dans le corps ou hors du corps; ce n'est plus de la poussière, c'est de la fumée. Mais, de crainte qu'à la fumée de cette contemplation spirituelle ne se mêle la fumée de la jactance, écoutez ce qui suit : « Pour que la grandeur de ces révélations ne m'élève pas, l'aiguillon de la chair se fait sentir à moi. » Paul est aiguillonné pour qu'il ne s'élève point; et comment, vous qui entendez ceci, refusez-vous d'être ainsi piqué? Comment, dans l'abondance des biens, cessez-vous de vous broyer, ou ne permettez-vous point qu'on vous brise? L'aiguillon est ennuyeux , mais la souffrance qu'il cause est, pour l'humilité, nue occasion de progrès. L'aiguillon de la chair est ennuyeux, celui de la charité ne l'est pas. La souffrance est amère, la contradiction est rude : l'une et l'autre humilient les vertus. 9. Mais toutes choses sortent avec plus de douceur et d'efficacité du foyer de l'amour embrasé. Cette flamme , non-seulement abaisse les vertus, mais encore elle les change, elle leur donne une autre apparence, et de spirituelles qu'elles sont, elle les rend plus spirituelles encore. La myrrhe de la continence, l'encens de la prière, et, dans les essences du parfumeur, l'humble conscience qu'on a de toutes les vertus; tous ces biens rendent le visage plus serein et donnent l'apparence plus agréable, quand ils sortent de cet endroit. Il est boni d'avoir la contrition, mais il est mieux d'être brûlé d'amour. La poudre du parfumeur est suave, la fumée est plus excellente. Je ne sais quoi de plus doux et de plus spirituel est désigné par la fumée plutôt que par la poussière. C'est pourquoi l'épouse, brûlante dans les embrassements de son bien-aimé, par une sorte de bienfait de la parole enflammée,'passe, en se liquéfiant, de la poudre du parfumeur, à la légèreté de la fumée, de la poudre des vertus humiliées, à la fumée de la gloire. Quel croyez-vous que sera le but, quand l'ascension est si subtile et si délicate? Où arrivera celle qui s'élève en cet état? Quel est le lieu de délices avec lequel elle dispose de semblables degrés? C'est peut-être le petit lit du bien-aimé. Car c'est vers lui que l'épouse doit surtout soupirer. Il en est entièrement ainsi. Aussi, il est dit à la suite : « Voici que soixante des plus vaillants d'Israël entourent le lit de Salomon. (Carat. III, 7.) » C'est un ordre très-beau que du lit elle vienne an lit; de son lit de sa mère, au lit de son Salomon. Ce n'est point une variété moins convenable qui mêle la force aux délices de cette couche, et qui porte Salomon à entourer son lit d'une garde si puissante. Mais retenons ce discours qui se précipite ; nous consacrerons un autre sermon à un autre passage, avec l'aide de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.
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