SERMON XXX
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SERMON XXX. Vous avez blessé mon coeur, ma soeur, more épouse, vous avez blessé mon cœur par l'un de vos yeux, etc. (Cant. IV, 9.)

 

1. O cœur dur, et tristement dur, celui en qui de telles paroles ne feraient pas de blessure. Il est tout-à-fait dépourvu de sentiment, le cœur qui ne saisit pas la force de ces paroles; qui n'est pas saisi d'admiration à la vue d'un égard, si extraordinaire, que dis-je, égard? c'est plus encore. Et combien grand serait ce procédé quand il ne serait qu'égard? C'est une chose véritablement considérable et digne de toute admiration, qu'une majesté si haute daigne donner à la faiblesse humaine le nom d'épouse et de soeur. Ici ce n'est pas tant égard que dévouement. Voulez-vous entendre la preuve de cette affection prévenante et dévouée? « O épouse ma soeur, » s'écrie l'époux, « vous avez blessé, vous avez blessé mon coeur. » La blessure du cœur indique la violence de l'amour. O cœur vraiment tendre que vos sentiments touchent et portent à payer notre affection de retour. En cela il y a pour lui et nécessité et retour : la nécessité se trouve indiquée par le nom dé soeur et d'épouse, et le retour par la blessure qui ouvre le coeur. Le titre de soeur réclame (affection, celui d'épouse l'exige davantage, l'une le veut à cause de la parenté, l'autre à titre d'amour conjugal. Dans l'une parce que le père et la soeur descendent d'une même tige; dans l'autre parce que l'époux et l'épouse ne forment plus qu'une chair. La bien-aimée est soeur parce qu'elle est devenue participante de la nature divine : elle est épouse parce qu'elle a été prise et élevée à ne faire qu'une personne avec Dieu. En désignant la nature ou la grâce, ces termes indiquent l'obligation d'aimer qu'ils entraînent avec eus. Combien est tenue à aimer, l'âme qui se connaît unie à Jésus-Christ par tant de liens étroits? quelque fort que soit son amour, elle n'aime pas, elle ne fait que rendre l'affection qu'on lui a déjà montrée. C'est « lui » en effet a qui nous a aimés les premiers. » (I Joan. IV, 16.) Quelque vif qu'il se fasse sentir, notre amour ne lui est pas donné, il lui est rendu il lui est dû, il n'est pas gratuit, et il ne peut jamais égaler celui qu'il a d'abord montré pour nous. Et comment peut il mériter, comment peut-il lier par obligation celui qui ne peut même entièrement acquitter ce qu'il doit? Il vous est impossible, ô épouse, de bien rendre la pareille à celui qui vous a tant aimée. Cet amant divin ne cesse pourtant point de multiplier son amour pour vous. Ce qu'il vous a donné en affection, n'est pas encore entièrement payé, qu'il se considère comme tenu à vous armer encore davantage. Tout ce que vous lui témoignez de tendresse, il ne le reçoit pas comme dû, il le prend comme gratuitement donné. Il se sent comme provoqué encore plus à vous aimer et il le montre en disant que son cœur est blessé.

2. Quel est ce miracle, mes frères? Ne tenez-vous pas pour heureuse l'âme qui perce et traverse par ses pieuses affections d'amour, le cœur même de Notre Seigneur Jésus-Christ? Il est aigu, il est efficace, il est vraiment violent, ce sentiment qui émeut et excite votre affection, ô bon Jésus. Grande et puissante est la force de la charité, elle atteint jusqu'à l'amour qui est en Dieu et, semblable à une flèche, elle traverse son coeur. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que le royaume des cieux souffre violence? (Matth. XI, 12). Le Seigneur lui-même souffre la blessure d'un amour violent. Mais considérez les traits qui l'atteignent. » Vous avez blessé mon cœur, » dit-il, a par l'un de vos yeux, par l'un de vos cheveux. » Ne cessez pas, ô épouse, de blesser votre bien-aimé par des coups semblables. Employez à cela, vos pieux regards comme des flèches aiguës. Ne soyez pas trop molle dans ce combat, ne vous contentez pas de blesser une seule fois celai que vous aimez, faites lui éprouver blessure sur blessure. Heureux êtes-vous si vos flèches s'attachent à lui, si vos amours militent dans le Christ, si votre oeil est fixé en lui et ne s'en détache jamais. Bonne blessure, d'où sort une puissance. Une femme toucha la frange de sa robe, et le Christ éprouva qu'un prodige sortait de lui. (Luc. VIII. 44.) Combien plus sent-il la grâce s'échapper de lui, quand au lieu d'être légèrement touché, son cœur est blessé? Cette blessure n'est pas reçue sans qu'un sentiment l'accompagne : aussi décrochez-lui les traits d'un regard pur : considérez-le comme un signe placé pour recevoir de semblables flèches. Il les reçoit avec plaisir, puisqu'il en lance de pareilles. Il regarda Pierre, il atteignit son coeur et le perça des traits de la pénitence. Les larmes indiquent la blessure du coeur. Il blesse aussi par un regard clément, le coeur, chaque fois qu'il le pousse à quelque sentiment de vertu. Plaise au ciel que ce divin époux multiplie en moi les blessures, qu'il me couvre de la plante des pieds au sommet de la tête, tellement qu'il ne reste aucune partie qui n'ait été atteinte. Mauvaise santé que celle qui ignore les blessures des tendres regards du Christ. Le regard provoque le regard aussi essayez de le blesser par un coup-d'oeil, que vos yeux soient toujours dirigés vers le Seigneur, qu'il soit pris par ces regards d'amour, qu'il soit lié par vos cheveux.

3. L'époux ne se dit pas blessé par les yeux ou par les cheveux, comme s'il y en avait plusieurs, mais par un seul. « O soeur mon épouse, » dit-il, « vous avez blessé mon coeur par un de vos yeux et par un de vos cheveux. » Si vous avez plusieurs yeux, fermez tous les autres, ne faites usage que de celui-ci, de celui qui a coutume de fixer votre bien-aimé et qui seul peut avoir ce bonheur. Ceux qui veulent viser droit, bouchent un oeil et dirigent l'autre, et même ils compriment celui dont ils se servent pour considérer, afin de pouvoir mieux apercevoir ce qu'ils regardent. Votre oeil est unique s'il est pur; il est unique s'il ne s'étend pas sur plusieurs objets : il est unique si, simplifié, il est comprimé et dirigé vers un but, s'il n'est pas tendu hagard ou errant sur mille points de vue. Votre oeil est dans l'unité, si vous regardez un point et y tenez la vue attachée n'apercevant que lui. S'il est l’oeil de l'amour, il est un. « J'ai demandé une chose au Seigneur, » dit le psalmiste, « je la chercherai toujours, c'est d'habiter dans la maison du Seigneur tout le long de mes jours et de contempler la volupté du Seigneur. » (Ps. XXVI, 4.) Voilà l’oeil qui est un, ne demandez, ne regardez qu'une seule chose. « Et dans un cheveu de votre cou. » Il ne faut pas que les cheveux flottent, qu'ils se répandent de tous côtés sans règle et que, répandus et flottants, ils empêchent les yeux de voir. Il ne convient pas que l’oeil soit étroit et le cheveu large. L'oeil est empêché quand les cheveux se placent devant lui. Si l'œil désigne l'intention, le cheveu qu'indique-t-il sinon la pensée? Voulez-vous posséder l'un et l'autre, le cheveu et la lumière, l'intention et la méditation? Celui qui a placé sa volonté dans la loi du Seigneur et en fait l'objet de sa méditation le jour et la nuit, celui-là a un seul oeil par cette volonté uniforme, et un seul cheveu par cette méditation constante. S'il n'en est pas ainsi, si vous ne possédez point cette intention uniforme et simple dirigée vers Dieu, si vos pensées errent de toutes parts sans règle : les mouvements étrangers et indisciplinés de l'esprit troublent 1'œil attentif, détournent de l'application exclusive à la contemplation et dissipent le coeur. Que la pensée réponde à l'intention simple, que l’une soit pure comme l'autre est uniforme. Le cheveu est bien, quand il n'est pas hors de son lieu, quand il est soigné, remis à sa place avec autres, et attaché au cou, à ce cou dont il est dit : « Votre cou est comme un tour, mille boucliers y sont suspendus. (Cant. IV, 4.)

4. En ce cou entendez la sainte Ecriture, par laquelle nous arrivent les paroles qui nous annoncent la volonté divine. « Le cheveu du cou est dans la méditation assidue de la loi de Dieu. Si on dit « du cou, » c'est que votre pensée, vos impressions, votre intelligence ne doivent pas altérer la parole sacrée, mais dépendre de ses prescriptions et en tirer leur racine. Que si vos cheveux sont divisés, si, comme épars, ils ne présentent aucune trace de soin, bien qu'ils soient attachés au cou, ils ne plaisent pas à l'époux, ils ne blessent pas son coeur, ils n'excitent pas son affection et ne méritent point sa grâce. Le bien-aimé veut deux choses : qu'ils soient unis et attachés au cou, et qu'ils réunissent en eux l'ordre aussi bien que l'autorité. Quel progrès faites-vous, si vos méditations roulent sur la loi de Dieu et si en elles-mêmes elles se trouvent sans loi, quand elles sont sans ordre et divaguent en tous sens. « Dans un cheveu de votre cou, » dit l'époux. Par ce cou, on entend l'autorité de la parole sacrée, qui donne aux réflexions leur forme. L'ordre est dans l'unité. L'ordre parfait existe là où les pensées sont réunies en un point, ramenées à un centre, et à un centre unique qui n'est jamais enlevé. Ou bien il dit « en un cheveu de votre cou » pour exprimer que le visage de l'épouse est libre et découvert. Les cheveux en effet servent de voile. Il veut donc par là que la face de l'épouse soit dégagée et découverte pour contempler la gloire du Seigneur, pour diriger vers le ciel sans obstacle l'oeil de la contemplation : voilà pourquoi il loue les cheveux réunis avec soin et ramenés de la figure sur le cou.

5. Pourquoi n'entendre ce passage que d'une seule âme en particulier ? Etendons-le à l'Eglise entière. Ce qui est général est plus agréable. Rien de plus délicieux pour l'époux que la communauté, mieux encore, que l'unité de ceux qui croient, que le ciment qui forme l'édifice de son Eglise. Il a loué « dans son épouse beaucoup de biens » dont il s'est montré ravi : mais nulle part il n'a montré le sentiment de sa joie plus vivement qu'en ce lieu, ou l'unité se trouve rappelée sous l'image d'un seul oeil et sous le symbole d'un seul cheveu. Comment sa joie ne serait-elle pas au comble, là où est observé le plus grand de tous les commandements? «Je vous donne un commandement nouveau, dit-il, « c'est que vous vous aimiez comme je vous ai aimés moi-même. » (Joan. XIII, 34.) Les yeux de l'Eglise sont les docteurs; qui les touche, attaque la pupille de l'oeil du Seigneur. Les cheveux, ce sont les peuples qui croient. L'époux est heureux de trouver l'unité dans les uns et dans les autres.. « Tous connaîtront à ce signe que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'affection les uns pour les autres. » (Ibid. 36.) L'accord de deux ou de trois fait que leurs prières sont bien reçues de Dieu. Combien plus puissante sera l'harmonie de toute l'Eglise dans le Christ? (Matth. XVIII, 19.) Que n'obtient pas l'unité qui pénètre le cœur même du Seigneur? «Vous avez blessé mon coeur, ô épouse, ma soeur, » dit-il, « vous avez blessé mon coeur par l'un de vos yeux, et l'un de vos cheveux. Dans toute la parure d'une femme, qu'y a-t-il qui frappe et attire plus l'affection que les cheveux disposés avec soin? Mais pourquoi nous efforcer de combler de louanges les cheveux de l’épouse réunis et disposés avec un soin plein de recherche? Il y a ici plutôt sujet de pleurer que d'applaudir.

6. En ces jours nous voyons ces cheveux de l'épouse arrachés et tristement épars et les peuples, reçus dans le sein de l'Eglise, se combattre. Vous avez sous les yeux cet affligeant spectacle, ô bon Jésus, et cette division ne vous émeut-elle pas, cette blessure cruelle infligée à votre bien-aimée, ne vous fait-elle point souffrir ? Si l'unité vous plaît et vous réjouit, la division doit vous toucher aussi et vous faire gémir. L'unité, l'éclat de l'uniformité, vous remue agréablement : que la division de ceux qui étaient unis ne vous laisse pas indifférent. Vos cheveux sont divisés, ils sont séparés les uns des autres, bien plus, ils combattent les uns contre les autres. De côté et d'autre, ils se vantent d'être attachés au cou, et, revendiquant pour eux seuls ce bonheur particulier, ils cherchent à rejeter les autres loin d'eux. «Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, et que s'éloigne de l'iniquité quiconque porte le nom du Seigneur. » (II Tim. II, 19.) Munie de ce double signe, comme parle saint Paul, l'épouse demeure immobile au milieu des troupes impies de ceux qui la tirent et la déchirent de toutes parts. Les rois de la terre et les princes se sont entendus, ils ont comploté contre le Christ notre Seigneur et contre son épouse. (Ps. II, 2.) Mais l'épouse connaît l'époux, elle le suit et ne s'attache pas à un étranger. Elle ne s'ignore pas elle-même, elle ne méconnaît point de qui elle est l'épouse aussi elle ne veut pas sortir ni aller à la suite des troupeaux des compagnons de son bien-aimé. S'ils ont été ses compagnons, ils ne le sont plus. Ils sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. Comment seraient-ils compagnons, ceux qui ne sont pas les amis? « Car l'ami de l'époux se tient debout, et il écoute, et il se réjouit grandement à cause de sa voix. » (Joan. II, 29.) Pour eux, ils n'écoutent pas le son de cette voix, ils ne se réjouissent pas de l'entendre, la voix de l'empereur romain leur plaît davantage. Parlons avec plus de vérité, disons qu'ils ne se réjouissent pas, mais bien qu'ils tremblent à son rugissement. Mais le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, il ne prend pas pour siens ceux qui suivent l'empereur. Aussi ils ne peuvent être effrayés par les rugissements du lion, retenus qu'ils sont et fortifies par l'impression de la grâce que leur fait sentir la connaissance immuable que le Seigneur a d'eux.

7. La connaissance que Dieu a de quelqu'un, est une marque très-bonne. Je veux parler de la connaissance qui est selon le bon plaisir d'après lequel les saints sont appelés. Cette connaissance est une marque indestructible, parce que rien ne la trompe. Non-seulement rien ne lui fait défaut, mais elle enfante les élus, elle prédestine, elle marque ceux qu'elle choisit pour siens. Il existe un double signe : la volonté de Dieu et l'effort de l'homme: la Providence divine et l'activité humaine. Car c'est de cette activité diligente que l'apôtre ajoute : « et que s'éloigne de l'iniquité quiconque prononce le nom du Seigneur. » (II Tim. III, 49.) Voyez les deux parties qui constituent cette marque : l'une qui vient tout entière dé la grâce divine, l'autre qui est de la grâce et de la liberté. L'une est de la volonté de Dieu, l'autre résulte de son secours. Cette seconde partie dirige le libre arbitre affaibli de notre volonté, car la première en dispose par la prédestination. Dans la première, Dieu connaît, en les voyant d'avance, ceux qui sont à lui : dans la seconde, il se fait connaître à nous. L'une est la cause, l'autre est l'effet de cette cause. L'une est une marque immuable, l'autre n'est que chose probable. L'une est le signe, l'autre l'impression qui résulte de ce signe. Là est la racine, ici le fruit; et c'est à ces fruits que vous reconnaîtrez ceux qui prononcent le nom du Seigneur. Dieu sait, dans son bon plaisir, ceux qui sont à lui et il les place en ce monde pour qu'ils rapportent ce fruit en grande abondance. Voilà pourquoi on dit: «Que s'éloigne de l'iniquité quiconque prononce le nom du Seigneur : » qui prétend appartenir à Dieu, ne doit pas s'éloigner de l'unité. Et nul n'en peut sortir de ceux qu'a formés ou confirmés la connaissance divine. Un seul cheveu, ne tombera, pas de la tête de l'Eglise. Tous ses cheveux ont été comptés, tous ont reçu la marque de la connaissance de celui qui prédestine. Cette connaissance est hors des atteintes du repentir. Aussi son fondement est solide, elle porte le cachet de Dieu, elle a le secours du bon vouloir divin et le concours positif de notre libre arbitre. Il n'est au pouvoir de personne de faire tomber de la tête de l'Eglise les cheveux qui sont réunis par une marque si sacrée. En votre puissance, Seigneur, se trouvent tous les cheveux de l'épouse, et nul ne les arrachera de votre main. Gardez, ô bon Jésus, ceux que vous avez, et recueillez ceux que vous avez connus : et si quelqu'un se reconnaît pour vôtre, s'il dit: je suis au Seigneur, s'il prononce le nom de Dieu, qu'il s'éloigne de l'iniquité, qu'il rentre dans l'unité de l'Eglise, à l'unité de la tête et du corps, c'est-à-dire, qu'il soit un cheveu du cou et un cheveu unique.

8. Rien ne blesse autant le coeur de l'époux, rien ne provoque son affection et ne pénètre aussi vivement son âme; comme l'unité de l'épouse, comme le bonheur de la voir conservée, et même consolidée, au milieu des efforts de ceux qui ont pris à coeur de la déchirer. Les évêques consciencieux abandonnent leurs propres sièges et ils fuient de ville en ville, les persécutions de leurs ennemis. Les clercs et les moines dévoués à Dieu, rassasiés de tribulations et d'opprobres, supportent avec joie la perte de leurs biens, sachant qu'ils ont une fortune meilleure et durable dans l'unité de la charité ecclésiastique et. fraternelle. Quand l'homme donnerait tous ses biens pour avoir la charité, il se trouverait encore l'estimer comme rien. (Cant. VIII.7.) Quelques-uns, il est vrai, rachètent par des présents la liberté de la communion ecclésiastique. C'est un bon rachat, mais une vente honteuse. Pourquoi vendez-vous ce que vous condamnez ? Si vous tenez pour schismatiques ceux qui sont séparés de vous, vous ne deviez pas, alléché par l'argent, leur laisser la liberté de leurs erreurs. Si vous croyez que leur parti forme un schisme, pourquoi vendez-vous par des présents la liberté que vous consentez à lui reconnaître ? Que si l'unité de l'Église se trouve véritablement parmi nous, pourquoi essayez-vous de la déchirer? Si vous occupez la chaire de Pierre par droit de succession, pourquoi ne soutenez-vous pas la sentence de cet apôtre contre ceux que vous regardez comme schismatiques? « Que votre argent se perde avec vous, » dit-il. (Act. VIII, 20.) Pour vous, vous dites présentement : que votre argent vienne à moi : quant à votre âme, qu'elle tombe dans la perdition. Est-ce que la perdition n'est pas dans la séparation d'avec l'unité du corps? « Qu'il ne soit, ni pour moi, ni pour vous, » disait cette femme, « mais qu'il soit coupé en deux. » (III Reg. III, 26.) Ainsi vous prenez l'argent quand vous ne pouvez avoir les âmes. Enlevez ce que vous prenez : gardez pour vous les présents, laissez à l'Église les âmes. Car elle ne cherche rien que les âmes. Que les biens du corps se répandent chez vous de peur qu'ils ne dispersent avec vous les biens de l'âme. Qui ne ramasse pas avec l'Église, dissipe. Le Seigneur prononce cette parole remarquable : « qui ne ramasse pas avec moi, disperse. (Matth. XII, 30.) L'action de ramasser indique l'unité comme celle de disperser annonce la séparation. L'Église sait dire, avec l'époux : « Qui n'est pas avec moi, est contre moi. » Il ne laisse pas de milieu : ou vous ramassez avec elle, ou certainement vous dispersez : ou vous êtes avec elle ou contre elle. Vous avez coutume de dire (à ce que l'on rapporte) : Si vous ne voulez pas dissiper avec moi, du moins ne ramassez pas avec eux. Si vous n'êtes pas de mon côté, du moins ne soyez pas contre moi. Il suffit que vous ne soyez ni de notre parti, ni de celui de nos adversaires.

9. Mais notre Jésus ne pense pas de la sorte, il dit: « Etes-vous des nôtres, ou appartenez-vous à nos ennemis? (Jos. V, 10.) Il ne laisse pas de milieu. Quoi donc, ô bon Jésus, n'y a-t-il pas de résine en Galaad ? (Jer. VIII, 22.) Pourquoi donc, Seigneur, le mal qui désole votre épouse n'est-il pas guéri, pourquoi sa blessure, sa plaie et sa meurtrissure gonflent-elles sans être liées, sans être soignées ou adoucies par l'huile? (ls. I, 6.) Vous avez assez fait boire à votre bien-aimée le vin de l'amertume? Quand la ranimerez-vous par la douceur de votre huile sainte? Car jamais l'huile des pécheurs ne la touchera. Ceux qui se trouvent dans le camp opposé, prétendent avoir de l'huile. Est-ce qu'ils ne vendent pas de l'huile lorsqu'ils font des caresses, lorsqu'ils promettent des honneurs, lorsqu'ils font espérer des présents? Cette sorte d'huile ne guérit pas, elle augmente la division. Il en est de leur huile comme de leur vin. Il faut faire le même cas de leurs paroles et de leurs coups. Mon âme a refusé de goûter leurs consolations. Comme cet animal dont parle le prophète (Thren. IV, 3.), ils ont découvert leurs mamelles : ils allaitent leurs petits, mais non les enfants de l'Eglise. L'Eglise en effet a ses mamelles. Aussi dans l'éloge que l'on fait d'elle, on ajoute : « que vos mamelles sont belles, ô épouse ma soeur! » Rappelez, Seigneur Jésus, vos enfants qui s'égarent, qu'ils reviennent goûter la douceur de ce lait; tirez de la bouche de ceux qui le suceront votre louange parfaite, quand vous aurez détruit l'ennemi et Victor. Hâtez-vous donc et faites que la justice remporte la victoire, afin que l'unité réunisse ceux qui invoquent votre nom : car c'est dans cette unité que vous placez la bénédiction et la vie pour les siècles des siècles. Amen.

 

NOTE POUR LE LECTEUR. Le personnage qui est attaqué au numéro 8 de ce sermon ne paraît être qu'Alexandre III. L'empereur Frédéric lui avait opposé l'antipape Victor. C'est la destruction de cet antipape que l'auteur désire en finissant son discours : on lisait auparavant en ce lieu le vengeur (ultorem) et non Victor (Victorem): c'est là la version exacte d'après le manuscrit de Clairveaux.

 

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