SERMON X
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SERMON X. Je ne le lâcherai pas jusqu'à ce que je l'introduise dans la maison de ma mère. (Cant. III, 4.)

 

1. Dans le dernier discours, nous avons appliqué à l'épouse les exemples qui rappellent la faiblesse, appliquons-lui, aujourd'hui, ceux qui, dans l'écriture, sentent la force. On lit d'Anne, lorsqu'elle priait, avec attention et avec une affection multipliée, « que son visage ne subit plus d'autres changements. » (I Reg. I, 18.) Le visage est l'interprète de l'âme, il se montre au-dehors d'après l'affection que le coeur éprouve au-dedans. Partant, son immutabilité démontre la constance, qui est dans le fond de l'âme. Son visage ne changea pas, parce que rien ne diminua le désir qu'elle eût une fois conçu. Que veut dire autre chose cette parole: « Je ne le lâcherai point, » sinon, je ne donnerai pas d'autres expressions à mon visage, et je ne détournerai pas ailleurs l'attention de mon esprit? L'apôtre exhorte à quelque chose de pareil : « Priez sans relâche, » (I Thess. I, 17.) Et encore : « Rendant toujours grâces; » et aussi : « Réjouissez-vous dans le Seigneur toujours. (Eph. IV, 4.) Voici les choses que l'apôtre veut voir continuer dans l'âme sans interruptions : la prière, l'action de grâce et la joie dans le Seigneur. Mais qui pourra arriver à ce résultat, par l'habitude de son esprit et l'affection inaltérable de son âme, sinon, celui à qui il a été permis de dire : Qui nous distraira de la contemplation de Jésus-Christ? L'apôtre dit: « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? » (Rom. VIII, 35.) Il ne pouvait pas parler ainsi de la contemplation, car plusieurs fois la charité le contraignait de se sevrer de la contemplation du Christ, « soit que nous soyons ravis en Dieu dans notre esprit, soit que nous soyons privés de cette extase, c'est à cause de vous. Car la charité du Christ, nous presse. » ( II Cor, V, 13.) La charité donc, en vertu de certains ménagements, s'arrache à la contemplation, bien que la contemplation lui soit d'un usage propre et familier. Tout ce qu'opère cette vertu remplit donc le rôle et a l'énergie d'une prière et d'un remerciement incessants. Et elle produit une partie de ces sentiments avec d'autant plus d'abondance et d'excellence, qu'elle s'exerce particulièrement à la produire. « Cachez votre aumône dans le sein du pauvre, et elle priera pour vous auprès du Seigneur. » (Eccli. XXIX, 15.) Par le mot aumône, se trouvent désignés, tous les soins miséricordieusement donnés aux indigents; il y a plus que le vêtement, qui couvre le corps, plus que la nourriture qui l'entretient, il y a aussi la doctrine, l'exhortation, la correction, la consolation, et tout secours tournant au bien de l'âme. Ce sont là les oeuvres de charité; elles ont. la force de la prière, quand elles sont faites en vue de Dieu seul : mais elles ne lui sont pas spécialement propres. Qu'y a-t-il d'aussi spécial, que de s'appliquer à son seul bien-aimé et de s'adonner librement à l'amour? Se retirer de cet excès de jouissance, se sevrer de cette sainte ivresse, s'arrêter dans ces extases de l'âme, à cause des nécessités de ses frères, qu'est-ce donc, sinon changer son esprit et lui donner des apparences diverses ? Marthe était empressée et troublée au sujet de plusieurs soins. Cette inquiétude, relative à beaucoup d'objets, représente les modifications du visage subissant des changements divers. « Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera point ôtée. (Luc. X, 42.)

2. La meilleure part de la contemplation et de la dilection, c'est l'usage et la pratique. Car bien que ce fut à des oeuvres de charité que Marthe s'appliquait, la charité néanmoins y servait la nécessité, la charité n'y servait pas la charité. A soulager les misères des autres il y a bonne couvre, mais le motif en est triste. Bonne est la miséricorde, mais triste la misère. Bonne est la médecine, mais mauvaise la langueur que traite le remède. Bonne est l'affection qui fait compatir aux souffrances, mais affligeante est la douleur qui donne au prochain l'occasion d'y sympathiser. Dans les besoins de ses frères, la charité considère à qui elle porte compassion, la cause qui l'excite à la miséricorde et la plaie qu'elle s'efforce de soulager. Mais, lorsqu'elle contemple les vertus du bien-aimé, tout lui plaît, chaque détail la ravit, tout l'attire : rien ne lui inspire de la répulsion, tout l'invite à s'attacher à lui doucement. C'est          l'acte propre de l'amour, c'est son rôle d'être tout à aimer. Il en est assurément ainsi, quand une même et indivisible jouissance englobe et enveloppe tout, l'office, la fin et la cause. ).'office c'est l'amour; la cause, la vision; la fin, l'un et l'autre ; il ne peut exister, de fin plus heureuse, que la vision et l'amour même de Dieu. Tous les désirs des saints se rapportent à cette fin. Cette fin est à elle-même sa propre fin : se suffisant à elle même, elle ne pour rait attendre quelque bien meilleur. C'est là ce qui est appelé « l'unique nécessaire, » qui n'est pas enlevé, à Marie et dont le Psalmiste se réjouit : « Pour moi, » dit-il, «il m'est bon de m'attacher à Dieu. » (Ps. LXXII, 28.) C'est ce transport d'esprit qui avait ravi Paul jusqu'au troisième ciel. C'est cette ivresse qui avait rendu le visage d'Anne semblable à celui d'une personne, prise de vin. (I Reg. I,  13.) C'est de ce moût qu'étaient remplis les apôtres, lorsque l'esprit véhément s'était emparé d'eux et qu'ils éprouvèrent pour la première fois la vertu de ce vin nouveau, que Jésus leur avait promis. (Act. II, 15.) Sous l'influence de cette liqueur généreuse, Noé souffrit l'extase d'un sommeil spirituel ; il n'eut pas soin de son corps; tout transporté en esprit, il méprisait ce qui était en bas, entièrement absorbé qu'il était par les biens supérieurs, qui se montraient à lui. (Gen. IX, 22.) Heureux, si à l'exemple d'Anne, il n'avait jamais digéré les effets puissants de ce breuvage! Car cette pieuse femme, ayant châtié extérieurement son corps, éprouva une ivresse sainte dont elle ne guérit jamais dans la suite. C'est ce que veut dire cette circonstance, que désormais son visage ne subit pas d'autres changements. L'épouse parait se promettre une pareille continuation de la présence enfin obtenue, de son bien-aimé, quand elle dit : « Je ne le laisserai point partir. » Quelle parole remarquable, spirituelle et digne    d'une épouse, elle prononçait, si elle rapportait à la foi, à la justice, à l'humilité, à la continence, à la bienfaisance et aux autres vertus, qui sont le Christ, ce qu'elle dit : « Je ne le lâcherai point.   » Car il ne faut pas croire qu'elle fût privée de ces vertus lorsqu'elle cherche le bien-aimé. Ce sont là des vertus communes, elles sont si avantageuses à ceux qui en sont ornés, qu'il n'est pas permis   de croire qu'elle en fût privée.

3. Il y a donc quelque chose de remarquable et de singulier dans cette rencontre, par laquelle l'épouse s'applaudit d'avoir trouvé son bien-aimé et promet de ne pas le laisser s'échapper. Ce sont là, peut-être, quelques prémices de la gloire et de la contemplation future. C'est pourquoi elle ajoute : « Jusqu'à ce que je le fasse entrer dans la maison de ma mère et dans le lieu du séjour de celle qui m'a mise au monde, » dans cette Jérusalem du ciel, qui est la mère de tous, cité merveilleuse, dont le salut occupe les remparts, dont la louange fait résonner les portes et dont les frontières sont entourées de la paix. Dans ce séjour de la lumière et de la joie, ne peuvent être, introduites les vertus laborieuses de cette vie . que si elles y entrent à raison du mérite, elles en sont exclues par la jouissance. Ayant goûté dans son bien-aimé quelque affection céleste et quelque douceur qui n'est pas de ce monde, sans jactance, mais avec joie, cette âme sainte, s'écrie : Je ne le laisserai point aller, jusqu'à ce que je l'introduise dans la maison de ma mère. » Mais n'est-il pas déjà monté vers son père? N'est-il pas entré dans le ciel, précurseur pour nous ? Et comment l'introduisez-vous, là où il est arrivé le premier? Vous avez bien plutôt besoin qu'il vous conduise, celui-là à qui l'on dit: « Menez-moi dans la route de vos commandements. (Ps. CXVIII, 35.) Je vais, dit-il, vous préparer une demeure, et quand je l'aurai préparée, je viens derechef et je vous prends avec moi. (Joan. XIV, 3.) Comment donc, le ferez-vous entrer dans le séjour où il est déjà parvenu? Il est monté en personne, à la vérité, mais en tant qu'il est en vous, il se trouve encore dehors : c'est en vous, qu'il est introduit au lieu où déjà il est entré en personne. Pourquoi pas? Il naît en vous, il est formé en vous et il ne serait pas introduit en vous? « Mes petits enfants, que j'enfante de nouveau, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. (Gal. IV, 19.) Le Christ est donc enfanté en nous, il y est perfectionné, non pas une fois, mais souvent par des enfantements répétés. Nous ne pouvons pas, en un seul coup, nous adapter toutes les vertus du Christ; il ne nous est même pas possible d'en former une seule pleinement. C'est pourquoi il faut insister longtemps, parce que cet enfantement du Christ ne s'opère que peu-à-peu en nous. Comment s'opère-t-il donc dans ses membres? Il naît dans son épouse, pourquoi n'est-il pas introduit? Car cet enfantement, ou cette introduction du Christ, ne peut point se rapporter à sa personne, il est relatif à ses vertus, et à la joie; aussi cette introduction aussi bien que cet enfantement s'opèrent fréquemment. Car il   est dit que nous sommes assis avec le Christ dans les régions célestes. (Eph. II, 6. ) Mais, de même qu'il y a une vraie et éternelle réunion dans le ciel, de même il existe une introduction qui y mène. Abraham voyagea dans la terre promise avant       de la posséder. (Gen. XII et XVII, 2.) Heureux, entièrement heureux, celui à qui il est donné de traverser ces régions bienheureuses et de visiter d'un pied rapide tout l'espace qu'il doit recevoir en héritage. S'il ne lui est pas permis de se fixer, il lui est donné cependant de gravir la montagne du Seigneur et, quoiqu'à la course et au milieu des ombres, de parcourir tous ces biens et de se réjouir, à un spectacle si beau.

4. Quelle est la véritable et pleine introduction? Voici des paroles qui semblent l'indiquer : « Jusqu'à ce que je l'introduise dans la maison de ma mère. » Bienheureux celui qui a pu lier, le Verbe de Dieu, se l'attacher fortement, le tenir étroitement à ses côtés, dans cet exil, jusqu'à ce qu'il lui soit donné de s'unir à lui dans le bien de son repos : « Je ne le lâcherai point, jusqu'à ce que je le fasse entrer, dans la maison de ma mère et dans le lit de celle qui m'a enfanté. » Ce qui aura lieu, quand cette créature fortunée portera pleinement, dans son corps et dans son âme, l'image de l'homme céleste. Par « maison, » entendez le corps, et par « lit, » lame, ou bien si cette explication, vous parait préférable, par « maison, » entendez la possession assurée et par « lit » une possession secrète; par « maison, » le séjour éternel et par l'habitation intime, dans l'une la « maison » de l'éternité, comme parle l'Ecclésiaste, et dans l'autre, le « lit » de la charité. (Eccl. XII, 5.) Dans l'appartement, où la porte fermée, vous ne priiez plus le Père, mais  où, du reste, vous l'adoriez en esprit et vérité; dans la maison non du père, comme il dit, mais de la mère, et dans l'appartement, de celle qui lui a donné le jour. Elle connaît sa mesure et c'est pourquoi elle porte son espérance, vers cette éternité, vers cette vérité, vers cette charité, auxquelles est déjà parvenue l'église des premiers-nés dans les cieux. Car en tant qu'on considère ce qui appartient à Dieu, lui seul a l'immortalité, il habite une lumière inaccessible (I Tim. VI,16.) Et au-dessus de la science, s'élève et domine, la plénitude de la charité de Jésus-Christ. (Eph. III, 19.) Puisse-t-il nous en remplir, en toute abondance, en lui-même qui est béni et règne aux siècles des siècles. Amen.

 

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