|
|
SERMON XI. Je l'ai tenu, je ne le laisserai point jusqu'à ce que je l'introduise dans la maison de ma mère et dans l'appartement de celle qui m'a donné la vie. (Cant. III, 4.)
1. L'affection, est une espèce délicate d'amour, et la moindre occasion blesse la joie spirituelle. L'amour ne supporte pas les occupations extérieures; il a assez de s'occuper de ses propres affaires : il se réjouit du repos, il est favorisé par le calme, voulant avoir son temps libre, pour vaquer à ses jouissances intimes. N'est-ce pas ce que l'épouse parait vous inculquer, quand elle entraîne son époux dans le secret de son appartement? Elle sait que dehors elle ne peut posséder son bien-aimé, en sûreté, ni même entièrement. Oh! qu'il est dur, à . celui qui aime, de partager son âme entre Jésus et le monde! Qu'il est cruel, dis-je, d'introduire dans ce qui devrait n'appartenir qu'à l'amour, les soucis du dehors, et de troubler le secret céleste, par les agitations séculières! « Je me suis souvenu de Dieu, » dit le Psalmiste, « et j'ai été inondé de délices, et j'ai été agité, et mon esprit est tombé en défaillance. (Ps. LXXVI, 4.) Si la délectation causée par la pensée de Dieu exerce comme une affaire; si elle épuise l'esprit du prophète, comment pourra-t-il, avec cette pensée, embrasser plusieurs occupations étrangères? C'est donc avec raison que l'épouse gagne avec son bien-aimé, son appartement, afin de consacrer librement tous ses soins, à celui qu'elle aime, de jouir de lui à son gré, et de l'embrasser sans réserve, le coeur tranquille. Elle parait conduite par l'esprit de charité, elle parle sous l'influence de l'esprit d'épouse, l'âme qui cherche ainsi le moyen favorable de satisfaire son amour. 2. Et comment, nous, si nous goûtons quelque chose de Jésus-Christ, de sa sagesse, de sa suavité, des délices produites, par sa contemplation, non contents de cette grâce, sans considérer, notre étroite capacité, nous efforçons-nous de nous échapper tout de suite, de quitter ce lit qui nous ennuie, eu sortant du repos, et d'un pareil repos ? « Dans la paix, en ce même bien, » dit le sage, « je dormirai et me reposerai. (Ps. IV, 9.) Marie aux pieds du Seigneur tenait ce bien lui-même : Marthe s'agitait pour beaucoup d'affaires. Le trouble est dans la multiplicité. Or, une seule chose est nécessaire et agréable. (Luc X, 42.) Qu'il est bon et qu'il est doux, pour ceux qui aiment d'habiter ensemble. (Ps. LXVII, 7.) Il n'y a pas d'autres moyens d'habiter ensemble que l'amour, qui fait cohabiter les âmes d'une même façon dans une maison. Qu'est-ce à dire d'une même façon, sinon que ces âmes sont rendues conformes, par le lien de l'amour? L'amour attire vers Dieu l'âme de l'homme et s'unit à lui. « Quand il se montrera, » dit l'apôtre, « nous lui serons semblables. » (II Joan. III, 2.) Pourquoi pas semblables? La beauté inexprimable de la majesté divine, manifestée aux esprits purs, éclate d'elle-même, elle ravit l'affection de l'âme qui la considère, et en quelque manière la rend semblable à elle-même, quand elle ne lui permet lias de penser à autre chose. L'odeur nous attire, la vision nous transforme. L'usage de la contemplation est donc excellent, il donne aux esprits des allures semblables et il met dans un accord parfait l'âme humaine et la majesté souveraine. C'est là, cet heureux séjour, au-delà duquel nos désirs ne doivent pas nous entraîner, ni en deçà duquel ils ne doivent pas nous retenir. Qui me donnera qu'il soit le lieu de mon repos, au siècle du siècle? Heureux, qui peut s'écrier: « C'est en cet endroit que j'habiterai, car je l'ai choisi » (Ps. CXXXI, 14.) Marie « a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ravie. (Luc. X, 42.) Les sciences seront détruites, les prophéties seront effacées, les langues se tairont, seule, la contemplation ne cessera pas dans la vie à venir. (I Cor. XIII, 8.) Choisissez-vous, durant la vie présente, cette portion, qui ne vous sera jamais enlevée; que votre âme dise : Le Seigneur est mon partage, c'est pour cela que je contemplerai. Le prophète dit : « C'est pour cela que je l'attendrai. C'est bien dit. Il attend en effet la plénitude du bien, celui qui en tient déjà une partie. Qui jouit sur la terre du bonheur de la contemplation, peut attendre davantage encore dans ce même genre, mais il ne doit pas attendre un don qui soit d'une autre espèce. 3. Ces biens sont des biens réservés pour plusieurs années, bien plus, pour toutes les années. C'est pourquoi, heureuses âmes qui jouissez de ce bien, mangez, as seyez-vous à des banquets : ce sort ne sera point ôté, il vous sera rendu et sera reconstitué avec bien plus d'abondance. Voilà votre repos, ait siècle du siècle, c'est là que j'habiterai, car j'ai choisi ce séjour : fixez-y votre demeure, afin de vous trouver avec celui qui est assis sur les chérubins, sur la plénitude de la science et qui habite une lumière inaccessible. Que votre lieu soit conséquemment dans la lumière de la contemplation. C'est là l'appartement propre et familier de l'Eglise, votre mère, là sa maison : tout ce qui a pour objet les nécessités temporelles se rapporte à cette fin. Les oeuvres de la vie active passent, l'acte de la vie contemplative subsiste toujours. Il vous est bon d'y être et fixez-y votre tente. Non pas une tente pour vans, et une pour votre bien-aimé, mais une seule pour lui et pour vous. Introduisez dans ce lieu votre bien-aimé, entrez dans votre repos pour vous délasser de vos travaux, comme Dieu se délasse des siens. Le septième jour, il se reposa du labeur de la création; le septième jour, il se reposa aussi du labeur de la rédemption, dans l'un après avoir donné l'existence au monde, dans l'autre, quand il se coucha dans son sépulcre. Dans le premier, quand il fonda l'univers; dans le second, après qu'il eût réformé l'humanité. Si vous avez cherché, si vous avez trouvé, si vous avez tenu votre bien-aimé, enlacez celui que vous tenez, attachez vous à lui, imprimez-vous sur lui, afin que son image soit refaite en vous, et que vous deveniez semblable à cette divine empreinte. Vous serez sa copie fidèle, si vous vous attachez à lui. Or « celui qui adhère au Seigneur devient un même esprit avec lui. » (I Cor. 17.) Peut-être que d'abord, son impression sur vous se fera difficilement, comme s'il s'agissait d'une matière dure : si la marque est pénible à graver, l'adhésion sera douce. Le sixième jour de votre réforme, sera laborieux, mais le doux sabbat du repos viendra ensuite. 4. Ensevelissez-vous donc avec le Christ par ce sabbat pour mourir, car : « Bienheureux, ceux gui meurent dans le Seigneur; désormais, dit l'esprit, ils se reposeront de leurs travaux. » (Ap. XIV, 13.) L'esprit le dit, c'est la marque du repos, qui a été accordé et l'effet que produit la grâce, et c'est ainsi qu'il rend témoignage à notre esprit. L'Esprit le dit, car c'est lui qui le fait. Il le dit, car il le donne. « En sorte que désormais déjà l'esprit le dit, ils se reposent de leurs travaux. De leurs travaux, » dit-il, et non de leurs oeuvres. « Car leurs oeuvres les suivent. » Les uvres suivent l'esprit, comme la chaleur le feu, l'ombre le corps, la lumière le soleil, l'effet sa cause. Qui observe le sabbat en esprit n'a pas besoin de vaquer aux uvres, ses uvres le suivent. « Leurs oeuvres. » Quelles sont leurs oeuvres? quelles sont les uvres de ceux qui se reposent, les oeuvres de ceux qui sont parvenus au sabbat du ciel?elles sont en fêtes, elles sont en repos : elles valent ces saints loisirs. Hâtez-vous d'entrer en ce calme, de parvenir en ce sabbat. Mais considérez que la jouissance de ce sabbat n'est laissée qu'à ceux qui sont ensevelis avec le Christ, elle n'est accordée qu'après le sixième jour, ce sixième jour, qui voit ou crucifier l'homme ancien, ou parfaire l'homme nouveau. Car c'est à cause de l'un qu'il est dit de ceux qui sont morts dans le Christ, qu'ils se reposent de leurs travaux, et à cause de l'autre, que l'homme ayant été créé le sixième jour. Dieu se reposa le septième de toutes ses oeuvres. (Gen. II, 2.) Et vous aussi, procurez-vous le sabbat, rachetez le temps, trouvez-vous des uvres libres de toute occupation extérieure. 5. Mais prenez garde que les ennemis ne tournent vos sabbats en dérision ; veillez à ce que vos repos ne tournent point à leur profit, et que vous ne travailliez pour eux, vous qui deviez travailler pour Dieu : « Reposez-vous , dit le Psalmiste, et voyez que je suis Dieu. (Ps. XLV, 11.) » Le repos est bon, mais écrivez la sagesse au temps de votre repos. (Eccl. XXXVIII, 25.) Ecrivez-la sur l'étendue de votre coeur. Il est large, le coeur que les soucis ne resserrent pas; imprimez dans l'intime de votre coeur des lettres qui ne s'effacent jamais, et gravez dans les tablettes de votre âme les caractères de la sagesse, afin que vous puissiez dire : « La lumière de votre visage a été imprimée sur nous, Seigneur, vous avez mis la joie. dans mon coeur (Ps. IV, 7). » Réjouissez-vous, passez un jour de fête avec votre bien-aimé, et faites un festin, comme il est écrit, à l'entrée d'une pareille gloire. « Le sabbat, comme parle Isaïe, est délicat, et saint et glorieux. Délicat, dit-il, et saint (Is. LVIII, 13.) Tout oisif est livré aux désirs (Prov. XXI, 25), » mais tous les désirs ne sont pas saints ; de ce genre sont les envies qu'éprouvent ceux qui veulent s'enrichir, et qui par là tombent dans beaucoup de fantaisies inutiles et dangereuses. (I Tim. VI, 9.) Voyez comment l'Apôtre range parmi les vices la multitude des désirs. Que serait-ce si ces désirs étaient impurs? Car plusieurs qui ne peuvent pas agir roulent en secret, dans leur esprit, des pensées qu'il est honteux même de dire, se consolant en un remède si léger. Pour distinguer tout ceci, non content de dire le « sabbat délicat, » le Prophète ajoute : » et saint et glorieux au Seigneur, » afin que votre gloire ne tombe pas en confusion. Si vous avez du loisir, vous avez le sabbat; si vous voyez et contemplez les joies du Seigneur, déjà voire sabbat est délicat et saint, il est le « sabbat glorieux » du Seigneur : le sabbat du sabbat, c'est-à-dire le repos du repos. Le premier repos est bon, si vous ne vous appliquez pas aux choses du monde. Le second est meilleur, si vous vous appliquez à vous-même et pensez à plaire à Dieu. Le troisième est très-bon, si, vous oubliant, vous vous appliquez à Dieu seul et pensez à ce qui est de lui, comment ce grand être vous plaira lui-même. Que votre sabbat ne soit pas un jour de paresse; opérez les oeuvres de Dieu. L 'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyez en lui. Par la foi, vous voyez. Nous voyons à présent comme dans un miroir : c'est pourquoi attachez-vous à voir. C'est chose délicate que la vision, et surtout la vision de Dieu. Il n'y a pas de nécessité pour vous, du reste, de combattre pour la foi, mais seulement de vous enivrer de délices en elle. Maintenant elle est arrachée aux contradictions de la populace qui la persécute, et de l'hérétique qui la pervertit. Placez-la en tête de vos pensées, afin d'avoir des pensées fidèles et anciennes. Amen.
|