SERMON XLI
Précédente ] Accueil ] Remonter ] Suivante ]

Accueil
Remonter
PRÉFACE
SERMON I
SERMON II
SERMON III
SERMON IV
SERMON V
SERMON VI
SERMON VII
SERMON VIII
SERMON IX
SERMON X
SERMON XI
SERMON XII
SERMON XIII
SERMON XIV
SERMON XV
SERMON XVI
SERMON XVII
SERMON XVIII
SERMON XIX
SERMON XX
SERMON XXI
SERMON XXII
SERMON XXIII
SERMON XXIV
SERMON XXV
SERMON XXVI
SERMON XXVII
SERMON XXVIII
SERMON XXIX
SERMON XXX
SERMON XXXI
SERMON XXXII
SERMON XXXIII
SERMON XXXIV
SERMON XXXV
SERMON XXXVI
SERMON XXXVII
SERMON XXXVIII
SERMON XXXIX
SERMON XL
SERMON XLI
SERMON XLII
SERMON XLIII
SERMON XLIV
SERMON XLV
SERMON XLVI
SERMON XLVII
SERMON XLVIII

SERMON XLI. J’ai moissonné ma myrrhe avec mes plantes aromatiques, etc., (Cant. V, 1.)

 

1. « J'ai moissonné ma myrrhe avec mes plantes aromatiques, j'ai mangé un rayon avec mon miel, j'ai bu mon vin avec mon lait. Venez dans mon jardin, ô soeur mon épouse. » Pensez, mes frères, que cette invitation se rapporte à la fin du monde, quand tous les mystères étant accomplis, l'Eglise sera appelée au royaume céleste, quand le Seigneur enverra les anges pour moissonner, parce qu'alors les régions seront blanches pour la récolte. O temps heureux de la primitive Eglise ? O qu'il était alors fertile son champ, avec quelle abondance il donnait ses fruits ! Quelle fertilité. da myrrhe se faisait remarquer dans les martyrs, que d'abeilles construisaient les rayons de la doctrine mystique et intérieure ! Même au jour du commencement de la foi, quand les apôtres jetaient encore la semence de la parole, vous croiriez que le temps de la récolte est déjà venu, et les champs blanchis vous paraissent réclamer la faux du travailleur. Pourquoi tardez vous, ô bon Jésus? Pourquoi ne pas- inviter votre épouse à entrer dans votre jardin? Ne pouvez vous pas déjà dire : « J'ai recueilli ma myrrhe avec mes plantes aromatiques, j'ai mangé un rayon avec mon miel, j'ai bu mon vin avec mon lait. » Où sont maintenant les martyrs, qui sont signifiés par la myrrhe, les docteurs représentés par le rayon, les hommes dont l'esprit est embrasé de ferveur, dont le vin est l'image, les coeurs simples pour le mal, désignés par la douceur du lait? Le champ de votre Eglise ne nous paraît-il pas dépouillé d'une si grande gloire ? Vous avez multiplié le nombre, vous n'avez point multiplié la joie. (Is. IX, 3.) Nous avons beaucoup de fruits de croyants, mais peu de- parfums. La richesse de (automne s'est trouvée par avance dam. cas premiers jours de l'Eglise naissante: l'horreur de l'hiver se fait présentement sentir. Les ans de fertilité ont passé d'abord, c'est à présent le tour des années de stérilité. Après les épis joyeux et fleuris, apparaissent ceux qui sont stériles et que la rouille a rongés. Pourquoi ne dites-vous pas, en cet instant, ô bon Jésus: Venez dans mon jardin, ô soeur, ô mon épouse? Qu'attendez-vous; pourquoi prolonger encore ? Serait-ce qu'après cet hiver l'automne reviendra? On se réjouira encore devant vous, comme au temps de la moisson. Alors, vous bénirez la couronne de Vannée de votre bienfaisance, et les champs regorgeront de tous leurs trésors. (Ps. LXIV, 12.) L'aspect de ce qui semble maintenant notre désert s'embellira, et la rigueur de la persécution dernière donnera à nos moissons la teinte blanche qui annonce la maturité. Ils seront multipliés dans une vieillesse qui ne faiblira pas, qui ne sera ni stérile ni abattue, mais dans une vieillesse vigoureuse et féconde, et ils seront patients pour annoncer ce qui sera donné à dire. (Ps. XCI, 15.) Patients par le martyre, parlants par les accents de leur bouche. Dans ceux qui souffriront, vous recueillerez la myrrhe, dans ceux qui rendront témoignage, vous mangerez le rayon de miel. Vous abreuverez alors vos élus du vin de la componction mêlé avec le lait de la consolation. Si le Seigneur n'avait pas abrégé ces jours , nulle chair ne pourrait être sauvée.

2. Le Seigneur moissonne, même de nos jours, la myrrhe, non pas avec autant d'abondance qu'autrefois, mais néanmoins il recueille en quantité la myrrhe des afflictions volontaires. Il mange le rayon avec le miel, il nous fait découvrir avec délices, les sens spirituels qui sont exprimés avec une si grande suavité, sous les figures qui les renferment. Il boit le vin avec le lait, parce qu'il tempère et adoucit les interprétations sublimes et les ravissements de la contemplation, par la simplicité de la foi et des moeurs. Il aime la ferveur du zèle, à la condition pourtant, qu'il s'y trouvera des aliments de lait pour soigner les petits enfants. Quand tout cela sera fait, quand seront passés les jours des martyrs; quand les docteurs, semblables à des rayons de miel, portant en eux la sagesse cachée dans ses mystères, auront accompli leur mission; et quand, pressés par les attaques des hérétiques, ils auront fait couler les flots délicieux de leur science; quand les enfants, qui sont nourris de lait, ou les forts enivrés du vin de la grâce, qui oublient ce qui est en arrière, auront accompli leur nombre. et fourni leurs années ; quand tout cela sera consommé ( car un apex ou un iota ne tombera point que tout ne soit accompli, (Matth. V, 13.) alors toute l'Eglise des saints tressaillera en entendant cette douce invitation : « Venez dans mon jardin, ô soeur mon épouse. » J'ai moissonné ma myrrhe avec mes. plantes aromatiques; j'ai mangé un rayon avec mon miel, j'ai bu mon vin avec mon lait. » J'ai récolté, j'ai mangé, j'ai bu : ces paroles se rapportent au passé, elles signifient l'achèvement parfait, c'est comme si le bien-aimé disait : tout est consommé. « Venez dans mon jardin, ô mon épouse ma sœur, j'ai recueilli ma myrrhe avec mes plantes aromatiques. » Dans ce jardin, où le voisinage d'aucune ortie n'attriste la grâce des lis, ou nulle épine n'altère l'éclat des roses, où nul arbre ne se rencontre, dont l'approche soit interdite. « Venez dans mon jardin, ô ma sœur, ô mon épouse. J'ai récolté ma myrrhe avec mes plantes aromatiques. » Entendez bien qu'il ne recueille que ce qui est sien, que ce qu'il avait semé. Il fut un serviteur méchant et nonchalant, celui qui, par une interprétation maligne, rejeta sur mon maître la cause de sa paresse. « Je sais que vous êtes un homme dur, prenant ce que vous n'avez pas placé et récoltant où vous n'avez pas semé. » (Matth. XXV, 24.) Bien paresseux est celui en qui le Seigneur ne trouve rien à recueillir ; et vraiment méchant celui qui, dans son esprit pervers, tient pour dureté la diligence de son Seigneur qui moissonne, garde, sans le faire fructifier, le bien qu'il avait reçu, et conçoit des sentiments injurieux à l'égard d'un si bon maître. Le Seigneur Jésus ne recueille que ce qu'il a semé, que ce qui est à lui. Les mauvaises plantes que l'homme ennemi a semées sur son froment, il ne les recueille pas, il enverra ses anges qui les couperont, et en feront des gerbes pour les brûler, quand ils arracheront tous les scandales de son royaume, (Matth. XXV, 28.) D'abord donc, il purifie son royaume des scandales, son champ de l'ivraie, et son jardin, de toute tige inutile, afin de n'avoir à moissonner et à recueillir que ce qui est à lui.

3. Si Jésus venait soudain, si la voix de l'ange criait, si la trompette dernière faisait retentir ses éclats terribles, si le jugement commençait, si le feu s'enflammait en présence du juge souverain, si le ciel était appelé d'en haut et la terre agitée en vue du grand acte qui doit discerner le peuple des élus; (Ps. XLIX, 4.) si tous ces événements éclataient à l'instant; quel sentiment auriez-vous de vos mérites? A votre jugement de quel côté devriez-vous être placé? Au milieu des saints du Seigneur qui seront réunis à sa droite, ou parmi ceux qui seront liés en un seul faisceau pour être jetés dans le lac? Parmi les mauvaises herbes, ou entre les plantes aromatiques? Peut-être que votre volonté hésite à prononcer sur vous? qui se glorifiera de n'avoir pas d'ivraie dans son champ? Heureux l'homme qui en a peu, et en qui ce peu, sans être cultivé ou soigné, se cache furtivement dans le grand nombre des plantes aromatiques, pour fuir sa vigilance attentive à arracher à l'instant même, tout ce qui se montre à ses yeux de cette herbe maudite. Malheur à moi, Seigneur, à cause de mes imperfections, si vous êtes un homme dur, faisant payer avec sévérité, réclamant ce que vous n'avez pas donné, et récoltant ce que vous n'avez pas semé. Malheur à moi, si vous recueillez ce que vous avez semé, sans faire grâce et sans pitié, car tout ce que vous avez jeté dans la terre de mon âme n'y apas germé. Daignez accepter un bouquet de ma myrrhe pour le placer sur votre coeur. Que le parfum de mes aromates, vapeur bien frêle et peu durable, s'élève jusqu'à vous. Quand pourrai-je vous offrir un rayon de miel entier? Quand, une méditation assidue de votre loi? Quand, une intelligence pure et pleine des mystères religieux? Quand, cette sagesse douce comme le miel, que saint Paul fait entendre parmi les parfaits? (I Cor. II, 6.) Car de même que cette liqueur suave est contenue dans les cellules qui composent le rayon, de même la sagesse du ciel est renfermée dans les symboles très-purs des figures, et, par une influence réciproque, la vérité ainsi voilée rehausse les symboles, et les symboles, à leur tour, donnent une grâce plus sensible à la vérité exprimée dans leurs types. Quand me sera-t-il donné de vous préparer dans la coupe de mon coeur, ce mélange de vin et de lait que vous aimez? Il est rare de rencontrer ce tempérament, de voir celui, qui est ravi en Dieu, savoir être simple, et abaisser la hauteur de sa science à l'humilité des faibles celui qui boit les flots durs de l'intelligence, doit devenir petit enfant.

4. Quel grand, quel riche rayon de miel a été, ces jours-ci, porté sur la table du banquet céleste, je veux dire l'abbé de Rieuval, (Aèlrede de Rieuval en Angleterre, qui mourut à la 50ème année de son âge, sous le règne du roi Henri II, an du Seigneur 1166. Voyez les notes du Livre I des lettres de S. Bernard.) dont on nous a appris le trépas pendant que nous expliquions ce passage. Il me semble qu'en le perdant, notre jardin a été dépouillé de toute sa végétation et que notre terre a donné à Dieu, qui le cultivait, un grand faisceau de myrrhe. Il ne reste dans nos ruches aucun rayon qui lui soit comparable. On voyait à la fois dans lui et le rayon de miel et le bouquet de myrrhe avec les plantes aromatiques. Qui plus que lui brillait par la pureté de la vie ou la sagesse de la doctrine? Qui plus que lui souffrit davantage dans la chair, et eut plus de promptitude dans l'esprit? Semblables à la cire, ses paroles répandaient une science suave comme le miel. Languissant dans sa chair affaiblie, l'amour des biens célestes rendait son âme encore plus languissante au-dedans. Consumés par un amour continuel, son corps entouré de myrrhe, son esprit parfumé d'aromates, faisaient monter au ciel le parfum perpétuel d'un sacrifice agréable au Seigneur. Dans une chair aride et desséchée, son âme était comme engraissée du meilleur embonpoint : aussi toujours sa bouche louera le Seigneur dans le tressaillement de ses lèvres, toujours ses lèvres seront un rayon distillant le miel. Car, entièrement changé en langues, par son visage modeste, par l'extérieur tranquille de toute sa personne, il exprimait au-dehors les sentiments paisibles de son coeur. Sa vue était pénétrante, ses paroles n'avaient rien de précipité. Il demandait avec modestie, il remettait avec plus de modestie encore, supportant les importuns, il n'importunait personne; il comprenait parfaitement, il répliquait avec délai et lenteur, il supportait avec égalité. Je me souviens que plusieurs fois un de ceux qui l'écoutaient ayant interrompu avec inconvenance un de ses discours, le pieux abbé s'arrêta jusqu'à ce que l'interrupteur eût bien déchargé son âme : et quand ce flot impétueux de paroles fâcheuses eut cessé de couler, avec la même tranquillité qu'il avait mise à l'écouter, il reprit le cours de ses idées, parlant avec opportunité et se taisant avec convenance. Prompt à écouter, tardif pour répondre, il n'était pas lent à se mettre en colère. (Jac. I, 19.) Comment eut-il été lent à se courroucer celui qui (pour ainsi dire) ne ressentit jamais les atteintes de ces sortes de vivacités?

5. C’est bien vrai, il était un rayon : car composé et rempli de toutes parts de cellules sans corruption, en toute action, en toute parole, en tout geste, on croyait qu'il répandait le miel de la douceur intérieure. Heureux celui en qui Jésus trouve un rayon de miel pour manger, un rayon gras, qui ne soit nullement desséché. Considérez la nature de ce rayon : sa tète a quelque forme de casque à cause du vase dans lequel il est bâti. Ensuite pendant de la cime en bas, il semble descendre des hauteurs. Selon saint Paul, l'espérance du salut éternel est un excellent casque. (I. Thes. V, 8.) C'est de l'espoir des biens supérieurs en effet, que doivent partir, et le principe de tous les actes et l'intention qui dirige la vie entière. A cet espoir, doit se rattacher l'existence, il doit en être le but, et la protéger contre tous les obstacles. Si vous voyez un homme rempli, en vue des biens célestes qu'il attend dans toutes les circonstances de la vie, même les plus fâcheuses, de cette joie de l'esprit dont la douceur surpasse celle du miel, à quoi le comparerez-vous, sinon à un rayon dont toutes les cellules regorgent de miel? Mais quand vous considérez un homme muni de moyens, réglé dans sa conduite, toujours égal par la juste distribution de ses actes et de sa vie, rempli de tous côtés de ces cellules, vides cependant, et dégarnies de cette douce liqueur de l'espérance qui prend fond dans le ciel ; que vous rappelle cette vue, sinon l'aridité d'un rayon desséché? Le malheur serait double, s'il était en même temps dissipé par l'inconduite et comme tari par le manque de dévotion. Autre chose cependant est qu'il garde les apparences pour présenter un masque menteur de vertu, et autre chose, qu'il exprime au-dehors l'honnêteté, dans l'espoir louable d'obtenir la grâce, afin que les vases ne manquent pas pour recevoir les dons de la douceur spirituelle, et que les cellules soient disposées pour recueillir le miel qui découle d'en-haut.

6. Mais le rayon de miel dont nous parlons était entier, il débordait de la liqueur qui le garnissait. Rempli de cellules, de toutes parts il répandait la douceur; ouvrier assidu, Aëlrede composait sans relâche, les rayons de la sainte prédication. Excellents rayons, encore dans leur intégrité, ils adoucissent tous les jours la poitrine de plusieurs. Il ne cherchait pas une subtilité qui ennuie plus qu'elle n'instruit. Tout adonné à la science morale, il l'exprimait dans les formules très-éloignées de ses discours. Il était versé dans les idées mystiques qu'il exposait au, milieu, des parfaits. Pour le salut et la consolation des enfants, il répaud4t avec grande abondance une doctrine semblable à du lait; il y mêla souvent, d'une manière cachée, le vin des. paroles qui réjouissent et enivrent saintement. Il en est ainsi. Son lait avait la force du vin. Ses simples instructions, les discours qu'il adressait aux faibles, comme du lait, saisissaient, à son insu, les esprits de ses auditeurs, les enivraient et leur faisaient éprouver une sorte de ravissement. Celui qui en était abreuvé pouvait dire avec raison : j'ai bu du vin avec du lait. Il savait mélanger ces deux éléments, et faire boire l'autre aussi, quand il ne présentait que l'un d'eux. Il traitait les matières propres à facilement édifier les âmes, mais on sentait dans ses paroles, la force de la grâce.: qui enivrait, Il avait une intelligence facile et une affection puissante.

7. Regrettons d'avoir perdu un. homme d'une telle grandeur; réjouissons-nous néanmoins d'avoir envoyé dans le céleste jardin, un tel faisceau de myrrhe cueilli dans nos petits parterres. Il y est un ornement, lui qui ici-bas avait été notre soutien. Et si nos ruches paraissent vides, et notre jardin dépouillé, il a laissé cependant beaucoup de tiges dont Dieu, par sa puissance, peut former d'autres faisceaux, en leur donnant l'accroissement des vertus. C'est ce qu'il opère dans toute l'Église, jusqu'à ce que, par des successions continues, la diffusion de tous les. degrés de sa grâce étant achevée, il dise à son épouse parfaite et complètement réparée : « Venez dans mon jardin, ô ma soeur, ô mon épouse: J'ai recueilli ma myrrhe avec mes aromates : j'ai mangé un rayon avec mon miel : j'ai bu mon vin avec du lait. Mangez, mes amis et buvez, et rassasiez-vous, a mes bien-aimés. » Bien que nous attendions l'accomplissement parfait de cette parole, lors de l'introduction de l'Église dans la joie du Seigneur après la résurrection : nous croyons néanmoins que tous les jours, les citoyens angéliques du ciel sont invités à partager la joie d'en haut, lorsqu'une âme sainte (telle que celle dont nous venons de faire mention, soit une autre d'une perfection et d'un mérite inférieurs), est transportée dans le bonheur du Paradis, dans les jardins toujours verdoyants, dans l'enceinte du tabernacle admirable, jusque dans la maison du Seigneur.

8. Nourrissez votre esprit de ces pensées, mes frères, repassez-les souvent dans votre mémoire, et répandez vos âmes en vous-mêmes. Ce souvenir est plein de feu : il fera liquéfier votre âme, il la fera se répandre en délectations et en désirs, lorsque vous entrerez dans l'enceinte de ce tabernacle admirable. La joie du banquet retentira dans les chanta de l'allégresse et de la louange. La voix de l'ami qui est assis au festin, la voix du Seigneur qui invite à le partager, forment une musique double et agréable. Voici les paroles de l'invitation: « Mangez, mes amis et buvez, et enivrez-vous saintement, ô mes bien-aimés. Mes amis, » dit-il,  et mes bien-aimés. » Ce sont des paroles de tendresse. Ces tendresses ne sentent pas l'adulation : elles sont: pleines de dévouement et d'affection. Et prononcées par le Seigneur, elles ont la vertu d'enivrer saintement les âmes : elles ont pour effet d'adoucir les sentiments de ceux à qui elles sont adressées. Il existe pourtant entre elles une différence, et le mot « ô mes bien-aimés » a quelque chose de plus aimable que celui de « mes amis ». « Vous êtes mes amis », dit le Seigneur aux apôtres, « si vous accomplissez ce que je vous dis. Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais bien mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai entendu de mon père. » (Joan., XV, 14.) Remarquez la différence qui se; trouve en ce lieu. Là et là ils sont appelés « amis » mais à des points de vue différents. Là, parce qu'ils font, ici, parce qu'ils savent. Là, à cause de leur ministère, ici, à cause du mystère. Là, ils mangent, ici, ils boivent. En ces deux endroits il sont « amis, » cependant ils ne sont pas encore «bien-aimés. » Pour les bien-aimés, l'ivresse arrive pendant qu'ils boivent. Le titre qui leur est donné, indique une abondance qui déborde intérieurement et signifie la plénitude de la charité. Il est très-cher, celui qui est plein de charité. Il est bien-aimé, celui qui est pénétré et comme imbibé de cette vertu, dont les os et la moëlle des os et tout l'intérieur, sont arrosés de cette liqueur divine. Ce n'est pas parce qu'il est très-cher qu'il est enivré, mais parce qu'il est enivré, il est bien-aimé. Et être enivré, qu'est-ce autre chose, sinon être rempli de la volupté d'une charité très parfaite ? Aussi nous voulons employer cette distinction, les « très-chers » sont ceux qui aiment très parfaitement, et ceux qui sont « enivrés » sont ceux qui sont très parfaitement délectés. « Mangez, mes amis, et buvez et enivrez-vous, ô mes bien-aimés. » Les « amis ». sont ceux qui, agissent ou qui écoutent; les » bien-aimés ceux qui s'attachent. Les « amis » agissent pour le Seigneur, et écoutent les paroles qu'il prononce; les « bien-aimés » s'enivrent de lui. Les « amis » sont ceux à qui, il fait connaître ce qu'il a entendu de son père : les « biens-aimés »,  sont ceux est qui il a répandu une pleine connaissance de ce même père. Là, beaucoup de choses sont enseignées; ici, une seule est aimée. Dans les « biens-aimés » il n'y a pas. de différence d'oeuvres, ou de doctrine, en eux se trouve la diffusion seule et souveraine de l'amour. Les « amis » sont ceux qui se conforment à la divine volonté : les « bien-aimés, » ceux qui s’enivrent et sont pénétrés de la volupté de l'amour sacré.

8. « Mangez, mes amis. » On ne dit plus, les pauvres mangeront et ils seront rassasiés. (Ps. XXI, 27.) Mais, mangez, mes amis, et enivrez-vous. Comment sont pauvres, ceux qui s'enivrent de l'abondance des biens de la maison du Seigneur ! Comment la pauvreté se rencontre-t-elle là où sont les trésors? « Mangez, mes amis et buvez et enivrez-vous, » Vous mes amis et. mes bien-aimés: amis à cause de la délectation de société; bien-aimés à cause de l'affection de l'alliance. « Enivrez-vous, mes bien-aimés. » Je vous ai introduits dans le cellier de mes vins pour ordonner en vous la charité. La charité n'est ordonnée que lorsque votre âme est enivrée de l’abondance de cette vertu. fille n'est ordonnée, que lorsqu’elle aura été placée au-dessus de tous les autres sentiments de votre coeur. Voilà le bon ordre, la prédominance de l'amour sur toutes choses : c'est cet amour souverain qui constitue les bien-aimés. Les bien-aimés sont ceux en qui il ne se retrouve rien qui soit vide de charité, ou occupé par quelque autre affaire. L'ordre est parfait, lorsque du degré des chers on passe à celui des bien-aimés. L'harmonie suprême règne, quand on ne peut rien ajouter au comble de la charité. « Mangez, mes amis, et buvez et enivrez-vous, a mes bien-aimés. » Là, tous sont amis, là, tous bien-aimés. Tous boivent à la coupe, et tous sont rassasiés. Il n'en va pas de la sorte dans cette vallée de larmes, il n'en va pas de la sorte : il y a plusieurs amis, et peu de bien-aimés : plusieurs boivent, mais peu sont enivrés : et ceux qui sont enivrés retombent ensuite dans l'état de tempérance et de jeûne, à un moment ils sont ravis en esprit, et ils retournent ensuite à leur état de sobriété et de calme ordinaire. Ils sommeillent et puis ils sont réveillés : le saint repos les gagne et peu après ils se retrouvent dans l'état de veille: Aussi, on lit à la suite : je dors et mon coeur veille. Ces veilles cependant ne paraissent pas succéder au sommeil, mais bien plutôt le continuer. Que notre Seigneur nous accorde, à moi de comprendre, et à vous d'écouter avec vigilance ce qu'il y a à dire sur ce sujet; lui qui vit et règne, Dieu dans tous les siècles des siècles. Amen.

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante