SERMON XXIX
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SERMON XXIX. Vous êtes toute belle, ma bien-aimée. (Cant. IV, 7.)

 

1. « Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a pas de tâche en vous : venez du Liban, mon épouse, venez du Liban ; venez, vous serez couronnée. » Qui me donnera de faire (pour employer ce terme), cette route de trois jours? Qui, dis-je, me donnera de parcourir ce chemin sans me fatiguer. Ces routes sont belles, ces sentiers sont pacifiques, aller du Liban au Liban, et du Liban au royaume. Car l'épouse, appelée à la couronne, paraît être invitée à partager le trône. Ce terme de la voie est agréable, le passage est néanmoins agréable aussi. Pourquoi ne serait-il pas doux, puisqu'il ne s'écarte pas du Liban? Ce n'est pas là une route large, une route profane, l'impur ne peut y passer. Ce n'est pas ici l'affaire de celui qui court, de celui qui veut, mais de Dieu qui fait miséricorde. Pourquoi, dis-je, qui fait miséricorde? Il aurait mieux valu dire, qui éprouve un très-vif désir. Est-ce que ce triple appel qu'il adresse n'indique pas une brûlante envie? La preuve qu'il désire vivement, c'est qu'il appelle trois fois. Rappelez en votre esprit les commencements de ce cantique : nulle part vous ne trouverez la beauté de l'épouse si souvent rappelée ou si fortement louée. Trois fois le bien-aimé l'appelle, trois fois il dit qu'elle est belle. Dans les passages précédents, vous lisez : » voici que vous êtes belle, mon amie, voici que vous êtes belle. Et encore ailleurs : oh! que vous êtes belle, ô ma bien-aimée, oh! que vous êtes belle! Et en ce troisième endroit, il dit qu'elle est toute belle. Dans les autres lieux, où il montre qu'elle est belle, où il est ravi qu'elle soit si belle, il n'affirme pas qu'elle soit entièrement belle comme il l'assure en ce lieu. « Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée. » Comment n'est-elle pas toute entièrement unie à la beauté, comment toute la beauté n'est-elle pas unie à elle ? Comment n'est-elle pas entièrement belle, celle en qui descend tout l'éclat de la lumière éternelle? Elle est toute belle, et plus que belle, celle en qui se précipite, avec toute son abondance, la plénitude de la beauté du Seigneur. Cette beauté est certainement exaltée au-dessus des astres, elle éclate cependant dans l'épouse. « Sa beauté, » est-il dit, « est dans les nuages du ciel. » Tant que l'épouse est nuée du ciel, nuée brillante et légère, nuée qui s'approche du soleil, pour ainsi dire, et le reçoit en elle aussi longtemps, la seule splendeur de cet astre reluit en sa personne, et la splendeur de sa beauté y subsiste.

2. L'épouse est véritablement une nuée, quand l'affection spirituelle la rend dégagée et quand la lumière de l'intelligence l'éclaire . lorsque suspendue dans les hauteurs par l'oraison et la contemplation, semblable à un nuage léger et brillant : toute belle, parce qu'elle est toute aimée; sans tâche parce qu'elle est colorée des feux de la charité : à ce moment, l'époux montre sa bien-aimée glorieuse, sans défauts, sans rides, la purifiant, non pas tant par son sang que dans sa lumière. Comment ne serait-elle pas entièrement belle, cette âme en qui apparaît une image si parfaite de la beauté divine? Quelle personne me trouverez-vous que vous osiez appeler entièrement belle, si vous ne la prenez à cet instant où l'amour dans son ardeur la pénètre beaucoup plus qu'il ne la revêt de la beauté de son bien-aimé? Aux autres moments, on la regarde comme sans tâche, lorsque ses fautes ne lui sont pas imputées? A l'heure où on la proclame sans tâche, ce n'est point indulgence, mais cet état est l'effet de son amour, de son désir, de sa dévotion. Où y aura-t-il place pour l'indulgence, là où tout bouillonne uniquement des désirs de la charité? L'amour n'a pas besoin d'indulgence : où il se trouve seul, tout est plein de grâce. Voyez maintenant comment l'offense est exclue, la grâce et la grâce seule recommandée. « Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée, » dit l'époux, « et il n'y a pas de tâche en vous.» Des paroles si flatteuses, ne sentent pas l'indulgence, elles sont l'expression de la dilection de l'amour, de l'admiration. Ravi de cette beauté, l'époux désire sa présence. « Venez du Liban : venez, vous serez couronnée. » Cette invitation répétée exprime l'affection et le vif désir qu'il éprouve.

3. Que d'autres scrutent les mystères de ce triple appel et en assignent les degrés : pour moi, c'est assez d'admirer l'affection que la majesté divine éprouve pour l'âme de l'homme. Cette tâche me suffit, mais j'y succombe. Plût à Dieu que je n'eusse rien autre chose à faire que d'admirer dans la stupeur de mon esprit ravi, la grâce qui nous est ainsi faite dans cet amour, en accompagnant toutefois cette admiration de mes voeux et d'une charité fort sincère. L'affection, en effet, mérite l'affection, et l'abîme appelle l'abîme au bruit de ces cataractes retentissantes. Ce sont là, ô bon Jésus, de bonnes cataractes, elles répandent l'affection et font couler l'amour à flots. L'amour n'est pas muet, il a l'usage de la parole. Parce qu'il « contient tout, il a la science de la voix. (Sap. I, 7.) Ceci a été écrit de l'esprit, et vous connaissez bien la grande affinité (si ce n'est pas l'identité) qui règne entre la charité et le Saint-Esprit. Cette vertu renferme tout, parce que « la plénitude de la loi c'est la charité. » (Rom. XV, 10.) L'esprit exprime les mystères et prononce des expressions remplies d'amour. Il rend témoignage à notre esprit, il peut aussi faire entendre des paroles agréables. Les sons qu'il fait retentir sont pleins de tendresse et de désirs, ses voeux sont à l'instar d'une voix. L'expérience heureuse que l'on fait de la grâce, c'est là le principe qui invite, qui parle, qui crie : venez du Liban. L'époux appelle trois fois, peut-être parce qu'un lien triple, est difficile à rompre. L'amour est un lien puissant. Il attire tendrement; pour lui, parler, c'est attirer. Rien n'enlace plus fortement, rien n'entraîne avec plus d'énergie que ce lien de l'amour. Entendez comment la loi divine montre le triple noeud qui forme ce lien. « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit. » (Matth, XXII, 37.) Comme si l'on disait : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu par la résolution de votre coeur, par l'affection vitale de votre âme, et par le choix complet et raisonnable de votre esprit de telle sorte qu'il y ait en vous le propos de l'amour, que ce propos soit tout vers Dieu, et qu'il soit formé avec juste connaissance. La pieuse intention du coeur tourné vers Dieu est bonne : mais qu'est-elle si elle est paresseuse, morte, si elle n'a rien de vivant, rien d'animé? Elle est bonne, l'intention pure qu'excite et vivifie pour ainsi dire une douce et forte affection. La méditation, quand elle est bien réglée, forme; et quand elle est fréquente, elle ranime cette affection qui est comme l'âme de la bonne résolution. Quoi de plus fécond, que ce triple lien, pour faire mériter la couronne qui nous est destinée, quoi de plus capable de nous faire goûter l'expérience du bien? Cette triple dilection qui lie l'âme, ne vous semble-t-elle pas vous inviter et crier à trois reprises : venez?

4. Enfin, elle adresse comme    une invitation, quand elle donne la hardiesse qui vient du mérite et le goût qui résulte de l'expérience. « Venez du Liban, venez, vous serez couronnée! » Dans l'Apocalypse vous lisez ce passage relatif à ceux qui viennent du Liban. : « Ceux-ci que je vois vêtus d'habits blancs, qui sont-ils, et d'où sont-ils venus? Ce sont ceux qui sont venus d'une grande tribulation, ils ont lavé leurs robes et les ont rendues blanches dans le sang de l'agneau. Ils les ont blanchies, » dit ce texte, « dans le sang de l'agneau. » (Ap. VII, 13) Par l'énergie de leur foi et par la sainteté de leur vie, ils suivent dans leurs souffrances cet agneau qui n'ouvrit pas la bouche quand on le menait à la boucherie et qui garda le silence lorsqu'on le tondait. (Is. LIII, 7.) Ils ne sont ni tristes ni agités, jusqu'à ce que leur jugement se termine par la victoire, et leur combat par la couronne. « Nul ne sera couronné, s'il n'a auparavant légitimement combattu. (II Tim. II, 5.) Et parce que la couronne s'obtient dans la lutte, c'est pour cela, Sans doute, qu'en invitant sa bien-aimée à la couronne, l'époux lui indique ce qui la lui fera obtenir. Voici ses paroles: Vous serez couronnée de la tête d'Amana et de Sanir, des montagnes des léopards et des cavernes des lions. Ces noms, ces animaux rappellent, je ne sais quoi de dur, de sauvage et de rusé. On dit que l'épouse est couronnée à cause d'eux parce que, par leur défaite ils ont fourni matière à son triomphe. Il est couronné pour avoir souffert la tribulation, celui qui, doux et pacifique, sort des grandes souffrances semblables à un agneau : celui qui vient en toute charité, blanc, sans déchirure, que ne dépare aucune tâche d impatience ou de murmure. Ce sont là ceux qui viennent du Liban et sont couronnés de la tête d'Amana et de Sanir, des cavernes, des lions, et des montagnes des léopards. C'est par ces animaux qu'on est couronné, parce que par eux on subit les épreuves des souffrances. Est-ce que ces âmes ainsi exercées ne cueillent pas les raisins sur les épines, les figues sur les ronces? « Ce qui, à présent, » dit l'apôtre, « se fait sentir de notre tribulation est momentané, aussi bien que léger; et au-dessus de toute mesure dans les hauteurs des cieux, se prépare en nous           un poids éternel de gloire. (II Cor. IV, 17.) Les souffrances de cette vie coopèrent donc, bien qu'elles ne lui soient nullement comparables, à la confection de cette couronne de la gloire à venir, qui nous est réservée. On a une mesure de récompenses tout-à-fait comble, lorsque l'âme, au milieu des mérites d'une entière pureté, est encore brisée par des souffrances variées. On se tresse une couronne très-belle, quand on enchaîne ensemble la sainteté de la vie et l'humble support des tribulations. Assurément le poids des peines est fort considérable : voilà sans doute pourquoi on l'exprime par le mot de montagne. C'est une masse énorme, mais la foi est au-dessus et rien ne peut l'écraser. Elle foule aux pieds les cimes de ces hauteurs et elle frappe la tête même dans la maison de l'impie. Par conséquent c'est avec raison que, tête triomphante, elle est couronnée à cause de la tête, parce qu'elle brise le principe des tentations et résiste à la violence des assauts. En toute chose, ce qui est premier ou principal est comme la tête. Entendez donc ici par tête, soit le principe, soit l’ensemble de ce qui est figuré par ces montagnes. Il est couronné de la tête d'Amana, du sommet d'Hermon et de Sanir, celui qui s'élève au-dessus de l'amas des injures et de la masse des tribulations qui se dressent contre l'humble science du Christ. Mais cette montagne parait avoir d'autant moins de poids, que tout ce qui la gonfle est plus fugitif et plus momentané.

5. Enfin bien qu'il s'agisse d'une montagne, vous lisez ce passage : « la montagne tombante s'en va, et le rocher est transporté de sa place. » (Job. XIV, 18.) Et voyez comment ces montagnes ont coulé, comment elles ont été transportées. Elles ont été transportées, parce qu'elles ont été transformées. L'Apôtre montre comme transportés et comme conquis par la victoire, les fidèles à qui il adresse ces paroles : « Vous avez autrefois été tout cela, » dit-il. « mais vous avez été lavés, sanctifiés et justifiés. » (I Cor. VI,11.) De cette ablution, de cette purification qui s'opère par la parole de la foi, le léopard a perdu ses bigarrures, il est devenu entièrement sans tâche, tout d'une seule couleur, c'est-à-dire il n'a qu'une foi et qu'une manière de se conduire. L'hérétique est semblable au léopard, il est tâcheté de la variété de ces croyances erronées : et il est encore comparable au même animal, l’homme qui ne ressemble pas à lui-même, l'homme inconstant et divers qui change souvent de projets. Car (pour employer ce langage) le léopard paraît vouloir et ne vouloir pas. Appliquez ces paroles à la conversion des gentils, et vous comprendrez de suite comment, par l'unité de espérance et de la foi, ceux qui se sont convertis au Seigneur ont pris une seule et même couleur : vous verrez qu'ils ont dépouillé non-seulement la bigarrure mais encore la férocité, et qu'ils ne résident plus dans les antres des lions. On ne les trouve plus, dis-je, dans les couches impures, mais dans les retraites et les jardins embaumés par les plantes odoriférantes; ils reposent non dans les gîtes des animaux sauvages, non dans les lits infects, mais dans les lieux fleuris. Car elle est fleurie la couche qui réunit l'époux et l'épouse. L'épouse ne semble pas sortir di Liban, et quitter la Judée avec plaisir pour aller vers les nations. Elle s'en va à regret, elle qui appelle tant de fois, ne veut point quitter le Liban, et se rendre au mont Amana, aux cimes de Sanir et d'Hermon. Mais son passage convertit en véritable Liban, ces hauteurs stériles, ces cimes barbares.

6. Mais considérez à présent les noms de ces montagnes. Amana signifie un peuple vain ou resserrant. Sanir, hérissé; Hermon, anathème. Quoi de plus vain que ce peuple, dont les docteurs eux-mêmes s'évanouirent dans leurs pensées, et se disant sages, devinrent fous? quoi de plus étroit que ceux qui, par désespoir se livrèrent à l'impudicité? Il est bien plus étroit, le coeur qui borne tous ses vieux aux limites de la joie du temps, et ne sait point dilater ni porter son espérance aux biens éternels. Qu'y a-t-il de plus rude et de moins bien réglé, que ces hommes dont l'Apôtre dit: qu'ils sont sans affection, sans fidélité, vivant dans la malice et la jalousie. (II. Tim. III, 3.) Ne faut-il pas les comparer au mont Sanir? Car on regarde comme semblables à Hermon ceux qui sont devenus étrangers au sens du Christ, qui n'ont plus l'espoir de la promesse, ne sont pas concitoyens des saints, ne font nullement partie de la maison de Dieu, et se trouvent absolument sans Dieu en ce monde. Et vous, ô nations, vous avez été tout cela, mais vous avez été lavées, sanctifiées et justifiées au nom de notre Seigneur Jésus Christ : aussi l'épouse est couronnée à cause de vous, parce que votre changement est le sujet de sa gloire. Excellente transformation quand le Sanir devient le Liban. Et le Liban, le vieux Liban, le Liban des Juifs parait maintenant changé en Sanir et en Hermon : c'est pourquoi, viens du Liban, et viens et considérez combien à la place de ce Liban petit et étroit, il s'élève pour vous d'autres Libans. Levez les yeux autour de vous et voyez, toutes les montagnes de ce monde doivent devenir pour vous d'autres Libans. Il est grandement triste pour votre coeur, d'être témoin de la perte et de la désolation de votre nation : mais cette désolation trouve une large compensation dans le gain de plusieurs peuples qui viennent dédommager du malheur d'un seul qui s'en va. Ne tardez donc point, mais, venez de ce Liban qui a déjà cessé d'être le Liban . Venez pour être couronnée à cause de la foi et de la vie sainte des gentils convertis. Vous plaît-il de voir toutes ces montagnes dont nous parlons, non dans la Judée et dans la gentilité, mais en l'Eglise seulement? Ce sens sera acceptable, si vous voulez faire subir au texte cette application. Vous trouverez dans l'Eglise et le Liban et Amana et Sanir et Hermon. Vous y rencontrerez et les montagnes des léopards et les cavernes des lions.

7. Plaise au ciel que dans notre Liban, que dans cette assemblée de moines, que la profession et la vie embellit et fait briller d'un pur éclat: que, dis-je, dans ce Liban, on ne puisse voir ni la tête d'Amans, ni les cimes des Sanir et d'Hermon. Quand, dans la réunion et l'assemblée des saints, vous apercevez un religieux qui s'exalte lui-même, animé de sentiments qui sont selon la chair, plein dejactance, enflé et troublé au-dedans et au-dehors, inquiet dans la vanité de son oisiveté (car l'oisiveté produit la paresse spirituelle), quand vous rencontrez un religieux de ce, genre, qu'avez-vous devant les yeux, sinon la tête d'Amana unie au Liban? Rien de plus vain que l'oisiveté, rien de plus inquiet que la paresse spirituelle, rien de plus agité que l'enflure de l'orgueil. Car, Amana veut dire peuple vain ou troublé . voilà pourquoi d'Amana, on va à Sanir, vers le peuple rude et poilu. Là où est la paresse, là se trouve l'enflure : où règne le trouble, vous ne trouverez rien de flexible, rien de bien disposé, rien de réglé, tout y est blessant. qui a le malheur d'être en cet état, est sans fidélité, sans affection, homme d'un sens ennemi, réprouvé et, ce qui est encore plus triste, anathématisé, selon la, signification du mot Hermon. Cet infortuné n'est ni domestique de Dieu, ni citoyen, il n'est pas même hôte et étranger qu'on héberge, parce que nulle grâce n'est pour lui, aucune dévotion ne descend en son âme. L'époux n'entre pas chez lui, soit pour le visiter en passant, soit pour loger en sa maison comme un hôte. Chez lui résident les léopards, les démons à la peau changeante et bigarrée, les lions font leur séjour en son coeur. Ils ne rôdent pas autour pour. traverser ce lieu en courant, ils le possèdent en sûreté, ils y placent leurs repaires. Mais il ne faut pourtant pas désespérer de ceux qui sont en cette triste position. Plusieurs d'entre eux sont prédestinés en effet à contribuer à l'ornementation de l'époux. Aussi il dit : « Venez, vous serez couronnée de la tête d'Amana et de la cime de Sanir. Venez, du Liban, » dit-il, « venez. » Voyez si elle ne sort pas avec peine du Liban, celle qui se laisse appeler tant de fois. Cependant le retard qu'elle apporte à en partir ne vient pas de la désobéissance; c'est un acte de précaution. Qui en effet descend avec plaisir de la contemplation et des pures régions du repos intérieur? Qui n'éprouvera pas de la peine de s'éloigner, même pour un instant, d'un lieu plein de délices? Peut-être les avantages qu'on espère réaliser dans les disciples sourient, mais le travail est fatiguant. Sans doute, le profit est à désirer, mais la chute est à craindre. Je tiens pour suspects ces gains qui offrent un profit incertain, exposent grandement le salut personnel, et empêchent certainement de goûter les délices intérieures. Est-il étonnant que la bien-aimée mette du retard à venir, puisqu'il lui est désagréable de s'éloigner du Liban et qu'elle a à craindre, en prenant son essor vers les montagnes barbares qu'habitent les animaux ? Et peut-être ce délai de l'épouse blâme et condamne notre précipitation ; trop prompts, pas assez prévoyants, ne pesant pas suffisamment les forces de notre âme, nous nous hâtons de nous jeter dans les travaux de la prélature, dans les peines des soucis, dans les occasions de chute qu'elle entraîne à sa suite : n'attendant pas d'être appelés, même une fois, mais de nous même. Nous prenons l'honneur, ou devançant la vocation ou la provoquant par artifice. Un emploi si redoutable ne veut ni présomption imprévoyante, ni crainte obstinée.

8. Il faut désirer d'aller où le Christ ordonne, où l'époux appelle, et où sont promis des fruits abondants, comme la chose a lieu en cet endroit : «Venez, » dit-il, c vous serez couronnée de la tête d'Amana, des hauteurs de Sanir et d'Hermon, des cavernes des lions et des montagnes des léopards. » Quand la dureté des moeurs est changée dans les sujets, lorsque des couches impures, ils sont transportés dans les lits honnêtes et fleuris, dans les jardins des aromates, dans les retraites où il n'y a plus les rugissements, mais les larmes et où règne la componction du cœur et non la lutte des pensées: quand disparaît le voile d'une variété tâchetée pour faire place à la simplicité pure, et quand les moeurs se trouvent améliorées par son ministère, alors on comprend que l'église est couronnée avec convenance. Elle reçoit avec raison cette récompense à cause de ces pécheurs qui deviennent son ornement, eux dont précédemment elle abhorrait les moeurs - alors ils sont réunis en un seul coeur, par l'ordre de la charité, eux qu'auparavant divisaient des haines vraiment bestiales. Cette consistance de l'unité est tout-à-fait agréable à l'époux ; voilà sans doute pourquoi dans la suite il se dit blessé « par un de ses yeux ou par un de ses cheveux », c'est-à-dire, un des yeux, un des cheveux de l'épouse. Il faut renvoyer à un autre temps l'explication de ce passage. Il me suffira d'avoir donné en terminant cet avertissement : que si le désir de soigner le prochain pousse quelqu'un à monter à un grade supérieur, je ne l'en dissuade pas, je ne l'y engage pas absolument. L'unique chose à laquelle je vous exhorte, qui que vous soyez, c'est d'imiter l'hésitation et la candeur de l'épouse : elle ne se contente pas d'être appelée une fois, elle n'est pas tout-à-fait digne, si elle ne vient du Liban d'une conscience blanche et purifiée. Ce n'est en effet que du Liban que Jésus appelle sa bien-aimée, à la couronne, Jésus qui est Dieu béni dans les siècles des siècles. Amen.

 

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