SERMON XIV
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SERMON XIV. Je vous en supplie, filles de Jérusalem, par les chevreuils et les cerfs des campagnes, n'éveillez pas et ne faites pas réveiller ma bien-aimée jusqu'à ce qu'elle le veuille. (Cant. III, 5.)

 

1. On voit clairement qu'elle est endormie, celle en faveur de qui on adresse une si instante prière. Pourquoi ne dormirait-elle pas après être entrée, en compagnie de son bien-aimé, dans le lit de sa mère, dans la retraite pleine de délices? Elle dort quand l'approche du bien-aimé la jette dans un transport d'esprit. « Je vous en conjure, » dit-il, « n'éveillez pas ma bien-aimée.» Bienheureuse est-elle de pouvoir tenir un tel époux, et de n'être pas forcée de le laisser partir. Tenez ce que vous avez, tenez et touchez longtemps, et avec soin le Verbe de vie: déroulez le livre de vie, le tome qu'ouvrit Jésus, bien plus, qui est Jésus lui-même. Roulez-vous autour de lui, enveloppez-vous du suaire dont il fut enveloppé lui-même, car il est revêtu de la lumière comme d'un vêtement. Revêtez votre bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ. Taillez-vous avec soin un mémorial dans la pierre, un monument nouveau, dans lequel personne n'aura été encore déposé. Le Christ est la pierre. En Jésus on peut sans cesse trouver des choses nouvelles. On peut pénétrer toujours dans des régions nouvelles. En lui il se trouve bien des retraites, d'innombrables trésors de sagesse. Il n'est pas content d'une seule toison, on peut en couper plusieurs en lui à diverses reprises. Les bonnes toisons sont les sens mystiques , les affections sacrées. Et c'est là ce qui abonde en Jésus : on ne peut le dépouiller et le laisser nu. « Je me réjouirai,» dit le Psalmiste, « sur vos paroles, comme celui qui trouve de riches dépouilles. » (Ps. CXVIII, 162). Revêtez-vous de ces dépouilles, entourez-vous de ces toisons, afin que, comme il est écrit, elles réchauffent vos côtés : sa parole est en effet enflammée. (Ib. 140.) Reposez-vous en elle, et, comme le prononce Salomon, votre sommeil sera suave. (Prov. III, 24.) Enfin l'époux lui-même protège le sommeil de son épouse, il le favorise, il ne veut pas qu'elle soit réveillée. « Je vous adjure, » dit-il, « par les chevreuils et les cerfs des campagnes. » Adjuration tout-à-fait nouvelle, qui n'offre pas moins de mystère dans son fond, que de singularité dans l'apparence.

2. Cherchant quel est le symbolisme de ces animaux, je trouve représentée en eux une certaine rapidité de l'âme libre, l'agilité de l'esprit qui se transporte par bonds et d'une course rapide sur les cimes élevées. Ne vous paraissent-ils pas semblables à des chevreuils et à des cerfs, ces hommes qui, bien qu'enchaînés au corps, se sont néanmoins élevés au-dessus de ces embarras : emportés par la promptitude spirituelle, ils ne sentent presque pas le poids de la chair et grâce à la prédominance de l'esprit, ils ne sont point retenus par la pesanteur dune masse de matière? Ils sont ceux qui marchant au souffle de l'esprit, ils n'éprouvent plus les désirs de la chair, ou s'ils les éprouvent, ils les sentent languissants, comme palpitant et rendant leur dernier souffle. « Vous n'êtes plus dans la chair, » dit l'apôtre aux âmes de cette sorte « mais vous êtes dans l'esprit. (Rom. VIII, 9.) Et encore : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, clous ne le connaissons plus ainsi. » (II. Cor. V, 16.) Ce bien-aimé est déjà devenu tout spirituel, déjà il s'est transporté dans les solitudes célestes, déjà il est arrivé sur les hauteurs. Aussi l'Eglise dit : « Mon bien-aimé est semblable au chevreuil et au faon des cerfs sur les monts Béthel. » (Cant. II, 9.) II vous invite à gravir ces montagnes, celui qui écrit

« Si vous êtes ressuscités avec le Christ,» etc. (Col. III, 1.) Saint Paul désire que vous deveniez un chevreuil spirituel, lui qui vous appelle sur ces cimes élevées, lui qui veut voir sur vous l'image du faon incomparable. De même, » dit-il, « que nous avons porté l'image de l'homme terrestre, de même portons l'image de celui qui est dans les cieux. » (I. Cor. XV, 49.) Cerf rapide fut aussi saint Paul, ce glorieux apôtre qui a dit : « Notre vie est dans les cieux. » (Phil. III, 20.) Cerf admirable est celui que l'esprit de Dieu anime et conduit ; car l'esprit de Dieu est subtil et mobile. Cerfs mystérieux, sont ceux que la voix du Seigneur prépare, à qui il révèle l'obscurité de ces mystères, ombres épaisses dans lesquelles se cache ce faon à jamais béni. Véritable chevreuil, le cœur de celui qui, à tout ce qu'on lui propose ou commande, peut dire, dans le généreux et prompt dévouement de son âme: « Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt. » (Ps. LVI, 8.) Qui oubliant ce qui est en arrière, s'élance vers ce qui est devant lui.

3. Vous avez entendu les réflexions communes qui s'appliquent également à ces animaux : écoutez les observations propres à chacun, afin que nous établissions une distinction entr'eux, et que nos remarques ne s'appliquent pas confusément et indifféremment aux uns et aux autres. Dans les cerfs, voyez la longue vie, et la longue vue dans les chevreuils; on dit que les cerfs ont un certain art naturel de se préserves de la vieillesse, et de rappeler des portes de la mort, par une sorte de résurrection, leur existence quand elle touche à sa fin. Le Christ, particulièrement, n'est pas tant appelé cerf que faon, lui qui jouit d'une éternelle jeunesse, sans aucun mélange de vieillesse qu'il ait besoin de renouveler. Il est particulièrement chevreuil par le privilège de sa vue incomparable. « Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le faire connaître. » (Luc. X, 22.) Tout est à nu et à découvert devant ses yeux. Ils sont, eux aussi, des chevreuils spirituels ceux qui ont les yeux de leur âme éclairés de la connaissance de Dieu : ceux qui devenus spirituels examinent et scrutent toutes choses. qui contemplent à visage découvert la gloire du Seigneur. Ils sont semblables à des cerfs en ce que, allant de clarté en clarté, comme poussés par l'esprit du Seigneur, ils sont transformés en la même image ; en ce que, dépouillant le vieil homme, ils revêtent le nouveau, celui qui a été créé dans la justice et la sainteté de la vérité; en ce qu'ils savent renouveler, par une sainte ferveur leur dévotion languissante et vieillie, et sont fidèles à se refaire souvent, ne connaissant pas les ennuis de la persévérance. « Ceux qui se confient au Seigneur, » dit Isaïe, « changeront leur puissance. » (Is. XL, 34 ; ) non qu'ils perdent celle qu'ils ont déjà, mais parce qu'ils en acquièrent une nouvelle. Ils changeront leur vaillance en lui faisant subir fréquemment des augmentations nouvelles. « Ils changeront leur vigueur, » dit-il; « ils courront et ne se fatigueront pas; ils marcheront et ne défailleront jamais. » Ce changement paraît un renouvellement perpétuel , et sans défaut et sans fatigue, des progrès de l'âme. Elle est bonne la force qui, en courant avec labeur, ne sait pourtant point décliner vers le défaut ; meilleure est celle qui ne sent pas les ennuis du travail, mais franchit les obstacles des difficultés qui se dressent contr'elle, marchant à pas dégagés, comme en rase campagne, selon ce qui est écrit: « Le coureur rapide déroule et dégage ses voies. » (Jerem. II, 23.)

4. C'est pour cela que l'époux invoque présentement les cerfs des campagnes, parce que, pour ces animaux, toute les aspérités et toutes les hauteurs sont faciles, abaissées et ouvertes à leurs pas rapides, aussi bien que les espaces des plaines. La voix du Seigneur est la voix d'une inspiration intime, pénétrant doucement dans les oreilles de l'âme. C'est cette voix qui prépare ces cerfs, qui éclaire les obscurités des bois. Car s'il y a des forêts remplies de scandales semblables à des ronces aiguës, pour ces âmes, ces forêts ne sont pas infranchissables, le Seigneur rend leurs pieds agiles comme ceux des cerfs; elles ne peuvent être retardées par l'obstacle d'aucune injure; elles se complaisent au contraire dans les tribulations, elles ont les outrages pour agréables et ne leur prêtent pas beaucoup d'attention, tant est grande la force du désir qui les porte vers les choses d'en haut, et vers les biens qui sollicitent leur attention! O temps malheureux que les nôtres ! comment presque tous nous écartons-nous de cette règle au point de faire le contraire, prenant pour injure même ce qui est plein de piété? Presque partout nous rencontrons un obstacle, nous tombons dans les endroits unis, et nos pas glissent sur les places régulières, comme parle Jérémie. (Thren. IV, 18.) Nous nous plaignons que tous les passages sont fermés pour nous, car le chemin des paresseux est comme une haie hérissée d'épines, (Prov. XV, 19.) Nous nous réjouissons quand il se présente une occasion de querelle, nous sommes portés au soupçon, tellement que (comme il est écrit) le bruit d'une feuille qui vole dans l'air paraît nous effrayer et que nous nous efforçons de la voix et du geste d'attirer en nous les inquiétudes de l'esprit. De là vient que trop souvent nous troublons le repos des hommes spirituels, que nous interrompons leurs loisirs, que nous arrêtons le sommeil de l'âme appliquée aux choses supérieures et que nous l'arrachons de l'embrassement si agréable de l'époux.

5. Ces importunités, que la perversité cherche ou que la faiblesse produit, l'époux les éloigne de sa bien-aimée, en invitant à une allégresse spirituelle les filles de Jérusalem. Voilà pourquoi il les adjure, par les chevreuils et les cerfs, afin qu'elles soient excitées à rivaliser avec les hommes spirituels et à s'abstenir de toute démarche importune auprès de l'épouse. « Je vous en conjure, n'excitez pas ma bien-aimée jusqu'à ce qu'elle le veuille elle-même. » Il vous est utile qu'elle s'éveille mais attendez qu'elle veuille elle-même. Attendez son bon plaisir, car c'est elle qui est chargée de veiller sur vous. Elle voudra, quand le Saint-Esprit l'instruira. Unie à son bien-aimé, elle est devenue un même esprit avec lui. C'est pourquoi elle peut dire : « l'esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il a répandu sur moi son onction et m'a envoyé prêcher l'évangile. » (Is. LXI, 1.) Elle vous l'annoncera quand le Saint-Esprit lui en aura marqué le temps. En attendant, qu'elle boive dans son' sommeil, ce qu'elle vous rendra avec plus d'abondance. La grâce de la contemplation ne détruit pas la compassion, elle la forme, et le ravissement d'esprit rend sympathique à ceux qui sont faibles. C'est quand Adam dormit, que la côté de l'homme s'amollit pour former le sexe qui est le plus faible; c'est du côté de l'homme que la femme fut créée pour la société conjugale; bien plus, Adam lui-même est changé en la femme, sa compagne, et, par une certaine transformation, il passe en épouse. C'est pourquoi, en s'éveillant, il prononce tout d'abord une parole de charité, se reconnaissant dans son égale : « Voici l'os de mes os, » dit-il, « et la chair de ma chair. » (Gen. I, 23.) Est-ce que saint Paul vous parait abaisser la dignité de l'homme devant le sexe infime, quand il déclare qu'il s'est fait faible avec les faibles? Eve devient comme un Adam spirituel, quand la fermeté puissante de l'apôtre compatit aux âmes qui lui sont soumises et quand la sublimité de sa force et de sa science, par une sage sobriété, se proportionne à la mesure de ceux qui sont infirmes. Et si son esprit est transporté par rapport à Dieu, il sait être sobre en ce qui regarde les autres. Le ravissement d'esprit est un bon sommeil, quand il ne produit pas l'orgueil et enseigne l'humilité. « de vous en conjure, ne réveillez pas ma bien-aimée, jusqu'à ce qu'elle le veuille : » quoique pendant ce temps-là, elle soit ravie en Dieu en esprit, elle retombera dans l'état ordinaire. Si à présent elle dort, elle se réveillera, et vous rendra, après les avoir préparés, les vins qu'elle a trouvés. Elle sait comment il faut diviser les dépouilles à ses domestiques, et la nourriture à ses servantes. Comment n'aura-t-elle pas pitié des enfants de son sein, celle qui ne néglige pas même ses servantes; cependant les filles bonnes se considèrent comme des servantes, elles ne connaissent pas la liberté naturelle tout en se pensant délivrées par l'esprit de vérité. Elles sont vraiment libres celles que la vérité affranchit, et c'est pourquoi elles ignorent toute autre liberté, les âmes qui se réjouissent d'avoir été délivrées par la grâce de l'adoption. Plus l'adoption est gratuite, plus l'abjection où elle trouve l'adopté la rend dévouée. Les mêmes âmes sont donc servantes et filles, car là où il y a davantage de bonté dans l'adoption, il est juste de voir éclater plus de dévouement dans la soumission.

6. « Ne la réveillez-pas jusqu'à ce qu'elle le veuille. » Elle sait quand il faudra diviser la proie à ses domestiques et les vivres à ses servantes. Il n'y a pas à craindre d'elle ce qui se lit dans l'écriture : « la fille de mon peuple est comme l'autruche dans le désert. » (Thren. IV, 3.) L'autruche a des sortes d'ailes, mais elle ne vole pas. Elle ne sait pas s'élever en haut dans le ravissement de son esprit: c'est pourquoi elle ne visite pas ses petits, mais elle abandonne ses veufs à terre. Elle ne pense pas que le passant les foulera, qu'une bête les brisera en courant. Elle ne sait pas monter jusqu'au sommeil de la contemplation, voilà pourquoi elle ne se revêt pas du sentiment de la compassion. Car le sommeil que la mort prend dans l'extase de l'esprit tourne à l'avantage des filles, et si le sommeil spirituel se prolonge, c'est tout gomme s'il s'agissait d'un abrégé. C'est pourquoi il dit: «Je vous adjure, ne réveillez pas ma bien-aimée, jusqu'à ce qu'elle le veuille. » Bonne adjuration, dans laquelle on veille aux intérêts de la mère, et on cherche le profit des filles. Plus elle se repose et contemple librement, avec une plus grande abondance de bons effets elle revoit ses enfants. Plus haut elle est élevée, plus bas elle descend, plus utilement elle s'abaisse. Pourquoi vouloir régler les temps que l'époux a placés en la volonté de la bien-aimée? » ne l'éveillez pas, » dit-il, «jusqu'à ce qu'elle le veuille. » Elle voudra quand la vision de son bien-aimé disparaîtra de sa vue. Cette présence est incertaine et elle disparaît soudain. « Je suis à mon bien-aimé, » dit-elle, « et son retour est vers moi. » (Cant. VII, 10.) Pourquoi essayez-vous d'interrompre avant le temps un si saint commerce? C'est une heureuse causerie, mais le temps eu est court, que sa brièveté lui suffise, pourquoi voulez-vous l'abréger? Il ne faut rien retrancher à un moment si petit. Qu'elle jouisse librement, en attendant, d'une heure fugitive. Vous voulez réveiller et attirer vers vous celle que le Christ réveille et fait veiller en lui? Bien qu'elle dorme, son coeur veille dans le Christ. Pierre et ceux qui étaient avec lui sur la montagne furent accablés par le sommeil, et ils virent, à leur réveil, la majesté de Jésus. Saintement étaient-ils accablés par sommeil, puisque le sens humain était réprimé en eux. Ce qui se trouvait en eux et venait d'eux était accablé et réprimé, afin qu'aveugles et comme bouchés à ce qui est du monde, excités par l'esprit divin, ils ne veillassent que pour connaître ce qui est seulement de Dieu. « En s'éveillant, » dit l'évangéliste, ils « virent la majesté. » (Luc. IX, 32.) Il veille donc bien, celui qui voit ces grandeurs, qui voit la gloire du fils unique du Père et qui entend les paroles secrètes qu il n'est pas permis à l'homme de dire. Il n'est pas permis de les dire à celui en qui le fils de Dieu n'est pas encore ressuscité. « Voyez, » dit-il, « ne racontez à personne cette vision, jusqu'à ce que le fils de l'homme ressuscite d'entre les morts. » (Matth. XVII, 9.) Cette vision ne peut-être dite à celui en qui le Christ n'est pas encore ressuscité. Il fut aussi dit une parole semblable à Marie : « Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon père. » (Joan. XX, 17.) Il n'est pas permis de la dire à celui qui n'a pas été ravi au paradis, dans le lieu des délices, dans ce séjour dont Pierre a dit : « Il fait bon être ici. » (Matth. XVII, 4.) Il est bien heureusement réveillé celui qui, avec Paul, est enlevé en ce paradis, qui monte, avec Pierre, sur la montagne, qui peut veiller même une heure avec le Christ, celui que l'homme ne touche pas, pour que ce soit le Christ lui-même qui l'excite et le fasse réveiller. Il toucha Pierre, aussi Pierre s'éveilla-t-il et vit-il l'éclat de sa majesté. Et la bien-aimée, elle aussi, voyez dans quel état elle s'arrache de l'étreinte de son époux. « Quelle est celle-ci qui monte comme une ligne de fumée? (Cant. III, 6.)

7. Mais rappelons ici notre discours qui prendrait son essor, et réservons ce passage pour le commencement d'un autre entretien, ou mieux pour celui qui dit de lui-même: « Je suis le principe, moi qui vous parle. » (Joan. VIII, 25.) Plaise au ciel que ce divin Maître soit et le commencement de notre discours, et la parole de notre coeur, et que les expressions que noies proférons le concernant, le premier, il les prononce en nous. Parlez, Seigneur, parlez-moi et parlez pour moi. Réprimandez pour moi les filles, non de Jérusalem, mais de Babylone; dites à la fille des Chaldéens de s'asseoir et de se taire. Dieu bon, combien il se trouve aujourd'hui de filles de Babylone, qui ne connaissent pas les cantiques de Sion, et à cause desquelles nous suspendons nos instruments de musique! Qu'ils sont nombreux les enfants d'Edom, qui nous épuisent et nous font perdre la joie spirituelle. Vous empêchez les filles de Jérusalem de déranger la bien-aimée. Daignez, Seigneur, me mettre à l'abri des coups des filles de Babylone. Il y a une grande différence entre les importunités de ceux qui aiment et celles des méchants qui cherchent à nuire ; ces dernières sont plus insupportables. Mais je ne sais par quelle misère de notre temps, ceux qui aiment sont devenus ennemis. Combien de malignités exerce l'ami dans le lieu saint? J'aurais dû dire l'ennemi, et j'ai dit, ce qui est plus triste, les amis eux-mêmes sont devenus ennemis. Amis selon fa profession, ennemis si on regarde l'affection. Amis en apparence, détruisant la vertu de l'amitié. Absalon est ami parce qu'il est fils, mais que de malignités commises par cet impie contre un saint, par ce fils contre son père, par Absalon contre David? Absalon signifie la paix du père. C'est un très-beau nom, mais il reniait, par la réalité, la vertu de ce titre. Il aspira au royaume, il souilla par un inceste la couche royale. Heureux cependant David qui, au milieu de tant de fils, ne compta qu'un persécuteur. Quel d'entre les maîtres me montrez-vous aujourd'hui qui n'ait eu à éviter les piéges que d'un seul Absalon ? Est-ce qu'il ne se voit pas des Absalons qui, selon qu'il est écrit, «prêchent la paix et mordent à belles dents? » (Mich. III, 5.) Ils désirent prendre la place du père, ils souillent sa couche quand ils corrompent leurs compagnons par leurs murmures : ils bouleversent les cœurs des innocents dans lesquel l'esprit du père se reposait avec délices. Il est Absalon par l'imitation, celui qui s'arroge la place du maître et lui porte tort par sa vie, qui prêche la paix et dévore à belles dents. La médisance est une mauvaise morsure, elle est cette nourriture malsaine dont il est dit: «Le mal est doux à sa bouche et il le cache sous sa langue. » (Job. XX, 12.) Il le cache jusqu'à ce qu'au moment donné, il vomisse tout le venin qu'il a ramassé. Combien de malices l'ami commet il dans le lieu saint ? Ensuite, ce qu'il ne voit pas il le soupçonne. « Ils ont posé, » dit-il, « leurs signes comme des signes, et ils n'ont pas connu. » (Ps. LXXIII, 4.) Ils placent ce qu'ils ne trouvent pas; ils placent ce qu'ensuite ils exposent mal. « Leurs signes, » dit le Psaume. Car ils se posent comme des signes, lorsqu'ils mesurent les autres à la règle de leur perversité. « Signes, » dit-il; comme s'il disait, des signes extérieurs seulement, et non la vérité: signes, non de certitude, mais de doute. « Et ils n'ont pas connu. » Ils ont en effet pour fonde ment qui les appuie, non la certitude, mais la conjecture. « L'ennemi exerce sa malignité contre le saint. » Contre quel saint? contre le saint des saints; contre le saint qui prononce ces paroles : « Qui vous méprise, me méprise. » (Luc. X, 4.) Il est téméraire, dit l'apôtre, de juger le serviteur d'autrui. (Rom. XIV, 4.) Vous, qui êtes-vous donc pour juger votre maître? Qui juge le pouvoir, juge ce que Dieu a établi.

8. Enfin le Seigneur se plaint et dit: les hommes m'ont enlevé mon jugement. Enfants des hommes, pourquoi aimez-vous la vanité, pourquoi cherchez-vous le mensonge? Oui; vous aimez la vanité de la prélature, et, pour cela, vous cherchez dans vos supérieurs le mensonge d'un soupçon mauvais. Car les fils des hommes sont vains, ils sont trompeurs dans leurs balances, menteurs dans leurs jugements. Et plaise au ciel qu'il ne m'importe nullement d'être jugé par les hommes, moi qui attends les jugements da jour éternel. «Lorsque j'aurai pris le temps, » dit le Seigneur, « je jugerai les justices. » (Psalm. LXXIV. 3.) Le juste juge lui-même, déclare attendre le temps pour juger les justices, et vous, avant le temps, vous osez entreprendre de faire le jugement? Le père a donné au fils tout jugement, et vous, vous vous emparez du jugement que vous n'avez pas reçu, et cela contre un père? Prenez garde que ce ne soit contre ce père de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom. Cette génération, race de vipère, mange sa mère et d'une dent empoisonnée infecte la vie de son docteur. Ce ne sont pas là les filles de Jérusalem, les filles de la paix, mais les enfants de Babylone. Quand les réprimerez=vous et direz-vous : Filles de Babylone, ne pleurez-pas sur moi, mais plutôt sur vous. Car les reproches de ceux qui tiennent votre place retombent 'sur vous. Leurs murmures ne s'élèvent pas contre nous, mais contre le Seigneur. Défendez-vous donc du murmure qui ne vous sert de rien et qui nuit aux autres. Vous, Seigneur, fermez plutôt le; bouches qui profèrent des paroles iniques, et ne fermez pas les lèvres de ceux qui chantent vos louanges. Pourquoi tant insister sur ces plaintes? Je ne me suis pas proposé de pleurer ce qui est à vous, mais de chanter ce qui est des autres; qu'il suffise d'avoir déploré en peu de mots ce qui nous touche. Des plaintes je reviens aux cantiques, celui-là nous fournissant l'esprit, la bouche et le repos, qui empêche les inquiets de troubler le sommeil de l'épouse, Jésus-Christ, -qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles. Amen.

 

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