SERMON XLV
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SERMON XLV. Je l'ai cherché, et ne l'ai point trouvé : je l'ai appelé et il ne m'a pas répondu. Les gardes de la cité m'ont rencontrée, ils m'ont frappée, et m'ont blessée; ils ont enlevé mon manteau. (Cant. V, 6 et 7.)

 

1. Quand votre bien-aimé vous aura échappé, il ne vous reviendra point au gré de vos désirs : cette épreuve donne de l'intelligence à l'amour et redouble ses sentiments. Tantôt l’époux visite, tantôt il s'évanouit, et, en s'évanouissant, il fait souffrir celle qu'il aime. Cette variété de tristesses et de joies ravit le coeur, elle excite ses désirs et le prépare à de nouvelles jouissances. Dès que la voix de votre bien-aimé se fait entendre, votre âme se liquéfie. Liquéfiée, elle défaille, ne a pouvant supporter cette visite; et votre bien-aimé disparaît. Votre défaillance est sa fuite. A sa présence et au son de sa voix, vous vous liquéfiez, vous défaillez, vous expirez : son absence vous permet de respirer. Absent, il répare vos forces qu'épuise sa présence. Ces intervalles ménagés tempèrent ainsi la vivacité des délectations que vous ne pourriez supporter si elles duraient toujours. Que parlé je de leur continuation ? N'est-ce pas même leur commencement qui vous épuise? Car aussitôt que le bien-aimé parle, votre âme se liquéfie. Et plus bas l'époux dit : « vos yeux m'ont fait envoler. » Comment ont ils fait envoler le bien-aimé, si ce n'est qu'une affection trop vive les a fait défaillir en regardant le bien-aimé? Vous ne connaissez pas de borne aussi votre époux vous règle, et vous distribue, selon les temps, la mesure de ses manifestations. Voilà pourquoi vous le cherchez et vous ne le trouvez pas; vous l'appelez et il ne répond pas. Considérez, mes frères, la force et la violence de l'amour. Il ne soutient pas l'absence de celui qu'on aime et il ne peut suffire à supporter la joie de sa présence. D'un côté, les voeux ardents soupirent après lui, d'un autre, ils défaillent et s'épuisent. O heureux amour! par des changements qui se succèdent sans relâche, ou il se liquéfie en son bien-aimé, ou, le cherchant, il soupire après lui. « Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé,» dit l'épouse, « je l'ai appelé et il ne m'a pas répondu. » Ailleurs il est écrit : « les méchants me chercheront, et ils ne me trouveront pas : ils crieront, et je ne les écouterai pas. » (Prov. I, 28.) Qu'est-ce donc que cette conduite que l'on tient également à l'égard des bons et à l'égard des méchants. Pourquoi, ô bon Jésus, vous dérober pareillement aux uns et aux autres? Ce n'est pas par indifférence, mais en vertu de motifs bien divers. Des méchants il est dit : « ils chercheront et ne me trouveront pas. L'épouse ne pense point qu'elle ne le rencontrera pas; ce dont elle se plaint, c'est qu'elle ne l'a pas trouvé. « Je l'ai cherché et ne l'ai point rencontré : je l'ai appelé et il ne m'a pas répondu. »

2. O que de fois ai-je cherché le Seigneur Jésus dans mes méditations, que de fois l'ai-je invoqué dans mes prières : mais ni ma méditation n'est devenue douce, ni ma prière n'a été exaucée? Je ne l'ai point rencontré, je n'ai point vu ce qui lui appartient, mais ce qu'il m'a répondu dépasse toute douceur. Et plaise au ciel qui, dans mes lectures ou mes oraisons, il me réponde fréquemment. Qu’il en soit ainsi, ô bon Jésus, répondez-moi combien j'ai commis de péchés et d'iniquités ; découvrez-moi mes crimes et mes manquements. (Job. XIII, 23.) Cachez quelque temps votre face, afin que le triste état de mon âme m'apparaisse d'une manière profitable, soit dans mes méditations, soit dans la lecture des saintes Ecritures. C'est alors que me rencontrent les gardiens de la cité, les saints docteurs, lorsque dans leurs écrits je lis la peinture de mes mœurs. ils me trouvent lorsqu'ils retracent mes habitudes et mes vices; ils me frappent, quand ils les discutent; ils me blessent, quand ils les réprimandent. Les saints écrivains, comme des gardiens de Jérusalem, la cité sainte, qui est l'Eglise, recherchent les divers sentiments qui animent les esprits, ils décrivent les passions particulières, les bonnes moeurs et la maladie dont chacun est atteint pas une seule pensée de l'esprit qui ait échappé à leur attention. Toutes les fois que je parcours leurs écrits, je me regarde comme trouvé et saisi. Leurs exhortations sont des traits qui me percent, elles me blessent, quand elles me font voir atteint de mal ce que je croyais sain et entier. Leurs écrits enlèvent le voile de la dissimulation, le nuage de l'ignorance ou de l'oubli, le manteau de la fausse gloire. Ils dépouillent les âmes de cette dissimulation et de cette superbe dont elles se couvrent comme d'une sorte de pardessus. En mettant à nu le fond de ma conscience, ils m'arrachent un dehors de gloire faussement affectée. Il m'est très-utile d'être ainsi rencontré par ces gardes, bien que je ne puisse, au gré de mes désirs, trouver celui que j'aime. N'apercevant pas en moi de quoi me réjouir, de quoi me reposer, l'amour m'excite, par ces feux, à désirer le bien-aimé.

3. «Filles de Jérusalem, annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour.» De moi-même, je n'ose pas approcher, je ne puis prendre la liberté d'une telle familiarité. Jésus ne se donne pas encore à moi voilà pourquoi je viens vers vous, ô filles de Jérusalem, je vous sollicite, je vous confie mon intérêt, je remets entre vos mains l'affaire qui m'occupe, annoncez-le à celui que j'aime. Il semble ne rien savoir, tant qu'il se cache. Que les gardes dépouillent, que les filles annoncent, que les docteurs exhortent, que les filles supplient. « Filles de Jérusalem, annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour. » Annoncez-lui, répétez-lui : qu'un souvenir fréquemment rappelé fléchisse son coeur. Déjà je suis dépouillée, déjà moi-même j'ai ôté mes habits, je suis propre à revêtir celui que j'aime. Mon âme privée de ses vêtements et inoccupée bride d'amour, « annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour. » Mes frères, si les blâmes d'un docteur paraissent vous toucher plus spécialement, atteindre expressément votre conduite, mettre à nu les blessures de votre âme, enlever le manteau d'une conscience aveuglée ou cachée : tirez-en occasion d'exciter en vous l'amour, et non d'y nourrir la haine. Pourquoi s'offenser personnellement de ce qui est dit généralement pour tous. Peut-être ce qui est prêché vous regarde en particulier, mais votre nom n'est point prononcé. Par suite d'une réprimande générale, ressentez la sainte langueur de l'amour, et non la passion du murmure. Et si vous n'éprouvez pas encore ce doux sentiment, il vous est bon, en attendant qu'il se fasse sentir, d'être livré à la honte de vos fautes, d'éprouver les tristesses de la pénitence, et les épouvantes du jugement qui ébranlent jusqu'à votre chair. Roulez-vous dans votre chagrin, tant que l'épine vous déchire : avouez votre péché, permettez qu'on vous arrache ce manteau trompeur qui recouvre vos injustices : ne faites pas effort pour vous parer encore de cet habit d'hypocrisie. Jésus ne viendra à vous que lorsque ce voile de tromperie et de dissimulation que vous avaient tissu une certaine honte et là crainte de déplaire, vous aura été enlevé. La confusion a couvert la face de votre conscience : ôtez ce voile, remplacez-le par le mérite et le courage de l'aveu. Car le Seigneur revêt la confession, non la sienne, évidemment, mais la vôtre. Il se regarde comme orné de ce manteau, il vous le prend : donnez-le lui, qu'il le reçoive comme un gage d'amour et un signe de réconciliation. Vous commencerez de languir d'amour, quand d'abord les sentiments de la pénitence auront rendu votre âme languissante. Alors les filles de Jérusalem vous recommanderont au bien-aimé. Alors les esprits célestes et les âmes spirituelles, se réjouissant, publieront que vous languissez d'amour.

4. Nous avons appliqué, dans de longs commentaires, ce passage à l'état de pénitence; tout son ensemble semble indiquer des sentiments plus élevés encore et en rapport avec la grâce que réclame la dignité d'épouse. « Je l'ai cherché, » dit-elle, « et je ne l'ai point trouvé: je l'ai appelé et il ne m'a point répondu : les sentinelles de la cité m'ont rencontrée. » Elle cherche en méditant, elle appelle en priant; quand elle écoute, elle est rencontrée par les docteurs, elle est frappée, elle est blessée, elle est dépouillée. Et pour que rien ne manque dans cet ensemble, elle est aidée par les recommandations des filles de Jérusalem, c'est-à-dire, des saintes âmes. Remarquez ici quatre choses, soit en elle, soit autour d'elle : la recherche, les voeux, les préceptes et les prières. Les « investigations » de la méditation, les « voeux » formés par les désirs, les « préceptes » donnés par les docteurs et les « prières » des saints. Les prescriptions des docteurs et leurs exhortations ne sont-elles pas fréquemment reçues avec profit, par ceux que pouvaient fatiguer une recherche inquiète ou une prière faite avec application? Des voeux tardifs ne sont-ils pas stimulés souvent par l'aiguillon de la parole? Et enfin à des foyers si ardents, les sentiments déjà fervents s'enflamment encore davantage. « Les gardiens de la ville m'ont rencontrée. » Les chefs, bons et prudents, se servent d'une façon de parler qui va et vient presque à la manière des chasseurs, ils diversifient leurs paroles selon les positions différentes des esprits auxquels ils s'adressent, ils cherchent à toucher, à stimuler, à ébranler, afin que parmi leurs auditeurs, il s'en trouve qui puissent dire : «les gardes de la ville m'ont rencontrée, ils m'ont frappé et ils m'ont blessé. » Plus une âme est parfaite, plus facilement elle est blessée; un cœur tendre sent plus vite le piquant des expressions. Heureux l'esprit qui reçoit les traits si sublimes de l'exhortation, que ces flèches trouvent accessibles à leurs blessures sans retomber, repoussés par la dureté ou le manque d'intelligence ! Il ne faut pas lancer çà et là ces javelots, ni en toute assemblée, mais là seulement où l'on pense se trouver des esprits disposés que ne dépasse pas une doctrine si élevée. Ils sont semblables à des éclats de foudre : ils frappent les sommets, évitent les bas fonds : ils recourbent et frappent les cimes seulement.

5. Aussi l'épouse dit : « les gardiens de la ville m'ont rencontrée, ils m'ont frappée, ils m'ont blessée, et ont enlevé mon manteau. » ils ont enlevé ce manteau dont fut revêtu Adam en expiation de sa chute, après qu'il eut été dépouillé de la splendeur de sa première innocence : ils ont fait disparaître ces imaginations, qui, le revêtant d'une sorte d'habit, gênaient au-dedans sa liberté; ils ont enlevé le voile des figures et en ont apporté la réalité. Manifestée, nue et simple, cette vérité produit la ferveur de l'amour. « Aussi, filles de Jérusalem, annoncez à mon bien-aimé, que je languis d'amour. » La visite qu'on a aperçue, tant qu'elle ne plaît pas, ne ravit pas et n'enflamme pas le coeur : avec quelle sincérité que l'on croie jouir de son intelligence, on a un voile sur les yeux : c'est comme si on était chassieux, comme si on avait une sorte de bandeau qui couvrit la tête. Aussitôt que ce voile est arraché, la vérité éclate, elle brille; elle excite l'amour, et celui, qui en éprouve les heureux effets pourra alors inviter les autres à le féliciter, en leur disant : « Annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour. » Voyez la Judée, tant que la vérité était sous (enveloppe de la loi, tant qu'elle portait le voile de sa cécité, la crainte la pénétrait, dans son coeur glacé, elle ne pouvait rien sentir et n'offrait aucun passage aux traits de la charité. Mais lorsque, convertie au Seigneur, elle a déposé son bandeau, quand ce manteau lui a été enlevé, alors elle a commencé à faire entendre les paroles de cette confession glorieuse : «filles de Jérusalem, annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour. » Pleine de gloire, en goûtant une douceur nouvelle et inconnue jusqu'alors, elle invite les filles de Jérusalem à rendre grâce au Seigneur, et elle excite, par son exemple, les âmes de sa nation. Aussi entendez ce qu'elles répondent à son invitation : « Quel est votre bien-aimé? et nous le chercherons avec vous. » Voyez comment, dans leurs désirs, elles veulent avoir part à cette foi et à cette doctrine. Apprenez-nous quel est votre bien-aimé et nous le chercherons avec vous. Faites-nous participer à tant de grâces, afin que, languissantes d'amour, nous commencions à éprouver un vif désir d'aller à sa recherche. Qu'il suffise d'avoir indiqué en peu de mots, cette interprétation mystique.

6. Revenons à présent au point qui nous a fourni l'occasion de faire cette digression, quand nous parlions de l'utilité qu'il y a à ce que le manteau soit enlevé. Notre point de départ a été cette parole : « Ils ont pris mon manteau. » Arrêtons-nous un peu en ce lieu, expliquons ce que signifie ce manteau. Car ce n'est pas le simple manteau dont, même les saintes âmes sont revêtues. Il est en effet un manteau qui est double, peut-être triple et quadruple. Combien d'espèces de manteaux vous avons-nous montrées? N'est-ce pas aussi un manteau bien lourd et bien pesant, que la charge des âmes et le souci de pourvoir à leurs besoins? Je vous exposerai avec plus de sentiment les propres fatigues qu'il me cause. Je sais ce que c'est que d'être sous son poids, moi qui ai reçu en partage une terre aride et un figuier stérile. Voilà déjà bien des années que je viens, bien plus que je reste là, y cherchant du fruit sans en trouver. Que de fois cet arbre a trompé notre espoir, trahi nos efforts, et frustré notre attente? C'est avec raison que je donne à ce vêtement de dessus le titre d'onéreux, il est d'autant plus pesant qu'il est moins utile. Car les soins soit moins lourds quand l'abondance des revenus les adoucit. Malheur à moi parce que les sentinelles, qui gardent la ville, ont cru trouver en moi quelque chose qui a semblé me rendre digne de subir ce fardeau. Ils m'ont frappé, ils m'ont blessé, ils m'ont enlevé mon manteau, et après m'avoir criblé de coups, ils sont partis me laissant à moitié mort. Ils ont enlevé mon manteau, le manteau de la lumière, l'habit de la joie, le vêtement d'un amour brûlant. Que de fois je m'étais enveloppé tout entier dans ce manteau, je m'étais réchauffé dans cette pourpre? A présent, dans mon esprit tout le long du jour j'embrasse et je remue ce que saint Paul considère comme du fumier. Voilà les manteaux doux et brillants qu'on m'a enlevés, pour m'en imposer de pesants. Quand les ôtera-t-on de dessus mes épaules? Quand les déposerai-je, si pourtant il m'est jamais permis de les quitter? Heureux jour, où, dégagé et dépouillé de cet embarras, je vous inviterai avec plus de liberté, ô filles de Jérusalem, à vous réjouir avec moi, où vous (qui n'avez pas éprouvé la tristesse que je déplore en ce moment), rendrez grâce en sentant renouveler en vous la langueur de la charité. Malheureux celui, qui, dépouillé de ce manteau, est écrasé de chagrin et d'ennui sans languir d'amour. L'âme qui est épouse, ainsi déchargée de la charge ou de la pratique de ce devoir si rempli de sollicitude, n'éprouve pas la langueur du dégoût mais bien l'ardeur de l'amour. Aussi, elle engage les autres à se réjouir avec elle et à rendre grâce au bien-aimé.

7. L'Eglise primitive, cherchant Jésus-Christ dans la Judée, ayant été repoussée, ne trouvant aucune place parmi ce peuple ennemi, n'y rencontrant point son Jésus, passa du côté des gentils : elle chercha parmi eux, elle appela, et dans plusieurs d'entre eux, elle n'obtint et ne reçut point d'autre réponse qu'une réponse de mort. Car comment les princes ' de ce monde, comme les gardiens de la ville, ne blessèrent-ils pas, ne dépouillèrent-ils pas, ne déchirèrent-ils pas nos saints martyrs dès le début, leur enlevant non seulement leurs biens, mais encore leur arrachant leur propre chair? Au fond d'un tel abîme, au centre d'un tel déluge de tourments, la flamme de l'amour ne s'éteignit pas en eux, mais au contraire ils en ressentirent un redoublement qui les fit languir davantage. Car si vous leur appliquez le passage que nous expliquons, ces accents, qu'ils expriment, n'indiquent pas la plainte, mais plutôt la gloire : « ceux qui gardent les murailles m'ont frappé, ils m'ont blessé, ils ont enlevé mon manteau. » Pareillement, nous ne devons supporter avec peine que les gardiens des murailles nous dépouillent de ce manteau de sollicitude inquiète ou d'administration périlleuse ou mauvaise qui nous serre avec tant de gêne. Elie jeta son manteau quand il était enlevé au ciel : (IV Reg. II, 13.) Joseph s'enfuit quand on le tenait: (Gen. XXXIX, 12.) l'épouse le porta quand on l'enlevait. Ravi pour contempler la face du Seigneur, Elie jette le voile du reflet et de l'image. Sentant la tentation, Joseph fuit comme de grandes charges, les ornements du monde. Déchargée de tout soin, l'épouse goûte avec plus de liberté les faveurs de l'époux.

L'intelligence est retenue comme sous un voile qui l'empêche de contempler la pure vérité. L'amour est enveloppé du vêtement des honneurs et des dignités qui l'entravent, en sorte qu'il ne peut marcher librement dans le parti de Dieu. La sollicitude assombrit dans l'âme toute joie, l'imagination l'obscurcit, les honneurs la mettent à l'épreuve. Dans la première de ces choses, sont les ténèbres; dans la seconde, les charmes; dans la troisième, le travail. Dans la première, une sorte de brouillard; dans la seconde, la cupidité; dans la troisième, le souci. « Ceux qui gardent les murailles ont enlevé mon manteau. » Excellents gardiens, ils ont bien connu à qui il fallait enlever les empêchements qu'enfantent les soucis , l'âme qu'il fallait décharger et rendre plus libre, pour trouver ses délices avec l'époux en jouissant de lui et en le cherchant. Car souvent ce bien-aimé s'échappe, e t on ne peut courir après lui qu'avec une âme bien dégagée. Ils ont distingué ces gardes vigilants, ceux à qui il faut épargner les fardeaux, les angoisses et les chagrins de la vie active, afin de leur permettre de courir avec plus de rapidité à la rencontre du Verbe, afin de jouir de ses embrassements, ils savent à qui, par leurs exhortations, il faut enlever le fardeau pesant. « Je me suis dépouillée de ma tunique, » dit l'épouse.

8. C'est ce qu'elle avait dit dans les passages qui précèdent; maintenant elle dit : « ils ont enlevé mon manteau. » L'époux se découvre à la simplicité pure et sans mélange. Il se montre à ceux qui s'adonnent d'un coeur libre aux soins de son amour. « Ils ont enlevé mon manteau, » c'est comme s'ils disaient : pourquoi surchargée de soins cherchez-vous le bien-aimé? qui vous a plongée dans ces ennuis! Si vous n'abandonnez pas entièrement votre office, pourquoi n'en pas quitter, au moins pour un moment, les sollicitudes? Nous n'attaquons pas le dévouement, mais nous voulons que vous vous arrachiez à trop d'application. Ne déguisez pas sous le nom de nécessité la grandeur du gain que vous désirez. Pourquoi laissez-vous étouffer en vous, sous les préoccupations terrestres, un esprit qui était bon? Pourquoi rivalisez-vous avec ceux qui, placés dans les honneurs, sont semblables aux animaux, soupirent après les biens de la terre, les rongent, les ruminent avec soin, les dévorent dans leur grande affection; et qui, placés dans des postes élevés, se roulent dans la terre? Ne les imitez point dans leur ardeur, ne cherchez pas à commettre la même iniquité. N'est-ce pas une injustice et un grand renversement que de s'appliquer beaucoup aux choses de la terre, et de négliger celles du ciel? Qu'avons-nous encore à dire quand ils ne s'appliquent pas toujours à leurs affaires? Quand nous envoyons, sous prétexte qu'il faut pourvoir aux nécessités, se dispenser du travail des mains, de la méditation et de l'étude; vaquer au négoce plus qu'au repos, s'adonner à la bouffonnerie des paroles plus qu'à la transcription de l'Ecriture Sainte, se livrer à l'oisiveté plus qu'au travail? Oisifs, curieux et bavards, ils parcourent les cellules des frères et les lieux où l'on travaille. N'imitez pas les religieux qui travaillent ou se reposent de la sorte. Les loisirs qui vous sont offerts ou que vous vous procurez, consacrez-les entièrement à l'exercice de l'amour, à la méditation de la sagesse, au soin de courir après l'époux, ou, si vous l'avez trouvé, à la joie de vous livrer à ses caresses. C'est par ces exhortations, ou autres semblables que les gardiens des murailles ont enlevé mon manteau. Ce sont ces sentinelles dont parle le Prophète Isaïe : « Sur tes murs, Jérusalem, j'ai placé des gardes, ils ne se tairont ni le jour ni la nuit. (Is. LXII, 6.) Pour nous, taisons-nous en ce moment : suspendons ce discours, payons à Dieu le tribut de nos prières et de nos louanges, gardant le silence de la bouche, mais chantant toujours d'esprit la gloire et les grandeurs du Seigneur Jésus, le roi et l'époux céleste dans les siècles, des siècles. Amen.

 

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