SERMON XXV
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SERMON XXV. Vos joues sont semblables à un fragment de grenade, etc. (Cant. IV, 3.)

 

1. Oh! qu'elles sont agréables les joues de l'épouse, elles peuvent être mangées et ont toute la grâce d'un fruit agréable. Et dans le fait, on voit les joues de certaines personnes si pleines de beauté, que l'extérieur de leur visage peut délasser l'esprit de ceux qui les considèrent, et les nourrir de la grâce extérieure qu'elles annoncent. La beauté de la face est l'interprète de l'esprit, et le visage publie les sentiments dit coeur. Vous voyez donc avec combien de suite, après la blancheur des dents et la pourpre des lèvres, l'époux se met a parler de la beauté des ,joues. Les joues sont assez proches des lèvres et, même quand celles-ci se taisent, elles révèlent par une sorte de langage visible les secrets de l'âme. Elles ont l'usage même de la voix, et ou bien elles suppléent à l'office de la bouche, ou bien elles contribuent à l'orner. Quelque doux et fervent que soit le discours, un visage audacieux en fait perdre toute la grâce et détruit par sa légèreté toute la gravité de la parole. Aussi il résulte des joues :que leur gravité modeste augmente la grâce des lèvres empourprées. En les comparant à un fruit, l'époux parait facilement donner à comprendre leur maturité. Dans les fruits, en effet, la maturité est toujours agréable. Dans les chapitres précédents, il a décrit les joues de l'épouse comme semblables à celles d'une tourterelle, parce que dans son visage on ne voit rien de lascif, rien de léger, rien de pétulant, et parce que la chaleur des désirs les frappe d'une douce gravité. Les affections inquiètes ne permettent pas au visage de s'épanouir dans une folle joie et les pensées d'amour éloignent des joues toute expression légère. La tourterelle est en effet un oiseau inquiet, qui gémit sans relâche. C'est ainsi que doit être une vierge selon la volonté de saint Paul, elle doit être préoccupée de savoir « comment plaire à Dieu (1. Cor. VII, 3) ». disant souvent : « Mon âme a soupiré après le Dieu, fontaine vivante; quand viendrai-je, quand apparaîtrai-je devant la face du Seigneur ? » (Ps. XLI, 5.) N'est-ce pas là le langage d'une âme qui gémit? Votre plainte est douce, c'est l'amour qui l'a produite. Comment ne seraient pas graves et sérieuses ces joues qu'anime une affection gémissante ? Ces gémissements contiennent non-seulement la grâce qui fait s'attrister, mais celle aussi qui nourrit l'âme. « Vous nous nourrirez », dit le Psalmiste, « du pain, des larmes. » (Ps. LXXIX, 6.) L'époux, en cet endroit, compare les joues de l'épouse à une grenade, parce que l'affection inquiète et tendre, par une certaine maturité qui lui est naturelle, entoure le visage, et nourrit, pour ainsi dire, ceux qui le considèrent. Reluisant sur la face, la grâce de l'esprit refait, pour ainsi parler, ceux qui la voient, quand elle les frappe d'une douce émotion, et transmet aux autres sa propre impression. Je ne puis me défendre d'une impression suave, lorsque je me dépeins à moi-même un visage de ce genre : et en pensant à ces joues où se trahit l'amour, j'éprouve une sensation pareille. Combien plus fort est ce sentiment, quand on voit dans la réalité ce spectacle ? La vue est en effet plus expressive que la pensée. Elles sont tout-à-fait belles les joues où reluit tant de beauté, qu'embellit une agréable humilité : qui ne présentent rient de fier, rien de rude et que la pratique de la discipline a ramenées, en les réglant selon les lois d'une modeste humilité.

2. « Vos joues sont comme un fragment de grenade. » Ne vous semble-t-il pas qu'il eût les joues brisées, celui qui présenta son visage aux bourreaux qui le frappaient et qui le déchiraient, sans se détourner de ceux qui le souillaient de leurs crachats ? Ces coups furent utiles, ils commencèrent à faire éclater la vertu qui était dans l'intérieur de l'homme-Dieu, et jaillir la grâce retenue sous l'écorce de sa chair adorable. Son éminente dignité parut comme détruite lorsqu'il s'anéantit jusqu'à subir les insultes de la passion : mais ces coups, qui le brisaient, répandirent, pour nous avec abondance, la grâce du salut. Et vous aussi, si vous accomplissez dans votre chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ (Col. I, 24), si vous porte,dans votre corps les stigmates de ce divin Sauveur, (Gal. VI 17.) le Christ vous dit pareillement, « vos joues sont pareilles à des fragments de grenade. » Si elles sont brisées et comme crucifiées, domptées et formées par la discipline, ne vous semblent-elles pas semblables aux fragments d'un bon fruit ? Et dans la suite, on dit à l'époux : « vos joues sont comme un petit jardin plein de plantes aromatiques, (Cant. V, 13.) parce qu'elles sont travaillées et préparées et garnies de plantes odoriférantes qu'il faut cultiver. De même en ce lieu, l'époux dit que les joues de sa bien-aimée sont comme un fragment de grenade. Ce travail qui les brise est bon, il n'occasionne pas la mort, il fait paraître un échantillon des fruits spirituels de l'intérieur. Elles sont donc dignes d'éloges, ce joues qui, par l’humilité, sont creusées, de sorte que les fruits du dedans ne perdent pas, mais plutôt produisent la grâce. Enfin, ,les grenades, par leur écorce de couleur rouge, indiquent la teinte agréable que présente un visage modeste. La pudeur est le plus bel ornement d'une épouse du Christ. Semblable à une aurore, elle colore le principe de toutes les actions, elle embellit, de son éclat virginal, toutes les autres vertus. La pudeur ne vante pas avec fracas ses biens, elle en parle avec beaucoup de retenue, contente de les avoir faiblement indiqués, quand la nécessité l'exige. O bon Jésus! qu'elle grande retenue brille partout dans tous vos discours ! Combien vous fûtes sobre dans vos propres louanges, quand vous auriez pu les faire retentir avec justice, sans blesser l'humilité et sans attaquer la vérité ! Et lorsqu'il parlait de ses propres biens, ce divin Sauveur taisait son nom. Il pouvait parler avec plus de détails, mais, à l'exemple de l'épouse, il se borna à avoir l'extérieur d'une modeste pudeur. Je ne prêche pas en cet instant cette pudeur, qui a coutume de couvrir le visage de rougeur, j'ai en vue celle qui embellit tout le dehors de la conduite. Car, à l'exemple du corps, la conduite a des sortes de joues, sur lesquelles rien n'est plus beau que cette couleur, si l'apparence de toutes les actions respire l'humilité, si l'on cache plus dans le coeur qu'on ne montre sur le visage. Enfin, l'époux dit : « Comme des fragments de grenade, ainsi sont vos joues, sans parler de ce qui est caché. » Bonnes joues, qui n'ont rien de simulé, qui enveloppent plus de biens qu'elles rien font paraître, qui ne feignent rien, qui ne montrent pas tout, et qui, en apparence, présentent moins qu'elles ne possèdent en réalité.

3. Ce que nous disons là peut être appliqué aux joues intérieures de Pâme, qui se trouvent sur la face de la conscience, là où Dieu voit et où ne pénètre pas le regard de l'homme. La conscience de chacun comme son propre visage. Les joues qu'il a sont rouges par la couleur pudique de l'humilité. quand, à part lui, le chrétien n'exalte pas ses oeuvres, quand il n'élève pas ses mérites ne les croyant nullement remarquables , mais rougissant de les voir si médiocres. Qui se glorifiera d'avoir le coeur pur? (Prov. XX. 7.) S'il a reçu cette grâce, pourra-t-il se glorifier comme s'il ne l'avait pas reçue ? Et cependant, qui comprend les dons qui lui ont été accordés? Car si on n'apprécie pas les péchés, combien moins encore les dons? Les dons viennent d'en haut, ils descendent du Père des lumières. Ce qui est de Dieu, personne ne le connaît que l'Esprit de Dieu. C'est pourquoi si Dieu le révèle à quelqu'un par son Esprit, ce n'est pas tant lui qui le connaît, que l'Esprit de Dieu en lui. « Nous avons reçu », dit saint Paul, « l'Esprit qui est de Dieu, afin que nous sachions ce que Dieu nous a donné. (1. Cor. II, 42.) Dit-il :tout ce que Dieu nous a donné ? Ou s'il a pu tout savoir, a-t-il pu entièrement le connaître ? Il ne put pas parfaitement connaître (je le pense ainsi du moins), un seul don, et quoique sous le fouet, il ne put comprendre le don qui lui était fait. Il y a utilité à ce que la conscience soit en partie cachée à elle-même, et le trop grand amour de la perfection ignore ses propres progrès. Ce ne sont pas les fruits entiers des vertus, mais seulement des fragments qui sont en saillie sur les joues de l'épouse, parce que ce qui est sur les joues est en évidence. Et si quelqu'un connaît en lui la grâce réelle de quelque vertu, en connaît-il la force, la constance, la persévérance? « Ma bouche n'est pas fermée pour vous, vous savez ce que vous avez opéré en secret. (Ps. CXXXVIII, 15.) Si ce spectacle est caché pour moi, il ne l'est pas pour vous. Votre Esprit, en effet, scrute tout, même ce qui est caché en moi. Plaise au ciel, ô bon Jésus, que j'aie beaucoup de biens ainsi cachés dans mon âme et placés dans vos trésors. Ils seraient mal placés dans ma connaissance, c'est pourquoi je les confie avec plus de sûreté à votre science. Mais ce n'est pas moi qui vous la confie, c'est plutôt vous, qui ne m'en faites point part. C'est avec plus de sûreté que vous conservez en vous la connaissance de ce que vous avez opéré dans le secret. Une perfection si grande n'a pas licence de se montrer à l'épouse, et de paraître sur son visage.

4. Ainsi sont, dit-il, « vos joues saris parler de ce qui est caché. » Il y a des choses cachées qu'il faut produire au-dehors et placer en relief au temps opportun. En attendant cette heure propice, elles sont cachées dans leur semence, jusqu'à ce qu'à leur époque, elles prennent leur plein développement. Maintenant vous êtes l'épouse, mais encore on n'a pas vu ce que vous serez un jour. Qui, croyez-vous, me sera semblable quand je me serai manifesté? Vous avez en partie cette ressemblance, parce que vous me connaissez en partie. Déjà vous contemplez ma gloire à visage découvert, mais cependant vous êtes encore transformée allant de clarté en clarté. (II Cor. III, 48.) Tandis que vous êtes transformée, vous ne me possédez pas encore complètement. Etre transformé, c'est progresser, c'est ne pas être parfait. Vos yeux ne voient pas, mais les miens voient votre état de perfection :déjà vous êtes pour moi ce que vous serez un jour. Déjà vous êtes décrite dans le livre de vie, et je vous ai gravée dans mes mains. Votre visage est devant moi toujours, il brille à mes regards, bien qu'il soit obscurci maintenant en vous. Déjà j'ai trouvé en vous la drachme de mon image, mais  elle est encore couverte d'une sorte de rouille et son empreinte est voilée. Déjà la foi rougit sur vos joues et y répand une couleur de vie, mais encore l'objet réel de la foi est dans l'obscurité. C'est pourquoi vos joues sont comme des fragments de grenade, sans parler de ce qui est caché. L'apparence de la foi est assez agréable, mais vous me paraissez plus belle en raison de ce qu'il y a de caché en vous. La vertu de patience, qui se montre à l'extérieur et comme sur vos joues me plait beaucoup; mais je vous estime encore davantage à raison de votre gloire à venir. Et en effet, mes frères, non-seulement les souffrances, mais même la patience de la vie présente ne sont pas en rapport avec la gloire qui sera révélée en vous. (Rom. VIII, 18.) Déjà pourtant ont été jetées en nous certaines semences de cette gloire, qui, par un travail obscur, s'acheminent vers la maturité et préparent la substance d'un fruit parfait. Cette substance est en ce moment cachée en nous par une sorte de grâce séminale. « Ma substance est dans les profondeurs de la terre, » dit le Psalmiste. (Ps. CXXXVIII, 15.) Vous voyez le lieu où il assure qu'elle est cachée ? « Dans les profondeurs de la terre. » Il est heureux pour lui que ce ne soit pas dans les lieux les plus infimes. Je distingue les régions supérieures de la terre, les inférieures et les infimes. Les supérieures comprennent la nature du corps humain; les inférieures sont la corruption de cette même nature, et les infimes sont l'iniquité et les fautes résultant de cette corruption et l'augmentant encore. Aussi le sage ne dit-il pas que sa substance se trouve dans les régions infimes, parce que la grâce spirituelle (qui est la substance souveraine pour le Prophète) n'a aucun rapport avec l'iniquité, mais qu'elle est « dans les régions inférieures de la terre. » Ma substance, dit-il, parce que la grâce de l'Esprit est médicinalement cachée dans l'infirmité de la chair, comme un levain, guérissant et fermentant jusqu'à ce que la vie absorbe la mortalité. Car ce n'est pas la pâte qui doit corrompre le levain, mais plutôt c'est le levain qui doit la changer et lui donner son propre goût.

5. Ailleurs le même Prophète dit : « Ma substance est en vous. » (Ps. XXXVIII, 8.) Sa substance par conséquent est dans les profondeurs de la terre et en Dieu. Elle est cachée dans des lieux éloignés, dans les hauteurs des cieux, dans les profondeurs de la terre, dans l'éternité et dans l'infirmité. Là par la Providence, ici par l'opération de la grâce. Et assurément c'est une grâce précieuse, celle qui produit les progrès dans les vertus, de manière à nous donner, en retour, un certain goût de la perfection, à découvrir ce qui, dès l'origine du monde, a été caché; caché au monde et caché en Dieu, centre adorable où notre vie est ensevelie avec le Christ. Et elle est vraiment grande, Seigneur, cette somme de douceur que vous avez renfermée en secret, non pour ceux qui vous craignent, mais pour ceux qui vous aiment. C'est pourquoi la jouissance de l’épouse n'est peut-être pas furtive. Voilà les biens enfouis en elle, biens dont le bien-aimé dit : « Ainsi sont vos joues, sans parler de ce qui est caché en vous. » Ce n'est pas pour elle seulement que cette parole a été dite; elle a été prononcée à cause de ceux qui sont autour de l'épouse, et encore plus pour ceux qui sont éloignés et a qui opposent résistance : pour ceux qui se retirent par timidité de la vie sainte et pour ceux qui l'attaquent par envie. Parmi eux, les uns regardent la vie cachée, la vie des saints comme vide et sans gloire. Les autres, s'ils ne la tiennent pas pour vide, en regardent tout le cours avec une grande horreur, car ils n'osent point penser que sa fin soit sans honneur. Les uns la croient vaine, les autres la tiennent pour pleine d'amertume. Ceux-là ne la vénèrent pas, ceux-ci craignent de l’approcher. C'est pourquoi le bien-aimé a eu soin de faire une légère allusion aux biens cachés dans l'épouse, comme pour atteindre indirectement les uns et attirer les autres, les avertissant, à mots couverts, des délices intimes qu'elle éprouve. « Ainsi sont vos joues, dit-il, sans parler de ce qu'il y a de caché en vous. » Comme s'il disait : Si les autres connaissaient, ô épouse, de quels biens vos entrailles sont remplies, avec quel transport ils regarderaient, tout le reste qu'ils possèdent, comme une perte, afin d'en faire l'acquisition! Avec quelle joie ils perdraient leurs biens, et supporteraient des maux pour avoir part à cette douceur cachée ! Mais à présent, cette douceur est voilée à leurs yeux, et elle ne se montre aux saintes âmes que par moments et retours alternatifs. Heureuses alternatives qui adoucissent les plus longs ennuis; délices considérables dont l'abondance se fera sentir dans l'avenir. Pourquoi craindre la pauvreté en les goûtant? Les délices, et des délices abondantes, se trouvent dans ce qui est caché en elle. Car, ô épouse, l'abondance règne dans vos tours. Enfin, «votre cou est comme la tour de David. (Cant. IV, 4.) : si les joies sont cachées, la force se montre. Comment ne dominerait pas ce qui est comparé à une tour ? Mais réservons ce sujet pour le discours de demain; nous y parlerons de cette tour, que donna à David son auteur et son protecteur, Jésus-Christ, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.

 

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