SERMON XXXIX
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SERMON XXXIX. Lève-toi, Aquilon et accours, Auster, souffle sur mon jardin, et que ses parfums se fassent sentir. Cant. (IV, 16).

 

1. Accomplissez, ô bon Jésus, ce que vous ordonnez, faites venir l'Auster du ciel, et qu'il entre dans votre jardin, dans l'âme de votre épouse. Par ce souffle agréable, chassez de son coeur la tristesse et l'ennui. Car ces deux choses sont nuisibles et présentent, pour ainsi dire, l'aspect de l'Aquilon : elles enchaînent l'esprit, et empêchent la joie pure d'arriver jusqu'à lui. Qu'est-ce que la crainte? N'est-ce pas ce sentiment qui resserre les sentiments par une sorte de froid glacial? Epargnez votre épouse, qu'elle ne subisse pas l'influence de ce qui lui est étranger. Qu'y a-t-il de plus étranger pour elle, qui est toute en la charité, que la crainte qui n'est pas dans la charité ? La crainte est servile, l'épouse est appelée à la liberté. Vous avez vu, mes frères, dans le discours d'hier, l'homme marcher timidement pour recevoir les premiers éléments de l'éducation; avec quelle résolution chancelante et tardive il s'est laissé initier aux premiers rudiments de la discipline! Et vous savez avec quelle profusion, tant qu'il était dans le siècle, les aumônes coulaient de sa main! quelle était la cause de ce changement, sinon que dans cette région, l'Aquilon de la crainte avait soufflé dans son âme. L'Auster l'a touché d'un côté, mais il n'a pas soufflé pleinement en lui; aussi il répandit promptement ses largesses. Mais cette liqueur très-précieuse et aromatique du renoncement a pu à peine sortir de son âme en très-petite quantité et après beaucoup d'efforts. Il était pleinement semblable à ce jeune homme de l'Evangile, qui, se glorifiant devant le Seigneur d'avoir observé les prescriptions de la loi, s'en alla triste quand on lui proposa les conseils plus étroits de la perfection évangélique. (Matth. XIX, 22.) La différence qu'il y a entre eux, c'est que l'un se re-tira attristé, et que celui-ci, dont nous parlons, quoique triste, est néanmoins venu. Voyez l'Aquilon de la crainte soufflant sous la loi mosaïque, aussi sous son règne il coula bien peu de gouttes de ces parfums précieux et exquis. Voilà pourquoi, au jour de la Pentecôte, (Act. II, 2.) quand le saint-Esprit souffla avec force du midi, tant de milliers d'hommes reçurent et répandirent avec abondance la vérité, la parole et la vie. Le souci des affaires domestiques ne les avait pas retenus du reste.

2. Les coeurs délivrés de l'influence de ce dur Aquilon, répandent plus abondamment leurs affections dans la contemplation de Dieu et son saint amour. «Vous n'avez pas reçu, » dit l'Apôtre, « l'esprit d'adoption des enfants, par lequel nous crions à Dieu . mon père. (Rom. VIII, 15.) L'un était le souffle de l'Aquilon, l'autre celui de l'Auster l'un pesant, l'autre agréable. Aussi on dit au premier, comme lourd et accablant, « lève-toi; » on adresse au second un appel, parce qu'il est agréable et joyeux, on l'invite à venir et à régner dans le jardin de l'époux. L'Aquilon apporte la peine, l'Auster répand la. joie. L'un menace, l'autre fait abonder les douceurs et les délices. « Je prierai mon Père, dit le Sauveur, «et il vous donnera un autre paraclet. » (Joan. XIV, 16.) c'est là engager l'Auster, c'est lui dire de venir et de remplir tout le jardin. « Souffle constamment dans mon jardin et ses parfums se répandront. » Certains fruits, s'ils ne sont pressés et contractés, ne donnent pas leur jus. Mais les fruits, qui se trouvent dans un jardin décrit avec tant de délicatesse, n'attendent pas que la main les serre, ils ne veulent pas être pressurés avec force au souffle du midi, ils coulent d'eux-mêmes. Considérez la sagesse du monde, ne paraît-elle pas exprimée avec violence et longuement élaborée par l'exercice et par l'étude? Mais dans les auteurs de notre philosophie, le fleuve de la sagesse coule prompt et rapide. Voulez-vous entendre avec quelle promptitude il jaillit? « Quand vous comparaîtrez devant les rois et les présidents, ne réfléchissez pas d'avance; il vous sera donné sur l'heure ce que vous aurez à dire. (Matth. X, 19.) Voulez-vous connaître sa force: «Je vous donnerai une bouche et une sagesse, à laquelle vos ennemis ne pourront point répondre. » (Luc. XXI, 15.) Comment se produiraient des effets si subits et si forts, si ce souffle puissant du midi ne faisait pas sentir son influence ?

3. La charité n'a-t-elle pas été répandue elle-même dans nos coeurs par l'esprit saint qui nous a été donné. (Rom. V, 5.) Il est plusieurs aromates qui coulent et coulent seulement à la chaleur du saint esprit : la joie, la paix, la patience, la longanimité, la bonté, la bénignité, la foi, la douceur, la modestie, la continence, la chasteté. (Gal. V, 22.) Ces dons ont été non-seulement produits, mais ils ont coulé. En ce qu'ils coulent, on voit l'abondance; de ce qu'ils viennent du souffle de l'Auster, on reconnaît l'absence de la contrainte. La charité ne peut être forcée, elle s'épanche spontanément; ce n'est pas la nécessité qui la,.décide, c'est la volonté; il faut pourtant le souffle du vent du midi. Que produirait en effet la liberté de la volonté, si la grâce ne faisait sentir son influence? Car bien que le libre arbitre soit maître de lui, partout où il se trouve , nous n'accordons pas qu'if soit libre pour tout; il ne peut pas choisir et exécuter librement toute chose. La volonté est toujours libre dans ce qu'elle choisit, mais elle n'est pas toujours libre pour ce qu'elle a à choisir. Elle ne peut en effet choisir qu'en vertu de sa liberté : mais il est quelque chose qu'elle ne peut choisir par elle-même. La volonté s'appartient ; elle est libre quand elle est présente mais l'esprit n'est pas libre pour toute volonté qui doit se trouver présente, quand il est absent. Elle ne s'appartient pas plus parce qu'elle veut beaucoup ou parce que ce qu'elle veut, est bien. Après la chute, la liberté du libre arbitre consiste à vouloir librement ce qu'il veut mais il n'est pas en son pouvoir de vouloir toutes choses, même parmi celles qu'il faudrait vouloir. En effet, il est une liberté qui n'est pas sans volonté, et sans laquelle il n'existe pas de volonté : et il est une liberté que la volonté n'accompagne pas toujours. L'une se trouve dans la volonté, l'autre, dans une certaine faculté de vouloir. L'une est en elle-même, l'autre se rapporte pour ainsi dire à elle-même. Nous pouvons l'une et nous contraignons l'autre. La vue est une certaine puissance de percevoir qui se trouve dans l'exil, et néanmoins elle est quelque affection, que l'on éprouve en voyant. De même dans l'esprit on distingue l'intelligence et la puissance naturelle de comprendre, et l'usage de ce pouvoir. Cette distinction se rencontre dans le libre arbitre, et sous le même titre se trouvent désignés et l'aptitude et son acte. La liberté se fait sentir, et pour choisir, et dans le choix, et quand elle a voulu le mal, elle a été toujours sauvegardée. Conservez-la avec soin, par cela même qu'elle est faible tant pour faire le bien que pour lutter contre le mal. La volonté mauvaise est libre en tant qu'elle est volonté, trais elle est servile par cela qu'elle se porte vers le mal avec choix. Quiconque commet le péché, est esclave du péché. (Joan. VIII, 24.) Le péché captive et lie celui qu'il saisit. Il le tient en esclavage quand il le contraint.

4. Pour vous, ô Seigneur, mettez un terme à notre captivité en faisant sentir votre force dans le souffle du midi. (Ps. CXXV, 4.) Envoyez votre esprit, et notre ancienne liberté revivra; elle revivra, dis-je, elle ne sera pas créée de nouveau. Car bien qu'elle ait été affaiblie, elle n'a pas été enlevée. Elle reste ce qu'elle a été créée, mais elle ne peut se mouvoir vers l'objet pour lequel elle a été donnée à l'homme, elle vit, mais elle n'a pas de vigueur. De même en ceux qui ont le cerveau dérangé, la puissance d'être raisonnable n'est pas troublée, mais dans ceux qui sont atteints de folie, cette puissance ne peut exercer aucun mouvement. Quand une vive passion est guérie dans l'âme, la raison n'est pas rendue à l'homme, elle est réveillée et sort comme d'un profond sommeil. Ainsi la liberté que l'homme a reçue die son créateur, ne lui a pas été enlevée en tout ou en partie, le péché l'a liée : elle est telle qu'elle a été donnée, mais elle se trouve à présent dans une position différente. Et (pour employer ces termes), il existe une liberté de condition, une liberté de disposition, une liberté d'affection. La première est le fruit de la nature; c'est pourquoi elle est toujours bonne : si elle n'est guérie, la seconde ne tendra pas vers le bien; la troisième ne s'y fixera pas et n'y restera jamais. La première consiste dans une aptitude naturelle, la seconde dans l'habitude de l'esprit bien ou mal réglé; la troisième dans l'acte ou l'usage. C'est pourquoi si l'aptitude naturelle n'est pas aidée par la grâce, ni l'habitude, ni l'acte de la volonté ne se porteront vers la vertu. La liberté du libre arbitre est faible; c'est pourquoi là où elle succombe, que l'Auster souffle, et aussitôt ses parfums se répandront. L'âme n'a pas cette liberté généreuse et vraiment libre, qui tend vers le bien et s'y fixe, si l'esprit de Dieu ne la délivre pas. C'est pourquoi, Seigneur, envoyez votre esprit, qu'il apporte de pouvoir et de vouloir par la grâce, lui qui, en créant l'homme, lui donna d'abord de pouvoir l'un et l'autre. Nous avons indiqué plus haut trois sortes de liberté. Dans la troisième, se trouve le vouloir ; il est au fond de la seconde, et dans la première on envisage la puissance naturelle par rapport aux deux autres libertés. Que la première donc reçoive le titre de puissance, la seconde, celui de pouvoir, la troisième, celui de volonté. Car il ne semble pas que ce soit la même chose, d'avoir puissance naturelle pour quelque chose et de pouvoir la réaliser. Nous ne pouvons pas tout de suite produire beaucoup d'effets pour la réalisation desquels nous avons une puissance naturelle, quand la faculté, qui y correspond en nous, est empêchée par la faiblesse, on n'a pas l'art et le moyen qu'il faudrait pour y réussir. Souvent l'œil ne peut apercevoir sur le moment, bien que cependant il ne soit pas destitué de la puissance de voir : il a l'habitude, l'acte lui manque. Il en est de même du libre arbitre; il reste, à la vérité, mais il est empêché par le péché . aussi ne peut il avoir cette troisième espèce de liberté qui se fixe dans le bien, ni même la seconde qui y tend. La première demeure changée mais non diminuée : quand aux deux autres, on ne peut pas dire qu'elles restent. Car après le péché, le bon vouloir ne nous reste pas libre : aussi nous n'avons plus la liberté qui consiste dans la bonne volonté : mais par la grâce, la dernière nous est inspirée, la seconde est réparée; quant à la première, elle est naturellement créée en nous.

5. Que tout cela soit dit de la liberté par laquelle nous voulons le bien, attendu qu'elle provient de la grâce. Il est encore une autre liberté que la grâce produit aussi, par laquelle non-seulement nous voulons le bien, mais encore nous le voulons avec affection. La première se trouve en tout cas dans la volonté; il n'en est pas de même de la seconde. Car nous voulons toujours librement, mais pas toujours avec amour. Les sentiments ne regardent pas toujours au libre arbitre. La liberté de la bonne volonté n'est pas pleinement libre, si elle n'est pas remplie d'affection : mais que l'Aster fasse sentir ses chaleurs, aussitôt les tendresses du coeur jailliront et répandront leurs exhalaisons embaumées. On ne les presse pas pour les faire couler : elles s'échappent librement de l'âme. Souvent la tristesse et une sorte d'ennui accompagnent la volonté sainte, les affections douces ne font point route à leur côté. L'odorat les trouve parfumées, la main les sent agréables : doucement on les sent, doucement on se les rappelle au souvenir; elles coulent, et débordent suavement. Elles coulent pour elles et débordent pour les autres. L'affection au-dedans, la parole au dehors, sont embaumées l'une et l'autre. Le libre arbitre peut soupirer après elles, mais elles ne dépendent pas de sa liberté. De même que souvent il y a des affections mauvaises opposés à la bonne volonté, de même les bons sentiments, quand ils se font sentir encore, bien qu'ils se trouvent avec la liberté n'en procèdent néanmoins pas : la volonté est libre sans eux, mais eux la rendent pour ainsi dire plus libre. Ils la rendent plus libre, mais ils ne procèdent pas de la liberté. Ils coulent quand l'Auster règne. O doux vent du midi, vraiment désirable, dont le souffle fait disparaître les rudes effets de l'hiver, fait sourire dans les jardins la végétation printanière des plantes rajeunies et refaites, amène une température, plus chaude et prépare les richesses de l'automne. La diffusion des parfums marque en effet la maturité des fruits. Voilà combien il est bon, combien il est agréable d'attendre, dans les retraites et dans les jardins remplis de plantes aromatiques, cet air embaumé si suave, qui renouvelle et produit derechef les fruits du Saint-Esprit, exhale les parfums et en dispose les émanations suaves. Envoyez-nous, Seigneur, cet Esprit, après la rigueur de l'Aquilon, qu'il change l'aspect de notre jardin et qu'il tourne en allégresse notre chagrin ! ou si l'Aquilon a quelque chose de bon, invitez-le à souffler avec le vent du midi. Qu'ils agissent de concert et que chacun remplisse son rôle. Que l'Aquilon resserre, que l'Auster relâche. Que l'un retienne l'intempérance, que l'autre dilate l'esprit et lui fasse produire ses parfums, que l'un donne la continence, que l'autre réjouisse la conscience; que l'un concentre, que l'autre remplisse. « de suis devenu, » dit le Psalmiste, «comme une outre sous la gelée et je n'ai point oublié votre loi qui justifie les âmes. » (Ps. CXVIII.) Outre admirable si bien gelée et si bien remplie! Au dehors les. frimas de la continence, au-dedans l'abondance de la justice qui la garnit. Il est donc bon que ces deux vents soufflent; ils gèlent tout ce qui est au-dehors par l'esprit de pureté, et ils inondent l'intérieur de toutes sortes de joie.

6. Et pour faire l'application de ce souffle du vent du midi à l’intérieur de l'homme, remarquez qu'il est dit : « souffle. « Le vent qui se fait sentir de la sorte, pénètre au-dedans, rien ne l'empêche de s'introduire : c'est un esprit subtil, insinuant et agile, il souffle et n'enfle point. La science enfle, la charité souffle. (I Cor. VIII, 1.) Cette vertu est plus intime que la science, et elle arrive à des profondeurs plus cachées. L'esprit de Dieu règne sur tout l'intérieur, il scrute même les abîmes de la nature divine. Quand il aura soufflé et aura fait sentir son influence; les aromates de la science s'y produiront avec utilité, avec les méditations, les oraisons, les soupirs, les sanglots, les larmes et les colloques- eux-mêmes. Tout ce qui tire son origine de la charité, s'épand comme de gras parfums, tous les dons qui viennent de cette vertu, sont comme des substances aromatiques, la grâce les remplit. Ils sont chers, ils sont abondants, ils sont embaumés et ils sont liquides. Ils sont pleins, car ils viennent de la charité qui déborde. Ils sont pleins et ne sont pas extraits, ils ne supportent pas la violence du pressoir. Vous ne lirez pas dans les Ecritures, qu'on ait dressé un pressoir dans ce jardin : car c'est le vent du midi qui en remplit l'office. Les choses qui s'exhalent par voie d'émanation coulent mieux que si on les foulait avec force. Les présents dont nous avons parlé, sont gratuits, la crainte ne les extorque point, ils s'échappent sous faction suave de l'esprit. Il en est qui par l’Aquilon et l'Auster entendent l'adversité et la prospérité de la vie présente. Sous le coup de cette double épreuve, l'Eglise de Dieu produit toujours avec abondance et les bons sentiments, et les bonnes doctrines, semblables à des parfums. Dieu laisse souffler ces tentations parce qu'elle sait être dans l'abondance et dans la détresse. Cette idée demande de plus grands développements : qu'il nous suffise de l'avoir touchée légèrement à la fin de ce discours. Celui qui suivra s'occupera des mutuelles invitations que se font l'époux et l'épouse, si notre Seigneur daigne nous en faire la grâce, lui qui vit et règne Dieu, etc.

 

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