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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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SERMON CCX. POUR LE CARÊME. VI. DU TEMPS CHOISI POUR LE CARÊME.

 

ANALYSE. — Deux parties dans ce discours, une partie dogmatique et une partie morale. I. Pourquoi le Carême est-il fixé aux approches de la Passion du Sauveur, et pourquoi doit-il durer quarante, jours ? A la première de ces deux questions, saint Augustin répond de la manière suivante : Il est vrai, Notre-Seigneur ayant jeûné après son baptême, il semblerait d'abord que le baptême se conférant dans l'Église à la fête de Pâques, le jeûne du Carême devrait suivre et non précéder cette fête. Mais premièrement, le baptême s'administre aussi indistinctement tous les autres jours de l'année. Secondement, le baptême de saint Jean reçu par Notre-Seigneur, était loin de conférer les grâces que nous confère son propre baptême, et il n'y a aucune parité à établir entre l'un et l'autre. D'où il suit que si Notre-Seigneur a jeûné  après le baptême de saint Jean, ce n'est pas pour nous d raison de jeûner après le sien. Ce qui explique mieux pourquoi le Carême est fixé aux approches de la Passion, c'est qu’il est dit dans l'Écriture que Jésus-Christ jeûna quand il devait être tenté par le démon. Or, est-il rien qui nous rappelle mieux tentations et les épreuves de cette vie que la Passion du Sauveur ? Si donc nous jeûnons aux approches de la Passion, c'est que toujours nous devons jeûner et nous mortifier pour résister à la tentation. — A la seconde question : Pourquoi le jeûne Carême dure-t-il quarante jours, tandis que les joies du temps pascal en durent cinquante ? Le saint Docteur répond que les quarante jours du Carême désignent toute la vie présente, vie de labeurs et de gémissements, comme les cinquante jours du temps pascal désignent le bonheur de l'éternité. — II. Dans la partie morale se représentent les idées sur la prière, le jeûne, l’abstinence, la continence, l'aumône et le pardon des injures, que nous avons vues dans les discours précédents.

 

1. Voici l'époque solennelle qui nous avertit de nous appliquer à la prière et au jeûne plus qu'en tout autre temps de l'année, en humiliant nos âmes et en châtiant nos corps. Mais pourquoi lest-ce aux approches de la solennité de la Passion du Sauveur, et pourquoi durant l'espace mystérieux de quarante jours? Plusieurs s'adressent souvent ces questions ; c'est pourquoi nous allons vous communiquer sur ce sujet les réflexions que Notre-Seigneur a daigné nous suggérer; et ce qui nous aidera puissamment à obtenir de pouvoir traiter cette matière, c'est la foi et la piété de ceux d'entre vous que je sais s'en occuper, non pour contredire mais pour s'instruire.

2. Ce qui donne lieu à cette question, c'est qu'après avoir pris un corps et s'être montré aux hommes comme l'un d'entre eux afin de nous apprendre à vivre, à mourir et à ressusciter à son exemple, Jésus-Christ Notre-Seigneur n'a point jeûné avant de recevoir, mais après avoir reçu le baptême. Voici en effet ce qui se lit dans l'Évangile : « Or, ayant été baptisé, Jésus sortit aussitôt de l'eau, et voici que les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendre sur lui; et voici une voix du ciel disant: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Alors Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert, pour y être tenté par le diable, et lorsqu'il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim (1) » . Pour nous, au cou. traire, nous jeûnons avec ceux qui doivent recevoir le baptême, avant le jour où ils le doivent recevoir, c'est-à-dire jusqu'à la veille de Pâques, après quoi nous cessons de jeûner durant cinquante jours.

Cette raison aurait quelque valeur, si l'on ne pouvait conférer ni recevoir le baptême qu'au jour éminemment solennel de Pâques, Mais parla grâce de Celui qui nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (2), chacun peut toute l'année recevoir ce sacrement, selon qu'on y est déterminé par la nécessité ou par la volonté ; tandis qu'il n'est permis de célébrer l'anniversaire de la Passion du Sauveur qu'une fois l'an, à Pâques. Il faut donc établir entre Pâques et le baptême une différence incontestable; le baptême pouvant se recevoir chaque jour, et Pâques ne pouvant se célébrer qu'une fois l'année et en un jour déterminé; le baptême ayant pour but de conférer une vie nouvelle, et Pâques de ranimer le souvenir des mystères de la religion. S'il y a à Pâques une nombre bien plus considérable de catéchumènes à baptiser, ce n'est pas qu'on reçoive alors

 

1. Matth. III, 16, 17 ; IV, 2. — 2. Jean, I, 12.

 

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plus de grâce pour le salut, c'est qu'on est excité par la joie bien plus vive de la fête.

3. Ne pourrait-on pas signaler aussi quelle différence existe entre le baptême de Jean, reçu alors par Jésus-Christ, et le baptême de Jésus-Christ, reçu aujourd'hui parles fidèles ? De ce que Jésus-Christ soit au-dessus du chrétien, il ne s'ensuit pas que le baptême reçu par Jésus-Christ soit au-dessus du baptême reçu aujourd'hui par le chrétien ; ce dernier au contraire l'emporte sur. l'autre précisément parce qu'il a été établi par Jésus-Christ. Jean en effet baptisa le Christ au moment où il publiait combien il lui était inférieur; mais c'est le Christ qui baptise le chrétien, quand il s'est montré si supérieur à Jean. Ainsi en est-il de la circoncision de la chair : Jésus-Christ a été circoncis, le chrétien ne l'est pas aujourd'hui.; mais sur cette circoncision l'emporte le sacrement qui nous fait ressusciter avec le Sauveur, et qui est pour le chrétien une espèce de circoncision le dépouillant de sa vie ancienne et charnelle et lui faisant entendre ces paroles de l'Apôtre: «Comme le Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, nous aussi menons une vie nouvelle (1) » . Ainsi en est-il encore de la Pâque antique, qu'on devait célébrer en immolant un agneau de ce que le Christ l'ait célébrée avec ses disciples, il ne faut pas conclure qu'elle soit préférable à noire Pâque, qui consiste dans l'immolation du Christ lui-même. Si le Sauveur a daigné recevoir sur la terre ces sacrements anciens qui annonçaient son futur avènement, c'était pour nous donner des exemples d'humilité et de religion, c'était pour nous apprendre avec quel respect nous devons recevoir ces autres sacrements qui nous montrent ce même avènement comme étant accompli.

Ainsi donc, quand le Christ a jeûné aussitôt après avoir reçu le baptême de Jean, on ne doit pas croire qu'il ait voulu nous commander de l'imiter en jeûnant aussitôt après avoir reçu son propre baptême ; il a prétendu seulement nous apprendre par son exemple qu'il est nécessaire de jeûner quand il nous arrive d’avoir à lutter plus énergiquement contre le tentateur. Aussi, après avoir daigné se faire bomme, le Seigneur, pour apprendre au chrétien par son autorité à ne se pas laisser vaincre par l'ennemi, n'a pas dédaigné d'être tenté

comme les hommes. Que ce soit donc aussitôt après avoir reçu le baptême, ou à tout autre moment que l'homme soit attaqué par des tentations semblables, il doit alors recourir au jeûne. Le corps combattra en se mortifiant ainsi, et l'esprit remportera la victoire en s'humiliant par ce moyen. Par conséquent la cause de ce jeûne,modèle et divin, n'est pas le baptême reçu dans le Jourdain, mais la tentation causée par le démon.

4. Maintenant, pourquoi est-ce avant le jour où nous solennisons la Passion du Seigneur que nous jeûnons, tandis que nous interrompons notre jeûne durant les cinquante jours qui suivent? En voici la raison. Quiconque entend bien le jeûne qu'il pratique a pour but, soit de s'humilier, avec une foi sincère, par les gémissements de la prière et la mortification du corps ; soit de se détourner des plaisirs de la chair en goûtant les douceurs spirituelles de la sagesse et de la vérité, et en souffrant volontairement la faim et la soif. Le Seigneur parla de ces deux espèces de jeûne lorsqu'on lui demanda pourquoi se s disciples ne jeûnaient point. Il dit en effet du premier, qui a pour but l'humiliation de l'âme  « Les fils de l'Epoux ne sauraient être en deuil, tant que l'Epoux est avec eux; mais viendra le moment où l'Epoux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront ». Voici ce qu'il ajoute relativement à la seconde espèce de jeûne, qui se propose de nourrir l'esprit : « Personne ne met une pièce de neuve étoffe à un vieux vêtement; ce serait le déchirer davantage. On ne met point non plus du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement les outres se rompent et le vin se répand ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous les deux se conservent (1)».

Concluons que l'Epoux nous étant enlevé, nous qui sommes ses fils, nous devons être en deuil. Il l'emporte en beauté sur tous les enfants des hommes, la grâce est répandue sur ses lèvres (2); et pourtant il n'avait ni grâce ni beauté sous la main de ses persécuteurs, et sa vie a disparu de la terre (3). Ah ! notre deuil n'est que trop légitime si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa Passion, l'interroger à l'aise et l'entendre comme ils en avaient besoin ! Les patriarches, avant son

 

1. Matt. IX, 15-17. — 2. Ps. XLIV, 3. — 3. Isaïe, LIII, 2, 8.

 

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avènement, auraient voulu le voir vivant, mais ils ne l'ont point vu, parce qu'ils avaient reçu de Dieu une autre mission : au lieu d'être destinés à l'entendre quand il serait venu, ils devaient annoncer qu'il viendrait. Aussi bien voici ce qu'il disait d'eux à ses disciples : « Beaucoup de justes et de prophètes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont point vu; entendre ce que vous entendez et ne l'ont point entendu (1)». Quant à nous, nous ressentons l'accomplissement de ces autres paroles de même nature: « Viendra un temps «où vous désirerez voir un des jours actuels, mais vous ne le pourrez (2) ».

5. Qui ne ressent l'ardeur de ces saints désirs? Qui n'est ici en deuil? qui ne pousse de douloureux gémissements? Qui ne s'écrie : « Mes larmes m'ont servi de pain la nuit et le jour, pendant qu'on ne cesse de me dire : Où est ton Dieu (3)? » Nous croyons sans doute que déjà il siège à la droite du Père ; il n'en est pas moins vrai que nous sommes loin de lui pendant que nous vivons dans ce corps (4) , et qu'aux esprits sceptiques ou incrédules nous ne pouvons le montrer quand ils nous répètent: « Où est ton Dieu ? » Ah ! l'Apôtre avait raison de souhaiter la mort pour être avec Jésus-Christ; de ne pas considérer la conservation de sa vie comme un bonheur polis lui, mais comme un besoin pour nous (5). Ici en effet les pensées des mortels sont timides et leurs prévoyances incertaines, parce que cette habitation de boue réprime l'essor de l'esprit (6). Et de là vient que cette vie sur la terre est une tentation perpétuelle (7), et que durant cette nuit du siècle le lion rôde et cherche à dévorer (8). Il ne s'ait pas ici de ce Lion de la tribu de Juda due nous appelons notre Roi (9), mais du démon, notre ennemi. Car notre Roi réunit en lui seul les caractères des quatre animaux qui figurent dans l'Apocalypse de saint Jean ; il est né comme un homme, il a travaillé comme un lion, il a été immolé comme la victime des sacrifices, il a pris ensuite son essor comme l'aigle (10) ; « il s'est élevé sur l'aile des vents, et il a choisi les ténèbres pour retraite (11)». Lui.même a produit ces ténèbres qui ont amené la nuit, et voilà que passent toutes les bêtes des forêts, et avec elles les lionceaux qui rugissent, c'est-à-dire les hommes qui nous

 

1. Matt. XIII, 17. — 2. Luc, XVII, 22. — 3. Ps. XLI, 4. — 4. II Cor. V, 6. — 5. Philip. I, 23, 24. — 6. Sag. IX, 14, 15. — 7. Job, VII, 1. — 8. I Pierre, V, 8. — 9. Apoc. V, 5. — 10. Ib. IV, 7. — 11. Ps. XXVII, 11, 12.

 

tentent et que le démon lance contre nous pour chercher à nous dévorer. Il est vrai néanmoins qu'ils n'en ont le pouvoir qu'autant qu'ils l'ont reçu; aussi le psaume ajoute-t-il : « Demandant à Dieu leur pâture (1) ». Au milieu des ténèbres d'une nuit si dangereuse, si pleine de tentations, qui ne craindrait? qui ne tremblerait de tous ses membres ? qui n'aurait peur de mériter d'être jeté dans la gueule d'un ennemi si cruel pour être dévoré par lui il faut donc jeûner et prier.

6. Quand, surtout, quand le faut-il faire avec plus d'ardeur qu'aux approches de la solennité de la Passion du Sauveur; puisque cette solennité, qui revient chaque année, a pour but de graver en quelque sorte de nouveau dans nos âmes le souvenir de la nuit où nous! vivons, de nous prémunir contre l'oubli, contre le sommeil spirituel durant lequel nous pourrions être surpris par cet ennemi rugissent et dévorant. Qu'est-ce en effet que dans la personne de Jésus-Christ notre Chef, nous apprend surtout la Passion du Sauveur? N'est-ce pas les tentations de cette vie? Aussi dit-il à Pierre, quand approchait l'heure de sa mort; « Satan a demandé à vous secouer comme la froment; mais moi, j'ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille point; va et affermis tes frères (2) ». Ne nous a-t-il pas affermis par son apostolat, par son martyre, par ses épîtres? On voit même qu'il nous parle, dans ces dernières, de la nuit redoutable dont il est ici question, et qu'il nous invite à veiller, à être sur nos gardes, à nous ranimer par le souvenir des prophéties qu'il compare à un flambeau nocturne. « Nous avons,dit-il, la parole plus ferme des Prophètes, à laquelle vous faites bien d'être attentifs, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le Jour se lève et que l'Etoile du matin rayonne dans vos coeurs (3) ».

7. Ainsi donc ceignons-nous les reins, que nos lampes soient toujours allumées, et imitons les serviteurs qui attendent que leur maître revienne des noces (4). Au lieu de nous dire l'un à l'autre : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons (5)»; jeûnons et prions avec d'autant plus d'ardeur que le moment à notre mort est plus incertain, et le temps de la vie plus douloureux; oui, demain nous mourrons. « Encore un peu de temps, dit le

 

 

1. Ps. CIII, 20, 21. — 2. Luc, XXII, 31, 32. — 3. II Pierre, I, 19. — 4. Luc, XII, 35, 36. — 5. I Cor. XV, 32.

 

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Sauveur, et vous ne me verrez plus; puis, encore un peu de temps, et vous me reverrez». Nous voici à l'époque dont il disait : « Vous serez dans la tristesse, et le siècle dans la joie » ; car cette vie est remplie de tentations et nous y sommes loin du Seigneur. « Cependant je vous reverrai, poursuit le Sauveur, et votre coeur sera dans la joie, et cette joie, personne ne vous l'enlèvera (1) ». Cet espoir, fondé sur de si sûres promesses, nous cause dès maintenant quelque sorte de joie, en attendant que nous goûtions cette joie surabondante, quand nous lui serons semblables, pour le voir tel qu'il est (2), et que cette joie ne nous sera enlevée par personne. Comme gage heureux et gratuit de cette espérance, n'avons-nous pas reçu l'Esprit-Saint, lui qui éveille dans nos coeurs les gémissements ineffables des saints désirs? « Nous avons conçu, comme parle Isaïe, et nous avons enfanté l'esprit de salut (3)». Or, « lorsqu'une femme enfante, dit le Seigneur, elle est dans la tristesse, parce que son jour est venu; mais devenue mère, elle goûte une grande joie pour avoir adonné un homme au siècle (4) ». Telle sera pour nous la joie qui ne nous sera point ôtée, et dont nous serons transportés en passant des obscurités de la foi où nous sommes conçus en quelque sorte, au grand jour de l'éternelle lumière. Maintenant donc qu'on nous enfante, jeûnons et prions.

8. C'est ce que fait dans tout l'univers, où il est répandu, le corps entier du Christ, c'est-à-dire l'Eglise, cette communauté qui s'écrie dans un psaume : « J'ai crié vers vous des extrémités de la terre, quand mon coeur a était dans l'angoisse (5) ». Ce qui, nous fait comprendre déjà pourquoi cette humiliation solennelle doit durer quarante jours. En criant des extrémités de la terre, lorsque son coeur est dans l'angoisse, l'Eglise crie, des quatre parties du monde, qui figurent souvent dans l'Ecriture sous les noms d'Orient et d'Occident, de Nord et de Midi. Or; dans toutes ces parties de l'univers a été publié le Décalogue, non-seulement pour inspirer la frayeur de la lettre, mais encore pour être accompli avec la grâce de l'amour. Multiplions dix par quatre, nous obtenons le nombre de quarante.

Cependant nous avons à nous débattre encore contre les tentations, à solliciter le pardon de

 

1. Jean, XVI, 19, 20, 22. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Isaïe, XXVI, 18. — 4. Jean, XVI, 21. — 5. Ps. LX, 3.

 

nos fautes. Qui de nous en effet accomplit parfaitement ce précepte : « Tu ne convoiteras pas (1)? » Il faut donc jeûner et prier, sans cesser de faire le bien. Ce travail finira par recevoir la récompense désignée dans l'Ecriture sous le nom de denier (2). Or le mot denier, denarius, vient de dix, decem, comme ternarius de tres, quaternarius de quatuor, quatre En unissant ce terme à quarante, comme l'expression de la récompense due au labeur chrétien, on parvient au nombre cinquante, lequel désigne ainsi l'époque heureuse où nous goûterons la joie que nul ne nous enlèvera. Nous ne la goûtons pas encore durant cette vie; cependant, -lorsque nous avons célébré la Passion du Seigneur, ne la faisons-nous pas résonner en quelque sorte pendant les cinquante jours qui suivent da résurrection, quand notre jeûne est interrompu et qu'en chantant les divines louanges nous répétons l'Alleluia?

9. Maintenant donc et pour vous éviter d'être circonvenus par Satan, je vous exhorte, mes bien-aimés, au nom de Jésus-Christ, de vous appliquer à apaiser Dieu par le jeûne de chaque jour, de plus abondantes aumônes et des prières plus ferventes. Nous voici au temps où on doit s'abstenir entre époux afin de vaquer à la prière, quoiqu'on doive le faire aussi à certains jours dans le cours de l'année et d'autant plus avantageusement qu'on le renouvelle plus souvent; car user sans mesure d'une permission, c'est offenser celui qui l'a accordée. L'oraison, d'ailleurs, étant une oeuvre spirituelle, est d'autant plus agréable à Dieu qu'elle se fait plus spirituellement. Or, elle se fait d'autant plus spirituellement qu'en l'adressant à Dieu on est plus dégagé des plaisirs sensuels.

Moïse, le ministre de la loi, a jeûné quarante jours; quarante jours aussi a jeûné le grand prophète Elie, ainsi que le Seigneur lui-même, à qui ont rendu témoignage la loi et les Prophètes. Aussi se montra-t-il avec eux sur la montagne. Pour nous, qui ne pouvons soutenir un jeûne aussi long, sans prendre aucun aliment durant tant de jours et tant de nuits, faisons au moins ce que nous pouvons; et en dehors des jours où pour des motifs spéciaux la coutume de l'Eglise interdit le jeûne, rendons-nous agréables au Seigneur notre Dieu en jeûnant chaque jour ou fréquemment.

 

1. Exod. XX, 17. — 2. Matt. XX, 2-13.

 

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Mais s'il n'est pas possible de s'abstenir totalement du boire et du manger durant tant de jours, ne saurait-on renoncer entièrement alors aux rapports des sexes, quand par la grâce du Christ nous voyons beaucoup de chrétiens et de chrétiennes conserver dans toute leur pureté des membres qu'ils ont consacrés à Dieu? Serait-il donc si difficile à la chasteté conjugale de faire durant tout le temps des solennités de Pâques ce que fait toute sa vie la pureté virginale ?

10. Il est une observation que je ne vous dois plus, après vous avoir montré, dans la mesure de mes forces, le temps actuel comme étant surtout une époque d'humiliation pour l'âme ; attendu néanmoins les égarements de certains hommes, dont les discours vains et séducteurs ainsi que les habitudes dépravées ne cessent de nous inspirer pour votre salut de laborieux soucis, je ne saurais me taire.

Il en est qui observent le Carême plutôt délicieusement que religieusement, qui s'appliquent plus à imaginer de nouvelles jouissances qu'à réprimer la vieille concupiscence. Ils font d'immenses et dispendieux amas de toutes sortes de fruits, afin d'arriver à former les plus variés et les plus savoureux de tous les mets ; ils auraient peur de se souiller en touchant les vases où a cuit la chair, et ils ne redoutent point de nourrir leur corps de ce qu'il y a de plus raffiné dans les plaisirs des sens; ils jeûnent, non pas pour modérer leur sensualité habituelle à prendre leurs aliments, mais afin d'exciter, en différant de les prendre, un appétit immodéré. Quand effectivement le moment du repas est arrivé, ils se jettent sur leurs tables splendides comme des troupeaux sur le fourrage ; ils s'élargissent l'estomac en le chargeant de mets trop nombreux , et pour éviter le rassasiement qu'engendre une nourriture trop copieuse, ils réveillent l'appétit par la variété et l'étrangeté des assaisonnements imaginés par l'art. Ils mangent enfin en si grande quantité que le temps du jeûne ne suffit pas à la digestion.

11. Il en est aussi qui en se privant de vin pressurent d'autres fruits afin d'en extraire des boissons, non pas pour la santé, mais pour la volupté ; comme si le Carême n'était pas un temps où on doive s'humilier pieusement plutôt que d'imaginer de nouvelles jouissances. Si la faiblesse de l'estomac ne peut se contenter d'eau, ne serait-il pas bien plus convenable de boire un peu de vin véritable que de rechercher ces autres espèces devins inconnus à la vendange et étrangers aux pressoirs, non pas pour avoir une boisson de digestion plus facile, mais pour n'avoir pas une boisson trop commune ? A l'époque même où on doit mortifier plus sévèrement la chair, n'est-il pas éminemment déraisonnable de chercher à la flatter au point que la sensualité même regretterait de n'avoir pas à faire de Carême ? Peut-on souffrir qu'aux jours consacrés à l'humiliation, quand chacun doit s'attacher à vive comme les pauvres, on vive au contraire d'une façon si dispendieuse que les plus riches patri. moines y suffiraient à peine si ce genre de vie durait toujours ? Prenez garde à ces abus, mes bien-aimés; rappelez-vous ces mots de l'Ecriture : « Ne suis pas tes convoitises (1) ». Si ce précepte salutaire doit s'observer en tout temps; n'est-ce pas surtout au moment où il y aurait tant de honte à rechercher pour la sensualité des jouissances extraordinaires , qu'on serait justement blâmé de ne pas restreindre ce qui peut la flatter ordinairement?

12. Avant tout n'oubliez pas les pauvres, et mettez en réserve dans le trésor céleste ce que vous épargnez en vivant avec plus d'économie. Qu'on donne au Christ pour apaiser sa faim, ce dont se prive chaque chrétien pour pratiquer le jeûne. Que la pénitence volontaire serve à soutenir l'indigent ; que l'indigence volontaire du riche devienne l'abondance nécessaire du pauvre.

Que le coeur doux et humble soit miséricordieux et facile à accorder le pardon. Que celui; qui a fait l'outrage, demande pardon; et que celui qui l'a subi, l'accorde ; afin que nous ne tombions pas au pouvoir de Satan, qui triomphe des dissensions des chrétiens. Quelle aumône avantageuse de remettre à ton frère ce qu'il te doit, afin d'obtenir la remise de ce que tu dois au Seigneur ! C'est le Maître céleste qui a recommandé à ses disciples ce double devoir : « Remettez, leur disait-il, et il vous sera remis ; donnez et on vous donnera (2) ». Souvenez-vous de ce serviteur de qui son maître exigea de nouveau le paiement de toute la dette dont il l'avait tenu quitte, et cela parce qu'envers son compagnon, qui lui était redevable de cent deniers, ce serviteur n'avait pas

 

1. Eccli. XVIII, 30. — 2. Luc, VI, 37, 38.

 

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usé de miséricorde comme on en avait usé envers lui au sujet de sa dette de dix mille talents'. Or, en ce genre de bonnes oeuvres aucune excuse n'est valable, puisqu'il ne faut que de la volonté. On peut dire quelquefois Je ne puis jeûner, car j'aurais mal à l'estomac. On peut dire encore : Je voudrais donner aux pauvres, mais je n'ai rien, ou bien : J'ai si peu qu'en donnant je crains de tomber dans la misère. Remarquons toutefois que souvent, dans ces circonstances, on imagine de fausses excuses, parce qu'on n'en a pas de solides. Mais peut-on dire jamais: Si je n'ai pas accordé le pardon qui m'était demandé, c'est que j'en ai été empêché par ma faible santé, ou que je n'avais aucun moyen de le faire parvenir ? Remets, pour qu'on te remette. Il  ne s'agit pas ici de bonne oeuvre corporelle; pour accorder ce qui est demandé, il ne faut pas même à l'âme le concours d'un seul des membres du corps. C'est la volonté qui fait, qui accomplit tout. Agis donc, donne sans inquiétude ; tu n'auras aucune douleur à endurer dans ton corps, aucune privation à subir dans ta maison. O mes frères, quel crime de ne pardonner pas à un frère qui se repent, quand on est obligé d'aimer son ennemi même !

Puisqu'il en est ainsi et puisqu'il est écrit « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère (1) » ; je vous le demande, mes frères, doit-on appeler chrétien celui qui maintenant au moins ne veut pas en finir avec des inimitiés que jamais il n'aurait dû contracter ?

 

1. Eph. IV, 26.

 

 

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