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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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SERMON CCLII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XXIII. L’ÉGLISE MILITANTE ET TRIOMPHANTE (1).

 

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ANALYSE. — Le Seigneur a voulu nous enseigner par ses actions aussi bien que par ses paroles. Aussi des deux pêches miraculeuses qu'il fit faire à ses disciples, l'une avant, l'autre après sa résurrection, la première désigne l'Église militante, où les bons sont mêlés aux méchants, où les Juifs et les Gentils, figurés par les deux barques, ont été secoués si violemment et sur le point de descendre dans l'abîme tant de fois; car il y aura toujours dans l'Église ces méchants que le Seigneur désigne encore par la paille mêlée au bon grain. La seconde pêche, celle qui suivit la résurrection, désigne l'Eglise triomphante, où ne seront admis que les bons. Le nombre même des cent cinquante-trois poissons, qui furent pris alors, rappelle cette vérité. Dans ce nombre en effet le nombre trois paraît destiné à indiquer qu'il faut diviser cent cinquante par trois. On obtiendra ainsi cinquante. Que signifie cinquante ? Ne rappellerait-il pas les cinquante jours d'allégresse que nous passons après la fête de Pâques? Il est manifeste que dans l'Écriture le nombre quarante rappelle la vie présente avec ses fatigues et ses privations. A quarante ajoutez le nombre dix, denarium, celui qui indique la récompense assurée aux justes pour la vie éternelle, parce que ce nombre est composé de sept, la créature formée en sept jours, et de trois, la Trinité divine, et vous obtenez cinquante, le symbole de la multitude. Multipliez maintenant cinquante par trois et ajoutez au total le nombre fondamental et sacré de trois, et vous avez cent cinquante-trois. Mais quoique ces cinquante jours du temps pascal figurent le bonheur éternel, gardez-vous en vous livrant à des plaisirs dangereux, d'y trouver votre perte éternelle.

 

1. C'est sous un grand nombre de formes différentes que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous présente, dans les saintes Écritures, les grandeurs de sa divinité et les oeuvres compatissantes de son humanité ; et s'il a recours habituellement à des figures et à des actions mystérieuses, c'est pour qu'on obtienne en demandant, qu'on trouve en cherchant et qu'en frappant on se fasse ouvrir. Aussi le trait même qu'on vient de lire dans le saint Evangile demande-t-il à être compris avec soin, excitant, quand il l'est, la joie spirituelle dans le coeur. Que votre sainteté examine donc dans quel dessein le Sauveur s'est manifesté à ses disciples de la manière qu'atteste aujourd'hui l'Écriture.

Les disciples étaient allés pêcher, et de toute la nuit ils n'avaient pris absolument rien. Au matin le Seigneur leur apparut sur le rivage et leur demanda s'ils n'avaient rien à manger. Non, répondirent-ils. « Jetez les filets à droite, reprit le Sauveur, et vous trouverez ». Il était venu comme pour acheter; mais que ne leur donne-t-il pas tout gratuitement ! il puisait dans la mer comme dans l'oeuvre de ses mains. Quel miracle ! Les disciples en effet jetèrent leurs filets et prirent une telle quantité de poissons, qu'ils ne pouvaient les retirer.

 

1. Luc, V, 1-7 ; Jean, XXI, 1-14.

 

Toutefois, en considérant l'Auteur de ce mi. racle, on n'est point étonné. N'en avait-il pas fait beaucoup déjà et de plus considérables ? Après avoir ressuscité des morts avant sa résurrection, ne pouvait-il, après, faire prendre des poissons? Interrogeons plutôt ce miracle, écoutons le mystère qu'il nous révèle.

Ce n'est point sans motif qu'au lieu de dire simplement : Jetez les filets, le Seigneur dit: « Jetez-les à droite », ni que l'Évangéliste a fait connaître le nombre exact des poissons; remarquez aussi que « les filets ne se rompirent point malgré une quantité si grande ». Ici, en effet, il fait allusion à une autre pêche semblable ordonnée par le Sauveur avant sa passion, quand il choisissait ses Apôtres. Pierre, Jean et Jacques étaient alors ensemble; sur l'ordre du Seigneur, ils jetèrent leurs filets, prirent une quantité innombrable de poissons, et après en avoir empli une barque, ils appelèrent à leur aide la barque voisine, l'emplirent comme la première ; n'oubliez pas que c'était avant la résurrection ; il y avait enfin tant de poissons que les filets se rompirent (1). Pourquoi le nombre ici n'est-il pas exprimé? Pour quoi les filets sont-ils rompus ici, tandis que là ils ne le sont pas? Pourquoi n'est-il pas dit ici qu'il faut jeter à droite, tandis que là il est

 

1. Luc, V, 17.

 

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dit expressément: « Jetez du côté droit? » Non, ce n'est pas sans motifs; le Seigneur n'agissait pas alors comme à l'aventure et sans dessein. Le Christ est le Verbe de Dieu et il instruit les hommes non-seulement par sa parole, mais aussi par ses actes.

2. Nous nous sommes donc proposé d'examiner avec votre charité ce que signifient des circonstances si diverses. Si les filets prirent la première fois une quantité innombrable de poissons, si on en chargea deux vaisseaux, si ces filets se rompirent et s'il ne fut pas commandé de les jeter d'un côté plutôt que de l'autre, c'était pour désigner un mystère qui s'accomplit aujourd'hui. Quant à cet autre mystère, ce n'est pas sans motif que Jésus l’accomplit après sa résurrection, lorsqu'il ne devait plus mourir, mais vivre éternellement, non-seulement dans sa divinité qui ne meurt jamais, mais encore dans sa chair qu'il a daigné immoler pour nous. Non, ce n'est pas en vain que l'un de ces miracles eut lieu avant sa passion et l'autre après sa résurrection; que sans désigner ni la droite ni la gauche, le Seigneur dit la première fois : « Jetez les filets », et la seconde : « Jetez-les à droite » ; que sans précision d'aucun nombre la première fois, il n'est parlé que d'une multitude si prodigieuse que les deux barques coulaient presque à fond, taudis que la seconde, le nombre est déterminé, et que de plus il est dit que c'étaient de grands poissons; que la première fois enfin les filets se rompirent, au lieu que l'Evangéliste a dû dire la seconde : « Et quoiqu'ils fussent si grands, les filets ne furent pas rompus » .

Ne voyons-nous pas, mes frères, que les filets rappellent la parole de Dieu; la mer, ce siècle; et que tous les croyants sont pris dans ces filets mystérieux? Douterait-on que tel fut le sens? Qu'on écoute le Seigneur en personne expliquant dans une parabole ce qu'il vient de faire par ce miracle. «Le royaume des cieux, dit-il, est semblable à un filet jeté dans la mer, qui prend toutes sortes de poissons; et lorsqu'il est plein, on le tire sur le rivage, puis s'asseyant sur le rivage encore, on choisit les bons pour les mettre dans des vases, et on jette les mauvais dehors. Ainsi en sera-t-il à la fin du siècle : Les anges sortiront, ils sépareront les méchants du milieu des justes, et les jetteront dans la fournaise de feu : là sera le pleur et le grincement de dents (1) ». Ainsi désignent la foi ces filets jetés à la mer. Ce siècle d'ailleurs n'est-il pas une mer où les hommes se dévorent comme se dévorent les poissons? N'y a-t-il pour la troubler que de légères tempêtes et des tentations légères? N'y a-t-il que de faibles dangers pour les navigateurs, c'est-à-dire pour ceux qui sont en quête de la patrie céleste sur le bois de la croix? Ainsi l'analogie est évidente.

3. Mais puisque la résurrection du Seigneur est l'emblème de la vie nouvelle dont nous jouirons quand le siècle aura fini son cours, examinons seulement comment la parole de Dieu a été d'abord jetée sur cette mer ou lancée dans ce monde. Oui, elle a été jetée au milieu de ce siècle dont les flots sont si agités, les tempêtes si dangereuses et les naufrages si cruels; elle y a pris des poissons jusqu'à en remplir deux barques.

Que désignent ces deux barques? Deux peuples. Ces deux peuples sont comme deux murailles qui viennent de directions opposées et qui se réunissent dans une même pierre angulaire, le Seigneur Jésus (2). Le peuple juif, en effet, avait des habitudes bien différentes de celles des Gentils, qui ont dû quitter leurs idoles. Les Juifs avaient la circoncision, les Gentils ne l'avaient pas; moeurs opposées d'où sont partis ces peuples pour s'unir dans la pierre angulaire. Ne faut-il pas, du reste, que deux murs n'aient pas la même direction pour former un angle? C'est ainsi que s'accordent dans la personne du Christ les Juifs qu'il a appelés de près , et les Gentils qu'il a conviés de loin. Les Juifs étaient plus rapprochés, puisqu'ils n'adoraient qu'un seul Dieu; mais que n'ont-ils pas fait, une fois qu'ils se sont attachés au Christ? Ils vendirent d'abord tout ce qu'ils avaient et en déposaient le prix aux pieds des Apôtres, qui faisaient distribuer à chacun selon les besoins de chacun (3). Ainsi se débarrassaient-ils du fardeau des. affaires du monde pour suivre plus facilement le Christ; et prenant sur leurs épaules son joug qui est doux, ils se sont attachés à lui comme à la pierre angulaire et ont trouvé en lui la paix qu'ils n'avaient pas auparavant, tout rapprochés qu'ils fussent. Les Gentils aussi sont venus à lui, mais de plus loin, et pourtant une fois réunis à cet angle sacré, ils y ont goûté la même paix.

 

1. Matt. XIII, 47-50. — 2. Ephés. II, 11-22. — 3. Act. IV, 31, 35.

 

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Ces deux peuples étaient donc symbolisés par les deux barques. Or ces barques furent remplies d'une telle quantité de poissons qu'elles furent sur le point d'être englouties. C'est que parmi les croyants issus du judaïsme il y eut des hommes charnels qui étaient pour l’Eglise une surcharge, qui empêchaient les Apôtres de prêcher l'Evangile aux Gentils et qui répétaient : Le Christ n'est venu que pour les Juifs, et les Gentils doivent se faire circoncire s'ils veulent avoir part à l'Evangile. Voilà pourquoi l'apôtre saint Paul, dont la mission embrassait la Gentilité d'une manière spéciale, fut en butte aux chrétiens sortis du judaïsme, quoiqu'il ne prêchât que la vérité (1) ; car il voulait que, tout en venant de direction contraire, les Gentils s'attachassent à l'angle pour y trouver une paix solide. Mais ces hommes charnels, qui imposaient la circoncision comme un devoir, n'étaient pas du nombre des chrétiens spirituels ; ils ne voyaient pas que le temps des observances charnelles était passé, et que l'éclat jeté par le Messie venu devait en dissiper toutes les ombres. Aussi, en excitant des troubles dans l'Eglise, ils mettaient, par leur multitude, le vaisseau en danger.

4. Considérons aussi l'autre navire; voyons si, parmi les Gentils, il n'y eut pas pour entrer dans l'Eglise une multitude qu'on puisse comparer à la paille laissant voir à peine quelques grains de froment. Combien, hélas ! de ravisseurs ! combien d'hommes adonnés au vin ! combien de diffamateurs ! combien qui fréquentent les théâtres ! ne voit-on pas les théâtres remplis de ceux qui remplissent nos églises ? Ne cherchent-ils pas souvent dans ces églises ce qu'ils cherchent aux théâtres? Souvent encore, si on y traite de vérités ou de devoirs relatifs à la vie spirituelle, ne résistent-ils pas, ne luttent-ils pas en faveur de la chair contre l'Esprit-Saint, comme Etienne reprochait aux Juifs de le faire aussi (2)? Eh ! dans cette ville même, votre sainteté se le rappelle, mes frères, ne savons-nous pas quel danger nous avons couru lorsque Dieu a banni de cette basilique les scènes d'ivresse (3)? Le tumulte. excité par les hommes charnels ne faisait-il pas sombrer notre vaisseau ? La cause de ce péril n'était-elle pas dans cette innombrable quantité de poissons?

 

1. Gal. IV, 16. — 2. Act. VII, 51. — 3. Voir lett. 22 et 29.

 

Il est dit aussi de cette première pêche que les filets s'y rompirent. Cette rupture est l'emblème des schismes et des hérésies qui se sont formés. Tous en effet sont enfermés dans les mailles du filet; mais les poissons impatient qui refusent de se laisser servir sur la table du Seigneur , s'engraissent quand ils le peuvent, puis ils brisent le filet et s'échappent. Ce filet immense couvre tout l'univers, on ne le rompt que dans des lieux particuliers. Cet ainsi que les Donatistes l'ont rompu en Afrique, les Ariens en Egypte, les Photiniens en Pannonie, les Cataphrygiens en Phrygie, les Manichéens en Perse. A combien de places se sont faites les ouvertures? Ce qui n'empêche pas toutefois les poissons qui demeurent à parvenir au rivage. Il y en a donc qui y par. viennent; mais sont-ce ceux qui ont rompu les mailles? Tous ceux qui s'échappent sont mauvais; il n'y a que les mauvais pour s'échapper ; il en reste néanmoins de mauvais avec les bons. Autrement le Seigneur dirait-il dans sa parabole que le filet est tiré sur le rivage avec les poissons bons et mauvais qu'il renferme ?

5. L'aire donne lieu, quand on la foule, à une comparaison semblable. Il y a sur l'aire de la paille, il y a aussi du froment; mais en la regardant il est difficile d'y apercevoir autre chose que la paille, il faut examiner avec soin pour distinguer le froment qui s'y trouve mêlé. Or, sur cette aire les vents soufflent de toutes parts; au moment même où on la foule et avant qu'on la soulève, afin de pouvoir en vanner le grain, n'est-elle pas exposée sur vents? Mais en soufflant, par exemple, de ce côté, le vent enlève des pailles ; il les emporte de cet autre côté en soufflant d'ailleurs; de quelque côté qu'il vienne il enlève donc des pailles et les jette soit dans les haies, soit dans les épines, soit n'importe où ; mais il ne saurait emporter le froment, il n'emporte que des pailles. Quand toutefois les vents en soufflant de toutes parts ont emporté ces pailles, ne laissent-ils que le froment sur l'aire? Ils n'enlèvent que de la paille, mais ils en laissent en. tore au milieu du froment. Quand donc sera enlevée toute cette paille? Quand le Seigneur viendra, le van à la main, qu'il nettoiera son aire, serrant le froment dans son grenier et jetant la paille dans un feu inextinguible (1). Je

 

1. Matt. III, 12.

 

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prie votre charité d'écouter mieux encore ce que je vais vous dire. Il arrive que parfois après avoir emporté une paille de dessus l'aire, les vents viennent plus tard du côté de la haie où s'était arrêtée cette paille et qu'ils la rejettent sur l'aire. Ainsi, par exemple, tan catholique éprouve quelque affliction, quelque épreuve. Il remarque que les Donatistes peuvent lui venir en aide dans son embarras matériel; ceux-ci lui disent même : On ne te secourra que si tu communiques avec nous. C'est le vent qui souffle, il jette cet homme au milieu des épines. Mais voici pour le même individu un nouvel embarras temporel, il ne peut en sortir qu'au sein de l'Eglise catholique; sans considérer où il est, mais uniquement où il lui sera plus facile de terminer son affaire, et comme si le vent venait aujourd'hui de l'autre côté de la haie, il rentre sur l'aire sacrée du Seigneur.

6. Sachez donc, mes frères, ce que sont ces hommes qui cherchent dans l'Eglise des biens temporels, sans avoir en vue ceux que Dieu promet. Ici effectivement il y a des tentations, des dangers, des difficultés, et c'est seulement après les travaux de cette vie que le Seigneur nous promet l'éternel repos et la compagnie des saints anges. Ceux donc qui ne se proposent pas comme terme ces biens éternels et qui cherchent dans l'Eglise des avantages charnels, ceux-là sont de la paille aussi bien quand ils sont sur l'aire que séparés de l'aire. Ah! ils ne nous inspirent pas grande joie et nous ne leur prodiguons pas de vaines flatteries. Que ne deviennent-ils du froment ? La différence qui distingue la paille proprement dite de ces hommes charnels, c'est que la paille n'a point le libre arbitre donné par Dieu à l'homme. Si donc un homme le veut, après avoir été hier une paille, il devient froment aujourd'hui, comme aujourd'hui il devient paille, s'il tourne le dos à la parole de Dieu. Et de quoi faut-il se préoccuper, sinon de l'état où doit nous trouver le suprême Vanneur ?

7. Maintenant, rues frères, considérez cette Eglise bienheureuse, invisible et grande que figurent les cent cinquante-trois poissons. Nous avons appris, nous connaissons et nous voyons quel est l'état de l'Eglise présente; mais que sera cette autre Eglise ? Nous ne le savons encore que par les prophéties et non par notre expérience. Nous pouvons toutefois nous réjouir de ce qu'elle sera, tout en ne la voyant pas de nos yeux.

Les filets ne furent jetés, la première fois ni à droite ni à gauche, parce qu'ils devaient prendre des méchants et des bons. S'il avait été commander de les lancer à droite, il n'y aurait pas eu de méchants; ni de bons, si t'eût été à gauche. Comme ils devaient envelopper les méchants avec les bons, ils furent jetés au hasard et ils prirent, comme nous l'avons expliqué, des pécheurs et des justes. Pour cette Eglise qui doit habiter la sainte cité de Jérusalem et où tous les coeurs seront à découvert, il n'est pas à craindre que dans son sein entre aucun méchant ; nul ne cachera alors sous le voile d'un corps mortel la noire perfidie d'un coeur corrompu. C'est pour ce motif en effet que le Seigneur, qui vient d'apparaître sur le rivage, commande après sa résurrection et quand il ne doit plus mourir, de jeter les filets du côté droit. Aussi voit-on l'accomplissement de ces paroles de l'Apôtre : « Jusqu'à l'avènement du Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les secrètes pensées du coeur ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange (1) » ; alors, quand seront à découvert les consciences maintenant voilées. Là donc il n'y aura que les bons; les méchants seront bannis. Jetés à droite, les filets ne pourront retirer aucun pécheur.

8. Pourquoi le nombre de cent cinquante-trois? N'y aura-t-il pas plus de saints? Mais à tenir compte des martyrs seulement et non pas de tous les fidèles qui sont morts à la suite d'une vie sainte, le total des martyrs exécutés en un seul jour donne des milliers de saints couronnés dans le ciel. Que signifient donc ces cent cinquante-trois poissons ? C'est une question à examiner, sûrement.

Qu'exprime le nombre cinquante? Ce nombre est sans aucun doute un nombre mystérieux, puisqu'en le multipliant par trois on obtient cent cinquante. Pour le nombre trois, il semble ajouté ici afin d'indiquer seulement le multiplicateur qui a formé cent cinquante-trois; il semble dire: Divise cent cinquante par trois. S'il y avait cent cinquante-deux, ce dernier chiffre nous avertirait de diviser par deux pour obtenir soixante-quinze, puisque deux fois soixante-quinze donnent cent

 

1. I Cor. IV, 5.

 

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cinquante. Le nombre deux inviterait donc à diviser par deux. D'un autre côté, s'il y avait cent cinquante-six, nous devrions partager cent cinquante en six pour obtenir vingt-cinq au quotient. Maintenant donc que nous avons cent cinquante-trois, nous devons diviser par trois le nombre entier, c'est-à-dire cent cinquante. Or, le tiers de ce nombre total est de cinquante. C'est donc sur ce nombre de cinquante que doit porter toute notre attention.

9. Ne seraient-ce pas les cinquante jours que nous célébrons actuellement ? Ce n'est pas sans motif, mes frères, que fidèle à l'antique tradition, l'Eglise chante Alleluia durant ces cent cinquante jours. Alleluia signifie louange à Dieu, et ce mot nous rappelle, pendant le travail, ce que nous ferons durant notre repos. Lors en effet qu'après les fatigues de la vie présente nous serons parvenus à ce repos heureux, nous n'aurons d'autre affaire que celle de louer Dieu, d'autre occupation que de chanter Alleluia. Que veut dire Alleluia ? Louez Dieu. Mais qui peut louer Dieu sans interruption, sinon les anges? Ils ne sont sujets ni à la faim ni à la soif, ni à la maladie ni à la mort. Nous aussi nous avons chanté l'Alleluia ; on l'a ici chanté ce matin et en paraissant parmi vous nous venions de le chanter encore. C'est comme un parfum qui s'exhale de cette patrie des divines louanges et du repos bienheureux pour arriver jusqu'à nous; mais comme le poids de notre mortalité nous accable bientôt ! Nous nous épuisons en chantant et nous cherchons à réparer nos forces; le fardeau de notre corps nous rendrait onéreuses les louanges divines, si nous les chantions longtemps. C'est seulement après cette vie et ses fatigues que de toutes nos forces et sans interruptions nous redirons l'Alleluia.

Que faire donc, mes frères ? Répétons ce chant autant que nous en sommes capables, afin de pouvoir le répéter toujours; et dans cet heureux séjour l’Alleluia sera tout à la fois notre nourriture et notre breuvage, notre repos actif et toute notre joie. Chanter l'Alleluia, c'est louer Dieu. Or, comment louer sans cesse, si on ne jouit sans aucun dégoût? Quelle ne sera donc pas l'énergie de notre âme, l'immortalité et la force de notre corps, pour que l'âme ne se lasse pas de contempler Dieu, et pour que le corps ne s'épuise pas en continuant à le louer ?

10. Pourquoi cinquante jours consacrés à célébrer ce mystère ? Au rapport des Actes des Apôtres, le Seigneur passa quarante jours avec ses disciples après sa résurrection; ces quarante jours écoulés, il monta au ciel, et le dixième jour qui suivit, il envoya l'Esprit-Saint. Quand furent remplis de lui les Apôtres et tous ceux qui s'étaient unis à eux, ils parlèrent diverses langues; et tout en annonçant la parole de Dieu avec une grande confiance, ils firent ces prodiges que nous lisons et que nous croyons de tout notre coeur (1). Le Sauveur passa donc encore quarante jours sur la terre avec ses disciples. Avant sa passion il avait jeûné quarante jours aussi (2). Il n'y a, pour avoir pratiqué ce jeûne de quarante jours, que le Seigneur, Moïse (3) et Elie (4) ; le Seigneur, comme représentant l'Evangile; Moïse, comme représentant la loi; Elie, comme représentant les prophètes; car l'Evangile est appuyé sur le témoignage de la loi et des prophètes (5), Voilà pourquoi, lorsque le Seigneur voulut montrer sa gloire sur la montagne, il était debout entre Moïse et Elie (6). Au milieu d'eue il recevait tous les honneurs; à ses côtés la loi et les prophètes lui rendaient témoignage.

Le nombre quarante désigne ainsi le temps présent, le temps où nous travaillons en ce monde, car la sagesse ne nous y est distribuée que partiellement. Ah ! on la voit autrement; cette sagesse immortelle, en dehors du temps; et dans le temps elle se communique autre. ment. Les patriarches ont paru ici et ils en ont disparu; leur ministère a été passager. Je ne dis pas que leur vie est passagère, car elle dure toujours et ils en jouissent avec Dieu; il n'en est pas moins vrai qu'ils n'ont publié qu'en passant la divine parole, car ils ne parlent plus au milieu de nous, quoiqu'on ait conservé leurs enseignements par écrit et qu'on les lise dans, le temps. Les prophètes également sont venus au temps marqué, puis ils sont partis,, Le Seigneur encore est venu à son heure. Sans doute, sa majesté n'a jamais cessé d'être pré. sente et comme Dieu, présent partout, jamais il ne nous quitte ; toutefois, ainsi que s'exprime l'Evangile ; « il était dans ce monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point reconnu; il est venu chez lui, et, les siens ne l'ont point reçu (7) ». Comment était-il ici avant d'y venir, sinon parce qu'il y était dans sa nature divine et qu'il y est venu dans

 

1. Act. I, 11. — 2. Matt. IV, 2. — 3. Exod. XXXIV, 28. — 4. III Rois, XIX, 8. — 5. Rom. III, 21. — 6. Matt. XVII, 2, 3. — 7. Jean, I ,10,11.

 

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sa nature humaine? Or, s'il est venu avec une nature humaine, c'était pour nous servir partiellement la sagesse. La loi donc l'a distribuée partiellement, partiellement les prophètes, et les livres de l'Evangile partiellement aussi. Mais une fois les temps écoulés, nous verrons telle qu'elle est cette sagesse qui donne pour récompense le denier, le nombre dix; ce nombre où entrent celui de sept, symbole de la création, puisque Dieu a travaillé sept jours et s'est reposé le septième ; puis celui de trois, qui rappelle le Créateur, Père, Fils et Saint-Esprit. C'est que la sagesse parfaite consiste à soumettre pieusement la créature au Créateur, à distinguer le Fondateur de ce qu'il a fondé, l'Artiste de son oeuvre. Confondre l'artiste avec ses oeuvres, c'est ne connaître ni l'art ni l'artiste; tandis que la sagesse parfaite consiste à les distinguer ; et cette sagesse parfaite est le denier même ou le nombre dix. Mais quand elle se communique dans le temps, le nombre quatre étant l'emblème de ce qui est temporel, en le multipliant par le nombre dix, ou le denier, on n'obtient que quarante. De fait, il y a dans l'année quatre saisons, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Le temps en général est marqué surtout par quatre changements successifs. L'Ecriture parlé aussi des quatre vents; car l’Evangile qui se publie dans le temps, est répandu aux quatre points cardinaux; l'Eglise catholique n'occupe-t-elle pas également les quatre parties du globe? C'est ainsi que le denier ou le nombre dix parvient à former quarante.

11. Ces jeûnes de quarante jours étaient donc destinés à nous montrer que durant cette vieil faut nous abstenir de l'amour des choses temporelles; voilà bien la leçon donnée par ces jeûnes ininterrompus durant l'espace de quarante jours. Pour ce motif encore le peuple d'Israël fut conduit à travers le désert durant quarante années et avant d'entrer dans la terre promise où il devait établir son empire. Tel est notre état aussi durant cette vie, où nous rencontrons tant de soucis, de craintes et de dangers dans l'épreuve; nous sommes conduits comme à travers le désert par la Providence qui veille sur nous. Mais lorsque nous aurons bien rempli le nombre quarante ; en d'autres termes, lorsque nous aurons vécu saintement sous la conduite de Dieu durant le temps, en accomplissant ses préceptes, nous recevrons pour récompense le denier promis aux fidèles. N'est-ce pas le denier aussi qu'accorda le Seigneur aux ouvriers loués par lui pour travailler à sa vigne? Tous le reçurent, et ceux qu'il y avait conduits dès le matin, et ceux . qu'il y mena soit à midi, soit le soir (1). C'est ainsi que le recevront tous ceux qui se sont montrés fidèles dès le premier âge; ils le recevront, non comme on le reçoit dans le temps ; il sera pour eux cette sagesse qui discerne, à la lumière de l'éternelle contemplation , le Créateur de la créature, pour jouir du Créateur et le louer de ses oeuvres. Voici toutefois un jeune homme qui n'a pas été fidèle dès le début de sa vie, mais qui croit maintenant; lui aussi recevra ce denier. Voici,un vieillard qui se convertit, il semble conduit à la vigne au coucher du soleil et comme à la onzième heure ; lui encore recevra le denier.

Ainsi donc au nombre quarante bien rempli, ajoute ce denier, ce nombre dix, et tu obtiendras cinquante; ce nombre symbolise l'Eglise du ciel où toujours on louera Dieu. De plus, comme c'est au nom de la sainte Trinité que tous ont été appelés à vivre sagement sous le nombre quarante et à recevoir le denier, multiplie cinquante par trois, et tu obtiens cent cinquante. A cent cinquante ajoute encore le nombre qui rappelle la.Trinité, voilà cent cinquante-trois, le nombre précis des poissons pris à droite : mais ce nombre mystérieux comprend d'innombrables milliers de saints. De cette multitude on ne bannira aucun méchant, car il n'y en aura point; les filets ne se rompront pas non plus, attendu qu'ils seront de doux liens pour maintenir l'unité et la paix.

12. C'est assez d'explications, je crois, sur ce profond mystère. Vous savez, donc que notre devoir est de bien travailler durant la quarantaine pour mériter de louer Dieu pendant la cinquantaine. Aussi passons-nous dans le travail, le jeûne et l'abstinence, les quarante jours qui précèdent la veille sacrée, la nuit qui prépare au jour de Pâques (2) ; car ils sont l'emblème du temps présent. Quant aux jours qui suivent la résurrection du Seigneur, ils figurent l'éternelle félicité ; on n'y est pas encore, ces jours la figurent simplement; cette félicité est symbolisée, mais non réalisée; de même qu'on ne crucifie pas le Seigneur quand on célèbre la fête de Pâques, et qu'on représente seulement,

 

1. Matt. XX, 1-10. — 2. Voir ci-dessus, serm. CCXIX et suiv.

 

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par cette solennité de chaque année, des événements accomplis; ainsi figure-t-on d'avance ce qui doit être, sans être encore. Voilà pourquoi nous interrompons nos jeûnes durant cette époque, dont les jours mêmes rappellent par leur nombre le repos à venir.

Mais prenez garde, mes frères, de vous laisser aller à l'excès du vin, de vous répandre en quelque sorte vous-mêmes, de vouloir passer ce temps d'une manière charnelle et par conséquent de ne mériter pas de jouir éternellement avec les anges du bonheur dont il est l'indice. Un ami du vin me dira-t-il, si je le réprimande : Tu nous as montré que cette époque de l'année figure l'éternelle joie; tu nous as fait comprendre que les jours où nous sommes nous prédisent le bonheur du ciel et des anges; et je ne dois pas me récréer? —  Ah ! si seulement tu te récréais bien et non pas en faisant le mal ! Oui, cette époque t'annonce la joie, mais à la condition que tu sois le temple de Dieu. Que si tu remplis ce temple des impuretés de ta débauche, écoute la voit tonnante de l'Apôtre : « Si quelqu'un profane le temple de Dieu, dit-il, Dieu le perdra (1) ». Gravez-le profondément dans vos coeurs : peu d'intelligence et une bonne conduite valent mieux que beaucoup d'intelligence avec une vie déréglée. La perfection sans doute et le bonheur parfait seraient la réunion d'une intelligence vive et d'une sage conduite :mais dans l'impossibilité d'avoir l'une et l'autre, mieux vaut la conduite sage que la vivacité de l'intelligence. En effet la bonne conduite mérite un accroissement d'intelligence, au lieu qu’en vivant dans le désordre on perdra même ce qu'on sait; car il est écrit : « A celui qui a, on donnera encore; pour celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il semble avoir (2) ».

 

1. I Cor. III, 17. — 2. Matt. XXV, 29.

 

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