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SERMON CCLXXVII. POUR LA FÊTE DE SAINT VINCENT, MARTYR. IV. LES CORPS DES SAINTS APRÈS LA RÉSURRECTION.

 

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ANALYSE. — En conservant par miracle le corps de saint Vincent après sa mort, Dieu avait moins en vue la gloire du martyr que notre consolation et notre encouragement à le prier ; car saint Vincent avait assuré, en confessant Jésus-Christ, non-seulement le bonheur de son âme, mais encore celui de son corps. Et comment exprimer ce que seront les corps saints après la résurrection ? — I. Si la santé consiste aujourd'hui pour nous dans l'harmonie des humeurs, quelle idée nous faire de ce que sera la santé des corps glorieux ! On pourrait dire que la santé parfaite consiste à ne pas sentir son corps. Mais ici, comme ce corps nous pèse ! Après la résurrection au contraire, quelle ne sera pas son agilité ! Pour nous en former une idée, ne nous arrêtons pas à considérer l'effrayante rapidité des corps célestes; voyons la rapidité plus merveilleuse encore du rayon rituel. Si l'Ecriture enseigne que la résurrection des morts se fera en un clin d'oeil, n'est-ce pas afin de nous faire entendre que les mouvements l'emporteront en rapidité sur les mouvements de l'oeil même? Du reste, le corps de Notre-Seigneur ressuscité, auquel ressembleront les corps des saints après la résurrection, a pénétré alors où ne saurait pénétrer l'oeil. — II. Ici s’élève une question, celle de savoir si l'oeil des corps saints ressuscités pourra voir Dieu. Il est certain d'abord que Dieu étant tout entier partout, on ne pourra jamais le voir comme on voit les corps dont chaque partie occupe un point particulier de l'espace. Mais Dieu donnera-t-il à l'œi1 une faculté nouvelle, celle de voir ce qui ne saurait être circonscrit dans un lieu? C'est une question sur laquelle je ne suis pas fixé encore. Ce que nous devons croire indubitablement, c'est que Dieu restera toujours ce qu'il est, et que si l'oeil ressuscité parvient à le voir, c'est dans l'oeil qu'aura lieu le changement. Qu'on ne m'objecte pas ce texte de l'Ecriture : « Toute chair verra le salut de Dieu (1) ». Ce texte ne saurait me tirer de mon incertitude (2), puisqu'il désigne Notre-Seigneur Jésus-Christ, que les méchants comme les justes ont vu sur la terre et qu'ils verront encore au jugement dernier. Mais ce point indécis pour moi ne saurait nous faire révoquer en doute ce que l’Ecriture enseigne sur la résurrection même, sur l'incorruptibilité et la spiritualité des corps des saints ressuscités.

 

1. Nous avons contemplé des yeux de la foi ce combattant généreux et nous nous sommes sentis épris d'amour pour toutes les beautés invisibles qui brillaient dans son âme. Quelle beauté d'âme, en effet, quand le corps même inanimé demeure invincible ! Vivant, il a confessé le Seigneur; mort, il a triomphé de son ennemi.

Croirons-nous pourtant, mes frères, qu'en honorant ainsi ce corps sans vie, la Providence du Créateur tout-puissant ait eu en vue de récompenser le martyr lui-même? Croirons-nous que si ce corps n'avait reçu la sépulture, Dieu n'aurait su où le prendre pour le ressusciter? Le partage du martyr est la couronne après sa victoire et l'éternelle vie après sa résurrection. Quant à son corps, il devait être pour l'Eglise un monument de consolation. C'est ainsi que souvent, par une douce condescendance, Dieu emploie ses serviteurs à faire du bien aux autres, ayant plutôt en vue l'avantage de celui qui reçoit que l'avantage

 

1. Luc, III, 6. — 2. Saint Thomas ne partage point l'incertitude que professe ici saint Augustin. Jamais les yeux du Corps ne pourront voir Dieu dans sa nature. Du reste c'est saint Augustin lui-même, mieux éclairé plus tard, qui suggère à saint Thomas le sentiment qu'il enseigne. (Voir S. Th. I, p. q, XI, art. 3. Cité de Dieu, liv. XXII, ch. 29).

 

de celui qui donne. Par le ministère d'un oiseau il nourrissait le saint prophète. Ne pouvait-il dans sa miséricorde et sa toute-puissance, le nourrir toujours ainsi? Il l'envoie néanmoins vers une veuve, pour que celle-ci lui conserve la vie (1). Non, Dieu ne manquait pas de moyens pour le- nourrir autrement, mais il voulait que cette veuve fidèle méritât ses bénédictions. C'est ainsi qu'en donnant à ses Eglises des ossements sacrés, il avait dessein de porter à la prière plutôt que de glorifier ses martyrs. La gloire de ceux-ci brille de tout son éclat devant leur Créateur. De plus ils ne craignent pas pour leur corps, puisque pour lui ils n'ont rien à craindre. Ah ! ils lui auraient nui en l'épargnant; mais en ne (épargnant point dans des desseins de foi, que ne lui assurent-ils pas?

2. Remarquez bien cette pensée, et interrogez votre religion. Si la crainte des tortures avait déterminé saint Vincent à renier le Christ, il aurait semblé épargner son corps; mais, de condition mortelle, il ne lui aurait pas moins fallu subir le trépas. Et qu'aurait-il

 

1. III Rois, XVII, 9.

 

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obtenu pour lui, lorsqu'au moment de sa résurrection il serait précipité tout entier dans les flammes éternelles? Qui renie le Christ sera renié par lui. «Quiconque m'aura renié devant les hommes, dit-il, je le renierai devant mon Père qui est aux cieux (1) ». Si donc Vincent l'avait renié, les bourreaux ne se seraient pas jetés sur lui; son âme eût été blessée; mais son corps n'eût rien souffert, ou plutôt son âme serait morte et son corps eût conservé la vie; mais que lui eût servi cette courte vie, une fois mort pour l'éternité? Viendra le jour dont parle le Seigneur, le jour « où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et sortiront » ; mais avec des destinées bien différentes. Tous sortiront, mais non pour arriver au même but. Tous ressusciteront, mais tous ne seront pas changés. Car « ceux qui auront fait le bien sortiront pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation (2) ». Ces paroles : « Tous ceux qui sont dans les tombeaux» , désignent évidemment la résurrection des corps. Quant au mot de condamnation, ne te flatte pas de n'y voir qu'une condamnation temporaire; cette condamnation est synonyme de peine éternelle. C'est dans ce sens qu'il est dit : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé (3) ».

Voilà donc la grande distinction qui tranchera entre les justes et les injustes, les fidèles et les infidèles, les confesseurs et les renégats, entre ceux qui aiment une vie périssable et ceux qui aiment l'éternelle vie. « Et les justes iront à la vie éternelle, comme les impies aux éternelles flammes (4)». Là seront tourmentés avec leur corps ceux qui l'auront épargné. Ils l'auront épargné en redoutant pour lui la souffrance, et en l'épargnant ils auront renié le Christ. Or, en reniant le Christ ils auront ajourné pour leur corps les supplices éternels; mais les ajourner, est-ce les écarter pour toujours?

3. Ainsi donc les martyrs du Christ, dans leur prudence, n'ont pas fait mépris de leurs corps. Ils le méprisent, ces aveugles philosophes du monde qui ne croient pas la résurrection de la chair. Ils croient même se distinguer noblement en regardant leurs corps comme des prisons où ils estiment que leurs âmes ont été reléguées pour des péchés commis

 

1. Luc, XII, 9. — 2. Jean, V, 28. — 3. Ib. III, 18. — 4. Matt. XXV, 46.

 

mis ailleurs. Mais c'est notre Dieu qui a formé le corps aussi bien que l'esprit; Créateur de l'un et de l'autre, il les répare tous deux; il les a formés tous deux et tous deux il les réforme. Aussi les martyrs n'ont ni dédaigné ni tourmenté leur chair comme une ennemie. « Personne, dit l'Apôtre, n'a jamais haï sa chair (1) ». Ah ! ils prenaient plutôt ses intérêts en main, quand ils paraissaient l'oublier; car lorsque malgré les tourments temporels qu'ils enduraient avec fermeté dans leur chair ils demeuraient fidèles à Dieu, ne préparaient-ils pas à cette même chair une gloire éternelle?

4. Mais qui pourrait dire quelle sera cette gloire à la résurrection de la chair ? Nul de nous n'en a fait encore l'expérience. La chair que nous portons est pour nous aujourd'hui un fardeau; car c'est une chair mendiante, infirme, mortelle et corruptible. «Le corps qui se corrompt appesantit l'âme», dit l'Ecriture (2). Ne crains pas qu'il en soit ainsi à la corruption ; « il faut que corruptible ce corps revête l'incorruptibilité, et que mortel il revête l'immortalité (3) ». Ce qui est maintenant un fardeau sera une gloire alors; ce qui nous accable aujourd'hui nous allégera plus tard. Ce corps pèsera si peu que tu ne croiras plus en avoir.

Remarquez, mes bien-aimés, ce que nous éprouvons lorsque notre corps jouit de la santé, lorsqu'il en jouit même aujourd'hui qu'il est si fragile et si mortel : quand toutes les parties qui le composent sont en paix et en harmonie les unes avec les autres; quand aucune affection n'y en combat une autre ; quand la chaleur n'y repousse pas l'engourdissement du froid et que l'excès du froid n'y éteint pas la chaleur, ce qui produit une lutte douloureuse; quand il n'est ni trop desséché ni trop surchargé d'humeurs, mais que tout en lui est proportionné, harmonieux et y trouve ce contre-poids qui fait la santé (car la santé, pour le dire en quelques mots, est l'harmonie corrélative de toutes les parties du corps); mais dans ce corps indigent, infirme et corruptible; dans ce corps sujet encore à la faim et à la soif; dans ce corps qui se fatigue en restant debout, qui s'asseoit pour reprendre des forces et qui se fatigue encore d'être assis, qui succombe de besoin et que ranime la nourriture, qui ne se relève d'une défaillance qu'en commençant

 

1. Eph. V, 29. — 2. Sag. IX, 15. — 3. I Cor. XV, 53.

 

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à tomber dans une autre, puisque toute diversion entreprise pour le récréer est l'origine d'une fatigue nouvelle, si on la prolonge; oui, dans ce corps infirme et corruptible, qu'est-ce donc que la santé, qu'est-ce que cette harmonie, si parfaite qu'elle soit , qui règne entre les organes et entre les humeurs ? Ce qu'on appelle santé pour cette chair mortelle et corruptible ne saurait assurément se comparer à la santé dont jouissent les anges , les anges dont il nous est promis d'être les égaux à la résurrection (1). Quelle qu'elle soit pourtant, comme je viens de le dire, quels charmes n'offre pas cette santé ? Combien n'est-elle pas désirable pour tout le monde? Que ne possède pas le pauvre, quand il n'aurait qu'elle; et de quoi ne manque pas le riche lorsque seule elle lui fait défaut ? Pourquoi me vanter ses richesses ? La fièvre ne craint viles lits d'argent ni les palais superbes; elle ne craint même pas les flèches du guerrier.

5. Qu'est-ce donc que cette santé, méprisée avec tant de sagesse par les martyrs, qui en espéraient une autre? Quoique nous n'ayons pas fait encore l'expérience de cette autre, essayons, en considérant celle-ci , de nous en faire une idée quelconque. Qu'est-ce que la santé? Demande-moi : Qu'est-ce que voir ? et m'arrêtant au corps, je pourrai te répondre que voir c'est sentir des formes et des couleurs. Demande : Qu'est-ce qu'entendre ? C'est sentir des sons. Qu'est-ce que flairer ? Sentir des odeurs. Qu'est-ce que toucher ? Sentir ce qui est dur ou tendre, chaud ou froid, âpre ou uni, lourd ou léger. Maintenant, qu'est-ce que la santé ? C'est ne rien sentir.

Il est vrai que comparées à ce qui se passe dans d'autres êtres vivants, ces sensations ne sont rien. Tu as la vue perçante : celle de l'aigle ne l'est-elle pas davantage ? Ton ouïe est fine: que d'insectes l'ont plus fine encore. Tu as le flair délicat: il ne l'est pas plus que celui du chien dont tu admires la sagacité- Tu as le goût très-pur pour discerner les saveurs : il est des animaux qui jugent des plantes qu'ils n'ont jamais goûtées et quine touchent pas à ce qui est nuisible ; au lieu que, si habile que tu sois pour distinguer les aliments, il peut t'arriver de prendre imprudemment du poison. Si délicat encore que soit en toi le toucher, combien d'oiseaux sentent l'été d'avance, et changent

 

1. Luc, XX, 36.

 

de climats, sentent approcher l'hiver et vont sous un ciel plus chaud ! Réellement ils sentent d'avance ce dont tu ne t'aperçois qu'après. Ajoutons pourtant que ce défaut de sensation que je mets en relief dans la santé est propre aussi à la pierre, à l'arbre, au cadavre.

6. Le préfet Dacien ne sentait-il rien dans son coeur, lorsqu'il sévissait contre un cadavre insensible ? Eh ! que pouvait-il faire contre ce corps insensible, lui qui avait échoué contre lui quand il était sensible encore? Tout ce qu'il pouvait, il l'avait fait néanmoins, il l'avait fait avec colère. Quant au martyr, déjà on ne le voyait plus souffrir, mais secrètement Dieu le couronnait; il était en possession de la réalité promise par son Seigneur, quand pour nous rassurer contre les meurtriers du corps il avait dit : « Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent plus rien ensuite (1) ». Comment ensuite ne peuvent-ils plus rien, puisque ce farouche préfet a tant fait contre le corps inanimé de Vincent? Mais qu'a-t-il fait à Vincent lui-même, dès qu'il n'a rien pu sur lui quand il était vivant encore ? Par conséquent la santé ne consiste pas à être privé de sentiment comme en sont privés la pierre, un arbre, un cadavre; mais à vivre dans un corps sans en ressentir aucunement le poids- Quelle que soit cependant la santé de l'homme durant cette vie, son corps lui pèse toujours. Toujours le corps qui se corrompt, toujours le corps corruptible appesantit l'âme, il l'appesantit en ce sens qu'il n'obéit pas à toutes ses volontés. En beaucoup de choses il lui est docile ; c'est elle qui imprime le mouvement aux pieds pour marcher, aux yeux pour voir, à la langue pour parler; c'est elle aussi qui ouvre les oreilles pour percevoir les sons ; le corps en tout cela est le serviteur de l'âme. Quand néanmoins on veut se transporter d'un lieu dans un autre, on sent un poids, on sent un fardeau; il n'est pas si facile au corps de se transporter où voudrait l'âme. Un ami désire-t-il voir un ami vivant dans son corps comme il y vit lui-même ? Il sait qu'il habite au loin et que de longs espaces le séparent de lui; son âme est déjà près de lui, mais en y conduisant son corps de quel fardeau il se sent chargé ! Ce poids de la chair ne saurait suivre l'élan précipité de la volonté ; la chair ne va pas aussi vite que le voudrait l'âme qui porte ce fardeau.

 

1. Matt. X, 28; Luc, XII, 4

 

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Le corps est lent et lourd tout à la fois.

7. Le corps toutefois n'a-t-il pas des membres qui témoignent de la rapidité de ses mouvements ? Parlerons-nous des pieds ? Qu'y a-t-il de plus lent ? Ce sont eux qui marchent ; mais qu'ils ont de peine à suivre nos désirs ! qu'ils ont à faire d'efforts pour arriver ! Supposons néanmoins un homme qui soit aussi rapide que le sont certains animaux auxquels nous ne saurions nous comparer sous le rapport de la vélocité; supposons un homme rapide comme les oiseaux: il ne peut arriver aussi vite qu'il le veut. Combien de temps volent les oiseaux pour arriver sous d'autres cieux ? Ne les voit-on pas quelquefois s'asseoir de fatigue sur les mâts des navires ? Lors donc que nous pourrions voler comme les oiseaux, à quelle distance le moment de notre arrivée serait-il de celui du désir ? Mais quand notre corps sera spiritualisé, conformément à ces paroles : « On le sème corps animal et il ressuscitera corps spirituel (1) » ; quelle agilité, quelle promptitude de mouvements, quelle obéissance spontanée il aura alors ! Alors plus en lui ni fatigue, ni besoin, ni pesanteur; plus de lutte, ni de résistance sous aucun rapport.

8. Quel n'était pas le corps du Sauveur , quand avec lui il traversa la muraille ! Soyez attentifs, je vous en conjure peut-être me sera-t-il donné par le Seigneur et quelque soit mon langage, de satisfaire votre attente ou au moins de n'être pas trop au dessous. Ce qui nous a amené à parler de la spiritualité du corps ressuscité, ce sont les souffrances de ce martyr que nous avons vu avec admiration mépriser le sien au milieu des tortures. C'est en n'épargnant pas son corps, avons-nous dit, qu'il a agi dans son intérêt : car en se dérobant à des supplices temporels, et en renonçant au Christ, il aurait pu réserver à son corps d'atroces et éternelles tortures. J'ai voulu à cette occasion vous exhorter et m'exhorter en même temps à mépriser les choses présentes et à mettre notre espoir dans les biens futurs. « En effet, nous gémissons sous le poids de cette tente », et pourtant nous ne voulons pas mourir, nous redoutons d'être délivrés de ce fardeau : « car nous ne voulons pas être dépouillés, mais recouverts et voir ce qui est mortel absorbé par la vie (2) ». C'est pourquoi j'ai entrepris de vous dire quelques mots

 

1. I Cor. XV, 44. — 2. II Cor. V, 4.

 

de la spiritualité du corps, et j'ai cru devoir commencer par insister sur la santé de ce corps fragile et corruptible : c'est le moyen de nous élever à la découverte de quelque grande vérité.

La santé, avons-nous vu, consiste à ne pas sentir. Combien n'avons-nous pas d'organes à l'intérieur ? Qui de nous les connaîtrait s'il ne les voyait dans des corps dépouillés ? Comment en effet avons-nous l'idée de nos entrailles, de ces parties intérieures qu'on appelle les intestins ? Le bien-être est de ne les sentir pas; car n'en avoir pas le sentiment, c'est jouir de la santé. Tu dis à cet homme : Prends garde à ton estomac. Il te répond: Qu'est-ce que l'estomac ? heureuse ignorance ! S'il ne sait où est son estomac, c'est que son estomac n'est jamais malade. S'il l'était quelquefois, il le sentirait ; et s'il le sentait, ce ne serait pas pour lui un avantage.

9. Après avoir constaté 1e bonheur de la santé corporelle, nous avons parlé de la rapidité des. mouvements et nous avons reconnu que nous sommes en quelque sorte des hommes de plomb. Quelle n'est point la rapidité des corps célestes? — Veux-tu le savoir ? Regarde le soleil il te paraît ne pas se mouvoir, et pourtant il se meut. Il se meut, dis-tu peut-être, mais bien lentement. Veux-tu savoir avec quelle célérité? Veux-tu découvrir par la raison ce que ne voit point ton oeil ? Suppose qu'un cavalier coure en droite ligne de l'Orient à l'Occident, combien de jours il lui faudrait pour arriver? Quelle que fût la rapidité de son coursier, combien de haltes il lui faudrait faire? Eh bien ! cet espace immense qui sépare le point extrême de l'Orient de l'extrême limite de l'Occident, le soleil le parcourt en un seul jour, et il ne lui faut qu'une nuit pour se retrouver au point de départ. Je ne veux pas dire ici, car c'est un point obscur encore , difficile à persuader et incertain peut-être , combien ces espaces du ciel l'emportent en immensité sur tout l'espace occupé par la terre. Mais en voyant tant de rapidité dans les corps célestes, dont nous ne pouvons surprendre le mouvement en les fixant même, à quelle rapidité pouvons-nous comparer la rapidité des corps des anges ? Des anges en effet se sont montrés; ils se sont fait voir et toucher quand ils l'ont voulu. Abraham n'a-t-il pas lavé les pieds à des anges (1) ? Non-seulement

 

1. Gen. XVIII, 4.

 

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il a lavé, mais il a touché leurs corps. Ils se montrent comme ils veulent, quand ils veulent, à qui ils veulent, sans ressentir ni difficulté, ni pesanteur.

Cependant nous ne les voyons ni courir, ni aller d'un lieu à l'autre et nous ignorons à quel moment ils s'éloignent de notre présence; ils arrivent aussitôt qu'il leur plaît. Nous ne pouvons par conséquent les montrer comme des amples frappants de l'agilité dont nous parlons. Laissons donc là ce qui nous est inconnu, et gardons-nous de préjuger témérairement de ce que l'expérience ne nous a point appris.

10. C'est dans ce corps même dont nous sommes chargés que je trouve à admirer quelque chose d'ineffablement rapide. Qu'est-ce ? C'est le rayon de notre oeil, lequel touche tout ce que nous voyons; oui, tu touches réellement ce que tu vois du rayon de ton oeil. Supposons que tu veuilles voir au loin, mais qu'un corps opaque s'interpose, le rayon de ton oeil tombe sur ce corps et il ne saurait arriver jusqu'à l'objet que tu désires contempler. Tu dis à l’homme qui te fait obstacle : Ecarte-toi, tu me gênes. C'est une colonne que tu veux regarder, quelqu'un se trouve en face et arrête ta vue. Le rayon visuel est lancé, mais il sont arrêté par l'homme qui fait obstacle, il ne saurait arriver jusqu'à la colonne; c'est sur un autre objet qu'il tombe, ce n'est pas sur ce qu'il cherche. L'obstacle vient-il à s'écarter? eue arrive où tu voulais. Raisonne maintenant, et si tu en es capable, découvre la vérité et réponds-moi. Ce coup d'oeil, ce rayon visuel est-il arrivé plutôt à ce qui est plus rapproché et plus tard à ce qui est plus éloigné ? Voici un homme assez près de toi : pour le voir, pour faire aller jusqu'à lui ton coup d'oeil, pour aller jusqu'à lui avec ton rayon visuel, il t'a fallu autant de temps que pour aller jusqu'à cette colonne que tu voulais voir et que cet homme placé entre toi et elle t'empêchait de considérer; tu n'arrives ni plus tôt ni plus tard i l'une qu'à l'autre, quoique l'une pourtant soit plus éloignée que l'autre. Si tu voulais marcher, tu atteindrais plus tôt l'homme que la colonne; mais en voulant regarder tu es aussitôt près de l'homme que de la colonne. Cet exemple n'est rien. Jette encore les yeux, ils rencontrent au loin cette muraille ; jette les plus loin encore, tu arrives jusqu'au soleil. Quel intervalle entre toi et le soleil ! Qui pourrait le mesurer? Qui pourrait même s'en faire l'idée, quelque vif que soit son esprit ? Il te suffit pourtant d'ouvrir l'oeil pour l'avoir parcouru, pour l'avoir fait traverser à ton rayon visuel. Sitôt que tu as voulu voir ce soleil, tu y es parvenu, et sans avoir cherché ni machines pour te servir d'appui, ni échelles pour monter, ni cordages pour te soulever, ni ailes pour prendre ton.vol. Ouvrir l'oeil, c'est être arrivé.

11. Qu'est-ce donc que cette rapidité? Qu'elle est grande ! et que signifie-t-elle? C'est après tout la rapidité d'un corps, une rapidité produite par notre chair. Ces rayons visuels sont à nous, et c'est nous qui en sommes surpris ; ils nous servent à voir, et nous sommes en y pensant comme saisis de stupeur. Comme rapidité corporelle, tu ne trouves rien que tu puisses comparer à celle-là. Aussi est-ce avec raison que l'apôtre saint Paul compare à cette rapidité la facilité avec laquelle s'opérera la résurrection : « En un clin d'œil », dit-il (1). Le clin d'oeil ne consiste pas à fermer ni à ouvrir les paupières, attendu que ce mouvement se fait plus lentement que l'acte même de voir. Oui, tu soulèves moins vite ta paupière que tu ne diriges à son terme le rayon visuel. Ce rayon est plutôt au ciel que ta paupière à ton sourcil. Vous voyez ce que c'est que le clin d'oeil ; vous voyez avec quelle facilité se produira d'après l'Apôtre la résurrection des corps.

Que ces corps ont été lents à se créer et à se former ! Rappelons-nous les longs jours de la conception et combien de temps mettent à s'unir les membres d'un enfant dans le sein maternel, combien de jours, combien de mois il leur faut avant de pouvoir- être mis au jour; combien ensuite pour croître, pour passer de l'enfance à l'adolescence; de l'adolescence à la jeunesse, de la jeunesse à la vieillesse et de la vieillesse à la mort, la loi de tous. Il faut du temps pour autre chose encore. Un corps qui vient de mourir a encore tous ses membres; mais il se corrompt, et pour se corrompre il lui faut du temps, du temps jusqu'à ce qu'il tombe en putréfaction et qu'il devienne une cendré aride. Combien donc d'intervalle franchit un corps depuis sa formation première dans le sein maternel jusqu'à sa décomposition dernière, jusqu'à ce qu'il soit réduit en cendre dans le tombeau ! Que de jours ! que

 

1. I Cor. XV, 52.

 

394

 

d'années ! Vient la résurrection, ce corps en un clin d'œil est réparé.

12. Soyez donc bien attentifs, mes frères, et comparez les choses à quoi elles doivent être comparées. Il faut à ce corps moins de temps pour se mouvoir en marchant, qu'il ne lui en a fallu pour se former, pour se nourrir, pour grandir, pour arriver à la jeunesse, à la maturité de l'âge et des forces ; oui, pour se mouvoir en marchant il lui faut moins de temps que pour cela. Or, c'est en un clin d'œil que se fera la résurrection. Quelle ne sera donc pas la rapidité de mouvements du corps ressuscité, dès qu'il lui faudra si peu de temps pour ressusciter ! Voici des corps mis en pièces par les bourreaux : leurs membres glacés fussent-ils dispersés dans tout l'univers et leurs cendres répandues sur toute la terre, c'est en un clin d'œil que se prépare cette oeuvre dont les éléments sont jetés pêle-mêle dans ce sein immense. Nous contemplons avec admiration cette rapidité extrême et, si nous n'en avions l'espérance, incroyable, du coup d'œil : l'agilité du corps une fois devenu spirituel sera plus merveilleuse encore. Ce corps ressuscitera en un clin d'oeil, le corps même de Notre-Seigneur n'a-t-il pas fait ce que ne saurait faire en nous le rayon visuel, lorsqu'il a traversé les morailles ?On sait qu'après sa résurrection il se montra tout à coup à ses disciples enfermés dans un local dont les portes étaient closes (1). Ainsi donc il a pu entrer où nous ne saurions porter même la, vue. Qu'on ne vienne pas nous dire : De ce que le corps du Sauveur a fait cela, s'ensuit-il que mon corps puisse en faire autant ? Sur ce point même tu vas être rassuré pleinement par l'Esprit-Saint, dont l'Apôtre était l'organe. Le Seigneur lui-même, dit-il, « transformera notre humble corps et le rendra conforme à son corps glorieux (2) ».

13. Quand donc il est question du corps en cet état, de tant d'agilité et de rapidité, d'une santé si parfaite, que la fragilité humaine se garde bien de rien déterminer avec témérité et présomption. Nous saurons ce que nous devons être, lorsque nous le serons ; et dans la crainte de ne l'être pas, ne soyons pas téméraires avant de l'être.

Il  arrive quelquefois à la curiosité humaine de s'adresser cette question : Au moyen de

 

1. Jean, XX, 19. — 2. Philip. III, 21.

 

notre corps devenu spirituel, verrons-nous Dieu ? On peut y répondre sans hésiter: On ne voit pas Dieu comme on voit ce qui est dans un espace déterminé; on ne le voit point partiellement comme on voit ce qui est répandu dans des lieux particuliers. Il remplit le ciel et la terre ; mais ce n'est pas en ayant moitié de lui-même au ciel, et sur la terre une autre moitié. Si cet air occupe le ciel et la terre, il est sûr que la portion d'air qui est sur, la terre n'est pas au ciel. De même quand l'eau remplit un bassin, elle en occupe toute la surface; mais une moitié du bassin ne contient que moitié de cette eau dont l'autre moitié est contenue dans l'autre moitié du bassin : toute l'eau n'est comprise que dans le bassin tout entier. Rien de pareil en Dieu. Sois-en bien sûr, Dieu n'est pas un corps. La propriété des corps est de s'étendre dans l'espace, d'être circonscrits localement, de se diviser en deux, en trois, en quatre, en parties égales au tout. Rien de pareil en Dieu. Dieu est tout entier partout; il n'a pas ici une moitié de lui-même et là une autre moitié : il est partout tout entier. Il remplit le ciel et la terre; mais il est tout entier au ciel et tout entier sur la terre.

«Au commencement était le Verbe ». Je rappelle ce texte pour te faire entendre qu'il en est du Fils comme du Père, car il est avec lui un seul Dieu, son égal, non pas en volume, mais en nature divine. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui et sans lui rien ne l'a été. Et la lumière luit dans les ténèbres », est-il dit un peu après (1). Or, ce Fils unique qui demeure tout entier dans le sein du Père, luit aussi tout entier dans les ténèbres ; il est tout entier au ciel, tout entier sur la terre, tout entier dans le sein d'une Vierge, tout entier dans.un corps d'enfant ; et cela, non pas successivement et comme en passant d'un lieu dans un autre. Toi aussi tu es tout entier dans ta maison et tout entier dans l'Eglise ; mais quand tu es dans l'Eglise, tu n'es pas dans ta maison, et quand tu es dans ta maison, tu n'es pas dans l'Eglise. Ce n'est pas ainsi que le Fils de Dieu est tout entier au ciel, sur la terre tout entier, tout entier dans le sein d'une Vierge ni tout

 

1. Jean, I, 1-5.

 

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entier dans un corps d'enfant, pour ne parler pas d'autre chose ; qu'on ne le regarde pas comme allant en quelque sorte du ciel sur la terre, de la terre dans le sein de la Vierge ni du sein de la Vierge dans un corps d'Enfant ; il est partout en même temps et tout entier. Ce n'est pas comme une eau qui se répand, ni comme une terre qu'on enlève et qu'on transporte avec effort. Pour être tout entier sur la terre, il n'abandonne pas le ciel ; et réciproquement quand il est tout entier au ciel, il n'abandonne pas la terre. Car « il atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (1) ».

14. Par conséquent si nos yeux peuvent, quand notre corps sera devenu spirituel, voir une nature qui n'occupe aucun point de l'espace; si ce pouvoir leur vient de je ne sais quelle force secrète, mystérieuse et absolument inconnue; s'ils l'ont enfin, soit, car nous ne voulons point porter envie à ces organes à qui nous devons la vue. Seulement. n'essayons pas de mettre Dieu dans un lieu quelconque, de l'y enfermer, de l'étendre dans l'espace comme un objet corporel ; n'osons rien, ne songeons à rien de semblable. laissons la nature divine dans toute la majesté qui lui est propre. S'il s'agit. de nous, améliorons-nous autant que nous en sommes capables, à la bonne heure ; mais gardons-nous de détériorer Dieu : surtout parce que nous ne trouvons, ou au moins parce que nous n'avons rien trouvé encore de défini sur ce sujet dans les saintes Ecritures. Je n'oserais pas avancer qu'on n'y peut rien découvrir ; mais ou il n'y a rien, ou on n'y a rien vu encore, ou je n'y ai rien vu pour mon compte. Quelqu'un peut-il m'y montrer la question résolue dans un sens ou dans l'autre ? Je l'écouterai avec plaisir ; et si je ne remerciais de m'avoir instruit, non pas cet homme mais Celui qui m'aura parlé par sa bouche, je serais un ingrat, Or, à Dieu ne plaise que l'Auteur de la grâce permette qu'il y ait en moi de l'ingratitude !

Voici donc quelle est maintenant ma pensée. Nos yeux ne voient rien aujourd'hui qu'à travers l'espace ; il faut qu'il y ait un intervalle entre eux et l'objet qu'ils veulent considérer. Si cet objet est trop éloigné, ils ne le noient point, parce que le rayon visuel ne saurait

 

1. Sag. VIII, 1.

 

atteindre jusque-là ; et s'il est trop rapproché d'eux, s'il n'y a pas un intervalle entre eux et l'objet, ils ne peuvent absolument le voir non plus. Approche en effet tes yeux de cet objet au point qu'ils le touchent, qu'il n'y ait aucun intervalle, ils ne voient pas. Eh bien ! c'est précisément parce que nos yeux ne peuvent rien voir que de cette manière, à travers un espace quelconque, que ni maintenant ni, plus tard ils ne peuvent ni ne pourront voir Dieu, car Dieu n'est pas circonscrit dans un espace. Par conséquent, ou bien les yeux seront doués alors de la faculté de voir ce qu'on ne voit pas dans un lieu ; ou bien, s'ils n'acquièrent pas cette faculté, ils ne verront point Celui qu'aucun lieu ne contient.

15. Mais, en attendant qu'on s'occupe avec plus de soin de ce que peut croire la foi ou découvrir la droite raison sur la nature des corps spiritualisés, soyons sûrs. que le corps ressuscitera, soyons sûrs aussi que notre corps aura soit la forme qu'avait le corps du Christ, soit celle dont il a fait une promesse ignorée de nous ; soyons sûrs que le corps deviendra spirituel et ne restera pas corps animal, tel qu'il est; car il est dit clairement et sans qu'aucune contradiction soit possible : « Le corps est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel (1) » ; soyons sûrs que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui ont une nature, une substance si élevée au-dessus de toute substance, sont pareillement et également invisibles, parce que nous les croyons pareillement et également immortels, incorruptibles pareillement et également. L'Apôtre, en effet, a dit dans une même phrase : « Au Roi des siècles, immortel, invisible, incorruptible, au Dieu unique, honneur et gloire pour les siècles des siècles ; ainsi soit-il (2) ». Ainsi le Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit, est immortel, - invisible et incorruptible ; il n'est pas invisible aujourd'hui pour devenir ensuite visible, de même qu'il n'est pas aujourd'hui incorruptible pour devenir corruptible plus tard. S'il est toujours immortel, incorruptible toujours, toujours aussi il sera invisible. Touchez à son invisibilité; n'êtes-vous pas en danger de toucher également à son immortalité ? C'est sans doute pour nous faire entendre cette vérité que l'Apôtre a placé l'invisibilité entre l'immortalité et l'incorruptibilité. Comme on

 

1. I Cor. XV, 44. —2. I Tim. I, 17.

 

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pouvait révoquer en doute que Dieu fût toujours invisible, il a placé son invisibilité entre ces deux remparts protecteurs.

Attachons-nous inébranlablement à cette foi. Il n'est pas indifférent que ce soit la créature ou le Créateur qu'on offense. Nous pouvons sans doute rechercher et examiner quelles sont les propriétés des créatures, et si nous nous trompons en quelque point, n'en continuons pas moins à marcher avec ce que nous avons acquis. Alors, en effet, Dieu nous montrera lui-même en quoi nous nous égarons (1). Tel est le sujet que nous avons traité dans le sermon d'hier (2). « Heureux, ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu (3) ». Appliquons-nous donc par tous les moyens à nous purifier le coeur, appliquons à cela tous nos efforts et toute notre vigilance; et dans toutes nos prières, obtenons autant que nous pouvons la grâce de nous purifier le coeur. La pensée des choses extérieures se présente-t-elle à nous? « Purifiez, dit le Sauveur, ce qui est au dedans, et ce qui est au dehors sera purifié (4) ».

16. Quelqu'un ne va-t-il pas s'imaginer qu'il est parlé aussi clairement du corps que du coeur, puisqu'il est écrit,: « Toute chair verra le salut de Dieu (5) ? » Rien de plus clair que ce témoignage en faveur du coeur : « Heureux ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu ». De la chair il est dit également

« Toute chair verra le salut de Dieu ». — Douterait-on qu'il ait été- promis à la chair de voir Dieu, si on ne se demandait ce qu'il faut entendre par ce salut de Dieu ? Ou plutôt on ne se le demande pas; car, sans aucun doute, le salut de Dieu est le Christ Notre-Seigneur. Si donc on ne pouvait voir Jésus-Christ Notre-Seigneur que dans sa divinité, personne n'hésiterait de croire que la chair même verra la nature de Dieu, puisque «toute chair verra le  salut de Dieu ». Mais dans Notre-Seigneur Jésus-Christ il y a la divinité, que peut voir 1'oeil du coeur purifié, parfait et rempli de Dieu ; il y a aussi l'humanité, qu'on a contemplée, comme le disent ces paroles de l'Ecriture : « Il s'est montré ensuite sur la terre, et  il a vécu avec les hommes (6) » et c'est ce qui m'explique le sens de ces mots.: « Toute chair verra le salut de Dieu ». Oui, toute chair verra le Christ; c'est un oracle, que personne ne le révoque en doute.

 

1. Philip. III, 15, 16. — 2. Voir tome VI, serra. LIII. — 3. Matt. V, 8. — 4. Ib. XXIII, 26. — 5. Luc, III, 6. — 6. Baruch. III, 38.

 

Mais ce qui est douteux, c'est la question de savoir si c'est dans son corps seulement que toute chair verra le Christ, ou bien si c'est comme Verbe existant dès le commencement dans le sein de Dieu, où il est Dieu comme son Père. Ne cherche pas à me con. vaincre par ce seul texte; je n'hésite pas à reconnaître que « toute chair verra le salut de Dieu ». On admet que ces mots signifient: Toute chair verra le Christ du Seigneur. Or, n'a-t-on pas vu le Christ dans sa chair, dans sa chair devenue immortelle, si toutefois on peut lui donner encore, ce nom de chair, depuis que par un merveilleux changement elle est devenue toute spirituelle ? En effet, pendant que ses disciples le voyaient et le touchaient même après sa résurrection, il leur disait : «Touchez et reconnaissez qu'un esprit n'a ni chair ni ossements, comme vous m'en voyez (1) » . On le verra encore de la même manière: non-seulement on l'a vu mais on le verra de: nouveau, et n'est-ce pas alors que ces mots : « Toute chair », trouveront une appli. cation plus parfaite ? La chair l'a vu déjà, mais non pas toute chair; au lieu que le jour où il viendra avec ses anges, assis sur son tribunal, pour juger les vivants et les morts; quand sa voix aura été entendue de tous ceux qui sont dans les tombeaux, et qu'ils en seront sortis les uns pour ressusciter à la vie et les autres pour ressusciter à leur condamnation (2), il sera vu avec la nature dont il a daigné se revêtir pour l'amour de nous, non-seulement par les justes, mais encore par les pécheurs; non-seulement par ceux de la droite, mais encore par ceux de la gauche. En effet, ceux qui l'ont mis à mort « verront Celui qu'ils ont percé (3) ». C'est ainsi que « toute chair verra le salut de Dieu » ; les yeux du corps verront son corps, attendu qu'il viendra juger avec son corps véritable. Ajoutons qu'à ceux qui seront placés à sa droite et qui seront admis au royaume des cieux il se montrera de plus comme il a promis de le faire lorsque, vivant déjà avec son corps visible, il disait: « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père : je l'aimerai aussi et je me manifesterai à lui (4) ». Sous ce rapport le Juif impie ne le verra point. « Car l'impie sera enlevé pour ne pas voir la gloire de Dieu (5)».

17. Le juste Siméon l'a vu, et des yeux du

 

1. Luc, XXIV, 39. — 2. Jean, V, 28, 29. — 3. Jean, XIX, 37. — 4. Ib. XIV, 21. — 5. Isaïe, XXVI, 10, sel. Septante.

 

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coeur, puisqu'il a su quel était cet Enfant, et des yeux du corps, en le portant. De plus en le voyant de ces deux manières, et comme Fils de Dieu et comme Fils de la Vierge, il s'est écrié: « C'est maintenant, Seigneur, que vous laissez votre serviteur aller en paix; puisque a mes yeux ont vu votre Salut (1) ». Comprenez ses paroles. Il était retenu sur la terre jusqu'au moment où il verrait des yeux du corps Celui que lui montrait sa foi. Il prend donc ce petit corps, le presse dans ses bras; puis en contemplant ce même corps, ou son Seigneur incarné, « Mes yeux, dit-il, ont vu votre Salut ». Qui t’a dit que ce n'est pas ainsi que « toute chair verra le salut de Dieu ? »

Nous ne devons pas désespérer de le voir venir sur son tribunal avec la nature qu'il a prise pour l'amour de nous, et non pas seulement avec celle qui le rend égal à son Père; prêtons l'oreille à ce que les anges disent sur ce sujet. Au moment où Jésus montait au ciel sous les yeux de ses disciples; au moment où attentifs et le coeur plein de regrets les disciples le conduisaient du regard, voici ce qu'ils entendirent de la bouche des anges: « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là, les yeux fixés au ciel? Ce même Jésus qui vous est Gravi, reviendra de la même manière que vous venez de le voir monter au ciel (2) ». Il reviendra donc, oui, il reviendra comme il est allé au ciel. Donc il sera visible en venant pour juger, puisqu'il est monté au ciel visiblement. Si après y être allé visiblement, il en revenait invisiblement, comment viendrait-il de la même manière ? Mais « il viendra de la même manière » ; donc aussi sous une forme risible, et « toute chair verra le Salut de Dieu ».

18. Rappelez maintenant vos souvenirs dans la mesure de vos forces; car nous devons étudier jusqu'à ce que nous aurons découvert ce que nous ne connaissons pas encore, puisque nous n'avons pas à apprendre, mais à enseigner

 

1. Luc, II, 25-30. — 2. Act. I, 11.

 

avec l'aide de Dieu ce que nous connaissons déjà. Je ne prétends donc pas que la chair ne verra pas Dieu, mais que pour le prouver il faut produire, si on peut en découvrir, des témoignages plus péremptoires. Vous comprenez en effet ce que vaut celui qu'on nous cite; car il prouve plutôt en notre faveur, ou en faveur de la vérité même, ou en faveur de ceux qui soutiennent comme un point incontestable que jamais, pas même à la résurrection des morts, la chair ne verra Dieu. Nous ne contestons pas cela, nous voulons seulement, en résumant, réveiller les souvenirs de ceux qui comprennent vite et inculquer davantage notre pensée à ceux qui comprennent lentement. Dussions-nous ennuyer plu sieurs d'entre vous, nous répétons ceci

On ne voit point Dieu dans l'espace, car n'est pas un corps, car il est tout entier partout, car il n'a pas ici une plus grande partie de .lui-même et là une moindre partie. Soyons profondément convaincus de cela. Si plus tard notre corps doit être changé au point de pouvoir contempler ce qui ne se voit point dans l'espace; soit, j'y consens. Seulement il faut chercher sur quelle autorité on s'appuie pour enseigner ce point. Mais si on ne l'enseigne pas encore, qu'on ne le nie pas non plus, et qu'on reste au moins dans le doute; sans douter néanmoins que la chair doive ressusciter, que de corps animal notre corps doive devenir corps spirituel , que corruptible et mortel il doive revêtir l'incorruptibilité et l'immortalité: ainsi nous marcherons avec ce que nous avons acquis (1). S'il nous arrive, par un zèle excessif dans nos recherches, de nous égarer sur quelque point, que ce soit au sujet de la créature et non du Créateur. Que chacun s'applique donc de toutes ses forces à transformer son corps en esprit, pourvu qu'il ne fasse pas de Dieu un corps.

 

1. Philip. III, 16.

 

 

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