|
|
HOMELIE IIAnalyse 1. Description du royaume du ciel. Pourquoi David est mentionné le premier dans la généalogie du Christ. 2. Le Christ est le lien qui unit les deux Testaments et les deux natures divine et humaine. 3. LAncien Testament contient la figure, le Nouveau, la vérité. Gloire de David. Question touchant la généalogie du Christ. 4. Pourquoi saint Matthieu décrit-il la généalogie de Joseph et non celle de Marie? 5 et 6. Exhortation à écouter et à pratiquer la parole de Dieu. Quil est nécessaire à tout le monde de lire lEcriture sainte.
1. Je crois que vous vous souvenez, mes Frères, de la prière que je vous fis hier, de vous recueillir dans un respectueux silence et dans la paix du coeur et de lesprit, pour écouter la parole de Dieu. Comme nous allons franchir aujourdhui le seuil sacré du temple où réside le Verbe divin, je suis obligé de vous renouveler cet avis. Car, si autrefois, lorsque les Juifs furent à la veille dapprocher de la montagne de Sinaï, de ce feu, de cette fumée, de ces ténèbres et de ces tourbillons, ou plutôt à la veille de regarder de loin un rayon de la gloire de Dieu, et dentendre à distance quelques mots de sa bouche; si, dis-je, on leur commanda de se séparer de leurs femmes durant trois jours, et de laver leurs vêtements; sils étaient, ainsi que Moïse lui-même, dans la crainte et le tremblement, il est bien plus raisonnable que, sur le point dentendre des paroles si saintes et non pas de regarder de loin une montagne ardente, mais dentrer dans le ciel même, vous témoigniez une disposition plus parfaite, que vous laviez non les vêtements du corps mais ceux de lâme, et que vous vous sépariez de tout le commerce de la vie du monde. Vous ne verrez point ici de fumée, ni de tourbillons, ni de ténèbres, mais le Roi même assis sur son trône, dans une gloire ineffable, accompagné de ses anges et de ses archanges, et de la troupe des saints, joints au nombre infini de ces bienheureux esprits. Telle est la sainte cité, elle contient, dit saint Paul, « lEglise des premiers-nés, les esprits des justes, les troupes des anges, et le sang dont laspersion a réconcilié toutes choses. » (Héb. XII, 20.) Car le ciel a reçu ce qui était sur la terre, la terre a reçu ce qui était dans le ciel, et ainsi sest faite cette paix des hommes et des anges qui avait été souhaitée durant tant de siècles. Le trophée qui brille dans cette cité sainte est la croix, les dépouilles qui y sont attachées sont notre nature même, dont Jésus-Christ a fait sa proie et sa conquête, comme vous le verrez dans la suite de lEvangile. Si vous voulez me suivre avec un profond silence, jespère vous faire voir la mort terrassée et détruite, !e péché crucifié, et les monuments illustres de la victoire que Jésus-Christ a remportée dans cette guerre. Vous verrez le tyran enchaîné, une multitude de captifs qui suivent leur libérateur, et la forteresse où le démon sétait renfermé depuis tant de siècles, et doù il faisait ses sorties sur les hommes, forcée en un moment et renversée par terre. Vous verrez la caverne même et les antres profonds de ce prince des ténèbres, qui ont été découverts à nos yeux, parce que notre Roi vainqueur a bien voulu y descendre lui-même en personne et y faire luire léclat de sa gloire. Ne craignez point que ce récit vous soit ennuyeux. Si, lorsque quelquun vous raconte les guerres et les victoires des hommes, bien loin den concevoir de lennui, vous perdez même le manger et le boire pour les écouter, combien trouverez-vous plus de goût aux choses beaucoup plus admirables dont nous devons vous parler? Considérez ce que cest que de voir un Dieu qui vient du ciel, et qui descend du plus haut de son trône sur la terre et jusquau fond des enfers, pour en combattre le prince; de voir le démon lutter contre un (14) Dieu qui sest caché sous la forme de lhomme, et ce quon ne peut assez admirer, la mort détruite parla mort, la malédiction abolie par la malédiction, et la tyrannie du démon renversée par tes mêmes armes dont il sétait servi pour létablir. Sortons donc de notre assoupissement et réveillons-nous. Je vois déjà les portes ouvertes. Entrons avec une modestie respectueuse et une sainte frayeur. Mais quelles sont ces portes? Quoi, dites-vous? Vous promettez de parler du Fils unique de Dieu, et vous nous parlez du fils de David, un homme qui vivait il y a plusieurs siècles, et vous lappelez le père et laïeul de Jésus-Christ? Mais attendez un peu, ne désirez pas savoir tout dun coup toutes choses, apprenez peu à. peu et par degrés. Souvenez- vous que vous nêtes quà la porte et encore dans le vestibule. Pourquoi vous hâtez-vous de pénétrer jusque dans le fond du sanctuaire lorsque vous navez pas encore bien considéré ce qui est au dehors? Ce nest pas la naissance divine du Sauveur que je vais vous expliquer maintenant, ni même dans la suite. Je sais quelle est incompréhensible et ineffable. Le prophète Isaïe la dit avant moi. Car, après avoir prédit la passion du Sauveur, et lextrême charité quil a eue pour tous les hommes, et admiré de quel comble de gloire il était descendu dans le dernier abaissement, il sécrie : « Qui pourra dire quelle est sa génération? » (Is. LIII, 8.) Ce nest donc point de cette première naissance que je parle ici; cest sa naissance terrestre prouvée par une infinité de témoins, dont je tâcherai de vous dire ce que la grâce du Saint-Esprit aura daigné men apprendre. Il nest pas même possible dexpliquer celle-ci bien clairement, parce quelle est elle-même pu mystère grand et redoutable. Ne la considérez donc pas comme peu importante lorsquon vous en parle, mais au contraire soutenez votre attention, et tremblez lorsque vous entendez dire quun Dieu est venu sur la terre. Cest une merveille si étonnante et tellement inouïe, que les anges en choeur en ont rendu gloire à Dieu au nom de toute la terre, par leurs acclamations et par leurs louanges. Les prophètes mêmes se sont longtemps auparavant écriés avec une profonde admiration « Enfin il a été vu, sur la terre, et il a conversé parmi les hommes! » (Bar. III, 38.) Car cest un étrange prodige que ce Dieu ineffable, incompréhensible, égal en tout à son Père, soit venu à nous en passant par le sein dune vierge, et quil se soit rabaissé jusquà naître dune femme; quil ait bien voulu avoir David et Abraham pour ses ancêtres, et non seulement David et Abraham, mais ce qui est encore plus étonnant, des femmes semblables à celles dont nous vous avons déjà parlé. Lors donc que vous entendez de si grandes choses, élevez votre esprit et ne concevez rien de bas, que votre admiration redouble en voyant le vrai et unique Fils du Père, souffrir dêtre appelé fils de David, pour vous rendre enfant de Dieu, et ne refuser pas davoir pour père son esclave, afin que vous qui étiez esclave ayez Dieu pour père. Voyez combien cet Evangile, cest-à-dire, cette bonne nouvelle quon nous annonce est admirable dès lentrée. Si vous doutez de la gloire qui vous est promise, soyez-en persuadé par lhumiliation de Jésus-Christ. Car la raison de lhomme a bien plus de peine à comprendre quun Dieu soit devenu homme, quà sexpliquer quun homme puisse devenir enfant de Dieu. Lors donc que vous entendez dire que le Fils de Dieu est aussi fils de David et dAbraham, ne doutez plus que vous, qui êtes enfant dAdam, vous ne soyez aussi enfant de Dieu. Car ce serait en vain quun Dieu se fût abaissé si profondément, si ce navait été pour relever lhomme. Il est né selon la chair afin que vous renaissiez selon lesprit. Il est né dune femme, afin que vous cessiez dêtre le fils dune femme. Cest pourquoi il est né en deux manières différentes, dont lune est semblable à notre naissance, et lautre est infiniment élevée au-dessus de nous : car il a cela de commun avec nous, quil est né dune femme, mais ce quil a de particulier cest : « Quil nest point né du sang, ni de la volonté de lhomme ou de la chair (Jean I,13), » mais du Saint-Esprit, et que sa naissance en ce point était la figure de cette renaissance divine, quil nous devait donner par la grâce du Saint-Esprit. On peut dire la même chose de tous ses autres mystères. Son baptême avait quelque chose de lAncien Testament et du Nouveau.; de lAncien, en ce quil la reçu dun prophète ; du Nouveau, en ce quil reçut visiblement le Saint-Esprit. Jésus-Christ, en sincarnant, a fait comme une personne qui, voyant deux hommes se battre , les prendrait tous deux par la main et les réconcilierait ensemble. Ainsi, en venant au monde, il a réuni la nature humaine avec la nature divine; la grandeur de Dieu avec la bassesse de lhomme; et la loi ancienne avec la nouvelle. Vous voyez donc, dès lentrée, quel est léclat de cette ville sainte; et, comme le Roi y paraît dabord revêtu de notre chair, ainsi quun prince au milieu de son armée. Souvent un roi dans le combat ne porte point les marques de sa dignité et de sa puissance. Il quitte la pourpre et le diadème, et shabille comme lun de ses soldats. Mais les rois de la terre se déguisent de la sorte de peur dattirer sur eux , en se faisant connaître , tous les efforts de leurs ennemis, au lieu que le nôtre la fait pour ne pas mettre dabord tous ses ennemis en fuite, et ne pas épouvanter ses amis. Il était venu, non pour nous effrayer, mais pour nous sauver. Cest pourquoi, dès le commencement de lEvangile, il est appelé Jésus; et ce mot qui est hébreu et non grec, signifie « Sauveur, » parce que, dit lEvangile, « il sauvera son peuple. » (Matth. I, 21.) 3. Considérez comme lécrivain sacré élève nos esprits, et comment, en ne nous disant que des choses communes, il nous découvre des merveilles qui dépassent toutes nos espérances. Car ces deux noms du Fils de Dieu, celui de Jésus et celui de Christ étaient tous deux connus de tous les Juifs Dieu prévoyant que les mystères quil devait accomplir seraient incroyables, a voulu quil y eût même des anciennes figures de ce nom divin, pour prévenir ainsi tous les troubles que la nouveauté cause dordinaire. Car Josué qui succéda à Moïse, et qui fit entrer le peuple dans la terre promise, sappelait aussi Jésus. Vous voyez la figure, comprenez-en maintenant la vérité. Jésus a fait autrefois entrer les Juifs dans la terre promise : Jésus nous fait entrer dans le ciel et dans la jouissance des biens éternels. Le premier fait cette merveille après la mort de Moïse ; le second la fait après la fin de la loi de Moïse; le premier a été le chef du peuple de Dieu; le second en a été le Roi et le Souverain. Mais de peur quen entendant ce nom de Jésus, vous nhésitiez entre lui et. ses homonymes, lévangéliste ajoute aussitôt le surnom de Christ: « De Jésus-Christ fils de David.» Josué nétait pas de la tribu de, David, mais dune autre. Vous me demanderez peut-être pourquoi saint Matthieu appelle son livre «le livre de la génération de Jésus-Christ, » puisquil ne contient pas seulement sa naissance, mais encore toute la suite de sa vie. Cest parce que la naissance de Jésus-Christ est le principe, et comme la racine de tous ses autres mystères, et lunique source de tous nos biens. Et comme Moïse a appelé son livre le livre de la création du ciel et de la terre, quoiquil y parle aussi de beaucoup dautres choses, de même lévangéliste nomme son livre du mystère qui est la source et le principe de tous les autres. Car cétait une chose bien pleine détonnement, et qui surpassait lespérance et lattente de tous les hommes quun Dieu se fît homme; mais après une si grande merveille , tout le reste suit naturellement de ce principe. Mais pourquoi ne le nomme-t-il pas dabord « fils dAbraham , » et ensuite, « fils de David? » Ce nest pas, comme disent quelques-uns, pour remonter du dernier au premier, puisquil laurait fait dans tout le reste comme saint Luc, ce quil ne fait pas néanmoins. Pourquoi donc nomme-t-il dabord David? Parce que le nom de David, prince illustre, et beaucoup moins ancien quAbraham, était alors dans toutes les bouches. Quoique Dieu leur eût fait à tous deux la même promesse, néanmoins la longue suite du temps faisait que lon ne se souvenait plus de lune, et quon ne parlait que de lautre, comme plus nouvelle et plus récente. Les Juifs disent eux-mêmes dans lEvangile : « Ne savons-nous pas que le Christ doit venir de la race de David, et de la ville de Bethléem où était David?» (Jean, VII, 42.) Nul dentre eux ne lappelait fils dAbraham, et tous lappelaient fils de David. Je le répète, on se souvenait beaucoup plus de David, et parce quil était moins ancien, et parce quil avait été roi. Cest pourquoi ils appelaient de son nom les rois quils voulaient le plus honorer. Dieu même use de cette manière de parler. Ezéchiel et les autres prophètes disent que « David sélèvera et quil régnera. » (Ezéch. XXXVII, 24.) ce quil ne disait pas de David qui était mort, mais des antres rois qui devaient être les imitateurs de sa piété. Dieu dit encore à Ezéchias : « Je protégerai cette ville, à cause de moi, et à cause de David mon serviteur. » (IV Rois, XIX, 34.) Il promet aussi à Salomon, « que de son vivant il ne détruirait (16) pas son royaume, à cause de son serviteur David. » (III Rois, II, 34.) Ce roi était dans une grande gloire devant Dieu et devant les hommes. Cest pourquoi lEvangéliste commence dabord par lui, et il passe aussitôt au plus ancien de ses pères; croyant quil était superflu, au moins à légard des Juifs, de remonter encore plus haut dans le dénombrement de ses ancêtres, parce que ces deux-là étaient les plus illustres de tous, lun parce quil était roi et prophète, et lautre parce quil était prophète et patriarche. Mais comment peut-on prouver, me direz-vous, que Jésus-Christ descende de la race de David? Car sil nest pas né dun homme mais seulement dune vierge dont on ne rapporte point la généalogie, comment saurons-nous quil soit de la race de ce roi? Voici donc deux difficultés qui se présentent : lune pourquoi lon ne rapporte point la généalogie de la Vierge, et lautre pourquoi on rapporte celle de saint Joseph, entièrement étranger à la naissance du Sauveur. Il semble que la première de ces généalogies était seule nécessaire, et que la seconde était inutile. Que répondrons-nous donc à cela? Comment montrerons-nous que la Vierge descendait de David? Comment le prouverons-nous? Ecoutez ce que Dieu dit à lange Gabriel: « Allez, lui dit-il, à une vierge fiancée à un homme quon nomme Joseph , qui est de la maison et de la famille de David.» (Luc, I,27.) Que voulez-vous de plus clair, puisque Joseph était de la maison et de la famille de David, il est démontré que la Vierge en était aussi? Car il était défendu par la loi de chercher une femme hors de sa tribu, et den épouser une qui nen fût pas. Le patriarche Jacob avait prédit que Jésus-Christ naîtrait de la tribu de Juda, lorsquil dit: « Les princes ne cesseront point dans la « tribu de Juda et les chefs sortiront toujours de sa chair jusquà ce que Celui qui a été destiné de Dieu soit venu, et il sera lattente des nations. » (Gen. XLIV, 10.) Cette prophétie nous assure dabord que Jésus-Christ est sorti de la tribu de Juda, mais elle ne montre pas quil soit de celle de David. Est-ce que toute la tribu de Juda nétait composée que de la famille de David? nen avait-il pas beaucoup dautres? Beaucoup au contraire étaient de la tribu de Juda sans être de la race de David. Mais pour vous empêcher de vous arrêter à cette pensée, lEvangéliste dit formellement, que Joseph était «de la maison et de la famille de David. » (Luc, I. 27.) Si vous voulez encore dautres preuves, nous en avons une très constante. Il nétait pas permis pour se marier, de sortir, non seulement de sa tribu, mais même de sa famille et de sa parenté. Ainsi que ces paroles « de la famille et de la maison de David, » sentendent ou de la Vierge ou de Joseph, on nen peut tirer que la même conséquence. Car si Joseph était de la maison et de la famille de David, il na pris certainement une femme que de la famille doù il était descendu. Mais si Joseph, dites-vous, a violé lordonnance de la loi? LEvangéliste prévient cette objection , lorsquil dit « quil était juste (Matth. I, 19) » , afin quen reconnaissant sa vertu, on ne laccusât point de violation de la loi. Comment un homme qui était si charitable et si modéré quil ne voulut pas même penser à faire punir la Vierge, quoique toutes les apparences semblassent ly forcer, comment, dis-je, un homme si vertueux aurait-il pu violer la loi pour satisfaire sa passion? Comment un homme dont la vertu allait au delà même de la loi, comme on le voit par le dessein quil prit de quitter sa femme en secret, eût-il pu se résoudre à pécher ouvertement contre la loi, sans y être contraint par aucune nécessité? Il est donc évident par ces preuves que la Vierge était de la race de David. Voyons maintenant pourquoi lEvangéliste ne rapporte point sa généalogie, mais seulement celle de Joseph. Cest parce que ce nétait point lordinaire parmi les Juifs de tirer la généalogie du côté des femmes. Ainsi pour garder cette coutume, et pour ne point troubler les esprits par aucune nouveauté, il ne parle point des parents de la Vierge; mais il se contente, pour nous la faire connaître, de nous rapporter la généalogie de Joseph. Si donc il eût rapporté la généalogie de la Vierge, il naurait pas gardé lordre commun, et sil neût point rapporté celle de saint Joseph, nous naurions point su de quelle tribu était la Vierge. Cest pourquoi, afin que nous connussions qui était Marie et doù elle descendait, et que la coutume des Juifs fût gardée, lEvangéliste décrit la généalogie de Joseph lépoux de la Vierge, et montre quil était de la famille de David. Il sensuivait que La Vierge en était aussi, puisque indubitablement un homme si juste, comme jai déjà dit, (17) naurait point voulu épouser une femme dune autre tribu que de la sienne. Nous pourrions encore rapporter une autre raison plus mystérieuse, pour montrer pourquoi on na rien dit de la généalogie de la Vierge, mais ce nest pas ici le lieu de la dire, parce quil y a trop longtemps que nous sommes sur ce sujet. Il vaut mieux terminer ce discours, et retenir avec soin ces points que nous avons tâché dexpliquer: Pourquoi lEvangéliste parle dabord de David; pourquoi il appelle ce livre le livre de la génération du Sauveur; pourquoi il lui donne le nom de Jésus, et de Jésus-Christ; ce que cette naissance a de commun ou de différent avec la nôtre; comment on fait voir que Marie était de la race de David, et enfin pourquoi on rapporte la généalogie de Joseph, et non celle de la Vierge. Si vous avez soin de vous souvenir de ces choses, vous nous donnerez du courage pour continuer; mais si vous êtes indifférents, et que vous laissiez tout échapper de votre mémoire, votre froideur nous rendra plus froid et plus lent dans toute la suite. Car un laboureur ne se porte pas aisément à cultiver une terre où il voit que ce quil sème se perd et ne lève point. Cest pourquoi je vous conjure de faire croître cette semence, puisque ce soin vous produira de grands biens pour le salut de vos âmes. Ce saint exercice vous rendra agréables à Jésus-Christ, et en méditant les paroles sorties de sa bouche, vous apprendrez à purifier la vôtre de toutes les paroles déshonnêtes et injurieuses. Nous deviendrons ainsi terribles aux démons lorsquils verront notre langué armée de ces paroles de feu: nous nous attirerons une plus grande grâce de Dieu, et cette lecture assidue rendra les yeux de notre coeur plus vifs et plus éclairés. Dieu nous a donné des yeux, une bouche et des oreilles, afin que nous les consacrions à son service, afin que nous ne parlions que de lui, que nous nagissions que pour lui, que nous ne chantions que ses louanges, que nous lui rendions de continuelles actions de grâces, et que par ces saints exercices nous purifiions le fond de nos coeurs. Car, comme la pureté de lair rend le corps sain, ainsi la sainteté de ces occupations rend lâme plus sainte et plus pure. 5. Ne voyez-vous pas que les yeux nous pleurent dans un lieu plein de fumée, et quaussitôt que nous passons au grand air, que nous considérons la beauté des campagnes, les fleurs des prés et les eaux courantes, ils reprennent leur première vigueur? Il en est ainsi de loeil de lâme. Sil se plaît dans les Ecritures comme dans un pré spirituel, il deviendra plus sain, plus pur, et plus pénétrant; mais sil se laisse obscurcir par la fumée des choses du siècle, il se trouvera réduit à pleurer et en ce monde et en lautre. Car tout ce qui est en ce monde est semblable à la fumée; ce qui fait dire à David: « Mes jours se sont évanouis comme la fumée.» (Ps. CI, 12.) Il lentendait de la brièveté et de linstabilité de la vie; mais je crois quon peut dire encore que les choses du monde nous aveuglent comme la fumée;et quelles nous enveloppent par des liens semblables aux toiles daraignées. Car il ny a rien qui blesse et qui trouble plus les yeux de lâme que cet embarras des soins et des affaires du monde, et cette multiplicité de désirs et de passions, qui sont comme le bois qui produit ensuite cette fumée. Et comme le feu fume beaucoup lorsquil sattache à une matière humide; ainsi lorsquun désir ardent entre dans une âme qui est comme humide par son relâchement et par sa paresse, il faut nécessairement quil y excite une effroyable fumée. Cest pourquoi nous avons besoin de la rosée du Saint-Esprit, et de ce souffle bienheureux, afin déteindre ce feu des passions, de dissiper cette fumée, et de rendre notre coeur plus libre et plus dégagé. Car il est impossible quune âme appesantie de tant de soins puisse sélever en haut pour voler au ciel. Nous devons nous dégager de tout, pour pouvoir courir dans la voie de Dieu. Et nous ne le pourrons faire à moins que dêtre soulevés sur les ailes du Saint-Esprit. Sil faut donc que notre âme soit non-seulement déchargée des soins du siècle, mais quelle soit encore soutenue de la grâce de Dieu pour nous élever en-haut, comment le pourrons-nous faire, puisque, bien loin davoir cette disposition, nous nous engageons tous les jours dans une autre toute contraire, et quau lieu de voler au ciel, nous nous laissons charger de ce poids insupportable, dont le démon nous accable, et par lequel il nous entraîne toujours en bas? Car si on voulait peser tous nos discours dans une juste balance, je ne crois pas que, pour mille talents quon trouverait dentretiens tout séculiers, on pût trouver je (18) ne dis pas pour cent deniers, mais pour dix oboles de paroles vraiment chrétiennes et spirituelles. Nest-ce pas une chose honteuse et ridicule, tandis que nous ne nous servons de nos domestiques, quand nous en avons, que pour des affaires qui sont pour la plupart nécessaires, demployer notre bouche à des choses où nous rougirions demployer le dernier de nos serviteurs, cest-à-dire, toutes vaines et superflues? Et plût à Dieu même quelles ne fussent que superflues, et non mauvaises et dangereuses! Si nos paroles nous étaient utiles, il est certain quelles seraient aussi agréables à Dieu; mais nous disons au contraire tout ce que le démon nous inspire: des railleries et des bons mots, des imprécations et des injures, des jurements, des mensonges, des parjures; des cris de colère et des futilités , des contes de vieilles femmes, des questions oiseuses et sans intérêt, voilà ce qui sort continuellement de notre bouche. Quel est celui de vous tous qui mécoutez maintenant, qui pourrait me dire par coeur ou un psaume ou quelque autre partie de lEcriture, si je le lui demandais? Il ne sen trouverait pas un seul. Et ce qui est encore plus à déplorer, cest que, étant si indifférents pour les choses saintes, vous êtes tout de feu pour les choses du diable. Car si lon vous priait au contraire de dire quelquune de ces chansons infâmes, quelques-uns de ces vers lascifs et honteux, il sen trouverait plusieurs qui les auraient appris avec soin, et qui les réciteraient avec plaisir. Mais comment excuse-t-on de si grands excès? Je ne suis pas religieux ni solitaire, dit-on, jai une femme et des enfants, et jai le soin dun ménage. Telle est en effet la grande plaie de notre temps, on croit que la lecture de lEcriture nest bonne que pour les religieux, au lieu que les gens -du monde en ont encore plus besoin queux. Car ceux qui sont au milieu du combat, et qui reçoivent tous les jours de nouvelles plaies, ont plus besoin de remèdes que les autres. Cest tin grand mal de ne pas lire les livres qui contiennent la parole de Dieu, mais il y a quelque chose de pire encore, cest de se persuader que cette lecture est inutile. Une telle pensée ne peut venir que du démon. Nentendez-vous point ce que dit saint Paul: « Que tout ce qui est écrit, est écrit pour notre instruction? » (Rom. XV, 4.) Si lon voulait vous faire toucher lEvangile avec des mains malpropres, vous ne voudriez jamais le faire, et cependant vous ne croyez pas quil soit nécessaire de savoir ce quil enseigne. Cest là la cause du dérèglement général que lon voit aujourdhui parmi les hommes. Si vous voulez éprouver combien la lecture de lEcriture sainte est utile, examinez-vous vous - mêmes. Voyez dans quelle disposition vous êtes , ou lorsque vous écoutez des psaumes, ou lorsque vous entendez ces chansons diaboliques ; lorsque vous êtes à léglise, ou lorsque vous êtes au théâtre; et vous serez surpris de voir combien votre âme étant la même, est néanmoins différente delle-même dans ces rencontres. Cest pourquoi saint Paul disait : « Les mauvais entretiens corrompent « les bonnes moeurs. » (I Cor. XV, 33.) Nous avons continuellement besoin des cantiques du Saint-Esprit. Chanter les louanges de Dieu est le plus beau privilège de lhomme, rien ne le distingue autant des bêtes qui ont cependant sur lui de nombreux avantages. Cest là, la nourriture de lâme ; cest là son ornement; cest là son assurance ; au contraire la négligence de la parole de Dieu lui cause la faim et la-mort: « Je leur enverrai, » dit Dieu, « non la famine du pain ni la soif de leau, mais la famine de la parole de Dieu. » (Amos, VIII, 11.) Quy a-t-il de plus déplorable que dattirer volontairement sur vous un malheur dont Dieu menace les hommes comme dun très grand supplice, et de réduire vous-même votre âme à une faim cruelle qui la met dans une extrême langueur? Car cest par la parole que lâme se perd ou quelle se sauve. Un mot lenflamme de colère, et un mot lappaise; une parole déshonnête la jette dans une passion brutale, et une parole modeste et grave la rend chaste et pure. Si donc la parole dun homme produit de si grands effets, comment pouvez-vous mépriser la parole de Dieu même? Et si lexhortation dun homme est si puissante, combien celle de lEsprit-Saint le sera-t-elle davantage? Une parole de lEcriture excite souvent dans lâme une flamme plus vive que le feu, et la rend capable des actions les plus belles. Cest ainsi quautrefois saint Paul abaissa lorgueil des Corinthiens, qui se glorifiaient dune chose dont ils eussent dû rougir, et quils devaient étouffer dans un éternel silence. Mais lorsque (19) cet apôtre leur eût écrit, voyez quel changement ses paroles firent en eux, comme il leur en rend témoignage lui-même: « Voyez, en effet » dit-il, « ce qua produit en vous cette tristesse selon Dieu que vous avez ressentie: quelle sollicitude, quel soin de vous justifier, quelle indignation, quelle crainte, quel désir, quel zèle, quelle ardeur pour punir le crime ! » (II Cor. VII, 11.). Cest ainsi que vous réglerez vos serviteurs, vos enfants, vos femmes et vos amis, et que vous forcerez vos ennemis mêmes à vous aimer. Cest par ces paroles saintes, que tant de grands hommes si chéris de Dieu, se sont avancés dans la vertu. David après son péché écouta la parole du Prophète, et il embrassa aussitôt cette pénitence, qui est devenue le modèle de tous les pénitents. Cest par ces paroles saintes, que les apôtres sont devenus ce quils ont été, et quils ont attiré à eux toute la terre. Mais que sert, dites-vous, dentendre la parole de Dieu, lorsquon ne la pratique pas? On ne laisse pas den retirer même alors une utilité très-considérable. Car on saccusera soi-même, on soupirera, on gémira, et on se mettra enfin en état de faire ce quon nous apprend. Mais lorsquon ne comprend pas même le mal quon fait, comment peut-on sen retirer ou sen repentir? Ne négligeons donc point dentendre lEcriture sainte. Cest le démon qui nous inspire ce dégoût, parce quil ne peut souffrir que nous approchions de ce trésor, de peur quil ne nous en demeure des perles et des diamants qui nous enrichissent. Cest pourquoi il nous persuade quil nous est inutile dentendre la parole de Dieu, afin quil nait pas le regret de nous la voir mettre en pratique après que nous laurons entendue. Reconnaissons donc cet artifice si dangereux, et fortifions-nous de toutes parts contre ces attaques; afin que couverts de celte armure spirituelle, nous soyons invulnérables à notre ennemi, et que layant vaincu et portant les marques de notre victoire, nous jouissions à jamais des biens du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |