|
|
SAINT JEAN CHRYSOSTOMEOEUVRES COMPLÈTESTRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS SOUS LA DIRECTION DE M. JEANNIN BAR-LE-DUC, L. GUÉRIN & Ce, EDITEURS 1865 TRADUCTION FRANCAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME COMMENTAIRE SUR LEVANGILE DELON SAINT MATTHIEU. TOMES 7 ET 8 I AVERTISSEMENT. Les homélies de saint Chrysostome sur saint Matthieu, au nombre de quatre-vingt-dix, ont toutes été prononcées à Antioche, sans quon puisse déterminer dune manière précise en quel temps elles le furent. On a fait des conjectures. On a dit: saint Chrysostome passa toute lannée 388 à parler contre les jurements, notamment dans les homélies sur les Statues; or, dans tout le Commentaire sur saint Matthieu, cest à peine sil en parle deux fois et encore sans insister; donc, les habitants dAntioche sétaient corrigés et ne juraient plus ou presque plus à lépoque où se prêchèrent les homélies sur saint Matthieu; il faut donc rapporter ces homélies aux dernières années que saint Chrysostome passa dans la ville dAntioche, cest-à-dire entre 390 et 398. - Ces quatre-vingt-dix homélies ont, de tout temps, été regardées non-seulement comme le chef-doeuvre de saint Chrysostome, mais même comme ce quil y a au monde de plus complet et de plus excellent sur la morale chrétienne. Là, toutes les vertus, avec la manière de les acquérir et de les pratiquer; tous les vices, avec les moyens à mettre en oeuvre pour les éviter et sen corriger, sont définis, décrits, expliqués: là, rien nest omis de ce. qui concerne la vie sainte et la vie vicieuse, pour attirer à lune et éloigner de lautre. Nulle part saint Jean Chrysostome na montré tant dinvention, tant déloquence, tant de sagacité dans la formation des moeurs. Cest pourquoi saint Thomas dAquin disait, au rapport de Papire-Masson (De Romanis ponti[., in Joanne XXI), quil attachait plus de prix à louvrage de saint Chrysostome sur saint Matthieu, quà la possession de toute la ville de Paris. (1) II. La méthode suivie par saint Chrysostome est celle-ci: il cite le texte sacré verset par verset, phrase par phrase, puis il fait ressortir le sens littéral souvent avec tout le soin que pourrait y apporter un grammairien sagace, et cela sans cesser dêtre orateur, orateur chaleureux, rapide, entraînant. Il assigne à chaque fait son temps, son occasion, ses circonstances quil demande aux autres Evangélistes lorsquils en rapportent qui ne se trouvent pas dans saint Matthieu. Il insiste sur les miracles en sattachant à en démontrer là-propos, le but, toutes les raisons. Il rapporte parfois, - surtout quand il sagit de passages difficiles, les opinions de divers interprètes, et si ces opinions exigent une réfutation, il sen acquitte avec un rare talent; sa polémique- est expéditive, spirituelle, caustique. Il a grand soin de montrer que les oppositions, que quelques-uns veulent trouver entre les évangélistes, ne sont quapparentes, quelles nont rien de réel au fond, quelles sexpliquent toutes aisément et quelles viennent, soit de ce que les écrivains sacrés envisagent les faits chacun à son point de vue et sous une face différente, comme il arrive tous les jours, lorsque plusieurs sont témoins du même fait, que lun remarque plus spécialement tel détail, lautre, tel autre; soit de ce que les évangélistes racontent effectivement des miracles et des prodiges différents, ce qui, non-seulement est très-probable, mais a dû avoir lieu nécessairement. Et en effet, les miracles opérés par le divin Sauveur, ne sont pas en petit nombre, ils sont, au contraire, selon les Evangélistes eux-mêmes, innombrables. Dès lors, quoi détonnant sils nont pas tous raconté les mêmes? Ny aurait-il pas lieu de sétonner quil en fût autrement? Nest-il pas vrai que les légères différences qui se remarquent entre les dépositions de ces quatre témoins du Christ, sont beaucoup plus faites pour augmenter que pour diminuer le poids de leur témoignage collectif? Toutes ces homélies se terminent par une exhortation morale où le saint orateur fait à son peuple lapplication de la doctrine quil vient de lui exposer. Il attaque les uns après les autres les vices régnants: les peintures quil en fait, pour en inspirer lhorreur à ceux qui lécoutent, sont animées des couleurs les plus fortes , et cest ordinairement aux prophètes quil les emprunte. Il na pas moins de mouvement que de couleur. Ses réprimandes sont hardies, -sévères, âpres même sans cesser dêtre paternelles et charitables. Sa parole est un glaive qui frappe pour guérir ensuite. Il réprimande souvent les riches qui abusaient de leur fortune, toujours entourés (2) de parasites, et ne soccupant que de bonne chère et continuellement plongés dans livresse. Il poursuit principalement ceux qui senrichissaient par la rapine et par lusure. Cest contre cette espèce dhommes quil lance ses plus terribles invectives; il les menace, il les effraye en leur montrant lenfer qui les attend dans ses gouffres où brûle un feu inextinguible. Et ces voluptueux, ces mauvais riches, il les terrifiait au point quils donnaient souvent des signes publics de contrition et de repentir; mais, dit le saint orateur, à peine avaient-ils franchi le seuil de léglise quils retournaient à leurs habitudes; cest que la crainte nest pas k maître quil faut pour enseigner la persévérance dans le devoir, cest laffaire de lamour et de laffection. Son perpétuel refrain cest quil faut déposer ses richesses en lieu sûr, cest-à-dire au ciel, et les y faire porter par la main des pauvres Dans ces avis souvent répétés, il donne à entendre quil y avait alors à Antioche nombre dusuriers qui grossissaient leur avoir par la spoliation des pauvres. Censeur infatigable du faste, de la vanité et dé larrogance, il harcèle sans cesse ceux qui se construisaient de splendides demeures, qui entassaient un mobilier sans fin qui avaient des voitures toutes brillantes dor et dargent, et ne sortaient jamais que suivis dune légion de serviteurs. Cest encore le luxe des femmes, qui est lobjet de ses fréquentes, comme de ses plus piquantes invectives; il jette le ridicule à pleines mains sur leurs fards, leurs enluminures, leurs faux cheveux, leur or, leurs pierreries, sur tout lattirail de la coquetterie. Il fait honte aux jeunes gens de leurs moeurs molles, efféminées, corrompues, de leurs toilettes presque aussi recherchées que celles des femmes. Il proscrit les rixes et les inimitiés comme diamétralement opposées à lesprit du christianisme, il recommande la charité fraternelle comme le caractère spécial qui distingue le disciple de Jésus-Christ. Il parle aussi fort souvent contre lart des histrions, des comédiens, contre les spectacles et les théâtres, et ce nétait pas sans raison, car rien de plus impur que la scène dalors, rien de plus impudent et de plus obscène que les comédiens et les comédiennes. Celles-ci paraissaient toutes nues sur la scène, elles nageaient toutes nues dans des bassins disposés pour cela. Sa voix nest pas moins éloquente pour faire aimer la vertu que pour faire détester le vice: il recommande surtout la chasteté, la charité envers le prochain, loubli des injures, la patience dans ladversité, laumône, etc. Tout en édifiant la foi et en formant les moeurs des chrétiens, lorateur noublie pas de combattre les ennemis de nos croyances. Les Juifs, les Manichéens, les Marcionites, les Valentiniens sont ceux quil prend le plus souvent à partie. Lélément apologétique tient donc une assez grande place dans ce commentaire, et si certain mauvais livre qui a fait tant de bruit et de scandale ces temps passés navait pas déjà (3) trouvé, dans loubli où il est maintenant tombé, sa plus convenable et sa plus péremptoire réfutation, nous oserions présenter le commentaire de saint Matthieu par saint Chrysostome, comme le meilleur ouvrage à y opposer. Une traduction des homélies sur saint Matthieu fut donnée, en 1665, par Le Maistre de Sacy, sous le pseudonyme dAntoine de Marsilly. Les docteurs chargés de lexamen de cette traduction, sexprimèrent ainsi dans lapprobation donnée par eux à louvrage: « Cette traduction étant aussi fidèle que juste, et conforme à lexpression du style et des pensées du Saint, on peut dire que les beautés naturelles de ce Père si éloquent, né paraissent pas moins sous la plume de cet excellent interprète que sous celle de ce saint... Il semble que ce soit lui-même qui se soit expliqué une seconde fois en notre langue. » Bossuet a parlé de cette traduction, et voici son suffrage : « A légard de saint Chrysostome, son ouvrage sur saint Matthieu lemporte à mon jugement. Il est bien traduit en français ; et on pourrait tout ensemble apprendre les choses et former le style. » On conçoit que nous nayons pas négligé de tirer profit dun tel travail; nous lavons donc eu constamment sous les yeux, dabord pour ne rester jamais au-dessous, ce que nos lecteurs auraient raison do ne pas nous pardonner; ensuite pour-faire mieux toutes les fois que la chose a été possible; enfin pour le suivre quand il nous était impossible de mieux faire. J.-B. JEANNIN (4) |